samedi 24 mai 2008

Inquiétude & Certitudes - vendredi 23 mai 2008

Vendredi 23 Mai 2008


La Constitution qu'on torture
L'article 72 sur les collectivités territoriales
L'appel des 17 socialistes appelant à voter un texte présidentiel qu'ils n'ont pas lu
Le sens de l'Etat et l'expérience locale du pouvoir : l'exemple oublié des gouvernants
L'esprit à l'oeuvre au Proche-Orient
L'Afrique du sud vers l'inconnu


Prier en ouverture tardive d’une journée qui est à tous, sans appropriatioon personnelle possible, sans prévisibilité. Enseignement du Christ et de son Eglise sur le mariage. La grâce du mien : à l’instant de l’échange de nos consentements, j’ai physiquement senti ma mutation, le changement de ma condition. Eglise du Val-de-Grâce, vendredi 18 juin 2004… la grâce du nôtre puisque nous ne tenons que par un constant miracle qui nous insuffle accessoirement le courage et l’énergie du quotidien, mais fondamentalement notre entente, notre mutuelle résonnance et ce qui, je crois, est plus efficace et surtout plus gratifiant que toute tolérance, notre acceptation ensemble de la manière dont chacun nous nous construisons avec l’aide et le paysage de l’autre et, pour notre couple, avec le compagnonnage constant de notre fille, physiquement et mentalement… L’essentiel est la construction et la vie, pas les conditions d’une rupture éventuelle et selon des points de droit. La rupture qu’évoque le Christ est relative à nos familles de naissance, mais quitter, s’attacher me semble à prendre pour la chair et le partage de vie commune. L’Ancien Testament est rempli de remarques et recommandations pour parents et enfants, et les passages de Paul – souvent considéré comme « machiste » - sont très délicats pour la relation parents-enfants. Le Christ, s’il n’évoque que le mari quittant père et mère, traite en revanche les époux à pied d’égalité pour l’adultère. Plus que le divorce – ou la séparation, sans doute inévitable et légitime, même, dans certains cas d’évidence – Jésus condamne le « re-mariage ». La leçon est la loi naturelle, en l’espèce : divine. Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! Le problème pastoral est que le clergé, non marié (et à mon sens, ne devant pas l’être), a le monopole de l’enseignement magistral sur le mariage et sur l’amour particulier des époux (amour exemplaire puis qu’image de la relation entre l’Eglise et le Christ, alors que c’est l’amour parents-enfants qui donne à expérimenter l’amour de Dieu pour nous) : il faudrait des paroles vêcues et des paroles d’expérience des laïcs. Mais ceux-ci quand ils s’expriment sont trop contingents. Il faut donc une parole et un enseignement de toute l’Eglise, observation valant pour le magistère en morale sexuelle ou en organisation de l’économie et des rapports sociaux. Combiner la tradition ecclésiale et la théologie, sciences et inspiration en principe de clercs avec la vie de couple ou d’entreprise, qui est en principe de laïcs. Jésus, dans son enseignement, semble interrompu par ceux qui le questionnent sur la répudiation, et ensuite pressé par ses disciples. On le devine, non pas agacé, mais nous donnant à penser que nous lui faisons traiter du secondaire. Jacques est presque plus énergique dans son exhortation : tenir, être d’une pièce, pas de forfanterie. C’est l’homme d’une simplicité organisée, prudente et exigeante. Entre lui et le Christ, Seigneur, s’agenouiller et demeurer, en demande, en écoûte, puis repartir au travail, aux autres, aimés ou inconnus. Ne gémissez pas les uns contre les autres. Point commun des deux enseignements, : s’en tenir à un axe [1].

