mardi 15 mai 2012

ce que j'ai vécu et ce que je pense de la journée du 15 mai 2012


Ce que j’ai vécu et ce que je pense de la journée du mardi 15 mai 2012




Le 15 Mai était déjà deux anniversaires. Avec le temps qui donne toujours la sagesse, ils sont importants mais ne sont plus douloureux : mon premier coup de foudre en 1965 (presque partagé), la rupture de mes premières fiançailles (sans débat, sans appel, expérience la ruine et de l’impuissance). Ce mardi 15 Mai va laisser un profond souvenir – en moi mais en beaucoup d’autres, soit qu’ait été vécue sur place et en personne l’une ou l’autre des séquences de cette journée, soit que le petit écran ait été le seul truchement, donnant tout autre chose que la participation : les éléments de la réflexion, forme différente du matéria à mémoriser. Profond souvenir d’une ambiance, d’un comportement, les textes étant seconds et serviteurs dans l’instant. Seront-ils préface ? Journée-socle.
Je le note et le communique maintenant. Le souvenir du souvenir bouge, l’écrit : non ! qui souvent étonne à la relecture bien plus tard et qui toujours témoigne d’un état et d’une manière.
J’ai « pris » France 2, ce qui fait série avec la plupart de mes notes de télévision pour ce printemps-ci. De dix heures le matin aux alentours de quatre heures et demi, mais avec une interruption me privant des images et de la voix pour le moment des Champs-Elysées et de l’Arc-de-Triomphe, et pour les hommages à Jules Ferry puis à Marie Curie dont j’ai seulement reçu la recension a posteriori par France-Infos.
J’ai entendu les commentaires, je me suis rarement accordé avec eux. Commentaires des journalistes, peu cultivés notamment pour exposer – autrement que par « la tradition républicaine »  – la visite officielle à l’Hôtel de ville de Paris. Ce ressassement du « républicain » est une facilité du politique qui ne peut que… vg. le salut républicain de l’U.M.P. à la victoire du candidat socialiste… cette obligation est pire qu’un refus, elle n’est ni du cœur ni de l’intelligence, et une superficialité du présentateur : c’est pour moi la première lettre de l’alphabet-langue de bois. Depuis Thiers en 1873, le choix national y compris du légitime prétendant non au trône de France mais à la proposition capétienne, a été dit et fait : la République est le régime qui nous divise le moins. C’est même un régime de bien commun, de conscience de soi – nationale – se passant de tout truchement mais pouvant s’en donner un (je continue de tenir que le rôle arbitral dévolu au président de la Cinquième République et la nécessité d’un parlementarisme vrai, efficace, démocratique seraient mieux assurés par l’hérédité de la fonction présidentielle que par son électivité qui divise de plus en plus les Français).

I – Les rôles

Le président sortant a reçu l’hommage de soutiens organisés ou pas, à sa sortie de l’Elysée, alors que Valéry Giscard d’Estaing, ayant choisi de quitter le palais comme il y était entré : à pied… fut grossièrement sifflé. La claque pour Nicolas Sarkozy a été un hommage pour celui qui ne fut pas applaudi par le dehors : l’impétrant. La campagne a fait peu apprendre aux Français et à moi qui est et qui sera François Hollande. Le lire ou lire sur lui apprend davantage. Le débat du 3 Mai avait montré un calme, une solidité, une tranquillité qui font bien augurer de l’exercice du pouvoir mais ne laissait pas prévoir la victoire. La soirée du dimanche 6 avait déjà montré – pas exactement le goût du public chez l’élu – mais la facilité d’être en empathie avec le public, avec les présences physiques. C’est un don manifeste qu’a souhaité avoir Valéry Giscard d’Estaing, dont la fonction peut donner l’apparence, que se se refusa Nicolas Sarkozy déplaçant trop de garde prétorienne dans ses visites-discours en province et qu’avait humblement et sûrement l’homme du 18-Juin.
François Hollande sait demeurer, sait regarder – François Mitterrand passait en majesté ce qui n’empêchait pas le contact et la rencontre, c’est ainsi qu’à Athènes après dix-huit mois de tentative, j’ai pu renouer avec celui qui bien avant son élection me recevait si directement et cordialement – et aussi bien à l’Elysée, qu’à l’Hôtel-de-Ville, et sans doute, sans les cartons d’invitation, aux Tuileries et à l’Institut Curie, il a donné la véritable image du jour : la chaleur, la proximité avec chacun, la reconnaissance des compagnonnages ou de la qualité personnellement évaluée, expérimentée, mémorisée. Pas du réseau mais du lien. Sans doute en réponse collective, mais très nommément adressée, l’ovation dans la grande salle de Paris, assez justement présentée comme une cathédrale civile. Ce n’est pas encore la respiration d’un peuple comme nous l’éprouvâmes avec de Gaulle, à tant de moments, c’est déjà la structure possible du futur : l’amitié et la considération, au grand sens de ces termes, que beaucoup exprimaient, en heureux invités, à celui qu’on fêtait plus qu’on investissait. Il y a eut un fort côté : témoin. Hier.
Le rôle présidentiel s’est donc enrichi d’une soumission peu personnalisée au cérémonial éprouvé depuis Georges Pompidou – dont je garde le souvenir d’une sorte d’écrasement funèbre, marquant visage et silhouette – et éludé par Valéry Giscard d’Estaing. Je n’ai pas le moindre souvenir, autre que mes écrits du moment que je n’ai pas relus, de l’intronisation de Nicolas Sarkozy. Ce qui fut applaudi comme la modernité et la reconnaissance de la réalité : les enfants, la famille recomposée, la couverture de Match comme une affiche de cirque plus que d’une dynastie contente, est maintenant considéré comme déplacé et première faute (politique et de goût). D’une certaine manière, François Hollande – l’a-t-il consciemment voulu, s’en est-il fait par son comportement l’organisateur – a rendu son investiture présidentielle collective. Sachant que la génération présente serait celle des gouvernants socialistes des années 1980 et 1990, les années Mitterrand et Jospin, il a dit et répété, ce qui correspond aussi à son programme, la place de la jeunesse. Elle n’était que d’âme ou de spectacle, peu importe, dans les intérieurs et les dehors de cette journée : elle était en tout cas dans l’esprit du nouveau président, équilibrant ainsi, au moins pour lui-même mais ce fut généralement compris et ressenti, l’homogénéité très grande des invités.
Trois autres rôles.
Valérie Trierweiler a suivi le Président de quelques pas pour saluer, elle aussi les invités. Ce qui étonnait et détonnait. Mais – un peu comme la constatation que les habits et accessoires de la liturgie catholique commencent à faire déguisement et mascarade (Bunuel) dès que l’on sort physiquement ou mentalement du contexte, mais alors quoi d’autre ? et comment ? – quelle aurait été la place juste de la femme qui partage la vie de l’élu depuis déjà plusieurs années. Et si l’on sort du protocole, et l’on en sortait, n’était-ce pas assez positivement un signe de disponibilité aux futurs visiteurs et un salut à ceux qui avaient contribué à l’aboutissement du parcours ? Le manteau blanc, trop voyant pour une foule. En revanche, et c’est ce qui m’a converti, un excellent propos pour refuser l’appellation de « première dame », mettre au concours un substitut et surtout indiquer qu’il y a à réfléchir là-dessus. Jeu excellent et opportun, c’est elle qui a mis du liant aux derniers instants, la séparation sur le perron en embrassant celle qui partait et n’était pas physiquement à son avantge, et en fabriquant de toutes pièces un semblant d’entente des deux couples.
Ségolène Royal a été superbe. Veste rouge comme en portait aussi la fille de Jean-Marc Ayrault. Visible et rayonnante, correspondant à son image et à son patronyme. Elle a eu l’occasion d’expliquer, et elle a su le faire, qu’elle avait préféré n’être pas à l’Elysée pour que celui qu’elle n’appelle plus François, mais François Hollande, ait sa journée exclusivement. Elle a très finement compris que la voir dans la foule ne réjouirait pas le nouveau Président, forcément sensible autant qu’elle à ce qu’il eût pu advenir en 2007 et dont probablement la perspective causa ou scella leur séparation de vie. Une solidarité pas seulement politique demeure, à l’évidence. J’en suis très heureux.
Lionel Jospin est – presque à l’égal du nouveau président – le principal de ce jour de fête. Les commentaires, c’est leur point le meilleur, ont mis en évidence qu’il est le « parrain » de tous : les principaux dirigeants pour le quinquennat qui commence, à commencer par le président de la République et le Premier ministre, ont été discernés, mis en selle par l’ancien Premier secrétaire du PS puis Premier ministre d’une cohabitation qui devait l’amener à l’Elysée, ce qui ne fut pas. Il en a d’ailleurs eu conscience par l’assurance qu’il manifestait dans la salle des fêtes de l’Elysée, l’amertume n’est plus là. La gauche avait déjà Pierre Mauroy comme tutélaire, elle a intronisé hier Lionel Jospin.
Cette journée a été aussi – cela n’allait pas de soi – la première sans que Nicolas Sarkozy la remplisse médiatiquement. Sera-t-il le seul à ne pas s’y habituer ? La réplique au 15 Mai par un livre d’auteur ? Ou petitement par l’acharnement d’une campagne législative ? Ou par une réintégration des lieux, en 2017, ce qui sera sans précédent mais a dû déjà habiter plus de quelques-uns.


II – Les dires

Contrairement au journaliste du Monde, dont la quasi-haine et l’appréciation m’ont étonné : Leparmentier, je n’ai pas trouvé propos de campagne les discours du nouveau Président. A l’Elysée comme à l’Hôtel-de-Ville, le discours a été bon. Il a donné le ton du mandat plus en comportement qu’en programme. Le projet est effectivement ce qui a motivé le candidat : changer les comportements, rendre le pays à lui-même. A la de Gaulle, il y a la structure de répétition. Il y a le développement sous la forme solennelle comme au micro improvisé sans protocole ni organisation.
Jules Ferry et Marie Curie sont porteurs de références fortes et visuelles. Luc Ferry a avancé son nom (formule puisqu’il semble ne pouvoir revendiquer un lien de parenteé) pour évoquer « le Tonkinois » et donc l’initiateur de l’épopée coloniale sous la IIIème République. Le colonialisme, en politique expansionniste et en thèses, a été critiqué à chacune de nos conquêtes : Clemenceau et l’Indochine, Jaurès et le Maroc, on l’énonce plutôt moins bien aujourd’hui. Le fait est que des solidarités ont été créées auxquelles la France a dû sa survie et sa victoire pendant les deux guerres mondiales, et sa reprise de confiance en elle-même après le désastre de 1870-1871. François Hollande n’entrait pas dans cette discussion, il reste attendu – selon son message de Tulle (Nous ne sommes pas n’importe quel pays, nous sommes la France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de donner aux peuples de s‘émanciper des dictatures et des règles illégitimes de la corruption) – au déracinement de la françafrique. Le propos a été autre. De même que devant l’image des Curie. Le contrepied du racisme latent – anti-enseignants et anti-immigrés – qui a marqué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Message restaurant tout simplement ce qui n’aurait pas dû être abîmé. Dignité et considération, le personnel de l’Institut Curie, en blouse, a manifestement reçu l’hommage avec plus que de l’émotion.
Le total a été l’énoncé de la rupture avec ce qui sera, probablement, une seule parenthèse de cinq ans : un pouvoir excessif et mal affecté. Enoncé faisant d’un bilan négatif l’affichage de ce que devrait présenter dans cinq ans le nouveau quinquennat quand il sera à l’instant de l’évaluation plus de l’histoire que des urnes.
L’échange à l’Hôtel-de-Ville a été une autre restauration, celle du rôle mobilisateur que peut et doit jouer la mémoire nationale. La qualification de chacun des prédécesseurs du nouveau Président – sauf l’immédiat, trop d’actualité récente – a été une innovation et une introduction. Comme dans les écrits pré-électoraux de François Hollande, le général de Gaulle est très justement caractérisé. Les suivants aussi. L’histoire de France mûe par celle du peuple de Paris face au pouvoir central, n’avait pas été invoquée depuis longtemps. La force de l’échange avec Bertrand Delanoë a tenu à l’unisson des textes et plus encore à une émotion collective très sensible, suscitée par celle du maître de maison.


