vendredi 16 mai 2008

journal - jeudi 16 mai 1968






extraits politiques de mon journal intime

1968 . 1969






Ce qui suit est la transcription – sans retouche, évidemment – de pages manuscrites d’un journal tenu depuis Août 1964.

Au moment des « événements de Mai » 1968, j’ai vingt-cinq ans et un mois. La sortie de l’Ecole nationale d’administration s’annonce, pour moi, très différente de ce que j’ambitionnais en y entrant : la diplomatie, il me manque une vingtaine de places au classement général pour pouvoir la choisir à l’ « amphi » prévu pour se tenir rue des Saints-Pères le vendredi 31 Mai. Je suis possédé par des amours ratés, l’année précédente et l’année en cours. Eléments concourant à un profond chagrin, sinon au désespoir, qui constituent la quasi-intégralité de mon journal, alors…

Je note le soir du jeudi 25 Avril 1968 :

Je suis devant l’échec de ma vie.

Ma note d’études que je viens d’apprendre, loin de me faire rattraper les 10 ou 15 places nécessaires pour le Quai, me met dans les 60° au minimum. Je perds pratiquement toute chance d’avoir le Quai, auquel j’ai toujours pensée depuis 10 ans peut-être.

Mise en cause de mes qualités intellectuelles. Manque de rigueur intellectuelle, esprit confus, disent 3 de mes maîtres de conférences sur 4.

Dans ces deux ans, j’ai donc perdu ma fiancée, et toute chance d’exercer la profession que je souhaitais. Echec sur le plan professionnel et social. Echec sur le plan affectif et sentimental, d’autant que je ne suis toujours pas stabilisé, et que je n’arrive à plaire à personne.

Défauts profonds de mon caractère.
Que faire, dans cette échec et dans cette adversité ?

Je suis complètement abasourdi et effondré.

Je ne milite en rien, et décide de quitter Paris où je n’ai rien à faire pour Carcassonne où habitent une de mes tantes et surtout mon grand-père maternels : j’y arrive par le train le samedi 11 Mai 1968. Et entreprends d’écrire un roman.




+ Jeudi 16 Mai 1968



21 h 10 .

Après le débat journalistes.étudiants
et avant l’allocution télévisée du Premier Ministre.

Toute liberté de parole et d’expression a été
donnée pendant ces trois quarts d’heure . de débats .
Cohn Bendit « Mvt du 22 Mars »
Sauvageot UNEF . et Geismar . syndicat enseignant.
La thèse étudiante a été indiquée avec force par
Cohn Bendit : changer complètement la société .
mouvement qui doit être soutenu par les travailleurs et
qui est en définitive pour eux . supprimer Université de classe .
pas de referendum . pas de fausse solidarité nationale .
révolutions ne sont que le fruit d’une minorité agissante.
C’est cette minorité qui a entrepris de résoudre les pbs
qui n’a pas su poser et penser le Gvt depuis dix ans .
Pb. des examens. Il n’est plus question d’examens, mais de
validation des connaissances . Plus de bachotage . Surtout plus de
sélection, qui accentue l’ouverture de classe.
UNEF : moins prolixe . Soucieuse de rester un interlocuteur semble-t-il
Pas de service d’ordre . Consultation permanente . Vient de
la profondeur des étudiants .
Enseignant (les représente-t-il vraiment) . Pas de bachotage .
Délai pour les examens.

Révolution devant la société . Parlement et Gvt également
inopérants . De Gaulle etc. bien sûr démission .
Mais là n’est pas la question .
Renverser la société . Mais la remplacer par quoi ?
Ne nous faites pas rire . Nous sommes des tacticiens
Marx et Ménine n’avaient pas . (selon les étudiants)
prévu la suite . Pas de choix entre avant et après .

Assurance, souvent excédée, de Cohn Bendit .
Synthèse totalitaire, complète. Les mots prononcés de
la même façon martelée . du leader UNEF, de Bendit.

A certains instants . situation renversée .
Les étudiants disant quand et comment ils passeront des examens.
Université définie par eux-mêmes . Et bien sûr plus de capitalisme.

Dans tout ce fatras . bien sûr . pas mal de naïvetés
et de contre-vérité . Mais aussi des idées intéressantes
(et pas neuves) il faut le dire.
Mais l’essentiel, pour eux, pour Cohn Bendit, qui remorque
visiblement les autres, ces autres mettant en forme, gommant
quelques arrêtes . l’essentiel . est de renverser une société .
symbolisée par l’Université . machine de classe .
éliminant les gens . les jetant sur le pavé.

On se demande comment tout cela va se faire .
Peu de solutions possibles à chaud .
Que des solutions transitoires .
Que l’on soit au Gvt . ou dans le « pouvoir étudiant » .
(qui est défini plus comme une force de contestation . une force de
motrice . pour l’instant . et non comme une organisation de
contrôle et d’encadrement . mais de l’impulsion à
l’encadrement ?)
Les étudiants . ou plutôt les 3 porte-parole de ce soir .
promettent davantage . Hier, l’occupation de l’Odéon
(avec l’accord des acteurs et du personnel, disent-ils…)
Remplacer la culture de classe . par celle des travailleurs et
des étudiants.

Est-ce la dictature de la 2ème moitié du XXème .
Car on sait ce que c’est que les minorités agissantes .

En tout cas, et c’est peut-être . dans le contexte actuel .
une toute petite chose . le Premier ministre s’affirme
par son calme, son sens de la concession (l’émission de ce
soir le prouvant) . et son acceptation de remises en cause
nécessaires.
C’est peut-être les élections présidentielles de 72 .
qu’il vient de gagner définitivement .
aux yeux d’une majorité de modérés
de bonne volonté . mais qui ne veulent pas d’exagération .
dans quelque sens que ce soit.

3 ou 4 minutes d’allocution de Pompidou .

Il « passe » moins bien que le Général, et son style
est plutôt celui des causeries au coin du feu.
Mais ce soir, il fallait être grave et direct. Il a su l’être.
Sans effet oratoire.
L’essentiel était de montrer la bonne volonté du Gvt .
Elle a été évidente.
Mais les enragés ont été nettement désignés.
C’est une allocution . de témoignage pour l’avenir .
qui n’apprend rien des intentions.
Chacun vit au jour le jour.

Il n’empêche que la crise actuelle
eut provoqué la chute du Gvt sous la III° et la IV° .
et même une cascade . et emporté le régime sous les
monarchies parlementaires.

Le point reste d’une révolte devant une société
qui ne sait pas s’expliquer ni se rendre attrayante .
à beaucoup. Les émotifs primaires (au sens caractériel)
attaquent donc.

On ne voit pas comment s’en sortir . sinon par la lassitude.

Pompidou a fait allusion . l’autre jour . devant l’Assemblée .
à une éventuelle action de Pékin . pour perturber l’Occident . et surtout
Paris au moment des négociations sur le Viet Nam . A examiner de près !

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