samedi 6 mars 2010

la patate chaude et la fin de ce monde-ci

couriellé aux destinataires de ma "paroisse virtuelle", de ma lecture du Coran part un chrétien, à mes anciens étudiants de Paris VIII et aux députés....

La patate chaude et la fin de ce monde-ci


Une amie franco-grecque, avec qui j’ai intensément partagé quand je fus dans son pays pour notre ambassade – c’étaient, 1982-1984, les premières années de la gauche au pouvoir depuis la dictature des colonels et l’entrée dans le Marché commun évitant de justesse à la Grèce les « ajustements structurels » dont j’avais vu les ravages et l’inadéquation dans leur version d’essai au Portugal des œillets, 19875-1979 – m’envoie ceci.

Les forces de l' "ordre" attaquent de plein fouet Manolis Glezos lors des manifestations de ce matin devant le Parlement, au moment du vote "socialiste" en faveur des mesures d' austerité. La photo est hautement symbolique puisque Manolis Glezos, âgé aujourd'hui de 88 ans (!) est la figure emblématique par excellence et la memoire vivante de la Résistance grecque contre les nazis. C' est lui qui à l'âge de 18 ans est monté, à l' Acropole, et a abaissé le drapeau avec la svastika, un mois a peine apres l'occupation d'Athènes... Malheureusement, le respect (et la honte) ne sont pas depuis a l' ordre du jour, surtout quand il s' agit de sauvegarder à tout prix le bien-être du système.
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Nous sommes dans l’évidence. Nos dirigeants aussi, mais ils se dédoublent. Certains sont conscients dans leur for intérieur quelle que soit leur peu de culture économique, leur peu de fibre sociale, leur peu de structure d’âme et d’esprit, mais ils sont incapables – aboulie ou complicité acquise – de faire passer cette vague inquiétude de conscience et d’intelligence en décision d’Etat national puis en réelle concertation internationale.

Pour le très immédiat, il est clair que la gauche – en France comme en Grèce – n’a aucune crédiblité, alors même que la crise, dans ses développements actuels, justifie comme jamais depuis plus d’un siècle les analyses marxistes et au moins les propositions keynésiennes de reprise en main par l’Etat. On n’a jamais autant privatisé en France qu’avec Lionel Jospin et Dominique Strauss-Kahn et à propos de la fermeture de Vilvorde en Belgique francophone, sinon rattachiste, le chef du gouvernement français, ainsi qu’à propos des « licenciements boursiers » chez Michelin, proclama qu’il n’avait aucune compétence pour agir auprès de la régie Renault. Nicolas Sarkozy tient un langage contraire, ce qui rend encore plus pitoyable son manque d’influence sur le comportement des bailleurs d’emplois. La gauche qui se croit à jour en épousant les idéologies et les dogmes du libéralisme, enfante la passivité des citoyens, leur désespérance jusqu’au jour où l’imprévisible mènera les révoltés du cœur à la révolte physique. L’alternative n’est pas dans les partis mais dans les idées, dans l’analyse de ce qui fait ou défait le bien commun.

Il était prévisible – pour le moindre étudiant en économie, la moindre personne de bon sens – qu’à garantir les banques pour que les dépôts ne les quittent pas massivement et que n’éclate pas tout de suite une apocalypse (mot grec, signifiant révélation) financière, on n’obtiendrait aucun changement dans leur comportement, que bonus, super-bénéfices reprendraient en quelques mois, c’est fait. Mais il était surtout prévisible qu’à transférer du système bancaire aux Etats eux-mêmes la crédibilité de l’ensemble des architectures financières mondiales, on désignait aux banques et aux divers fonds de pension, sinistre invention du capitalisme au rebours de la sécurité sociale et des retraites par répartition, comment désormais spéculer. Il est acquis que la Grèce et les Etats du sud de l’Union européenne sont attaqués par des agences de notation, par des collusions entre banques, par la spéculation apatride.

La passivité des dirigeants, des autorités morales est la même devant la prolifération du cancer et devant les comportements cyniquement avoués des fauteurs de notre trouble est analogue à celle des années 1930 devant la montée puis le triomphe du nazisme. Le communisme a toujours dérangé car son analyse fondatrice est juste : aucun des dogmes libéraux ne résiste à l’expérience, cela se répète en pire à chaque génération et cela ne marche un temps que si l’Etat reste puissant, planificateur, vigilant et surtout incorruptible en la personne des dirigeants démocratiquement élus et de leurs collaborateurs, énarques ou autres. Le communisme stalinien ou pépère et national à la française a donc été combattu, mais le nazisme non qui a ménagé et utilisé le capitalisme allemand. L’histoire est connue.
Aujourd’hui, la suite est encore plus prévisible qu’il y a vingt-huit mois. Les banques, sauvées par les Etats, sont en pleine forme, elles ne financent ni les entreprises, ni les économies, ni les particuliers. Le diagnostic répandu (déclaration d’un collaborateur de l’O.F.C.E. avant-hier matin à France-Infos) est que l’économie et la finance sont « régulées » désormais – faut-il entendre : sous contrôle, ou remis dans leur état antérieur aux alertes ? – mais qu’il reste le marché de l’emploi. Comme si rien n’était solidaire de la victime au bourreau. Les Etats, eux, ne sont pas en forme. Leurs dirigeants ne peuvent s’imposer : Barack Obama gagne un peu pour les régimes de santé, mais pas du tout pour la moralisation des banques, Nicolas Sarkozy a des boucs émissaires choisis pour des raisons qui ne sont pas celles des apparences (Bouton et Pérol, gratifiés si différemment…), des thèmes démagogiques mais aucun suivi ne lui est possible puisqu’il se contredit de mois en mois ou de semaine en semaine. Que son imprévisibilité par démagogie est telle que les collaborateurs et le Parlement ne peuvent plus remplir leur office.