III – La sensation collective

Les journalistes, cherchant deux types de dires – celui qui hanta assez maladroitement le règne de Valéry Giscard d’Estaing : en quoi le pouvoir ou la fonction changent un homme ? – et un commentaire sur le personnage à suivre, celui du Premier ministre, ont été au rebours des événements qu’ils étaient censés présenter, et qu’ils ont – au moins pour France 2 – assez peu ressentis pour ce qu’ils étaient, je crois. La place tenue par Franz-Olivier Giesbert, plaçant le dernier de ses livres, et pressenti pour diriger le Figaro ? était excessive. L’absence de mémoire personnelle donc d’évication des précédents et du passé en général faisait manquer à la profession ce qui, au contraire, cimentait l’unisson des invités dans les diverses instances : le souvenir, socle de l’immédiate suite. Plus forte que la revanche sur un quinquennat qu’au total je trouve méprisable ou puéril – je sais que ces expressions sont fortes, mais avec moins de légitimité l’Histoire a eu soient des jugements bien pires sur certains de nos personnages et de nos périodes controversées – il y a eu un véritable esprit politique. Ce que doit être l’esprit public, ce que doit être une fonction présidentielle, ce que doit être un gouvernement. Non plus la loi de la soi-disant efficacité, d’un réalisme qui est surtout de décréter l’obsolescence de tout l’acquis, de tout le reçu et de tout le construit pour bâtir tout autre chose qui d’une part ne s’établit finalement pas et d’autre part ne se réfère qu’à une nécessité mal analysée. « La France forte » a été plus décrite et motivée que pendant la campagne adverse. Tout simplement parce que pour Nicolas Sarkozy, elle était à faire, alors que dans la psychologie des invités de François Hollande et dans celle souhaitée ou à susciter des Français, elle nous est antérieure et nous survivra.
La sensation était donc celle d’un hymne, pas la célébration d‘une victoire, pas la méthode Coué. Pas non plus quelque « fête républicaine » ou la résultante d’une symbolique très pensée – comme en 1981 : les galeries du Panthéon pour succéder à la crypte du Mont-Valérien – pas davantage le goût ou la joie de renouer avec un passé de trente ans qui, finalement, n’aura pas été décisif : celui des deux quinquennats à majorité socialiste à l’Assemblée sous François Mitterrand. Il y avait beaucoup de non-dit parce que la communion suffisait : réussir enfin une gauche française de gouvernement faisant au pays un bien que n’a pas su lui prodiguer la droite ces dix dernières années, alors que les besoins étaient et sont de plus en plus criants.
IV – La probable mémoire

Je n’ai pas les chiffres de l’ « audimat ». Ce n’était pas un jour de congé. Il a plu à verse sur Paris et l’avion présidentiel – modeste Falcon et non l’Air Sarko One – a été foudroyé. Le Président n’a rattrapé un peu de son retard de toute la journée que par son vol vers Berlin. Les deux faits, a posteriori majeurs, de la journée : la nomination du Premier ministre, dont le rôle est restauré et sera probablement joué plus au Parlement qu’en Conseil des ministres, et le dîner franco-allemand, ont été incrustés dans une séquence multiple et identitaire du nouveau Président et d’un socialisme français déjà illustré par les primaires d’Octobre et dont on attend la forme et l’action gouvernementales.
C’est donc une mémoire probable qui ne retiendra ni les discours, ni les ambiances mais ce qui – en temps réel – compta si peu : la prise de congé de Nicolas Sarkozy. N’eût été le moment des deux couples, elle était glaciale et le climat de la compétition législative va le confirmer.
Il va rester, mais la suite du quinquennat le soulignera tellement qu’on ne se souviendra plus particulièrement ni de la soirée du 6 Mai ni de la journée du 15 Mai qui en donnèrent les premières images et donc les plus vraies, les originelles… la chaleur, la volonté et plus encore le goût de la proximité.

Je reconnais volontiers que ces impressions sont subjectives. Qu’elles peuvent irriter ceux qu’ont subjugué la vitalité et l’énergie du prédédent Président ou ceux qui, par système ou par solidarité consciente-inconsciente avec un milieu de vie, de société, de classe, sont « pour » le candidat de la droite. Ceux-là se reconnaissent-ils cependant dans le commentaire en début de soirée qu’a donné Nadine Morano (je ne suis pas sûr du prénom car le personnage, peu féminin, ne m’a jamais atturé au point que je cherche à connaître son œuvre gouvernementale et son parcours politique) : une seconde journée de reniement des promesses de François Hollande. Plus jamais d’avion gouvernemental pour le parti ou la politique policitienne, alors qu’il y eut deux avions de Tulle à Paris, dimanche. Pas de ministres qui ait été l’objet d’une condamnation, alors que Jean-Marc Ayrault en 1997, les 30.000 francs et les six mois de prison avec sursis, est nommé Premier ministre… La réponse au propos qui était réaffirmé sans relâche, venait des journalistes. L’un des avions payé par le PS et l’autre par les employeurs des journalistes l’empruntant. La condamnation, légalement effacée au bout de cinq ans et donc interdite médiatiquement. Pour le camp qui a perdu, notamment et de beaucoup dans les circonscriptions de chacun des principaux ministres ou dirigeants de l’U.M.P., le processus du jugement dans les affaires Bettencourt et Karachi va seulement commencé maintenant, celle des « fadettes » et bien d’autres faces cachées devraient se révéler. C’est un des versants du nouveau cours. L’autre s’est décidé à Berlin et à Athènes, huis-clos de dirigeants dont j’ai la facile intuition qu’ils vont parfaitement s’entendre, huis-clos d’un peuple qui, bien plus que d’autres dans l’Union, se veut européen parce que cela lui fut interdit pendant des siècles puis du fait de la dictature militaire.

Aujourd’hui est bien un autre jour./.

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