jeudi 22 mai 2008

Inquiétude & Certitudes - dimanche 18 mai 2008


Dimanche 18 Mai 2008

de Gaulle à divers points de vue

l'enquête des autres et la miennne : une vie pour comprendre et voir, pas pour éditer

Le cœur en action de grâce, l’accueil des miens, la fraîcheur et la rosée sur tout du ciel aux herbes et aux fleurs, aux arbres, ce matin, le travail attendant comme une récolte à engranger, et peut-être une piste pour notre chien, le tout sous la « constellation de Gaulle », une des plus belles et des plus structurantes de l’histoire de France, les quatre visites qu’il m’a été donné de faire, en vingt-quatre heures…. Prière… la plus simple possible [1], et de fait le cantique, tiré du Deutéronome n’est que de louange, bénis sois-tu au firmament du ciel. Prière pour les miens, ceux que je rencontre, notre pays, ceux qui souffrent de par le monde et chez nous par incurie de leurs soi-disants élites, car il n’en est que du cœur. Exprimez votre amitié en échangeant le baiser de paix… car Dieu a envoyé son Fils dans le monde, non pour juger le monde, mais pour que, par lui, le monde soit sauvé. Pas d’autre programme, de dialectique de l’histoire humaine, pas d’autre attttude pour nous que celle de Moïse, modèle de dirigeant pour un peuple : quel peuple plus difficile (le monde en sait quelque chose encore aujourd’hui) et quelles circonstances plus aventureuses, osées et si souvent contraires ? Oui, c’est un peuple à la tête dure, mais tu pardonneras nos fautes et nos péchés, et tu feras de nous un peuple qui t’appartienne. C’est Dieu Lui-même qui passant devant Moïse, dit son nom qui sera repris dans les psaumes comme dans le Coran : Dieu tendre et misricordieux, lent à la colère, plein d’amour et de fidélité. Jusqu’aux paysages intérieurs de nos âmes, chaque fait universel ou intime, est de Lui. Et Lui est bonté contagieuse, amour et considération du faible et du minable.


Donc, la « constellation de Gaulle » … Michel Tauriac aurait interrogé les quatre-vingt quinze témoins de vie avec de Gaulle… sa bibliographie compte vingt-sept titres auxquels il faut ajouter les volumes d’entretiens avec l’amiral de Gaulle. Max Gallo, mettant bout à bout ce qui est prêté de propos au Général plus ce que donnent ses lettres, notes et carnets procurés par l’Amiral, son fils, a produit après et avant des « biographies-événements » de Napoléon et de Louis XIV, une vie de l’homme du 18-Juin. Raymond Tournoux, qui travaillait sans magnétophone et courait noter, au café du coin, ce qu’il venait d’entendre chez les gens du moment, a produit ainsi une douzaine de tomes pour ses « Secrets d’Etat », le style en a été copié depuis, tout homme au pouvoir en France vivrait une tragédie, et son plan, sinon son ambition secrète, serait d’émanciper l’Europe des Etats-Unis et d’en devenir le premier président. Nous sommes proches d’aboutir. L’originalité du stérotype depuis cinquante ans, imiter le personnage de référence dans ses desseins et l’ampleur de ses vues, mais ne pas se prêter à sa pratique, notamment référendaire, la renonciation immédiate à continuer d’exercer le pouvoir en cas de victoire du non. Ces entretiens divers sont professionnels.

J’ai commencé de rencontrer ceux qui avaient connu de Gaulle, quand j’entrais dans la vie active : la haute fonction publique, le bureau de Koghève, quai Branly, les bâtiments en préfabriqué aux parterres de linoléum brun-vert assemblés dans la hâte du Front populaire. J’étais en bout de couloir, j’ai voulu comprendre comment de Gaulle avait perdu le referendum et comment son legs politique et moral était gaspillé par ceux qui lui devaient leur place, leur carrière et ont tant prospéré depuis, pour produire la génération actuelle de ministres et d’élus. C’était le début d’un processus, ma quête était vitale, je voulais comprendre, savoir. Je continue aujourd’hui, j’ai compris, ma volonté de maintenant est fille de celle de naguère, je veux témoigner de ce qui a été et de ce qui serait possible, le service de l’Etat, le désintéressement de la haute fonction publique, non pas un dessein de rechange à propos aux Français qui ont échoué, mais l’histoire à faire parce que c’est la leur, en propre. Je n’ai encore rien produit de ce témoignage concordant recueilli pendant quarante ans. Ceux que je visite ne reçoivent pas un professionnel, tous m’apportent la communion. Certains avec des larmes dans la voix. Non pas la nostalgie d’une époque où ils étaient plus jeunes, mais le souvenir d’un bonheur certain de faire de la politique avec le général de Gaulle. C’est ainsi que je vis le quarantième anniversaire des « événements de Mai » avec l’ancien ministre du Général qui vota la censure de son Premier ministre et fut plus tard ministre aussi de François Mitterrand –, avec celui qui, silencieux dans son propre ministère, rue de Grenelle, les Affaires sociales, vêcut la négociation des fameux accords (on n’imaginait pas qu’un jour un spectacle s’appellerait un Grenelle) –, avec celui qui tint le parti gouvernemental rue de Lille à peu près seul et devait parlementer la liberté individuelle d’aller à venir pour quotidiennement se rendre à son quartier général en coupant les manifestations étudiantes –, avec celui à qui l’Etat a dû de tenir, à qui le pays a dû le « zéro mort », score stupéfiant l’étranger incrédule, à qui téléphonaient plusieurs fois par jour et nuit les entourants du Premier ministre : le préfet de police –, avec celui enfin, journaliste de métier et fils d’un de nos derniers prix Nobel de littérature, qui rendit compte du Général pour l’A.F.P. de 1947 à sa mort. Devant chacun, je suis assis depuis quarante ans – moyennant les interruptions que mes affectations diplomatiques ont imposé à mon séjour parisien. Maintenant, je viens à Paris exprès pour la mémoire orale de notre histoire, pour – surtout – la galerie de portraits quand, même les seconds rôles, n’avaient de fierté que de servir l’Etat. Des portraits moraux.

