jeudi 31 mai 2012

lecture de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères - Le Monde daté du 30

Lecture critiquede l’entretien donné au Monde
– mercredi 30 Mai 2012 –
par Laurent Fabius, nouvellement ministre des Affaires étrangères


Considérations personnelles préalable. – Fréquentation un temps assez régulièrement d’un homme affable, accueillant, serein, disponible : ce fut une période, la mienne ou la sienne ? Première rencontre à partir de 1988, quand il préside l’Assemblée nationale, puis ensuite quand il anime le groupe parlementaire socialiste au Palais-Bourbon. Guère de correspondance écrite, une photo dédicacée, grande écriture comme la signature au bas de lettres, au feutre. Une soirée à l’hôtel de Lassay pour recevoir le président de l’Etat d’Israël. Un discours public affable et mesuré. « Plus jeune Premier ministre » qu’ait connu la France, j’entendais dire de lui par la haute fonction publique des capacités, du sérieux, du travail. Image ensuite avec des ajouts, la moto., la jeunesse, le divorce mais peu d’exposition au public. L’ambition évidente et le ressac des années politiques, Bercy accepté de Jospin, le Quai maintenant, faute de l’investiture au suffrage des militants pour candidater à l’Elysée qu’il n’aura pas eu. Son livre disant Les blessures de la vérité était vrai et pudique. – Il n’a pas encore répondu à mes communications sur la politique étrangère et la françafrique que je lui ai adressées quand la probabilité qu’il vienne au Quai d’Orsay fut répétée. A très peu près, il aurait eu à se contenter de la Défense. La Cinquième République comme les précédentes a le vieux ressort de ces retours de personnalités de haut rang qui pour revenir acceptent le moindre. Est-ce déchoir ? mais c’est utile au pays.

Que donne donc la maturité et d’avoir connu plus naguère ? Raymond Poincaré et Joseph Caillaux, leurs retours…

Le titre du journal « Bachar Al-Assas est l’assassin de son peuple. Il doit quitter le pouvoir » donne un propos politique assumé mais qui ne peut être un énoncé officiel. C’est le tonneau, propre à Laurent Fabius : les formules sur l’invitation improviste de Jaruzelski à Paris par François Mitterrand furent de l’homme, pas du Premier ministre.

Syrie – banal constat de l’impasse au Conseil de sécurité, mais juste observation : « l’armée syrienne est puissante ». La prise d’otage serait le Liban, ce n’est donc pas l’obsession de couvrir Israël. Continuité implicitement admise avec l’action précédente : Conseil de sécurité, Poutine, rassemblement de l’opposition. Prudence extrême quand aux livraisons d’armes et à la prééminence des stratégies américaines dans l’affaire. Affirmaation de doctrine : « quand la France vend des armes, elle veille à ce que celles-ci ne puissent pas être retournées contre les peuples ». Ton et assurance qui étonnent, car le ministre parle et résume comme s’il était en place depuis des années. Il n’énonce pas des ruptures mais des permanences, au moins à propos de la Syrie. Qu’entendre par le risque d’ « irakisation » du pays ? – Comment a été préparé cet entretien ? Réflexion personnelle du ministre ? notes des services ? « Scenario de la chute du dictateur, suivie par son remplacement par un de ses épigones » ? Perplexité évidente. Alors pourquoi parler ?

Syrie : « nous n’en sommes certainement pas là ». Iran : « des avancées iraniennes significatives. Or, pour l’instant, elles n’ont pas eu lieu ». Relation au temps et en fait aux initiatives d’autres que nous. Le ministre n’a pas commencé son propos ni âr une vision du monde ni par un bilan de l’action ou des erreurs françaises.

Comment prendre – à huit jours seulement de l’inauguration du nouveau mandat présidentiel – cette longue formule ? (répondant à la question : en quoi votre politique sur l’Iran diffère-t-elle de la politique des années Sarkozy ? «  Le président de la République a rappelé notre position : fermeté, très grande fermeté même. Mais il n’y a pas lieu d’avoir compétition dans la fermeté. Sur ce sujet comme sur d’autres, dans la séquence internationale intense qui vient de se tenir, la France, en la personne du président de la République, a remarquablement tenu ses engagements et son rang ».

Reprise de concepts et d’étiquetage d’autrui : « il faut éviter, selon la formule du président de l’Union africaine, un Afghanistan africain », cela à propos du Mali. « La France, pour sa part, n’a pas vocation à intervenir directement ». Première affirmation ayant une application pratique. A suivre… pas d’analyse de la région, ni d’évocation du Niger, de la Libye ou surtout de la Mauritanie.

« La question principale n’est pas de savoir s’il faut ou non rompre avec nos prédécesseurs, mais de conduire la politique qui est la bonne pour la France. François Hollande a engagé une stratégie générale de redressement du pays. La poltiique étrangère s’inscrit pleinement dans cet objectif, de redressement économique en particulier ». Le ministre se situe avec la plus grande humilité – que je crois réelle – entre Sarkozy et Hollande, sans les distinguer pour ce qui est de son propre domaine.

