lundi 18 mai 2009

journal d'il y a vingt-huit ans - lundi 18 mai 1981

Munich, le lundi 18 mai 1981



Tranquille clarté politique en France. La passation de pouvoirs aura lieu le 21 ; le gouvernement sera donc formé d’ici la fin de la semaine ; il semble que les élections soient avancées aux 14-21 Juin. Il n’aura pas fallu 48 heures pour que l’UDF abandonne Giscard à ses rancoeurs ; comme VGE serait rentré dans la trappe en 1969 si Pompidou ne l’avait repris. Pire encore que les « gaullistes », les « giscardo-centristes » ne peuvent vivre hors de la soupe. Avec Marcellin, iols suivirent de Gaulle jusqu’au bout ; les voici avec Lecanuet déjà avec Chirac. Quelle opposition ? Il me semble qu’au plan économique, il n’y a que Barre qui ait une politique de rechange à celle de la gauche, même si sa politique est largement censurée. Il pourra toujours dire qu’il n’a pu la mener dans ses propres termes. Chirac et VGE n’ont eu de politique économique qu’électorale. Au plan de la politique étrangère, ce serait le seul terrain d’originalité et de personnalité qui puisse rester à Chirac et au RPR, car Mitterrand moyennant quelques retouches en Afrique et par la force des choses (la méfiance des alliés) en Eur’Atlantique, et des hésitations au Proche-Orient ne fera a priori rien de spectaculaire. Chirac prend donc la tête d’un grand rassemblement conservateur et de réaction ; c’est légitime puisque chaque électorat doit avoir
son expression, mais cela n’a plus rien de « gaulliste » ; en politique économique et en institutions, c’est Mitterrand qui est dans le fil gaullien et de la Vème République. Mes cas de conscience sont donc résolus ; le RPR n’est pas ma famille, même si cela reste une machine à conquérir le pouvoir. La bataille dans ce camp-là v se jouer entre Barre – que la dissolution rend libre de candidater immédiatement à Lyon (alors que les choses eussent été difficiles autrement puisque son suppléant est RPR) – et Chirac. VGE est hors course pour plusieurs années et va passer un creux de vague terrible : lui, avide de premières, en aura réussi deux. Le premier Président de la République à ne pas être réélu alors qu’il se représente, le premier aussi à passer ses pouvoirs sous la Vème République. Il n’a pas fallu huit jours pour que la peinture s’efface d’un septennat qui aura vraiment été un coup pour rien, une erreur historique, un vide. Rien n’aura été que sept ans de narcissisme et d’enfantillage ; c’est effarant. Mais la place de l’Etat dans la société, celle du Président dans les institutions sont telles qu’on a, pendant sept ans, été « gouvernés » ou « représentés » comme si VGE avait 70 ou 80% des Français avec lui, alors qu’il n’avait gagné que de 400.000 voix ; les médias ont rempli et fait croire à ces 30% de plus…

Après une semaine difficile, je suis rentré dans ma peau. Pourquoi Mitterrand m’appelerait-il près de lui, alors que je n’ai pas été le compagnon de la première heure, qu’au fond s’il y a des convergences d’ordre « utilitaire » profondes entre nous : le départ de VGE, le déblocage économique et social, une nouvelle fondation de la Vème République – ce qui n’est pas mince – il y a tout de même des divergences à coup sûr en politique extérieure, et dans une sensibilité aux partis et aux comités que je n’ai pas, dont je crois que lui-même va s’échapper, mais à quoi il ne tient pas peut-être pas pour le moment. Mon heure viendrait donc dans deux ou trois ans. Mais s’il ne me reste que l’expression – écrivain sans éditeur et publiciste sans journal – il est clair que le temps qui passera sera plutôt l’usure de mon soutien que son renforcement puisqu’aussi bien je ne serai pas partie prenante à la tâche en cours et que je n’en connaîtrai pas les dessous : je ne vais pas revivre ce que j’ai vêcu sous Giscard. La lettre d’Octobre 1974 comptant sur « l’état de grâce », la métamorphose de la fonction, la demande d’audience, puis en presque fin de règne, les conversations avec Serisé, et l’espérance d’un dossier au moins à traiter. Mais il me fait voir les avantages de cette course lente ; il est possible que plus tard ce soit un énorme avantage que d’avoir soutenu Mitterrand dans sa campagne, son renversement de Giscard, ses débuts, mais de ne pas avoir participé concrètement à son pouvoir. Rentrant dans mes jardins, mes livres à écrire, mes recueils d’articles à confectionner, c’est sans doute un parcours de vieillard ou de sage, une longue patence qui est peut-être l’équilibre de mon caractère trop précipité, mais je n’ai pas le choix. Il me faut accepter ma vie.