Les hedomadaires brodent aujourd’hui sur une chute du Général en Mai 1968. Qu’écriraient-ils si de Gaulle n’avait pas survêcu, alors ? Haranguant « ses » députés le 7 Mai dernier, Nicolas Sarkozy aurait jugé le Général très inférieur puisque pas de taille il y a quarante ans et perdant son referendum ensuite. Ces jours-ci, quant à moi, je comprends deux choses – de ce passé décisif (et beau).

La rupture entre de Gaulle et Pompidou date de la candidature du premier à se faire réélire président de la République : le 4 Novembre 1965, le Premier ministre, pas davantage que les Français, ne sait ce que le Général va annoncer le soir. C’est une rupture qui n’est pas le fait de de Gaulle, remplaçant Pompidou après la victoire électorale commune du 30 Juin 1968, ni la conséquence d’un mauvais traitement politique de « l’affaire Markovitch » ; elle coûte bien moins au prétendant qu’au vieil homme comprenant progressivement qu’il ne peut plus avoir confiance. Il y a plus de dix ans, Couve de Murville m’expliqua sa nomination par la certitude que le Général avait de son désintéressement personnel : lui, au moins ne voulait pas, n’attendait pas la place. J’y ajoute deux autres raisons : la première est qu’aucun autre ministre ou collaborateur du Général n’a tenu, comme le ministre des Affaires étrangères, un tête-à-tête hebdomadaire pendant dix ans, qui ait continué d’être gratifiant. Le secret permettait la discussion d’égal à égal mais la vérification d’un accord de fond fut le bonheur des deux hommes. C’est ce que j’ai appelé « un secret français » (titre de la biographie de l’ancien ministre et Premier ministre, dont j’achève de rédiger le premier volume) en jouant sur le mot. Couve de Murville était discret, secret – comme aucun de ses collaborateurs n’ont jamais connu l’équivalent – et cette relation avec de Gaulle est unique. L’autre raison est simple : mis en cause fondamentalement en Mai 1968 (une faillibilité inattendue dans la conduite et la médication d’une crise nationale), autant qu’en Décembre 1965 (la légitimité tenue du 18-Juin n’avait plus de valeur électorale donc politique), le général de Gaulle voulait marquer à nouveau le gouvenement comme aux débuts de la Cinquième République, le nouveau Premier ministre ne l’en empêcherait pas, ne le dissuaderait pas non plus de tenir le referendum destiné à infirmer ou confirmer le désaveu des « événements ».

L’autre chose que je comprends est que de Gaulle avait fait une Constitution, selon son propre exercice du pouvoir. Ce n’est toujours pas compris puisqu’on considère qu’il a fondé ainsi un régime présidentialiste, c’est la lecture écrite et commentée de nos institutions par Edouard Balladur et Nicolas Sarkozy, rapport de l’un au président de la République et lettre de l’autre au Premier ministre. Ce qu’a fondé au contraire de Gaulle, c’est l’institutionnalisation d’une hauteur et d’une indépendance de vues à la tête de l’Etat, et le respect des manières et des convictions d’un Premier ministre en charge du quotidien et de tenir compte du Parlement et de l’opinion. Nicolas Sarkozy ne fusionne pas les deux rôles, il les détruit chacun. Il y perd la sincérité de l’appui de ses élus à l’Assemblée nationale, il y gagne la haine de son Premier ministre – titre L’Express – et il n’y trouve pas l’adhésion populaire aux choix qu’il présente, depuis son élection. Sa manière le discrédite bien plus qu’un fond, dont chacun comprend que l’effet ne sera qu’à long terme. François Mitterrand, au contraire, sut tenir et même regagner la faveur de l’opinion, grâce aux institutions.


[1] - Exode XXXIV 4 à 9 passim ; cantique Deutéronome III 52 à 56 ; 2ème lettre de Paul aux Corinthiens XIII 11 à 13 ; évangile selon saint Jean III 16 à 18

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