jeudi 26 mars 2009

réintégration de l'OTAN - explication du vote socialiste hostile

de Kléber Mesquida - député de l'Hérault

----- Original Message -----
From: "kleber mesquida" <kmesquida@assemblee-nationale.fr>
To: "Bertrand Fessard de Foucault" <b.fdef@wanadoo.fr>
Sent: Thursday, March 26, 2009 10:09 AM
Subject: Re: OTAN - " si une institution doit faire contrepoids au président de la République, il ne peut s'agir que du Parlement " - Nicolas Sarkozy . Témoignage . p. 158


J'ai bien reçu votre interpellation sur le retour de la France dans l'OTAN. Ce « débat » s'est tenu la semaine dernière à l'Assemblée Nationale, et je tenais à vous livrer les raisons qui ont poussé le groupe socialiste et moi-même à voter contre cette décision du Président de la République.Tout d'abord, revenons sur la forme de ce « débat ». Sur ce sujet essentiel, on aurait pu songer à un référendum populaire: le Gouvernement l'a écarté. S’agissant d’une décision précise à prendre, il aurait pu recourir à l’article 50-1 nouveau de la Constitution et soumettre aux votes des députés une déclaration précise : le Gouvernement ne l'a pas voulu. Au contraire, en application de l’article 49-1 de la Constitution, il a fait le choix d’engager sa responsabilité avec pour objectif moins d’ouvrir la discussion que de l’éviter : votez pour, à t-il dit à sa majorité, sinon le gouvernement tombera. S'inquiétant d'une division jusque dans ses propres rangs, le Gouvernement a opté pour un « débat » à minima.Sur le fond désormais, notre pays avait une position originale dans l’Alliance Atlantique, en ayant quitté le commandement militaire intégré tout en étant resté membre politique : participation de nos forces aux côtés de celles de nos alliés en cas d’emploi décidé en commun et autonomie de décision des autorités françaises.Cette position avait fait jusqu’ici consensus en France. Prise en 1966 à l’initiative du général de Gaulle, avec la décision de retirer la France du commandement militaire intégré, elle a été confirmée par François Mitterrand en 1981. Le principe d’autonomie de nos choix diplomatiques et stratégiques reposait notamment sur notre refus de nous aligner sur un bloc, sur la vision et l'aspiration à un monde multipolaire.
C’est précisément vers un monde multipolaire que nous, socialistes, internationalistes, nous voulons aller, et non pas vers l’alignement sur “le bloc de l’Occident”, concept que nous ne partageons absolument pas car il est porteur d’affrontements graves. Ce n’est pas au moment où le contexte international donne raison à une vision multipolaire du monde qu’il faut revenir à la politique des blocs. Pour notre part, nous restons fidèles à l’Alliance, mais nous ne voulons pas que l’OTAN se conduise en “bloc de l’Occident”, suscitant dès lors un ou des contre-blocs, qu’il intervienne partout et sur tout. Nous ne voulons pas d’une ONU de substitution sous une domination américaine de fait.De plus, cette réintégration, contrairement à ce qu'à pu défendre Nicolas Sarkozy, présente concrètement peu d’avantages en terme d'influence au sein de l'OTAN.
En revanche la perte d'indépendance est patente. Jusqu'à présent la position singulière de la France lui permettait de définir au cas par cas les conditions d’engagement et de contrôle des unités qu’elle plaçait sous l’autorité de l’OTAN. Ce fut le cas par exemple lors de la campagne aérienne du KOSOVO en 1999. Nous avons exigé d’avoir connaissance de la planification des frappes, nous avons exercé notre droit de regard sur les missions, non seulement pour décider ou non de l’intervention de nos avions mais aussi pour empêcher certaines frappes trop lourdes pour les populations. C’est au niveau le plus haut de l’Etat que cette exigence politique s’exprimait, justement parce qu’il ne pouvait, du fait de notre statut spécifique, y avoir d’accord militaire préalable à une planification complète. Les décisions politiques françaises étaient relayées par la voie militaire. Cet avantage exorbitant disparaîtra lorsque nous deviendrons des acteurs ordinaires de la planification militaire. On voit bien aujourd’hui combien une telle exigence serait nécessaire en Afghanistan. Cet argument est très fort au moment où nous sommes confrontés à la fois à la situation en Afghanistan et à la question des limites géographique de l’OTAN.Si au Proche Orient, en Afrique, en Amérique du Sud, la France est plus influente que sa superficie et son nombre d’habitants, si notre pays est depuis longtemps plus grand que lui même, c’est parce qu’il a su face au monde prendre certaines positions singulières, présenter un certain visage, adopter un certain langage et s’y tenir. Notre siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, notre langue, nos valeurs humanistes, notre rôle de pont entre le Nord et le Sud, entre l’Est et l’Ouest, font partie de cette spécificité qui est aussi notre universalité. On nous respecte parce que nous sommes solidaires, mais aussi parce que nous sommes singuliers. La position de la France dans l’OTAN en fait partie, nous qui sommes profondément reconnaissants aux américains d’avoir exposé deux fois leur vie pour notre liberté, qui sommes des alliés solides mais refusons de devenir des alignés. C'est donc une faute que d'avoir renoncé à cette position, par idéologie atlantiste (laquelle dans d’autres domaines, par exemple l’économie et les finances, a causé tant de dégats) ou par obsession de la rupture.Aussi, comme vous l'avez justement souligné dans votre courriel, ce retour au sein du commandement militaire a aussi un coût budgétaire évalué à 80 millions d'euros, auxquels il faut sans doute ajouter une nouvelle augmentation des crédits au titre des OPEX.Enfin, le retour dans l’OTAN est une menace pour l’Europe de la défense à laquelle nous sommes attachés. Seule l’autonomie de nos armées et de nos états-majors garantit la possibilité de construire de façon autonome une défense européenne. Certes en liaison avec l’OTAN mais sans lui être subordonnée.
C'est donc parce que nous avons jugé les avantages attendus illusoires et les risques, eux, bien réels, que le groupe socialiste et moi-même nous sommes opposés à cette réintégration.Maintenant que cette décision est prise, nous demandons que cette décision ne soit pas définitive mais évaluable chaque année. Ainsi, nous demandons à ce qu'une évaluation aussi précise que possible soit présentée chaque année au Parlement sur ce que cela nous aura rapporté ou coûté en indépendance, en influence et en évolution de la défense européenne et nationale.
Concernant les entraves posées à l'organisation du contre-sommet de l'OTAN à Strasbourg le 4 avril, je ne peux qu'exprimer mon attachement plein et entier à la liberté d'expression et de manifestation et regretter que ce Gouvernement réduise une nouvelle fois, au nom de la sécurité, les libertés publiques dans ce pays.Le Gouvernement en déployant à l'excès des forces de l'ordre et en restreignant excessivement la possibilité de pouvoir s'exprimer, nourrit un climat de tensions qui je le crains, sera exacerbé lors de ce contre-sommet.

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