Les révisions constitutionnelles sont de plus en plus prolixes – limpide et bref, le texte de 1958, perd à chaque addition ou modification de son unité de style et de pensée. Celle qui se négocie va être la pire en rédaction, parce qu’elle sera composite et parce que le pouvoir à défaut de faire passer son projet initial, très évolutif depuis son premier énoncé par le candidat en Janvier 2005, veut au moins faire croire aux « gogos » qu’il a obtenu une majorité, peu importe sur quoi, au Congrès de Versailles. Donc, inopinément la trouvaille que signe Jean-Luc Warsmann, le président de la commission des lois et rapporteur du projet à l’Assemblée nationale : constitutionnaliser les langues régionales, ce qui ne fait de mal à personne mais peut engager des finances, des promesses et engranger donc des déceptions. Encensoir des personnalités locales tandis que l’intervention présidentielle tendant à légaliser le droit opposable à l’accueil des enfants en cas de grève des enseignants et pédagogues, va au contraire dans le viol des libertés territoriales.


Exemple de la confusion et de la dérive : l’article 72 de la Constitution. Initialement, il se lisait ainsi : Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les territoires d’outre-mer. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi. Ces collectivités s’administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi. Dans les départements et les territoires, le délégué du Gouvernement a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois. Qu’il y ait manqué la région, deux mots suffisaient quand celle-ci est apparue, avec tous ses attributs. Aujourd’hui – depuis la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 – l’article a quadruplé de volume et s’est vu suivre d’un 72-1, 72-2, 72-3 et 72-4, chacun presque aussi imposant. Et la liberté d’administration a été d’autant édulcorée. Son énoncé est sous condition des dispositions légales, et celui-ci est précédé de la remarque que les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon. On ne peut être plus restrictif… avoir honte de ses gouvernants, avoir honte de celui qui parle censément au nom de son pays et de quinze cent ans d’histoire nationale, et maintenant avoir honte de ses législateurs ?

Je lis avec stupéfaction dans Le Monde daté du 23, le texte de 17 députés socialistes. Et fais part de ma stupéfaction à François Hollande, Ségolène Royal et François Bayrou.

Si je suis habitué à l'exposé des motifs de la révision : le quinquennat "sec" a déséquilibré les institutions (pourquoi en ce cas l'avoir accepté par consensus de ceux qui n'avaient plus mis en question le septennat depuis la tentative à des fins personnelles de Georges Pompidou en 1973, et de ceux qui voulaient la modification, en même temps, de plusieurs autres articles de notre Constitution ?), je ne le suis pas à lire l'appui d'opposants à une réforme sous prétexte que celle-ci contient ce qu'ils attendent depuis longtemps.

Où donc ont lu les signataires que leurs voeux sont exaucés ?
. l'exception d'inconstitutionnalité est timide (art. 26) tant pour la matière couverte que pour la procédure qui n'est pas dès la première instance, mais semble ne s'ouvrir qu'en cassation
. la proposition du comité Balladur pour le referendum d'initiative populaire, déjà très édulcorée puisque le Parlement peut le faire éviter au gouvernement en traitant la question posée dans l'année - est devenue une organisation de la pétition devant le Conseil économique et social (art. 29)
. la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (art. 28) et la séparation en deux formations - parquet et siège - confirmant une séparation des carrières, est extrêmement dangereuse : Pierre Arpaillange la dénonce dans une lettre personnelle à Jean-Marc Ayrault dont celui-ci a dû vous faire part. Il n'est pas non plus souhaitable pour le prestige de la justice que les nominations ne soient plus celles du plus haut "magistrat" de la République.

Les signataires ne prennent pas position sur une dénaturation - substantielle - de notre régime, par la prise de parole personnelle du président de la République devant le Parlement (art. 7 - l'interdiction du vote après débat sera tournée par la possibilité donnée au Parlement de voter des résolutions : art. 12), ni sur la mise des questions de défense hors champ (art. 8) de la responsabilité gouvernementale devant le Parlement (art. 13 sur les envois de troupes interdit le vote après le débat) pour les laisser au seul président de la République (l'article 15 de la Constitution fera seule référence en ce domaine)
L'apparition d'un défenseur des droits des citoyens (art. 31) est superflue : le gardien des libertés - et ce serait bon à inscrire à la suite de l'article 5 de notre Constitution - doit être le président de la République. Pour le reste, il y a déjà le médiateur qui n'est pas constitutionnalisé, sauf erreur de ma part.