Contre l’attaque des banques et des fonds de pension, des agences de notation et des « traders », les Etats sont aujourd’hui sans défense. A l’instar des enteprises grandes ou petites que le désengagement du système bancaire se rentabilisant ailleurs que dans le financement de l’économie, a placées de force en bourse, ce qui les a mis à portée de n’importe quel raid hostile – les Etats sont placés sur le marché du fait de cet endettement excessif auxquels ils se sont obligés pour éviter l’explosion sociale. Les Etats-Unis ont atteint – puissance et hégémonie à conserver, obligent – le degré suprême de dépendance, mettant en danger non seulement eux-mêmes en économie et en stratégie, mais le monde entier, en se faisant financer leurs déficits budgétaires plus tant par les marchés que par leur concurrent potentiel, la Chine.

Les entreprises, les populations, les Etats sous la coupe d’un système auquel il n’est toujours pas touché. Système dont quelques-uns – physiquement, leur ventre… – profitent. Y compris les enseignants du dogme.

Remède ? pas tant le remède-même en technique de substitution aux réseaux, circuits, recyclages, rémunérations actuels et autres, que la matrice propre à trouver le remède et à l’imposer. Ce n’est pas le monde, ce ne sont pas les peuples qui sont malades tandis que l’on prierait le système d’être bienveillant, l’automatisme de régulation des marchés, des prix. Système qui ne fonctionnerait – assurent ses théoriciens à chaque génération et ils ont triomphé exclusivement ces vingt dernières années – qu’à condition qu’il n’y ait plus d’Etat, plus d’impôt pour lui mais évidemment les impôts sur la production et la consommation, sur les emprunts et sur les retraites, sur les acquis et sur les anticipations de manière à ce qu’il reste des cagnottes à convoiter et à propos desquelles spéculer en passant d’une cible à l’autre.
C’est le système qui est malade et mortifère, le dogme faux.

Solution, l’asphyxier, lui enlever toutes cibles par une solidarité totale des Etats, par la chasse à la spéculation comme on chasse le terrorisme ou les trafics de drogue. Cette solidarité n’est possible – même si le péril la rend de soi légitime – que si le mode de gouvernement de la planète est profondément rééquilibré par l’entrée des peuples dans la « gouvernance » planétaire. Et la démocratie mondiale suppose des références et des repères moraux. Les petits moyens – aujourd’hui mis en œuvre dans le désordre et pas en concertation ni uniformément – tels que la nationalisation des banques, pour un temps et à des fins déterminés, seront aisés à ajuster et à généraliser. Le financement des retraites dans les pays dotés, de la sécurité sociale et de la santé au minimum dans les pays dépourvus et exploités, s’inventera autrement que par fonds de pension et capitalisation. Les inventions techniques en gestion économique et en finances seront stimulées, aujourd’hui impossibles tant que le système et ses dogmes continueront d’être révérés. Tant que le mot liberté sera cyniquement dévoyé par l’économie, la patate chaude du discrédit passera des entreprises, aux banques, puis aux Etats, bientôt à l’Union européenne en tant que telle.

Celle-ci est fautive parce qu’elle se repaît de son impuissance. C’est elle qui a les clés du problème mondial, en finances, en stratégie, en démocratie. Les commentaires d’actualité disent sa misère. On était censé – traité de Lisbonne si médiocre – avoir une présidence du Conseil européen en voie de pérennisation et un ministre des Affaires étrangères aux compétences dignes de l’appellation. On a nommé des gens bien mais à raison de leur insignifiance pour ne pas déranger les gouvernants des Etats-membres. En ce moment, qui entend-on ? la présidence semestrielle, tenue par l’Espagne, et le président de la Commission, reconduit pour les mêmes motifs qui ont fait nommer président du Conseil et ministre des Affaires étrangères : pas de charisme qui gênerait les nationaux… la solution européenne est l’élection du président au suffrage universel direct de tous les citoyens, avec compétence pour convoquer le referendum dans les matières prévues par les traités. Alors, plans de soutien à la consommation, initiative d’un protectionnisme négocié entre grandes zones socialement et économiquement homogènes, défense de nos patrimoines, émancipation stratégique de l’Europe tirant les Etats-Unis de leur solitude face à la Chine et retours partout au pluralisme.

La politique et les institutions enfin restaurées à l’échelle des enjeux spirituels et sociaux, l’économie et les finances se déduiront par force. Une telle épuration devrait provoquer l’essentiel : que les « élites » aient d’autres critères que l’argent et le paraître, pour conduire leur vie personnelle./.
Bertrand Fessard de Foucault . 6 mars 2010

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