vendredi 15 mai 2009

journal d'il y a vingt-huit ans - vendredi 15 mai 1981

Munich, le vendredi 15 mai 1981


Contraste complet entre les espérances qu’on me donne autour de moi en famille ou dans l’administration, et la réalité de ce qui m’est offert. Je sens que fondamentalement les règles du jeu n’ont pas changé : une classe politique où ne comptent que les ministres ou anciens ministres, ceux-là ont les audiences et les médias, un vivier de techniciens qui fait oublier ses opinions ou ses services ailleurs pour être de nouveau en piste. Je ne suis ni de l’un ni de l’autre autant par goût que parce que jamais l’opportunité ne s’est présentée d’entrer ici ou là. Téléphoner, attendre, me signaler ? Mitterrand et Jobert me connaissent, le second très bien et depuis tant de temps, le premier en bien et personnellement. Mais a-t-on besoin d’un homme qui a autant d’idées que vous quand on arrive ou qu’on revient au pouvoir ? A-t-on besoin d’un généraliste ?

Je fais aujourd’hui la note que j’ai donnée à attendre dans ma dernière lettre à Mitterrand après son élection. Je sèche un peu, car ce sera évidemment un modèle de ce que je peux lui apporter, et soit je fabule en lui prêtant un profil qu’intérieurement il pourrait récuser, mais je crois que mon intuition est bonne, soit je l’habitue à des services gratuits : pourquoi m’appeler auprès de lui, si de Munich sans engagement de sa part je l’approvisionne d’idées et de réflexions. J’ai écrit à Jobert le détail de mon état d’âme et ce que je souhaite.

J’ai dicté un communiqué hier pour Pontarlier
[1] en appelant publiquement aux partis de gauche pour soutenir ma candidature et en donnant a contrario l’exposé des motifs de mon départ définitif si je n’ai pas ce soutien. Golder [2] à qui je téléphone pour m’assurer du passage de mon papier, me confirme dans mon pressentiment : je ne me ferai jamais admettre par les gens de parti sur place… Une hypothèque se lève.

Recevant hier soir Garcia, le chef de notre poste de Cologne
[3], je délaye pour lui la façon de rattacher Mitterrand à une conception gaullienne des institutions, à une majorité de type Libération, et donc de voir dans le résultat du 10 Mai une véritable restauration de la Vème République et presque le renouement de ce qui fut cassé en 1969. Prolongeant les choses avec lui et revivant mes années d’ENA, je vois aussi un autre écho : cette jeunesse et créativité de notre administration dans les années 60, un peu abstraite sans doute, mais très consulaire et réformatrice à grands horizons, peut nous être rendue par cette blanche page aujourd’hui. Bien évidemment, Giscard parti, on saperçoit déjà que les sept ans n’auront même pas été un coup d’ongle sur la vitre de l’Histoire nationale, un raté, un avatar : entre de Gaulle et Mitterrand sous la Vème République, il n’y aura donc rien eu.

Paradoxe que m’explique Hallier
[4]: plus la technique de fabrication d’un livre progresse et permet l’élaboration ultra-rapide du produit, plus la mise en place et la programmation de parution est longue. Impossible donc de réaliser le projet qui m’était venu sur la route du retour d’une plaquette : L’âme du 10 Mai, paraissant pour les élections et y survvant cet été. Possibles préface de Jobert et postface de FM. Jean Bothorel du Matin qui me passe régulièrement mes articles maintenant, et a ses entrées chez Calmann-Lévy et chez Grasset, confirme ce triste diagnostic. Je vais donc m’en tenir à ma lettre n° 3 et à mes articles. J’ai déclenché la mise au point avec JF.






[1] - j’ai été candidat à l’élection législative partielle, en Novembre 1980, qu’avait ouverte l’élection d’Edgar Faure au Sénat. Ma campagne, déclarée le 18 Juin 1980, était d’abord fondée sur l’espérance que soit le PS soit le RPR me soutiendrait, l’autre parti reste neutre bienveillant, face au candidat giscardien : mes amitiés avec Pierre Messmer et Jean-Pierre Chevènement, dont les circonscriptions de Sarrebourg et de Belfort ne sont pas si éloignées, m’ont fait croire à cette configuration, leur accueil à chacun aussi. Puis, j’ai voulu tenir parole : me présenter que j’ai des soutiens ou pas, démontrer la possibilité de l’indépendance en politique et récusant même l’étiquette du Mouvement des démocrates, de Michel Jobert, dont je passe pourtant pour l’une des illustrations. Résultat : 2,47% mais la gauche quoique mieux votée n’est pas non plus présente au second tour qui se joue entre deux conseillers généraux rivaux. Je persisterai, serai au conseil municipal en 1983 mais dans l’opposition, et en 1988 manquerait de peu – au PS local – le vote de l’assemblée de circonscription. En 1989, je tente une ultime fois d’obtenir l’appui de la rue de Solférino (Lionel Jospin me reçoit, Premier secrétaire) et jette l’éponge, la fidélité à ses limites, mais le pays – le Jura, le Haut-Doubs – et certains de ses natifs, dont l’exceptionnel Pierre Bichet, peintre de l’abrupt en lumière et en psychologie, m’a profondément plu : je continue de l’aimer.

[2] - de la tête rédactionnelle de l’Est Républicain à Besançon, Serge Golder m’a pris en amitié. J’avais été recommandé au journal le plus lu à Pontarlier, par Jacques Fauvet qui avait commencé, avant la guerre,sa carrière de journaliste dans ce quotidien, dont il resta le correspondant parlementaire jusqu’en 1963

[3] - le dispositif du commerce extérieur – la Direction des relations économiques extérieures, sise alors au 41 quai Branly, où sera installé le musée voulu par Jacques Chirac – est très étoffé en République fédérale d’Allemagne : à Bonn (l’ambassade), un ministre plénipotentiaire, chef des services d’expansion économique, et un conseiller commercial près le consul général à Hambourg, à Francfort, à Stuttgart et à Munich (je suis celui-là). A Cologne, le poste compte des dizaines d’agents très spécialisés sur lesquels rabattent ceux des autres Länder, car il est rare qu’une prospection de nos ressortissants se limite à un seul territoire, mais chacune est en revanche mono-disciplinaire. André Garcia dirige Cologne et notre chef à tous est le très fin Henri Chazel, qui m’a pris en affection. Périodiquement, le long du Rhin, nous faisons la revue d’Allemagne sinon de la planète, à titre personnel et non professionnel. Ce qui me passionne. Débutant au Danemark à la fin des années 40, il avait été le visiteur en prison de Céline.

[4] - Jean-Edern Hallier, un temps éditeur, a publié mon essai de réplique à Démocratie française de Valéry Giscard d’Estaing, à l’automne de 1976 : Dernière prière à M. Valéry Giscard d’Estaing, encore président de la République. Très jolie brune au teint mat, Sylvie Bouscasse, l ’attachée de presse, au moment du « lancement », était la future femme – vite abandonnée – de Bernard-Henri Lévy. J’ai rencontré ce dernier dans ma recherche alors d’un éditeur, manquant Ramsay qui commençait, tous au Twickenham, rue de la Chaise, et ne gagnant – mais c’est inestimable – qu’un déjeuner avec Françoise Verny : celle-ci, sans jamais me publier, m’honorera de son amitié et d’une véritable chaleur de relations jusqu’à sa fin

Aucun commentaire: