samedi 12 mai 2012

notes de journal - élection et avènement de François Mitterrand . Mai 1981


Election et avènement de François Mitterrand

journal 10.21 Mai 1981


N B Ces jours sont d’abord lumineux.
Michel Jobert, qui importe alors beaucoup au nouveau président, m’a admis dans son intimité depuis déjà huit ans. Jacques Fauvet qui dirige Le Monde pour encore un an, me publie plusieurs fois par moi depuis neuf ans. Mais en poste de conseiller économique et commercial près le consulat général à Munich, je suis loin du pouvoir et du mouvement du pays.







saisie non revue et à corriger typographiquement

en cas d’exploitation ou de retransmission, reconnaissant mentionner la source

Paris, encore, le dimanche 10 mai 1981, au matin.



Le temps gris et pluvieux, la même ambiance blafarde que le 27 avril 1969. J’ai voté dans la certitude et l’émotion : l’émotion d’un tournant et toujours le pressentiment qui ne m’a pas quitté de toute la semaine – malgré les sondages non publiés mais circulant qui donnent à FM 52% des suffrages – que Giscard sera réélu. Deux indications dans mon esprit : la remontée à 29% au premier tour alors que les sondages ne disaient que 25% ; le comportement autour de moi, notamment en famille. Quand je parle des tanks soviétiques[1], on me croit sérieux, et l’on juge que j’ai donc moi aussi basculé (« Plus j’y pense, plus c’est Giscard »). L’abstention et le bulletin nul gagnant ceux que j’aurais cru voter FM ; et l’argument effarant – car il justifie les communistes dans leur analyse de lutte des classrs demeurant malgré tous les changements technologiques et sociaux de ce siècle finissant – : que veux-tu, dans notre milieu, nous avons des responsabilités, nous ne pouvons voter autrement que pour Giscard… C’est pour moi un argulmentaire très simple que de voter FM : Giscard, il est certain qu’il ne changera pas, et qu’au mieux le prochain septennat ne fera que poursuivre ce qui s’est défait et manqué depuis 1974, ce qui en soi est déjà un désastre ; Mitterrand c’est simplement la page blanche ouverte, la possibilité de tous les possibles, et je crois vraiment le moment venu que tous ces possibles soient explorés avec maturité et calme. Bien sûr, presqu’aucun point de « mon » programme ne s’en trouveront réalisés : mais les soubassements au moins seront prêts, notamment en matière socio-économique et d’alternance démocratique. Contrairement à l’argument de Giscard, et je suis en cela saint Paul sur celui qui sème et l’autre qui récolte, ce ne sont pas les mêmes – dans une histoire millénaire comme la nôtre – font les fondations et qui achèvent la maison. Nos cathédrales, nos institutions, tout notre esprit national le montrent.

Quand je déploie la carte d’état-major pour le 11 mai, les deux scenarii sont ainsi. FM élu a tous les moyens constitutionnels de dire non à qui il veut et de choisir sa politique et ses appuis. Sans doute, la bataille législative sera-t-elle très dure, surtout si comme comme il est à craindre, l’appétit socialiste est immense, qu’aucune place n’est donéne au tiers-parti, mais il est de jurisprudence constante sous la Vème République que le Président en place – s’il s’engage clairement dans la bataille législative – obtient de l’électeur confirmation du vote aux présidentielles ou au referendum qui précèdent : il n’y a donc pas de troisième tour aux présidentielles, et je vais tâcher de le faire publier dans Le Monde. Il faut évidemment exclure qu’il garde l’actuelle Assemblée jusqu’à ce que celle-ci fasse la preuve de son hostilité : la seule inconnue est la composition du Gouvernement, socialistes-communiste ? technique ? Si FM est battu, c’est non seulement le triomphe immédiat de VGE, mais la liquidation de toute l’opposition, d’abord dans la majorité actuelle puisque Chirac sera abandonné de tous et n’aura vraiment plus que sa mairie, ensuite au PS puisque les « rocardiens » auront désormais tout l’espace voulu, collaboration éventuelle avec VGE et préparation d’une succession en 1988 éventuellement de connivence avec VGE, et c’est le triomphe du PC, seule force dure vis-à-vis du pouvoir reconduit (en partie grâce à une abstention PC ou même à des votes hostiles à FM). Si VGE est battu, c’est soit la volonté de revanche tous azimuts et immédiate, c’est-à-dire VGE se présentant lui-même à la députation et damant le pion au Parlement à Barre et à Chirac. Dans tous les cas de figure, c’est une situation très difficile pour Chirac.

. . .     Au cinéma, ce soir jusqu’à 22 heures : « Les ailes de la colombe », superbes paysages vénitiens, intrigue assez mince, mièvrerie d’Isabelle Huppert, beauté camarade de Dominique Sanda. J’ai reculé devant le supplice des fourchettes, et rentre dans un XVIème désert et silencieux. Je donne FM pour battu. Je me trompe. La TV annonce depuis 20 heures l’écrasante victoire, près de quatre points d’écart, seul Giraud – c’est à son honneur – fait face sur le petit écran à la défaite ; Delors parle en futur Premier ministre. Déjà la campagne des législatives s’amorce et le procès des ministres ou de l’influence communiste demeure le principal argument de ce qu’on appelle encore « la majorité » puisqu’elle demeure telle au Parlement.

J’ai déposé dans la soirée de jeudi, rue de Bièvre, déserte, mais avec deux policiers m’interrogeant sur ce que je glisse dans la boîte aux lettres, une lettre à FM lui donnant quelques « conseils » de gaullisme pour sa dernière émission, et lui demandant carrément de faire partie de son équipe. Il ne me reste plus ce soir qu’à attendre. D’un seul coup, les temps ont changé, je n’y aurai jamais cru, mais la déclaration du Président élu, depuis Château-Chinon, est exactement la bonne : «  et nous avons tant à faire ensemble . . . la France retrouvera sa voix », et l’humour glacé : « J’ai une autre déclaration à vous faire . . . » [2].



