mardi 19 mai 2009

journal d'il y a vingt-huit ans - mardi 19 mai 1981

Munich, le mardi 19 Mai 1981



Courrier à surprise hier après-midi. Lettre et chèque de Pierre Mendès France, frappé de la première phrase de mon livre qu’il lira à tête reposée. Accusé de réception du Comte de Paris. Pierre Plancher, directeur de La Lettre de Michel Jobert, se fait l’écho d’interrogations de lecteurs de cette Lettre et de la mienne, s’interrogeant bien entendu sur l’adresse, mais aussi sur la négociation dont j’aurai bénéficié du fichier de La Lettre, demandant aussi s’il s’agit d’une dissidence du Mouvement des Démocrates ; il me réclame une mise au point ; lui répondant ce matin, e le charge de la faire lui-même en utilisant ce que je lui écris. Lettre aussi de Blondeau, le
maire de Pontarlier, chaleureux, mais que ni hier ni ce matin je ne parviens à avoir au téléphone.

Tandis que je termine une note de 14 pages sur la situation politique intérieure, suivie de deux courtes notes sur l’organigramme gouvernemental et sur les réactions bancaires allemandes après le 10 Mai, le tout à l’attention de FM, rue de Bièvre, lui réitérant une dernière fois mon désir de travailler directement auprès de lui – Chevènement m’appelle de Paris. Il n’a pas encore reçu ma lettre sur Pontarlier, me coupe là-dessus en me rappelant qu’il m’avait déconseillé de me présenter dans les conditions où je l’ai fait en Octobre dernier, et que mlon score qu’il ne qualifie pas, m’empêche tout avenir désormais dans le Haut Doubs : c’eût été possible cette fois-ci, si je n’avais pas tenté le coup la dernière… Par contre, lui et Charzat, également du secrétariat national, me verraient bien défier Foyer à Angers. Il me coupe à nouveau quand je lui demande lui-même où il en est et quand je commence une phrase sur mes préférences parisiennes qu’il croit seulement électorales ; des visiteurs entrent chez lui, il me passee Charzat, qui me confirme l’offre à condition que lui et JPC convainquent Poperen. Je réponds que je connais Foyer depuis dix ans, qu’il est incontestablement l’un des « gaullistes » les plus réactionnaires et qu’en ce sens, je devrais faire une campagne subtile et non personnelle, puisque nous avons fait des choses ensemble, notamment à propos du quinquennat de Georges Pompidou. Je téléphone alors à Michel Jobert pour lui demander conseil : « c’est enbêtant en soi que vous quittiez pontarlier, mais si les chiffres sont bons… voyez les chiffres et ce qu’ils vous apportent comme soutien… sinon, s’il ne s’agit que d’embêter Foyer, cela ne vaut pas de quitter Pontarlier ». Il serait malséant que je lui demande au téléphone s’il espère, ou si on lui a promis, un portefeuille ; il n’a pas encore lu ma lettre qu’il regardera à tête reposée. Autour de lui, c’est l’agitation et la cour de 1974 que sept ans de désert doivent lui faire regarder avec philosophie. Le soir, à Baldusweg, tandis que la radio annonce le programme du jeudi 21 et que Jack Lang commente la symbolique du bain de foule au sortir du Panthéon et des pensées pour Jaurès et Rousseau, et qu’en surplus il est indiqué que les gaullistes de gauche s’organisent dans la nouvelle majorité présidentielle… je regarde les chiffres du Maine-et-Loire : VGE y avait en 1974 63,2% et le 10 Mai encore 57,6% des voix ; à Angers, il n’est tombé que de 56,9% à 52,9% ; quant à Foyer réélu au premier tour en 1978 avec 37.000 voix contre 16.000 au PS, 8.500 au PC et 3.500 à un « jobertiste » ( !), il a été à peine plus inquiété en 1973 : 26.000 voix au second tour contre 14.900 au PS et 8.200 à un centriste. On se f… donc de moi en m’envoyant en Anjou, même si la région est très belle.