Une autre hypothèque se lève : Pontarlier. Comme par inspiration, j’ai dicté un long communiqué, jeudi 14, demandant l’appui de la gauche sinon je n’aurai plus qu’à partir. Golder au téléphone me dit que je ne me ferai de toutes façons pas accepter par les « locaux ». Les chiffres disent de surcroît que même avec l’appui de toutes les gauches et oppositions, je ne pourrai battre la droite que si elle est désunie : Giscard a fait 58% au second tour dans la circonscription, et Edgar et Tourrain
[1] seront là. Le lendemain, vendredi, j’ai successivement Christine Guiraud – médecin – son mario Joël, directeur du musée municipal, et Malfroy, professeur au lycée et ennemi juré de Blondeau, le maire. Il en ressort que Marmier auquel je pense comme suppléant de gauche (il était 3ème de liste aux sénatoriales) est mal vu et trop nanti, que les choses dépendent des instances locales du PS très démultipliées dans leurs décisions, que ma participation au jeu est vue amicalement, qu’aucune décision n’est encore prise (et pour cause, le PS n’a pas davantage de candidat de poids que cet automne) et que les municipales et le départ de Blondeau importent plus sur place au PS que les législatives considérées comme perdues d’avance. Blondeau – que je n’ai pas encore « contacté » et qui m’a finalement mené en bateau cet automne – n’a été que partiellement blanchi en Février : condamnation à somme symbolique mais pas d’inscription au casier judiciaire, donc éligible. En fait, c’est un télégramme de mon ami Vuillaume [2], suivant de vingt-quatre heures mon communiqué, qui m’avait conforté dans ce dernier « round » ; mais, comme moi, il est pessimiste sur la « sagesse » du Haut Doubs.

Jobert, à qui je téléphone vendredi, n’est pas à son bureau : il travaille chez lui. Bon signe, au moins pour lui. Le rappeler aujourd’hui ? je ne peux pas m’abaisser à demander et attendre. De même, je fais enfin ma note à FM aujourd’hui – la date de son entrée en fonctions repoussée, me donne le loisir d’être encore lu rue de Bièvre – que j’assoris de réflexions sur l’organigramme du Gouvernement et suivant un déjeuner que je dois avoir avec des banquiers ce midi, d’une note sur les réactions financières allemandes au changement de Président. J’y ajouterai une courte lettre qui, par le biais de Pontarlier, réitèrera une ultime fois mon souhait de quelque chose à l’Elysée – puis il ne me faudra plus penser qu’aux vacances, au rangement de mes papiers, à cette idée d’une grosse histoire de la Vème République
[3] et à la rédaction de ma lettre n° 3. Sur ce dernier point, le courrier – à défaut de chèques, dont la rareté condamne à court terme mon expérience – est intéressant et typique de notre France : cela vaudrait une publication de mes lettres commentées par ce courrier de lecteurs [4] en forme d’un livre au bout d’un an ou deux d’existence. Mais sauf imprévu financier, je n’aurai pas les moyens de continuer.

Vendredi soir, très au creux de la vague, au ciné-club de la vieille ville
[5], Le schpountz de Pagnol avant-guerre avec Fernandel et Raimu : exactement ma situation. Fernandel sèche d’envie de faire du cinéma et croit à son talent. Victime d’une plaisanterie qui dure, il finit par triompher mais involontairement, et dans des rôles qu’il n’acceptera qu’à la fin d’assumer. Raimu ressemble à Defferre, et le metteur en scène joué dans le film, par Astruc, a le nez et le front de Chirac… Un second film de rené Clair avec Maurice Chevalier et François Périer jeune : l’art de séduire une femme, les quelques mots de passe que Chevalier apprend à Périer, lequel lui souffle ainsi sa conquête. Cinéma noir et blanc de ces années, qui sont presque la vie pour ma génération et de l’histoire lointaine pour les vingt ans d’aujourd’hui.


[1] - l’ancien président du Conseil à deux reprises sous la IVème République, puis ministre du général de Gaulle, de Georges Pompidou, et enfin président de l’Assemblée nationale, a été le plus souvent appelé par son prénom – courtier d’assurances (comme Charles Pasqua ou Xavier Bertrand), le second est le zélateur de Jacques Chirac dans tout le Doubs, et a vêcu alors dans la certitude que son champion l’emporterait au premier tour sur Giscard d’Estaing, puis au second sur Mitterrand.

[2] - Romain Vuillaume, que j’ai connu à son dernier poste de consul général à Lisbonne, tandis que j’étais (Septembre 1975 à Février 1979) adjoint du conseiller commercial près notre ambassade – le cycle passionnant de la « révolution des oeillets » – et qui est devenu un ami cher : excentrique, très drôle, éminemment cultivé, bonne plume, ne doit pas être confondu avec celui qui recueillit, par concours de circonstances la succession d’Edgar Faure au Palais-Bourbon : Roland Vuillaume, chauffagiste de son état professionnel comme son adversaire André Cuinet. Il obtint sans aucune conviction politique, notamment gaulliste, l’investiture du RPR en 1980 tout en gardant l’affichage, plaisant localement, d’un indépendant. Il conquit la mairie du chef-lieu Pontarlier en 1983 et garda le siège jusqu’à passer la main en 2002, sans que le RPR soit battu

[3] - j’ai toujours ce projet, mais avant de m’y atteler, je dois boucler l’édition commentée de mon journal du départ du général de Gaulle, puis quelque chose sur l’Abbé Pierre dans le bourbier de « l’affaire Garaudy » et surtout la biographie de Maurice Couve de Murville, entreprise du vivant, il y a dix ans, de l’ancien ministre et Premier ministre du général de Gaulle…

[4] - internet n’existe pas encore

[5] - le Stadt-kino très francophile et francophone de programmes et de publics

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