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 Paris, lundi 11 Mai 1981


En présence de Feuvrier et Nicolaeff [3], et interrompu par un coup de téléphone de Gillet [4], je suis chez quelques minutes chez Jobert [5] dans le petit bureau du quai Blériot. Mais pourquoi voulez-vous me rabaisser à la politique et à la cuisine ? quand je tâche de répondre à sa question : que me conseillez-vous de faire, et que je développe la réponse sous l’angle Parlement, Gouvernement, etc…. A mon tour, je le questionne sur Pontarlier [6]: allez-y si les socialistes vous soutiennent et en fonction de leur soutien, et puis il ajoute comme l’automne précédent : mais, quand ils vous verront, les électeurs voteront pour vous. Propos sur Le Monde qui ne m’a pas publié ces trois derniers mois, puis sur La Croix. A l’éloge que je fais de Tincq, responsable de la politique intérieure, il répond que ce dernier était acide à mon propos au vu de mes affiches : il paraît qu’on disait que vous alliez prendre froid, dans le pays. Et pour lui-même : peut-être bien, mais il ne parle jamais de moi. Je le quitte sur ces choses.

A L’Appel [7], le soir, il est convenu que je ferai un papier sur les élections présidentielles et leur procédure : « Le peuple entre quatre murs. La thèse de Lefranc : que tout le monde se rassemble pour gagner les élections (législatives), mais je le trouve fort tolérant pour les positions que Gélinet et moi avons affichées [8].

Je reprends la route [9]. Attendre la suite modestement et à mon poste. J’ai déposé mon papier au Monde : « il n’y a pas de troisième tour », et un autre au Matin : « L’esprit du 10 Mai », qui fera pendant à celui qui a été publié entre les deux tours, avec allusion à l’Inquiétude.

. . . aux frontières, pas plus de contrôle qu’auparavant. J’aurai pu avoir des valises bourrées de billets de 500 francs.




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 Munich, Baldusweg, mercredi soir 13 mai 1981


Après avoir « cultivé » mon jardin abandonné depuis quinze jours, nourri mes chiens, feuilleté deux albums nouiveaux de photos d’art (collections et techniques qui me passionnent), je soliloque un instant dans l’état d’indifférence ignatiene au moment d’une retraite d’élection . . .
Je me suis engagé pour Mitterrand ces derniers ùmois avec trois convictions : la première qu’il était le seul capable de battre Giscard, de ne pas pactiser avec son système, mais qu’il serait quand même battu – j’étais donc totalement désintéressé et le suis resté, puisque si j’ai vu le nouveau Président de la République longuement en tête-à-tête quand il se demandait encore s’il serait candidat, puis plus brièvement quand il n’était pas encore acquis que VGE se représenterait, rien entre nous n’a été convenu et encore moins promis. Ma seconde conviction était et reste que la défaite de VGE est la condition préalable à la restauration de la démocratie, du libre débat : élire Mitterrand, pour moi comme pour beaucoup d’autres, ce n’est pas choisir un programme, mais la condition première de toute politique : une certaine légitimité démocratique – donc un changement de paysage, une libération spirituelle, une fierté retrouvée du débat et de la clarté en France. Ma troisième conviction était que si Mitterrand ne me promettait rien, du moins son septennat me donnait des chances de carrière personnelle, de mise à l’épreuve de mes talents et capacités, d’exercice enfin de ma vocation, des chances nettement supérieures à ce qu’elles étaient ou seraient demeurées sous Giscard, c’est-à-dire supérieures à zéro, ce qui est beaucoup et peu à la fois ; c’est selon.

Je suis donc tranquille et paisible, puisque déjà j’ai la satisfaction que le paysage a changé du tout au tout. Mitterrand a jusqu’à présent été institutionnellement excellent tant dans son message de Château-Chinon avec lequel je suis d’accord mot pour mot, que dans son comportement depuis. Je viens d’écouter Defferre « face au public » à France Inter : en trois quarts d’heure de questions-réponses, je n’ai rien trouvé à redire, même sur l’Alliance atlantique, les choses étant ce qu’elles sont. Et toute personne de bonne foi se donnant la peine d’écouter tranquillement ne peut que se convaincre avec moi que la France a de bonnes chances d’avoir une politique plus belle que toutes celles menées ou esquissées depuis le départ du général de Gaulle.

Mes espérances ? A terme, influer directement sur le destin de la France, donc participer au pouvoir, y être. Quand mentalement, je m’y vois, je pèse mon inexpérience de bien des questions, de bien des rouages. Les idées essentielles, la manière d’être, les convictions, la santé physique et morale, la cohérence je crois les avoir, autant qu’on puisse en juger « à blanc », mais ce sont des qualités globales, d’ordre gouvernemental. Ce n’est évidemment pas ce qui a chance de se présenter pour moi avant longtemps. Même une direction d’un cabinet important : les Finances ou le Quai, me demandera un apprentissage sévère et ascétique : sans doute, suivant Debré, même de Gaulle dut apprendre ses fonctions de Président de la République et pataugea un peu en 1959… En écoutant Quillès hier sur les questions économiques, et Defferre sur l’ensemble de la situation politique et du programme de Mitterrand, j’ai aussi mesuré que je n’étais pas dans la sensibilité de l’équipe qui a gagné, non que je sois en désaccord, au contraire, mais je n’ai pas participé à cette longue marche, à cette maturation qui fait qu’on est imprégné d’une fesque et qu’on a réponse à tout dans un certain contexte, bref je ne peux parler ou penser au nom de Mitterrand ou du PS. Conséquences pratiques : je suis inutile au nouveau Président en termes de personnel administratif rodé ou en termes d’exposé indirect de sa politique. En quoi puis-je lui être utile ? Les voix, les batailles électorales ? L’entre-deux-tours a été pour moi la répétition du Doubs : il y a un personne politique, et l’on n’en fait partie qu’en participant à un mouvement, qu’en en étant l’un des élus : itinéraire dans l’ancienne oppositrion de gauche des Chevènement, Jopsin, etc…. ou en étant ancien ministre, même de portefeuille ou de longévité minuscule : Hamon, Dechartre, et bien sûr Michel Jobert mon ami. Je ne suis rien de tout cela, donc foin de radios, de télévision, et somme toute d’existence publique, donc de poids direct sur le débat électoral. Mon utilité, si je puis écrire ainsi, est d’ordre universel et spirituel : être auprès de François Mitterrand, un des éléments gardiens et sources de sa légitimlité, un rappel constant et à sa volonté d’une certaine transcendance et grandeur pour son septennat – avec comme avantage marginal, un peu comme dans ma relation avec mon cher Moktar quand il était au pouvoir, que je ne suis pas du clan, de la tribu, et que donc j’ai une pensée autre que celle à laquelle il est habitué ou dont il est entouré. C’est un rôle immense et secret, un dialogue au sommet de la pyramide, que j’ambitionne-là. Tandis que se représente une échéance électorale dans ce Doubs que je connais maintenant et que j’aime au moins dans ses paysages et certaines de ses mentalités, je sais bien que mon talent ne pourra rien là-bas si je n’ai au moins tous les socialistes avec moi, et que mon parcours est davantage type Vème République, un « patron » m’appelant à l’expérience et au pouvoir, d’abord en coulisse, puis en grandeur réelle et responsabilité ouverte : ce furent les chemins de Pompidou, de Debré, de Jobert : je le voudrais pour moi. Je ne puis le demander plus que je ne l’ai fait dans mes lettres personnelles à Mitterrand, et comme indirectement et une dernière fois je le ferai demain en lui faisant une note d’ordre général et en lui posanbt la question du Doubs. Davantage ne serviraità rien et serait contraire à ma dignité, donc à la rectitude de l’avenir. En famille, ou dans mon entourage administratif, on s’étonnerait presque que je ne sois pas à piétiner rue de Bièvre ou de Solférino ; mais quoi ? Je suis apprécié, souhaité, ou bien toujours inutile, me démener gaminement ne servira de rien. Il faut la grâce. Je me suis fait à l’idée ces derniers mois qu’elle ne viendrait jamais, en tout cas pas sous les formes terrestres longtemps caressées. Mon cher père Lamande, retrouvé par hasard jeudi dernier à l’anle – providence ! – de la rue du Bac conclut nos retrouvailles ainsi : d’abord retrouver la confiance, retrouver confiance. C’est vrai, il y a en moi une telle désespérance qu’elle ne me fait même plus souffrir ; c’est une sorte de paysage silencieux, presque doux, de gris laiteux, des limbes de l’esprit : je me suis trompé de porte en étant dans ma peau et dans cette époque.

