mardi 16 décembre 2008





Droits de l’homme
politique étrangère . organisation du gouvernement . effectivité






réflexions proposées au Président de la République,
au Premier Ministre
et au ministre des Affaires étrangères et européennes




Il est dommage que le sujet fasse polémique.

Les débats sur le courage ou pas du président de la République dans sa relation personnelle avec les dirigeants chinois à propos des égards qu’il a ou qu’il n’a pas envers le Dalaï-Lama. La question de l’arche de Zoé et de ses activités – de qualification controversée – au Tchad ou au Darfour. La réception du colonel Mouammar Khadaffi. Sont des questions politiques et d’opportunité, elles ne sont pas de principe. Les situations sont possibles à connaître. Les attitudes françaises choquent davantage l’opinion nationale qu’étrangère. L’image de notre pays avait souffert des guerres coloniales et de la très tardive raification de la Convention européenne des droits de l’homme. Elle est actuellement floue du fait d’affichages ambivalents de nos politiques d’immigration et d’insertion des nouveaux venus, et plus encore des clandestins.

Les grands Etats comparables aux nôtres – Etats-Unis, Grande-Bretagne, République fédérale d’Allemagne – ont autant de titres que nous à prétendre avoir fondé les droits de l’homme, soit par des textes (la Constitution américaine de 1787), soit par une pratique l’habeas corpus britannique, soit par une reconnaissance implicite de culpabilité produisant un discours militant (la relation germano-israëlienne, la protestation d’Angela Merkel, unique en Europe contre Guantanamo, dès sa prise de fonction).

Nous sommes dans un mélange des genres et des sujets.

Nos prises de position – le général de Gaulle – à propos de la guerre du Vietnam, de celle du Biafra et en général pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes valent pour des conflits de libération collective : nous sommes moins au clair pour le Kurdistan, nous avons été confus et perplexes dans les guerres de Yougoslavie. La question – en diplomatie – n’est donc pas nouvelle. Les camps de rétention ou de concentration n’ont pas seulement existé sous l’occupation allemande, mais aussi sous le général de Gaulle du fait de la guerre d’Algérie, et en métropole-même (l’ « internement administratif »…). Les différents lieux réservés aux immigrants et aux sans-papiers, voire l’état général de nos prisons (mis en évidence ces jours-ci par un déplacement nocturne de la cour d’assises dans l’affaire Ferrara), paraissent peu conformes à la dignité humaine, chez nous.

Bernard Kouchner et Nicolas Sarkozy portent chacun un étendard.
Celui du ministre des Affaires étrangères et européennes est chronologiquement éclatant et fondateur : le droit d’ingérence pour des raisons humanitaires. Depuis le Biafra et en coincidence avec une politique de l’Etat français – osée mais qui ne put s’affirmer. La gestion de la crise kosovar pour les Nations unies et l’Union européenne a sensiblement ajouté au titre du futur ministre, qui avait déjà eu – dans un gouvernement de gauche – un demi-portefeuille pour ces questions.
Le président de la République a tenu à ce qu’il y ait un secrétariat d’Etat aux droits de l’homme. Rama Yade, par une liberté de parole – aventurée au Tchad, courageuse envers la Libye et la Chine – femme à l’origine ethnique et au parcours très illustratifs, a une grande présence médiatique mais peu d’effectivité gouvernementale et diplomatique. Le rôle d’être montrée ou oubliée, n’est pas décent et c’est à son corps défendant. Le président de la République tient – sur ce sujet comme sur tout, depuis son élection et conformément à sa campagne pour celle-ci – à être cohérent. Le secrétariat d’Etat n’ajoute rien à une politique conséquente et brouille toute autre politique.

Les réflexions récentes du ministre ont l’avantage de poser la question en termes crûs. Mais je crois ces termes incomplets. Nous n’avons pas à choisir entre pratique et théorie, mais en termes – qui ne dépendent que de nous-mêmes – d’organisation et de comportement.

Pour la forme. Ministère ou pas ?

L’organisation gouvernementale doit être pratique et pérenne, et de peu de membres (collégialité souhaitable au conseil des ministres et interministérialité – partage – des sujets difficiles ou de grande actualité).

Il peut y avoir des portefeuilles ministériels ad hoc comme ceux traitant des terrioires envahis ou libérés après la Grande Guerre, ou des affaires algériennes jusqu’en 1962, mais les affichages – soit par des lois de circonstances soit par des intitulés compliqués de ministères (condition féminine, temps libre) – sont une complaisance qui ne trompe personne.

Il y a des sujets qui sont transversaux et qui doivent imprégner toute l’action gouvernementale, qui sont par nature interministériels donc de la compétence d’animation générale du Premier ministre – l’écologie, l’environnement, la famille, les personnes âgées, ce n’est pas énumératif, d’une certaine manière la sécurité et la défense nationale (distinctes des moyens à mettre en œuvre ou à projeter), les droits de l’homme et la dignité humaine sont de cette nature. Souci permanent mais pas administration en soi.
Il n’est pas bon que le ministère des Affaires étrangères – ayant par vocation à être multi-localisé (nos divers réseaux à l’étranger) et multi-incarné (nos ambassadeurs autant que le ministre et ses collaborateurs et directeurs) – soit à plusieurs têtes même si le cabinet est organisé (comme Bercy l’a fait depuis une dizaine d’années) en commun. Un seul ministre mais à la manière des Etats-Unis ou de l’Allemagne ou de la Grande-Bretagne, une mise en avant plus directe des directeurs et du secrétaire général. Maurice Couve de Murville ne voulait pas d’un secrétaire d’Etat à la Coopération, encore moins d’un ministre et obtint que le budget soit unique.
Les ministères ne sont pas des gestionnaires de clientèle ou des faire-valoir pour un thème porteur.