De telles lacunes ou de telles dénaturations - telles qu'elles sont proposées par le Gouvernement - ne peuvent être "compensées" loin s'en faut par ce qui est "apporté" selon les articles 16 à 19 du projet. D'autant que le Gouvernement et singulièrement le président de la République n'ont donné - pendant leur première année d'exercice du pouvoir aucun gage de bonne foi dans le fonctionnement très abusif des institutions.

Ces réécritures constantes de notre Constitution sont désastreuses, politiquement et intellectuellement.

Le suspense reste entier, les choses se joueront à quelques voix. La République est apparue définitivement dans les textes, à une voix près.

Mais le meilleur instrument de la République et du bien commun – les deux sont étyomologiquement superposables – est l’Etat, et l’Etat vaut par ses serviteurs et ceux-ci valent par la considération et les précautions d’emploi et d’animation qu’ont pour eux les politiques et les gouvernants. Localement, les élus et les représentants des divers ministères se respectent et se considèrent, partagent les mêmes valeurs et ont souvent la même culture d’autorité, le même sens de leur responsabilité. On est légaliste mais on s’arrange aussi. On est tous d’expérience. Le préfet et sa femme, jeune énarque employée à la cour des comptes régionale dans le département voisin, le président du tribunal, son épouse également magistrate, le recteur d’académie. Un gaullisme d’intelligence chez le préfet, de cohérence, un gaullisme familial chez l’épouse du président de chambre, et un gaullisme d’adolescence chez l’agrégé de lettres modernes, inventeur avec six autres collègues d’une nouvelle discipline, à leur époque, les sciences de la communication.

J’en retiens que la réforme Dati pour ce qui est de la refonte de la carte judiciaire est judicieuse mais que la réforme constitutionnelle (le Conseil supérieur de la magistrature et la séparation qui s’accentue entre le parquet et le siège) divise la corporation et les esprits, que la hantise d’une perte de prestige du corps judiciaire telle qu’elle habite un de nos anciens garde des Sceaux – les plus imaginatifs et créatifs, Pierre Arpaillange, qu’à l’époque daubaient les socialistes autour de Michel Rocard (je conterai plus loin ma rencontre avec lui et nos mésaventures ensemble) – est malheureusement très fondée, très ressentie. Le coût des textes bâclés dont on ne sait plus faire les applications, le coût des politiques répressives, budgétairement et socialement, psychologiquement, puisqu’il faut des surencadrements pour les mineurs (300 euros par jour et détenus), et que l’on est en surpeuplement chronique de 40 à 50% de nos prisons. Peu d’aménité pour Nathalie Ménigon dont l’incarcération motiva de nouvelles constructions de haute sécurité. A entendre, le président de chambre, l’élargir était possible depuis des années à condition qu’elle accepte de renier la légitimité de son combat et de ses gestes. C’est une piste pour comprendre cette déviance contemporaine des procès, censés non plus déterminer une culpabilité et la sanctionner pour mettre hors d’état des criminels certains de continuer à nuire, mais destinés à ce que les uns fassent leur deuil, les autres cheminent vers la repentance, et que pour tous les gestes les plus affreux deviennent compréhensibles pour… n’être ni excusés ni reproduits. Série d’incohérences et d’ambitions. Prestige de la justice amoindri par le manque de moyens ou par les écarts professionnels de certains – le juge d’instruction pour l »’affaire d’Outreau » –ou toute notre génération ne sachant plus ce qu’est la justice ? Pour moi, et dexpérience, la correctionnelle bien gérée, mais la juridiction civile devant laquelle se jouent des vies totalement : le dénuement ou l’enrichissement, avec ou sans cause, n’est pas aussi fouillée et impartiale que les formations pénales.