Sur ces trois jours très riches, j’ai fait plusieurs papiers qui bout à bout résument ce que l’on peut en dire :
il n’y a plus de gaullisme politique, comme il n’y a plus de parti républicain vers 1880 puisque la République est définitivement installée. Le gaullisme est partout et nulle part. Il a, en trente ans, refondé la France : il n’a plus ce prolongement. C’est une nouvelle étape. Le parti qui s’en réclame, et encore, tant il est personnalisé : le RPR, aurait pu – si VGE avait été réélu, servir de fondement à une dialectique : vous qui avez été élus sur le nom de de Gaulle, faites donc prévaloir ses vues, mais d’une il y a statistiquement de moins en moins de parlementaires élus de cette époque, et de l’autre, aussi bien le ralliement à VGE dans l’entre-deux-tours comme en 1974 et, cette fois, en complète connaissance de cause, comme la coalition qui est en train de se nouer pour battre le nouveau Président aux élections législatives anticipées, montrent que c’est l’intérêt électoral et les épousailles d’une sociologie de droite, qui gouvernent ce parti. Les monarchistes ne voulaient pas du comte de Chambord en 1873, mais d’un certain ordre social, évidemment conservateur. Nous en sommes là aujourd’hui avec le RPR. Clarification de la situation pour moi : je n’entrerai pas dans un parti qui a pour chemin du pouvoir de battre la gauche par tous les moyens ; j’aurai pu à la rigueur y entrer comme opposition efficace et de l’intérieur à VGE s’il avait été réélu, ou comme entourage de Chirac s’il était venu lui-même à l’Elysée. Aucune de ces hypothèses ne s’est réalisée. Je tâcherai de rester en bons termes personnels avec certains, dont Chirac, ce qui peut même être utile à FM, mais ce’est l’amorce d’un parti conservateur, ce n’est plus le parti héritier des rassemblements gaulliens ; 
une nouvelle lecture de nos institutions est proposée aux électeurs de Juin prochain. VGE considérant que les législatives peuvent le ramener à terme au pouvoir, Chirac se mettant carrément dans l’opposition à FM au lieu de ne pas exclure une entente coup par coup avec les socialistes, on ne peut envisager cassure plus nette entre les deux camps et perpétuation plus affichée pour la lutte vers l’Elysée, tant entre VGE et Chirac qu’entre eux eux et FM. La fonction présidentielle ainsi banalisée par un VGE perdant – alors qu’il l’avait exercée avec tant de monarchisme et d’esprit quasi-héréditaire, on irait éventuellement vers une alternance à l’allemande ou à l’anglaise. FM est plus proche du modèle gaullien qui, d’une part, a formé le 10 Mai une majorité que je juge proche de celles soutenant de Gaulle en 44-45 et entre 58 et 62 à propos de l’Algérie. Il ambitionne, et son programme social ET économique postule, un large rassemblement. Suivant les ides de Juin, on sera donc dans le challenge permanent anglo-saxon ou dans la tradition gaullienne, avec la marque mitterrandiste de privilégier le jeu parlementaire sur l’appel au peuple, mais dans l’opinion la résonnance sera la même.
un climat de lutte des classes est né à l’initiative de la droite, qui, bien malgré elle et en toute insconscience, conforte ainsi les communistes dans leur propre dialectique. C’est davantage le fait d’un « bourrage de crânes » que d’intérêts réels ; chacun, même fonctionnaire, même dans une société nationalisée depuis 1945, craint pour sa place, d’autres pensent à leur maison de campagne, voire à leur seconde voiture. Raisonnements de la dernière heure : dans notre milieu, il faut prendre ses responsabilités, nous ne pouvons pas, nous ne pouvons que… On vote le 10 Mai, on raisonne ensuite selon un constant procès d’intention, sur la caricature établie de longue date d’un programme, d’alliances supposées, non sur les faits, sur les dires du candidat, puis du Président élu. Un odieux appétit de meurtre politique, une panique enfantine va donc dominer dans cette malheureuse minorité la campagne législative. Dans les familles, dont la mienne, c’est l’affaire Dreyfus ou l’Algérie française. Les démissions haineuses de Barre et du général de Boissieu participent de cet aveuglement et de cette usurpation de la Vème République.
des comportements sereins, comme la gauche socialiste et communiste, et le nouveau Président en donnent l’exemple national, devraient à droite – à mon sens – être les suivants. VGE doit prendre du recul et puisqu’il aime écrire, qu’il écrive des Mémoires, qu’il entre au Conseil Constitutionnel et donne le branle à une mûe de ce dernier qui, à terme composé de plusieurs anciens Chefs de l’Etat, pourrait devenir un décisif Conseil de la République en cas de coup dur. Chirac devrait être le moyen terme à l’Assemblée Nationale et une sorte de liberté donnée à FM en lui donnant une majorité de rechange sur certains projets, façon de contribuer à la discipline communiste. Barre est qualifié pour être le véritable et quotidien opposant, parce qu’il était longuement le Premier Ministre et qu’il a eu seul – même si celle-ci a échoué, même si elle a été mal présentée et encore plus mal et hypocritement appliquée – seul une politique économique, de type nettement capitaliste, mais assez nationale pour rester légitime (s’il n’y avait les bavures présidentielles et les grands groupes apatrides qu’il avait en héritage obligé). Au plan économique, actuellement, là est l’alternative : la gauche ou Barre. Ni VGE ni Chirac n’ont eu de politique économique autre qu’électorale.


