vendredi 25 décembre 2009

Pie XII - le récri ? ou la liberté ? la sienne, la nôtre


Pie XII en chemin de canonisation :
le récri ? ou la liberté, la sienne, la nôtre ?

proposé au Monde et à La Croix

Sans doute un aristocrate-né, noblesse pontificale ou pas. Un surdoué avant la lettre, parlant couramment douze langues, diplomate hors de pair, la tentative de médiation voulue par Benoït XV pendant la Grande Guerre et qui le fit dialoguer avec Caillaux et peut-être Briand, c’est lui. Un homme d’Eglise, comme d’autres – rarissimes aujourd’hui, nous l’éprouvons – sont hommes d’Etat, la canonisation de Thérèse de Lisieux, une homélie à Notre Dame de Paris sur les conditions de la paix quand Hitler et le Front populaire s’offrent en alternative à une certaine bourgeoisie française, c’est lui.

Le pape de la réforme liturgique, et notamment pour la Semaine Sainte, des atténuations de la conditionnalité pour communier, de la dénonciation du rideau de fer et de la mise en évidence de l’ « Eglise du silence », c’est lui. Pie XII, le pape de mon enfance, le saint évident avant la lettre, des apparitions dont il fut gratifié et rendit compte Paris-Match pendant sa longue maladie, coincidant avec l’armistice en Corée et Dien Bien Phu, l’autorité morale que les Romains – les habitants de la Ville éternelle – poussent en avant face à Hitler et aux Alliés, quand la guerre coupe en deux la péninsule italienne, c’est lui.

A quoi sert une canonisation ? Santo subito, Avril 2004… La reconnaissance immédiate des contemporains. Pour ma part, un frère moine, excentrique ou étrange pour quelques-uns sans doute, particulier pour d’autres, dont des femmes auxquelles il ne toucha pourtant pas, me rencontra de son vivant avec une authenticité qu’attestaient sa simplicité et son inculture relative, lui interdisant d’inventer l’exceptionnalité de ce qu’il me confiait en expérience vêcue. L’ayant accompagné, seul, à son dernier soupir – grâce accordée par Dieu autant que par son abbé – je vis, depuis sa mort, qu’il m’entraine loin et haut, vers Dieu, avec joie. Canoniser, c’est simplement pousser à connaître une vie dont Dieu a fait l’essentiel, un exemple tranquillement à notre portée : les saints, ce sont nous. Alors Pie XII, en majesté, selon l’époque, la sedia gestaroria (qui eût protégé hier soir Benoît XVI)… mais dans une humilité telle que les photos de son agonie furent publiées, le « people » était alors tout autre, et en somme bénéfique, nous participions, aujourd’hui nous sommes au spectacle des inaccessibles et des cyniques. Les fées étaient proches dans les contes, les nôtres à la couverture des magazines ne le sont pas.

Dans ce contexte, le récri quasi-universel de ce petit côté-ci de notre planète. Pie XII et le silence devant la shoah. Interrogés, des catholiques – comment furent-ils identifiés, sortie des urnes ou de la messe en semaine ? – applaudissent le début de processus d’une canonisation pour Jean Paul II et se scandalisent à propos de Pie XII : pastor angelicus, un oiseau au poignet. Jean Paul II, lui, eût protesté, crié au massacre des Juifs.

Dans quelles conditions culturelles et mentales vit aujourd’hui le parterre que nous constituons pour pratiquement toutes les questions vitales de notre époque ?

La Pologne, antisémite s’il est possible : des graffiti, laissés en l’état, comme on oserait en écrire et en laisser en France, je les ai vus partout dans la région de Cracovie avant et depuis la chute du mur, j’y allais à partir de Vienne où j’étais en affectation diplomatique. Qu’aurait fait Jean Paul II, le tréfonds de ses compatriotes riant et injuriant dans les gares devant les trains amenant les Juifs à Auschwitz ? ses compatriotes réduits en gouvernement général du Reich, otages s’il est possible. Il n’eût pas crié. Et qu’ont donc crié Roosevelt et Churchill qui n’étaient prisonniers d’aucun chantage par Hitler et qui connaissaient la position géographique de chacun des camps et les ramifications ferroviaires ravitaillant ceux-ci ? Une pièce ingénieuse et émouvante, à succès, parce que le héros – l’anti-héros, s’il s’agit de canoniser le pape des époques totalitaires – avait un hiératisme, une majesté naturelle en imposant à tout et à tous, a été contemporaine de l’admirable film, commenté par Pierre Mendès France, les actualités données par Le chagrin et la pitié. Alors, la shoah apparut, les rescapés parlèrent qui s’étaient tus vingt ans – j’ai eu l’explication de ce mutisme du fait de la honte et du désespoir d’être jamais compris, pas entendu, mais compris, en visitant Simone Veil pour lui expliquer ainsi qu’à d’autres, le piège terrible (médiatiquement) dans lequel était tombé, au nom d’une ancienne amitié, l’Abbé Pierre, idole emblématique s’il en fût : merci l’abbé ! L’antisémitisme est le système des complexés et des simplistes, même si la cause palestinienne et la manière dont Israël se conduit, donne des apparences de motifs à ces assassins en puissance. Pie XII était, naturellement et de naissance, au-dessus de ce genre de complexe. Germanophile, qui ne le serait ? qui a quelque idée de Goethe, de Frédéric II et de ce que la pensée et la politique doivent à de très grands Allemands. De Gaulle dit bien le plaidoyer du pape pour que le Reich – en ses peuples mais non en son système – soit épargné.