Donc pas de secrétaire d’Etat aux droits de l’homme.

Mais une politique des droits de l’homme.

Pour le fond. Réalisme ou utopie ?

Les voies de solution – sur le fond : notre comportement d’Etat – me paraissent aussi simples, mais elles demandent de l’énergie.




vis-à-vis d’Etats manifestement totalitaires, quoique d’apparence capitaliste, ce qui n’est pas nouveau (puisque leur centralisation politique est telle que des représailles commerciales peuvent être évoquées en cas de gestes leur déplaisant), nous pratiquons la non ingérence, mais avec un principe de réciprocité.

Nous ne nous mêlons pas, sauf dans le huis clos des conversations politiques ou diplomatiques, des répressions diverses mais nous n’approuvons pas le discours habituel sur les « réalités propres » à chaque pays exonérant les uns de ce qui est crime pour d’autres, et qui seraient mal comprises des dénonciateurs : nous sommes convaincus de l’unité du genre humain, de la maturité de chaque peuple et de chacun de ses citoyens, quel que soit le régime politique, économique ou la situation historique. Mais en revanche, nous faisons ce que nous voulons chez nous, nous accueillons qui nous voulons – en grande pompe, éventuellement – et nous accordons l’asile politique avec les droits et devoirs usuels, à qui nous le voulons.

Dans l’espèce chinoise, soyons factuels. Nous avons soutenu la Chine – version Pékin – aussi bien pour le siège au Conseil de sécurité que pour son refus de sécession de Taïwan. En revanche, le Dalaï-Lama, quelles que soient ses concessions depuis un an qui ne seront sans doute pas avalisées par son peuple et par son successeur, n’est pas seulement un chef spirituel, il est le souverain d’un Etat dont le statut international n’est sans doute pas clair, mais pas non plus tranché. Même seulement autonome, un Etat est un Etat.




les leçons aux autres valent d’abord pour nous-mêmes. L’expérience est quotidienne pour ceux qui représentent la France, à l’étranger, notamment en Afrique où nous prodiguons les conseils de bonne gouvernance… qui sommes-nous pour les donner ? sommes-nous irréprochables ? exposé des motifs de notre récente révision constitutionnelle.

Les droits de l’homme, la dignité humaine chez nous. Vincennes (le Bois des promeneurs comme les camps de rétention), la rue de la Banque… et l’effectivité des promesses de re-logement, le logement social en France et l’application des pourcentages légaux par communes…

S’agissant de l’immigration clandestine, qui ne cessera pas, l’européisation des normes de dissuasion et de répression, les accords franco-africains bilatéraux ne sont que des habillages. Ils ne trompent que ceux qui ne vivent pas la question – c’est-à-dire ne sont pas eux-mêmes clandestins, ou ne sont pas amenés, souvent de fil en aiguille à aider ces sans-papiers ou à se porter caution. Il me semble que – là et là seulement – doit jouer une double politique, celle de l’affichage d’une réglementation répressive destinée à impressionner le dehors, mais une fois le fait accompli une politique de compassion, très ajustée et personnalisée, est seule digne de nous. Politique de compassion qui condamne nos pratiques carcérales pour les irréguliers.

S’agissant des privations de liberté juridictionnellement décidées, la situation française fait honte. Les procédures de prison préventive et plus encore les dispositions nouvelles pour des incarcérations à vie ne sont pas dignes de nous. Les peines sont en elles-mêmes des peines, il est illégal d’y ajouter, notamment par la promiscuité, l’inconfort et même la dangerosité qui – de fait – les assortissent.

Payons d’exemple chez nous – pour les droits de l’homme – et, vis-à-vis des autres, soyons libres d’agir et de parler, d’accueillir, de recevoir, d’honorer, comme nous le voulons, chez nous.

Alors, une militance mieux fondée. Celle de continuer à contribuer à la codification de la protection et de la reconnaissance des droits de l’homme, et – avec persévérance – d’amener le maximum de signataires à ces textes, comme nous l’avons fait, avec nos partenaires, pour la paix après les guerres, pour la non-prolifération des armes nucléaires, comme nous le tentons avec d’autres à propos des crimes contre l’humanité et des crimes de guerre. Et à terme, parvenir, comme cela se pratique en Europe, à des juridictions internationales des droits de l’homme. L’édifice ne trouvant sa cohérence et son efficacité qu’à deux conditions d’organisation ultime : le recours possible dans la vie intérieure des Etats à ces textes de droit international, recours devant tous trbunaux domestiques avec appel possible à ces futures juridictions internationales.

La gouvernance mondiale – climatique, financière, économique et pour la paix et l’amenuisement des inégalités entre peuples – pourrait commencer par les droits de l’homme.

Militance, cohérence et non pas affichage.



Bertrand Fessard de Foucault . 16 XII 08

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