Ma dernière journée parisienne – lundi – a été la rédaction après-midi de papiers pour Le Monde et Le Matin (ce dernier m’ayant publié aujourd’hui, et JF étant destinataire demain de la grande lettre de demande de mise au point franche que je médite depuis huit jours, et pour laquelle j’ai opté sur conseil de Moktar). Dans la matinée, deux entretiens cadrant ce début de septennat.

Chez Moktar Ould Daddah d’abord qui compare les sondages dont j’avais fait état avec les résultats : ils ont concordé, puis qui me conseille – même s’il y a des urgences puisque la procédure d’investitures des candidats aux élections législatives débute immédiatement – le calme et la sérénité, de ne pas mêler les deux choses dans mes correspondances avec Mitterrand : « par tempérament, je ne suis pas pour la précipitation ; peut-être ai-je un respect excessif de la dignité » et donc ne poser la question d’une candiature éventuelle qu’à l’occasion d’une correspondance plus étendue avec FM : les notes que je médite, et en ne traitant pas par ailleurs avec Jospin, de manière à ce qu’éventuellement la consigne viennen de FM lui-même de me soutenir. Me souvenant de Saint Robert et ce qu’il dit du « sionisme » campant autour de FM, j’interroge MoD sur l’impression qu’il, là-dessus, du nouveau Président de la République. Mon ami me répond tranquillement et de sa voix lente me fait un tableau de la question du Proche-Orient parmi les plus brillants et les solides que j’ai jamais entendus, sinon en 1967 – précisément en Mauritanie où la conférence de presse du Général, un 27 Novembre, était retransmise…[10] « Nous n’avons parlé qu’à bâtons rompus pendant ces deux jours [11], mais nous avons suffisamment effleuré les sujets pour que chacun comprenne le point de vue de l’autre. Ce que je vous dis là – comme tout entre nous – est personnel, je ne l’aurais pas dit et ne le dirais pas en public, mais c’est le fond de mon analyse. Le présent est favorable à israël, à cause de l’appui américain. Israël est une créature de l’Occident, israël est l’émergence américaine au Proche-Orient, c’est une réalité. Israël ne tient que par l’appui américain. Si par impossible les Etats-Unis devaient faire une politique égale pour tout le monde, Israël ne pourrait pas survivre longtemps. Le présent est également favorable à Israël par la faute des dirigeants arabes qui ne tirent pas profit des leçons de l’Histoire et se préoccupent davantage de leurs querelles de clocher. Israël tient donc à cause de l’engagement américain et de la faiblesse arabe, elle-même dûe aux divisions et aux incapacités des dirigeants de transcender leurs querelles. Mais le futur travaille inéluctablement contre Israël. En plus de l’appui américain, Israël a une avance technologique sur les Arabes, car c’est la crème des Européens et des Américains qui s’est installée, là, implantée au cœur du Tiers Monde : c’est un Etat sudéveloppé technologiquement, qui n’a donc pas ce qui caractérise le Tiers Monde, et qui a de surcroît la finance internationale avec lui : l’Europe et l’Amérique. Mais cette avance technologique n’est pas éternelle. Les Arabes n’ont une tare d’inaptitude ; au contraire même, ils y viennent lentement ; ils y viendront nécessairement. Dans le passé, ils ont fait la preuve de leur aptitude à accéder à la science et à ses applications. Et en plus, ils ont pour eux le nombre et des ressources considérables, même si le pétrole tarit un jour, et même si la production de substituts en est trouvée en Europe : c’est quand même une richesse incommensurable pour longtemps, surtout si elle était dépensée et investie d’une autre manière que par ceux qui ne semblent pas capables d’autre chose que de jouissance.
Dès lors qu’ils possèdent et rattrapent l’avance technologique d’Israël, et qu’ils ont le nombre : plus de cent millions, maintenant, et près de deux cent millions à la fin su siècle, les Arabes auront les moyens économiques et financiers les rendant capables de devenir une force, je ne sais pas égale aux deux-super-Grands ou à l’Europe ? mais inéluctablement une force très importante, comme maintenant il y a aussi la Chine, l’Inde et le Japon. Il y aura donc fatalement un jour où, ayant rattrapé le retard et ayant transcendé les factions actuelles, le monde arabe ne pourra pas… Israël ne pourra pas continuer de narguer le monde arabe.
D’autre part, le danger énorme pour l’Occident (Europe et Etats-Unis), c’est la pénétration soviétique dans tout le monde, et notamment là, dont on ne tient pas suffisamment compte dans l’examen de la question. Si les Arabes arrivent à se faire appuyer par la technologie soviétique, ce serait un danger extrêmement grave par rapport aux intérêts de l’Occident, intérêts stratégiques autant qu’économiques.
Ce Proche-Orient d’où est venu la lumière qui éclaire l’humanité, car les trois religions monothéistes viennent de ce Machrek, de cet extrême-couchant, et là aussi furent Babylone et Sumer, c’est l’entre-deux-fleuves, l’Irak actuel, la Perse, l’Inde occidentale, – cette partie du monde d’où est venue la lumière et que Dieua favorisée manifestement même sur le plan des richesses, est devenue un des centres vitaux du monde. Pour tout cela, un Chef d’Etat français, en tant que Français et Européen ne doit pas, ne peut pas ignorer les Arabes, et surtout donner un soutien à outrance à Israël, pas plus qu’il ne devrait soutenir ensuite les Arabes, ce qui l’empêcherait de jouer un rôle actif. Ce rôle, Mitterrand pourrait le jouer à condition qu’il ne laisse pas se confirmer le préjugé défavorable des Arabes contre lui. Il est évidemment d’un avis très différent du mien, je lui en ai parlé, et il me l’a dit : je ne suis pas plus pour la destruction d’Israël que pour la création d’un Etat palestinien. Mais je pense – c’est de nouveau mon éminent ami qui parle – que les positions d’un Chef d’Etat ne peuvent pas être celles d’un chef de l’opposition. En tout cas, vous-même n’intervenez pas là-dessus ni publiquement ni auprès de lui, pour le moment, pour ne pas paraître vouloir jouer l’inspirateur en tout.
Nous tenons aussi conseil pour Le Monde. Je balance entre le silence et ne plus rien envoyer jusqu’à une éventuelle réaction de JF dans quelques mois à laquelle je répondrais en posant des conditions de périodicité et d’explication de refus, premire solution – faire comme si de rien n’était, seconde solution. MoD penche pour une troisième solution médiane. Je ne peux prendre l’initiative du silence et de la rupture, et je dois écrire franchement les choses à JF qui aura la balle dans son camp, cela au nom d’une vieille amitié, qu’il ne faut pas renier.

Le déjeuner de Jobert, hier mardi, rue de Bièvre, très commenté sur les radios que je prends, si je le rapporte aux quelques mots échangés le lundi, donc la veille de ce déjeuner avec le Président élu, marque deux choses – le mystère du futur Président qui s’entoure de conseils et de sages, mais de façons assez imprévisible – et le fait que les « bénéficiaires » ne peuvent guère s’attendre ni à des suites ni à être, à l’avance, prvenus. Car, j’en ai la certitude, Jobert a opté pour FM dans des conditions mi-tactiques (dire quelque chose qui ne soit ni pour VGE ni pour JC) mi-bien commun (le changement) mais en tout cas pas par intérêt personnel et pas non plus par passion « mitterrandiste ». J’ai aussi la certitude que ce lundi matin, mon homme ignorait que le lendemain il déjeunerait avec le vainqueur du 10 Mai et que toutes les supputations seraient alors autorisées sur son avenir pendant le septennat qui commence…


Munich, le vendredi 15 mai 1981


Contraste complet entre les espérances qu’on me donne autour de moi en famille ou dans l’administration, et la réalité de ce qui m’est offert. Je sens que fondamentalement les règles du jeu n’ont pas changé : une classe politique où ne comptent que les ministres ou anciens ministres, ceux-là ont les audiences et les médias, un vivier de techniciens qui fait oublier ses opinions ou ses services ailleurs pour être de nouveau en piste. Je ne suis ni de l’un ni de l’autre autant par goût que parce que jamais l’opportunité ne s’est présentée d’entrer ici ou là. Téléphoner, attendre, me signaler ? Mitterrand et Jobert me connaissent, le second très bien et depuis tant de temps, le premier en bien et personnellement. Mais a-t-on besoin d’un homme qui a autant d’idées que vous quand on arrive ou qu’on revient au pouvoir ? A-t-on besoin d’un généraliste ?

Je fais aujourd’hui la note que j’ai donnée à attendre dans ma dernière lettre à Mitterrand après son élection. Je sèche un peu, car ce sera évidemment un modèle de ce que je peux lui apporter, et soit je fabule en lui prêtant un profil qu’intérieurement il pourrait récuser, mais je crois que mon intuition est bonne, soit je l’habitue à des services gratuits : pourquoi m’appeler auprès de lui, si de Munich sans engagement de sa part je l’approvisionne d’idées et de réflexions. J’ai écrit à Jobert le détail de mon état d’âme et ce que je souhaite.

J’ai dicté un communiqué hier pour Pontarlier [12] en appelant publiquement aux partis de gauche pour soutenir ma candidature et en donnant a contrario l’exposé des motifs de mon départ définitif si je n’ai pas ce soutien. Golder [13] à qui je téléphone pour m’assurer du passage de mon papier, me confirme dans mon pressentiment : je ne me ferai jamais admettre par les gens de parti sur place… Une hypothèque se lève.  

Recevant hier soir Garcia, le chef de notre poste de Cologne [14], je délaye pour lui la façon de rattacher Mitterrand à une conception gaullienne des institutions, à une majorité de type Libération, et donc de voir dans le résultat du 10 Mai une véritable restauration de la Vème République et presque le renouement de ce qui fut cassé en 1969. Prolongeant les choses avec lui et revivant mes années d’ENA, je vois aussi un autre écho : cette jeunesse et créativité de notre administration dans les années 60, un peu abstraite sans doute, mais très consulaire et réformatrice à grands horizons, peut nous être rendue par cette blanche page aujourd’hui. Bien évidemment, Giscard parti, on saperçoit déjà que les sept ans n’auront même pas été un coup d’ongle sur la vitre de l’Histoire nationale, un raté, un avatar : entre de Gaulle et Mitterrand sous la Vème République, il n’y aura donc rien eu.

Paradoxe que m’explique Hallier [15]: plus la technique de fabrication d’un livre progresse et permet l’élaboration ultra-rapide du produit, plus la mise en place et la programmation de parution est longue. Impossible donc de réaliser le projet qui m’était venu sur la route du retour d’une plaquette : L’âme du 10 Mai, paraissant pour les élections et y survvant cet été. Possibles préface de Jobert et postface de FM. Jean Bothorel du Matin qui me passe régulièrement mes articles maintenant, et a ses entrées chez Calmann-Lévy et chez Grasset, confirme ce triste diagnostic. Je vais donc m’en tenir à ma lettre n° 3 et à mes articles. J’ai déclenché la mise au point avec JF.