Le préfet bien plus « sur le terrain » qu’au temps de mes stages d’E.N.A. : des conventions pratiques avec la S.N.C.F. pour limiter les retards que causent les suicides qui semblent surabondants en Bretagne ; des visites en lycées avec le colonel commandant la gendarmerie, le procureur, la D.A.S. Près de 50% des adolescents toucheraient du cannabis, et en tiendraient le premier contact permissif de leurs parents… accessoirement, la banalisation par le représentant de la D.A.S., une femme médecin, fait chorus contre elle, mais notre hôte remarque que c’est l’une des administrations de l’Etat la plus balladée, charcutée dans l’organigramme des pouvoirs publics, les divers métiers de la santé et du social peu appréciés et compris dans leur cohérence et affectés par saucissonnage à des ministères différents. Anecdote, cet exemple de discrimination positive ayant consisté à nommer un directeur d’école de commerce nantais, d’origine maghrébine, préfet du Jura, fut l’occasion d’un énième épisode de la rivalité (si fructueuse pour le bien commun des Français, nous le vivons aujourd’hui) entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy. Le principe « inventé » par le ministre-candidat, le président sortant imposa un autre homme, pour la seule leçon de sa prééminece, et se trompa. L’homme, on le vit tout de suite avait une vie privée très exposée, il ne tint pas, ce qui n’a pas été su, fut victime d’une attaque cérébrale et vit en petite chaise après une petite année seulement à Lons-le-Saunier…

Apparemment, tout se passe comme si l’esprit soufflait au Proche-Orient. Syrie et Israël discutent, sous la férule turque (un de mes arguments pour l’admission de la Turquie est précisément le renforcement de notre connaissance de la région et de notre capacité d’y arbitrer, en dehors des Etats-Unis) : même le Golan est à l’ordre du jour. Les Européens reconnaissent de facto le Hamas et celui-ci ingénieusement reconnaît la territorialité d’Israël, l’Etat-même, mais pas sa légitimité. Cela me paraît ingénieux mais convenable car il ne s’agit pas de s’aimer dès la première génération de la paix, mais de s’accepter physiquement. Enfin, Olmert et Bush junior ont un intérêt commun à être les signataires de l’accrd d’ensemble : précédente tentative, Clinton-Barak, à quelques jours de la fin de leurs mandats respectifs. Alors, on approcha de la solution la plus acceptable par les Palestiniens. Et – inouï – notre diplomatie reconnaît que la question des colonisations juives est la principale entrave au processus. Enfin, au Liban, le chef de l’armée, fortes études de droit et de science politique, un chrétien prêchant la tolérance comme tant de musulmans s’efforcent de présenter le véritable Islam en école d’acceptation mutuelle et réaliste, va donc être élu président de la République. Les engagements pris à Doha sont principalement que les hiérarques de chacune des communautés, cessent de s’accuser publiquement de trahison… fasse Dieu qu’il n’y ait pas quelque balle perdue, comme celle qui foudroya Rabin et les espoirs, la signature de paix qu’il portait.

La Birmanie laisse entrer les « travailleurs » des O.N.G., la Chine populaire réclame des millions de tentes et les deux dictatures sont remerciées par les donateurs. L’Afrique du sud dérive vers l’inconnu, Le Cap gagné par les bagarres et émeutes. Mandela est-il déjà mort ? L’ntinéraire de Gandhi avait commencé en Afrique du sud. L’analyse de la colonisation, de son illégitimité radicale et des dialectiques de toute émancipation des territoires extra-européens commença dans l’esprit du jeune Moktar Ould Daddah, quand dans son premier voyage en train – il débarquait en France, il y a plus de soixante ans – il entendit deux Indiens commenter l’action du Mahatma.


[1] - épître de saint Jacques V 9 à 12 ; psaume CIII ; évangile selon saint Marc X 1 à 12

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