Abord proprio motu de la question d’Europe : « le couple franco-allemand fonctionne d’autant mieux qu’il est fondé sur une relation d’égalité ».

L’entretien monté initialement, semble-t-il, sur les questions d’actualité : Syrie, Iran, Mali, apprend autant sur la psychologie du nouveau ministre – le parallèle de mon journal avec Alain Juppé ne préjuge pas du contenu à venir de nos décisions ou réactions, mais du calme que donnent l’expérience et la sûreté d’une position au sein du gouvernement – que sur la relation, qui sera certainement de plus en plus complexe pour quelques mois, entre le cours Hollande et le cours Sarkozy. « Le bilan du précédent quinquennat est contrasté, tant la politique étrangère y a été fluctuante ». Attention qui date de Maastricht et de son refus du projet de Constitution pour l’Europe en 2005 : l’atlantisme, mais il n’annonce ni un nouveau retrait ni une attitude saillante.  «  la France est à la fois une puissance singulière et universelle ». Il  répète sa référence : « lorsque nous prenons une décision, nous ne nous demandons pas, avec François Hollande et Jean-Marc Ayrault, si elle est ‘gaullo-mitterrandiste’ ou si elle est … Le Monde : néoatlantiste ? – Evitons ces classifications ! Nous nous demandons si cette décision est juste et efficace. » Curieuse position intellectuelle : une décision propre est considérée du dehors dans ses effets et non dans son origine, son émergence. Détachée de son auteur pour que celui-ci en juge !

« Il ne sert à rien d’être provoquant ni complaisant, et encore moins d’être successivement l’un et l’autre ». C’est bien un entretien de posture, marquant une existence et une pétition d’existence dans l’assemblage qui commence de fonctionner. Laurent Fabius se présente comme l’un des éléments du trio conduisant le pays. Sans date d’origine. Posément.

Quelques balises pour la suite, le communiqué franco-chinois sur le Tibet, la pénalisation du génocide arménien, la question palestinienne. Ton anodin pour indiquer : « j’aurai naturellement un contact avec le gouvernement israëlien. La France peut jouer un rôle utile, car elle a une relation de confiance avec les uns et les autres – La France peutelle envisager d’aller plus loin en termes de reconnaissance de l’Etat palestinien ? – ce qui est déterminant, c’est de faciliter des avancées dans la résolution de ce conflit ».

Sensations plus qu’informations. Bien évidemment, style et forme qui diffèrent et vont différer. Le calme et non la réactivité. Pas de réflexion originale, pas dessein propre ni pour le ministre, ni pour le pays. D’une certaine manière – ce n’est pas mauvais, pour un commencement – une posture d’accueil, une force personnelle et mentale. Une relation au temps plus vers le passé que vers l’avenir. Pas de conscience aigüe d’un monde belligène dont les acteurs changent de nature et dont les teneurs de cartes ne sont plus ceux d’une longue tradition venue de l’après-guerre. L’homme n’est pas manichéiste. – Lui et Hollande sont secrets. Je ne crois pas qu’ils aient à s’opposer dans le domaine confié à Laurent Fabius. L’ensemble va être solide, mais il ne sera pas imaginatif.

Dans ce texte, rien n’est ordonné autour de l’axe essentiel qu’est la crise de crédibilité de l’Union européenne, aucune allusion – sauf «  la nécessité d’une régulation internationale en matière économique, financière, d’environnement et de sécurité » –  sur une quelconque mûe des institutions européennes ou pour quelque avancée vers un réagencement de l’organisation de la planète, notamment en termes de transactions financières, de spéculations, d’exploitations des matières premières.

Au total, la poltiique étrangère française n’a pas été pensée, en profondeur et sans a priori dogmatique, depuis longtemps. On est dans le classique et, le cas échéant, dans le réactif. On est comme on est. Dans un monde qui bouge et qui frémit, ce n’est pas assez.

Cette analyse n’est qu’une note de lecture à mesure. Donc un outil personnel de travail, la considération du propos de poltiique extérieure du nouveau mandat, à son début. C’est la suite qui va être intéressante. En fait, la page est – ici – laissée blanche.

J’avais demandé au nouveau ministre que soit salué le dixième anniversaire de la disparition de Michel Jobert. L’évocation de ce très grand ministre qui, en quelques mois, fit renouer la France et le monde avec de Gaulle et sa liberté d’appréciation et d’action, aurait certainement marqué le présent propos d’un très fort cachet. Parlant. Se vouloir des précédents et des modèles peut grandir un homme d’Etat plus efficacement, dans l’opinion publique et dans la compréhension qu’ont de lui ses collaborateurs, que bien des propos qui ne sont que les siens. Une occasion a été manquée. En politique, l’analogue peut toujours se représenter. Je vais attendre. Donc.

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