Munich, le lundi 18 mai 1981   



Tranquille clarté politique en France. La passation de pouvoirs aura lieu le 21 ; le gouvernement sera donc formé d’ici la fin de la semaine ; il semble que les élections soient avancées aux 14-21 Juin. Il n’aura pas fallu 48 heures pour que l’UDF abandonne Giscard à ses rancoeurs ; comme VGE serait rentré dans la trappe en 1969 si Pompidou ne l’avait repris. Pire encore que les « gaullistes », les « giscardo-centristes » ne peuvent vivre hors de la soupe. Avec Marcellin, iols suivirent de Gaulle jusqu’au bout ; les voici avec Lecanuet déjà avec Chirac. Quelle opposition ? Il me semble qu’au plan économique, il n’y a que Barre qui ait une politique de rechange à celle de la gauche, même si sa politique est largement censurée. Il pourra toujours dire qu’il n’a pu la mener dans ses propres termes. Chirac et VGE n’ont eu de politique économique qu’électorale. Au plan de la politique étrangère, ce serait le seul terrain d’originalité et de personnalité qui puisse rester à Chirac et au RPR, car Mitterrand moyennant quelques retouches en Afrique et par la force des choses (la méfiance des alliés) en Eur’Atlantique, et des hésitations au Proche-Orient ne fera a priori rien de spectaculaire. Chirac prend donc la tête d’un grand rassemblement conservateur et de réaction ; c’est légitime puisque chaque électorat doit avoir son expression, mais cela n’a plus rien de « gaulliste » ; en politique économique et en institutions, c’est Mitterrand qui est dans le fil gaullien et de la Vème République. Mes cas de conscience sont donc résolus ; le RPR n’est pas ma famille, même si cela reste une machine à conquérir le pouvoir. La bataille dans ce camp-là v se jouer entre Barre – que la dissolution rend libre de candidater immédiatement à Lyon (alors que les choses eussent été difficiles autrement puisque son suppléant est RPR) – et Chirac. VGE est hors course pour plusieurs années et va passer un creux de vague terrible : lui, avide de premières, en aura réussi deux. Le premier Président de la République à ne pas être réélu alors qu’il se représente, le premier aussi à passer ses pouvoirs sous la Vème République. Il n’a pas fallu huit jours pour que la peinture s’efface d’un septennat qui aura vraiment été un coup pour rien, une erreur historique, un vide. Rien n’aura été que sept ans de narcissisme et d’enfantillage ; c’est effarant. Mais la place de l’Etat dans la société, celle du Président dans les institutions sont telles qu’on a, pendant sept ans, été « gouvernés » ou « représentés » comme si VGE avait 70 ou 80% des Français avec lui, alors qu’il n’avait gagné que de 400.000 voix ; les médias ont rempli et fait croire à ces 30% de plus…

Après une semaine difficile, je suis rentré dans ma peau. Pourquoi Mitterrand m’appelerait-il près de lui, alors que je n’ai pas été le compagnon de la première heure, qu’au fond s’il y a des convergences d’ordre « utilitaire » profondes entre nous : le départ de VGE, le déblocage économique et social, une nouvelle fondation de la Vème République – ce qui n’est pas mince – il y a tout de même des divergences à coup sûr en politique extérieure, et dans une sensibilité aux partis et aux comités que je n’ai pas, dont je crois que lui-même va s’échapper, mais à quoi il ne tient pas peut-être pas pour le moment. Mon heure viendrait donc dans deux ou trois ans. Mais s’il ne me reste que l’expression – écrivain sans éditeur et publiciste sans journal – il est clair que le temps qui passera sera plutôt l’usure de mon soutien que son renforcement puisqu’aussi bien je ne serai pas partie prenante à la tâche en cours et que je n’en connaîtrai pas les dessous : je ne vais pas revivre ce que j’ai vêcu sous Giscard. La lettre d’Octobre 1974 comptant sur « l’état de grâce », la métamorphose de la fonction, la demande d’audience, puis en presque fin de règne, les conversations avec Serisé, et l’espérance d’un dossier au moins à traiter. Mais il me fait voir les avantages de cette course lente ; il est possible que plus tard ce soit un énorme avantage que d’avoir soutenu Mitterrand dans sa campagne, son renversement de Giscard, ses débuts, mais de ne pas avoir participé concrètement à son pouvoir. Rentrant dans mes jardins, mes livres à écrire, mes recueils d’articles à confectionner, c’est sans doute un parcours de vieillard ou de sage, une longue patence qui est peut-être l’équilibre de mon caractère trop précipité, mais je n’ai pas le choix. Il me faut accepter ma vie.

Une autre hypothèque se lève : Pontarlier. Comme par inspiration, j’ai dicté un long communiqué, jeudi 14, demandant l’appui de la gauche sinon je n’aurai plus qu’à partir. Golder au téléphone me dit que je ne me ferai de toutes façons pas accepter par les « locaux ». Les chiffres disent de surcroît que même avec l’appui de toutes les gauches et oppositions, je ne pourrai battre la droite que si elle est désunie : Giscard a fait 58% au second tour dans la circonscription, et Edgar et Tourrain [16] seront là. Le lendemain, vendredi, j’ai successivement Christine Guiraud – médecin – son mario Joël, directeur du musée municipal, et Malfroy, professeur au lycée et ennemi juré de Blondeau, le maire. Il en ressort que Marmier auquel je pense comme suppléant de gauche (il était 3ème de liste aux sénatoriales) est mal vu et trop nanti, que les choses dépendent des instances locales du PS très démultipliées dans leurs décisions, que ma participation au jeu est vue amicalement, qu’aucune décision n’est encore prise (et pour cause, le PS n’a pas davantage de candidat de poids que cet automne) et que les municipales et le départ de Blondeau importent plus sur place au PS que les législatives considérées comme perdues d’avance. Blondeau – que je n’ai pas encore « contacté » et qui m’a finalement mené en bateau cet automne – n’a été que partiellement blanchi en Février : condamnation à somme symbolique mais pas d’inscription au casier judiciaire, donc éligible. En fait, c’est un télégramme de mon ami Vuillaume [17], suivant de vingt-quatre heures mon communiqué, qui m’avait conforté dans ce dernier « round » ; mais, comme moi, il est pessimiste sur la « sagesse » du Haut Doubs.

Jobert, à qui je téléphone vendredi, n’est pas à son bureau : il travaille chez lui. Bon signe, au moins pour lui. Le rappeler aujourd’hui ? je ne peux pas m’abaisser à demander et attendre. De même, je fais enfin ma note à FM aujourd’hui – la date de son entrée en fonctions repoussée, me donne le loisir d’être encore lu rue de Bièvre – que j’assoris de réflexions sur l’organigramme du Gouvernement et suivant un déjeuner que je dois avoir avec des banquiers ce midi, d’une note sur les réactions financières allemandes au changement de Président. J’y ajouterai une courte lettre qui, par le biais de Pontarlier, réitèrera une ultime fois mon souhait de quelque chose à l’Elysée – puis il ne me faudra plus penser qu’aux vacances, au rangement de mes papiers, à cette idée d’une grosse histoire de la Vème République [18] et à la rédaction de ma lettre n° 3. Sur ce dernier point, le courrier – à défaut de chèques, dont la rareté condamne à court terme mon expérience – est intéressant et typique de notre France : cela vaudrait une publication de mes lettres commentées par ce courrier de lecteurs [19]en forme d’un livre au bout d’un an ou deux d’existence. Mais sauf imprévu financier, je n’aurai pas les moyens de continuer.