Le archives du Vatican ont été publiées, j’en ai de nombreux volumes, chaque tome ne vaut pas plus qu’un livre bon marché, la correspondance avec les évêques allemands est donnée. Depuis quelques années, des commentaires, des mises en perspectives fondées sur ces archives et leur publication, sont en librairie, notamment française. Qui lit ? Le pape est demeuré dans le seul registre où il pouvait s’exprimer : maintenir les catholiques en haleine, en vigilance, en solidarité. Un discours, si beau et enflammé qu’il aurait été, diffusé mondialement par Radio-Vatican ? Le cri donc… eh bien, il n’aurait pas été plus mémorisé que les protestations du cardinal Salièges, archevêque de Toulouse, et l’avertissement du jésuite Gaston Fessard, France, prends garde à ton âme ! Le pape dédouané par un discours ? qu’effectivement, il n’a pas prononcé. Car ce n’aurait été rien ajouter ni sauver, et cela eût été moins efficace que ses appels par réseaux et en communion qui confirmèrent la légitimité et la nécessité de tant d’héroismes individuels. La guerre seule – qu’il avait voulu et organisé – pouvait détruire le système nazi et raciste, comme la violence seule détruira ceux qui oublient, en position de force, les droits de l’homme dont le déni les massacra, mais qu’ils bafouent à leur tour.

Notre époque se donne la position du juge. Elle est si avide d’idoles, c’est-à-dire de repères dont elle sent qu’elle les a tous perdus, ou presque, qu’elle accorde le prix Nobel de la paix à un président dont l’option afghane – belligène, s’il en est – est connue par son livre électoral et par le maintien en fonctions du secrétaire à la Défense de son précédecesseur, continuité – contrainte ou pas – sans précédent dans l’histoire américaine, et qu’elle se console du fiasco de la comédie de Copenhague en comptant les voix au Congrès pour la réforme du régime de santé outre-atlantique. Alors, non le pape qui se dédouane, mais nous tous ses détracteurs qui nous dédouanons de notre propension à l’idolâtrie en entretenant nos têtes de turc. Pie XII en est une, parce que – aussi – Benoît XVI, caricaturé au possible dans sa biographie comme dans ses dires, voire dans le nom qu’il a choisi, et qui pourtant veut dire la paix en notre temps : hoc si quod dicitur, est un de nos alibis. Railler quelqu’un fait oublier nos adorations infondées. Benoît XVI que personne ne lit, alors qu’il a fait une percée pastorale inouïe dans sa première encyclique en reconnaissant eros et la légitimité du plaisir sensuel pour l’équilibre humain, alors qu’il a commencé d’élaborer la critique la plus complète du libéralisme abusif de ces années-ci (sa récente encyclique) : Jean Paul II, prêtre dans la dictature économique et sociale du communisme, ne pouvait discerner l’esprit de ce qui avait, heureusement, renversée celle-ci et encore moins le condamner.

Simplisme qu’a – signe de notre temps – incarné cette femme agressant le Saint-Père dans sa cathédrale : n’était-elle pas « conditonnée » par l’ambiance où nous nous complaisons sans le moindre sursaut critique, en politique internationale et en politique intérieure, caricaturant deux de nos papes les moins simplistes ; Benoît XVI et Pie XII ? l’agression qualifie la victime, l’Histoire l’a souvent éprouvé. Quelques minues auparavant, un commentateur – pratiquant – reprochait implicitement au pape de dire la messe de minuit à vingt-deux heures, jugeant comme mauvais prétexte que ce dernier se sentît un peu fatigué. Bravo, l’époque !

Bertrand Fessard de Foucault 25 XII 09 ancien ambassadeur
dans les pays qui furent ceux de l’Eglise du silence

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