jeudi 22 mai 2008

journal (coupure presse) - 19 Mai 1968

Déjà la question des institutions - en 1958, les établir ; en 1968, montrer qu'elles sont salutaires, elles ont alors en question, c'est même la principale question à mon sens personnel, mais aussi selon les analystes professionnels. - Aujourd'hui, Le Monde titre : institutions, la réforme qui embarrasse tout le monde. Le président de la République est le principal facteur d'instabilité et d'incertitudes, en quoi paradoxalement Nicolas Sarkozy rejoint le général de Gaulle. Celui-ci pour l'Algérie, pour la reprise "tous azimuts" de notre indépendance et à partir de 1966 (l'amendement Vallon pouvant modifier profondément l'actionnariat dans une entreprise et donc peser sur l'exercice du pouvoir de gestion et les stratégies) sur le plan social, vis-à-vis d'une certaine classe, et enfin sur le plan politique, par sa proposition référendaire du 24 Mai 1968 au 27 Avril 1969, est constamment déstabilisateur. Nicolas Sarkozy est un embarras pour sa majorité et devient un repoussoir pour les France, par l'amoncellement de discours hebdomadaires sur les sujets de fond et par des réformes - qui, à propos des institutions - paraissent des caprices, quand - à propos des O.G.M. - elles ne sont pas en contradiction avec des engagements antérieurs (Grenelle de l'environnement ou accords avec Nicolas Hulot).
L’Indépendant – 19 Mai 1968
circulant notamment dans l’Aude - Carcassonne

Un enjeu trop grand

Grèves et manifestations estudiantines qui continuent, débrayage des ouvriers et occupation des usines qui commence : la situation trouvée par le général de Gaulle à son retour de Roumanie est infiniment plus grave qu’elle ne l’était à son départ.

Le pays est menacé de paralysie économique et de désordre dans la rue. Position dramatique qui justifie maintenant sans aucun doute une initiative au plus haut sommet.

Le pouvoir politique avait trois cartes dans son jeu : la première était la fermeté. M. Louis Joxe, Premier ministre par intérim l’ajouée la semaine dernière pendant le voyage de M. Pompidou en Iran. Avec maladresse et inefficacité, il est vrai.

Revenu à Paris, prenant sur l’heure le jeu en main, il a alors abattu la deuxième carte : celle de la conciliation. Retrait des forces de police du Quartier Latin, pas d’opposition à l’occupation de la Sorbonne et des Facultés, annonce du dépôt d’une loi d’amnistie pour les manifestants arrêtés. La carotte n’a pas eu plus de succès que le bâton quelques heures plus tôt.

Non seulement l’agitation étudiante n’a pas cessé, mais il s’y est ajouté un mouvement revendicatif ouvrir d’une ampleur telle qu’on n’en avait pas vu depuis quinze ans. Que reste-t-il maintenant dans le jeu gouvernemental ?

« Il reste, disait hier un familier de l’Elysée, l’intervention directe du Chef de l’Etat ». Selon cette personnalité, le Président de la République élu au suffrage universel et responsable de la Nation, s’apprêterait, supprimant tous les intermédiaires, à entrer directement dans l’événement, à engager son crédit, son prestige et sa personne.

Pour lui, l’enjeu est trop grand : il ne s’agit pas seulement en effet de restaurer l’autorité publique sérieusement ébranlée. Il s’agit aussi de justifier l’efficacité des institutions.

Le général de Gaulle a souvent dit des précédentes qu’elles étaient imparfaites parce qu’incapables de résister à une crise grave, alors que les institutions nouvelles étaient par contre prévues pour tenir le coup quoi qu’il advienne.

Mais il s’agit aussi sans doute de remettre en marche l’Economie. Dans les milieux industriels, l’inquiétude permanente qui y régnait depuis la suppression des protections douanières a fait place depuis quelques jours à une véritable angoisse. La vague de revendications devrait avoir comme conséquence l’octroi d’avantages substantiels. Mais les entreprises françaises, bien souvent vieillottes ou de trop petite dimension, pourront-elles résister à leurs concurrentes étrangères ?
Cette angoisse est partagée par le Gouvernement. M. Olivier Guichard, ministre de l’Industrie l’a dit hier soir à la télévision : crainte que les produits français devenant trop chers sur le marché, perdent la bataille, que des entreprises ferment et que le nombre des chômeurs déjà élevé ne s’augmente considérablement dans les mois et les années qui viennent.
C’est également l’avis de l’étranger qui juge – avec une inquiétude parfois sarcastique – l’évolution de la situation française :
« La France menacée d’anarchie », titre le journal allemand « Der Abend ». « Les Français menacés par le chaos », renchérit le quotidien hollandais « De Telegraf ». Et le « Times », le journal le plus sérieux de Londres, écrit : « Dans une situation aussi fluide, n’importe quoi peut arriver. Si le Gouvernement commet des maladresses ou si la police tire et que quelqu’un soit tué, le désordre augmentera et prendra de nouvelles formes ».

Ces commentaires, cette image donnée par notre pays vu du dehors, touchent le général de Gaulle au point sensible. Il se demande si en quelques jours, étudiants et ouvriers en révolte n’ont pas ruiné d’un coup l’idée que lui-même avait patiemment cherché à donner du régime.
Cela rend encore plus grave l’attitude qu’il sera amené à adopter dans les heures ou les jours qui viennent. Pour lui l’enjeu est clair : il s’agit de savoir si notre pays mérite ou non ce jugement cruel du journal britannique « Daily Mail » qui titre son éditorial ainsi : « Liberté, égalité, anarchie ! ».

Henri Trinchet

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