Vendredi soir, très au creux de la vague, au ciné-club de la vieille ville [20], Le schpountz  de Pagnol avant-guerre avec Fernandel et Raimu : exactement ma situation. Fernandel sèche d’envie de faire du cinéma et croit à son talent. Victime d’une plaisanterie qui dure, il finit par triompher mais involontairement, et dans des rôles qu’il n’acceptera qu’à la fin d’assumer. Raimu ressemble à Defferre, et le metteur en scène joué dans le film, par Astruc, a le nez et le front de Chirac… Un second film de rené Clair avec Maurice Chevalier et François Périer jeune : l’art de séduire une femme, les quelques mots de passe que Chevalier apprend à Périer, lequel lui souffle ainsi sa conquête. Cinéma noir et blanc de ces années, qui sont presque la vie pour ma génération et de l’histoire lointaine pour les vingt ans d’aujourd’hui.


Munich, le mardi 19 Mai 1981



Courrier à surprise hier après-midi. Lettre et chèque de Pierre Mendès France, frappé de la première phrase de mon livre qu’il lira à tête reposée. Accusé de réception du Comte de Paris. Pierre Plancher, directeur de La Lettre de Michel Jobert, se fait l’écho d’interrogations de lecteurs de cette Lettre et de la mienne, s’interrogeant bien entendu sur l’adresse, mais aussi sur la négociation dont j’aurai bénéficié du fichier de La Lettre, demandant aussi s’il s’agit d’une dissidence du Mouvement des Démocrates ; il me réclame une mise au point ; lui répondant ce matin, e le charge de la faire lui-même en utilisant ce que je lui écris. Lettre aussi de Blondeau, le maire de Pontarlier, chaleureux, mais que ni hier ni ce matin je ne parviens à avoir au téléphone.

Tandis que je termine une note de 14 pages sur la situation politique intérieure, suivie de deux courtes notes sur l’organigramme gouvernemental et sur les réactions bancaires allemandes après le 10 Mai, le tout à l’attention de FM, rue de Bièvre, lui réitérant une dernière fois mon désir de travailler directement auprès de lui – Chevènement m’appelle de Paris. Il n’a pas encore reçu ma lettre sur Pontarlier, me coupe là-dessus en me rappelant qu’il m’avait déconseillé de me présenter dans les conditions où je l’ai fait en Octobre dernier, et que mlon score qu’il ne qualifie pas, m’empêche tout avenir désormais dans le Haut Doubs : c’eût été possible cette fois-ci, si je n’avais pas tenté le coup la dernière… Par contre, lui et Charzat, également du secrétariat national, me verraient bien défier Foyer à Angers. Il me coupe à nouveau quand je lui demande lui-même où il en est et quand je commence une phrase sur mes préférences parisiennes qu’il croit seulement électorales ; des visiteurs entrent chez lui, il me passee Charzat, qui me confirme l’offre à condition que lui et JPC convainquent Poperen. Je réponds que je connais Foyer depuis dix ans, qu’il est incontestablement l’un des « gaullistes » les plus réactionnaires et qu’en ce sens, je devrais faire une campagne subtile et non personnelle, puisque nous avons fait des choses ensemble, notamment à propos du quinquennat de Georges Pompidou. Je téléphone alors à Michel Jobert pour lui demander conseil : « c’est enbêtant en soi que vous quittiez pontarlier, mais si les chiffres sont bons… voyez les chiffres et ce qu’ils vous apportent comme soutien… sinon, s’il ne s’agit que d’embêter Foyer, cela ne vaut pas de quitter Pontarlier ». Il serait malséant que je lui demande au téléphone s’il espère, ou si on lui a promis, un portefeuille ; il n’a pas encore lu ma lettre qu’il regardera à tête reposée. Autour de lui, c’est l’agitation et la cour de 1974 que sept ans de désert doivent lui faire regarder avec philosophie. Le soir, à Balduweg, tandis que la radio annonce le programme du jeudi 21 et que Jack Lang commente la symbolique du bain de foule au sortir du Panthéon et des pensées pour Jaurès et Rousseau, et qu’en surplus il est indiqué que les gaullistes de gauche s’organisent dans la nouvelle majorité présidentielle… je regarde les chiffres du Maine-et-Loire : VGE y avait en 1974 63,2% et le 10 Mai encore 57,6% des voix ; à Angers, il n’est tombé que de 56,9% à 52,9% ; quant à Foyer réélu au premier tour en 1978 avec 37.000 voix contre 16.000 au PS, 8.500 au PC et 3.500 à un « jobertiste » ( !), il a été à peine plus inquiété en 1973 : 26.000 voix au second tour contre 14.900 au PS et 8.200 à un centriste. On se f… donc de moi en m’envoyant en Anjou, même si la région est très belle.

Giscard fait ses adieux ( ?) ce soir à 20 heures. Il dépend en grande partie de lui que son départ soit convenable et que son avenir ait encore une (très minime) chance : il faudrait un grand silence, de très rares gestes très significatifs, des Mémoires bien brossés, et l’impuissance de ses deux anciens Premiers Ministres : toutes choses peu probables à réunir. Le féal Express en crise avec le renvoi de Todd, donne la température et la perplexité du cernier « carré » : ceux d’abord qui crachaient sur de Gaulle vers la fin et s’imagine que VGE en est un autre. Ainsi Raymond Aron : « Il reste à Mitterrand à démentir les étrangers qui se réjouissent déjà de l’affaiblissement de la France », et du même tonneau : « souhaitons que l’expérience parvienne à enseigner au Président quelques vérités économiques primaires dont vingt années d’opposition n’ont pas réussi à le convaincre » – Par contre, Revel implacable : « Giscard a réussi à perdre une partie imperdable… la stupéfiante absence de préparation de sa campagne… pourquoi, en tant que candidat futur de la majorité, avoir fait passer le combat contre Chirac avant le combat contre l’opposiotion ? … maladie la plus fréquente chez ceux qui exercent le pouvoir : la perte du contact avec la réalité » (que de Gaulle n’avait pas, puisque tout son effort du second mandat est de reprendre un contact qu’il sait lui échapper, intuition qui ne l’abandonne même et surtout pas après le 30 Mai). En fait, et tout simplement, à force de « jouer au roi », VGE a cru l’être et a, par conséquent, oublié qu’une élection est toujours une épreuve.