Giscard fait ses adieux ( ?) ce soir à 20 heures. Il dépend en grande partie de lui que son départ soit convenable et que son avenir ait encore une (très minime) chance : il faudrait un grand silence, de très rares gestes très significatifs, des Mémoires bien brossés, et l’impuissance de ses deux anciens Premiers Ministres : toutes choses peu probables à réunir. Le féal Express en crise avec le renvoi de Todd, donne la température et la perplexité du cernier « carré » : ceux d’abord qui crachaient sur de Gaulle vers la fin et s’imagine que VGE en est un autre. Ainsi Raymond Aron : « Il reste à Mitterrand à démentir les étrangers qui se réjouissent déjà de l’affaiblissement de la France », et du même tonneau : « souhaitons que l’expérience parvienne à enseigner au Président quelques vérités économiques primaires dont vingt années d’opposition n’ont pas réussi à le convaincre » – Par contre, Revel implacable : « Giscard a réussi à perdre une partie imperdable… la stupéfiante absence de préparation de sa campagne… pourquoi, en tant que candidat futur de la majorité, avoir fait passer le combat contre Chirac avant le combat contre l’opposiotion ? … maladie la plus fréquente chez ceux qui exercent le pouvoir : la perte du contact avec la réalité » (que de Gaulle n’avait pas, puisque tout son effort du second mandat est de reprendre un contact qu’il sait lui échapper, intuition qui ne l’abandonne même et surtout pas après le 30 Mai). En fait, et tout simplement, à force de « jouer au roi », VGE a cru l’être et a, par conséquent, oublié qu’une élection est toujours une épreuve.

Les affiches : « La force tranquille », qui faisaient ricaner sur Mitterrand dans les beaux quartiers, sont la vérité. Ici, d’un déjeuner avec mes banquiers de la Sogenal, il résulte que la panique n’a été que de quarante-huit heures après le 10 Mai, qu’elle n’a affecté que les fortunes privées se couvrant à terme, ou retardé que de quelques jours les virements et opérations hebdomadaires des entreprises ayant un pied de chaque côté du Rhin. Les évasions n’auraient pas dépassé 4 milliards et le soutien au franc de la part de la Bundesbank 51 milliards. Les nationalisations ne sont pas censées changer grand-chose, et la situation en Allemagne est aussi mauvaise qu’en France au plan économique, et pire au plan politique. C’est ce que relève Le Nouvel Economiste en sommaire de son numéro du 18 Mai : « tranquille, le président Mitterrand entend désormais jouer à son rythme. Avec une donne totalement inespérée il y a moins d’un mois. Les syndicats rivalisent de modération, le patronat de prudence, les communistes de complaisance et la majorité d’hier de querelles ». En ce sens, l’idée d’un « troisième tour » est la meilleure façon qu’il n’y en ait pas. Jusques-là, la discipline de gauche en politique et en syndicat sera parfaite et le patronat prudent. Ensuite, la plage sera de cinq ans. Bien joué… La Vème République sort déjà gagnante : chaque règne a d’emblée et chaque fois, et pour qui que ce soit, tous les moyens d’en être un.

A Baudouin D. de Paribas, venu de Madrid pour une assemblée de sa banque et me demandant si je vais à la soupe (sous-entendu comme MJ), je réponds que l’invitation ne m’en est pas faite, et que désormais il faut vivre tranquillement avec d’autres données : le RPR n’a plus aucune référence gaulliste, la Vème République en institutions et en programme économique et social, est du côté de Mitterrand. Quant à la politique étrangère, on verra. Dans sa maison, les « grosses têtes » tremblent pour elles-mêmes : la nationalisation, escomptée progressive, se traduira cependant et immédiatement par le changement des hommes-clé.

Le Journal Officiel est comique, qui continue imperturbablement de publier des décrets signés après le 10 Mai par VGE et Barre démissionnaire : l’organisation du secret de la défense nationale, de la sécurité nucléaire, et bien entendu des promotions à tour de bras dans les ordres nationaux. Jean-Paul Anglès
[1], déjà promu commandeur du Mérite le 7 Mai, est nommé le 12 inspecteur général des Affaires étrangères, quittant donc Lisbonne pour son cher et salonnard Paris.

[1] - il avait été « mon » ambassadeur au Portugal, après Bernard Durand et il me faisait confiance pour des dépêches économiques, parfois même politiques quand il se trouva que j’étais presque intime d’un Premier ministre imprévisiblement nommé, Luis Nobre Costa. J’étais un peu amoureux de sa fille, Vera, qui finit par épouser un journaliste grec, et sa femme m’aurait apprécié comme gendre. Jean-Paul Anglès, très « carrière » et très anti-gaulliste, fils d’un député collaborateur de Paul Reynaud, gentil en privé, peureux en public et par écrit. A l’avènement de Valéry Giscard d’Estaing, il était le chef du protocole. Sa femme, Eugénie, d’origine américaine (Chicago), est inoubliable de charme mais aussi d’une certaine excentricité, douce : l’animation au palais Abrantes, c’était elle

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