Les affiches : « La force tranquille », qui faisaient ricaner sur Mitterrand dans les beaux quartiers, sont la vérité. Ici, d’un déjeuner avec mes banquiers de la Sogenal, il résulte que la panique n’a été que de quarante-huit heures après le 10 Mai, qu’elle n’a affecté que les fortunes privées se couvrant à terme, ou retardé que de quelques jours les virements et opérations hebdomadaires des entreprises ayant un pied de chaque côté du Rhin. Les évasions n’auraient pas dépassé 4 milliards et le soutien au franc de la part de la Bundesbank 51 milliards. Les nationalisations ne sont pas censées changer grand-chose, et la situation en Allemagne est aussi mauvaise qu’en France au plan économique, et pire au plan politique. C’est ce que relève Le Nouvel Economiste en sommaire de son numéro du 18 Mai : « tranquille, le président Mitterrand entend désormais jouer à son rythme. Avec une donne totalement inespérée il y a moins d’un mois. Les syndicats rivalisent de modération, le patronat de prudence, les communistes de complaisance et la majorité d’hier de querelles ». En ce sens, l’idée d’un « troisième tour » est la meilleure façon qu’il n’y en ait pas. Jusques-là, la discipline de gauche en politique et en syndicat sera parfaite et le patronat prudent. Ensuite, la plage sera de cinq ans. Bien joué… La Vème République sort déjà gagnante : chaque règne a d’emblée et chaque fois, et pour qui que ce soit, tous les moyens d’en être un.

A Baudouin D. de Paribas, venu de Madrid pour une assemblée de sa banque et me demandant si je vais à la soupe (sous-entendu comme MJ), je réponds que l’invitation ne m’en est pas faite, et que désormais il faut vivre tranquillement avec d’autres données : le RPR n’a plus aucune référence gaulliste, la Vème République en institutions et en programme économique et social, est du côté de Mitterrand. Quant à la politique étrangère, on verra. Dans sa maison, les « grosses têtes » tremblent pour elles-mêmes : la nationalisation, escomptée progressive, se traduira cependant et immédiatement par le changement des hommes-clé.

Le Journal Officiel est comique, qui continue imperturbablement de publier des décrets signés après le 10 Mai par VGE et Barre démissionnaire : l’organisation du secret de la défense nationale, de la sécurité nucléaire, et bien entendu des promotions à tour de bras dans les ordres nationaux. Jean-Paul Anglès [21], déjà promu commandeur du Mérite le 7 Mai, est nommé le 12 inspecteur général des Affaires étrangères, quittant donc Lisbonne pour son cher et salonnard Paris.






 
Munich, le mercredi 20 Mai 1981



Je pensais pouvoir jeter quelques poignées de terre compatissantes à l’homme tombé, abandonné de ses flatteurs et n’ayant plus qu’une longue retraite à occuper. Le discours radiotélévisé de Giscard d’hier soir ne peut malheureusement encore inspirer ces sentiments. Les pré-commentaires de 19 heures donnaient le souvenir encore si dominant il y a quinze jours de la manipulation audiovisuelle de l’opinion : on fit d’abord accroire que c’était la première fois que le Chef de l’Etat prenait la parole depuis le 10 Mai, façon donc d’effacer le communiqué rageur du lundi 11, rageur et incompréhensible. A 20 heures – il est vrai que je n’ai que la radio que le beau temps brouille – la voix est crachotante et vieille. L’homme du passé, qui est-ce donc ? Mitterrand, de dix ans l’aîné de Giscard, semble plus jeune. Les thèmes de sept ans sont toujours là : le pouvoir restitué  intact, une nation forte et paisible, toutes les élections ont eu lieu à la date normale, la prospérité que je voulais lui donner. Nous restons dans la démocratie octroyée et formelle. Vient alors la peinture qui a été faite par d’autres, car c’est d’image non de vérité qu’il s’agit maintenant : le terme de grandes espérances, oublier les blessures du combat politisque, les grands idéaux, les principes et les idées qui ont guidé ma vie. Et celui qui invoquait Notre-Dame la France, conclut par un manichéisme de patronage : la Providence et le mal qui rode et frappe. L’avenir est flou : pas d’éventualité précise. Un au-revoir, à la disposition, pour moi, je resterai attentif à ce qui concerne l’intérêt de la France. Je pense à Pétain et à de Gaulle, à l’atavisme et à l’obsession, à l’impossibilité d’être grand quand les temps sont banaux, à moins de l’être par soi-même. Transgressant la discipline que j’ai décidée de ne rien adresser au Monde sauf réponse positive à mes conditions – parution toutes les trois semaines, lettre d’explication en cas de refus – j’ai dicté un commentaire au Monde, mais davantage pour fermer un cycle, au moins vis-à-vis de moi-même et de Giscard, que pour en ouvrir un autre. Ayant l’un de mes frères au téléphone quelques instants plus tard, j’apprends le détail télévisuel : le drapeau aux armes, la chaise vide longuement filmée sur chant de la Marseillaise. Incorrigible carton-pâte.

Blondeau que j’ai enfin au téléphone pense que le siège est plus à prendre que ne le croit la section PS qu’il continue d’exécrer, autant qu’elle l’exècre. Vuillaume serait en baisse, Pochard [22] de nouveau en piste, un aide-de-camp d’Edgar aurait approché mon maire de Po,ntarlier en laissant entende que des primaires étaient envisageables, et que, lui, Blondeau, y aurait sa place. Lui, cependant, n’accepterait guère que ma candidature avec investiture socialiste comm seul cas de figure où il ne se présenterait pas. En tout cas pour lui, le poste de député ne le tente toujours pas, en tout cas pour le moment. Il me confirme l’analyse qu’a répandue Chevènement que mon score de novembre n’était pas une base de départ. Il a reçu la visite de Michel Rey, qui serait l’arbitre au sein du PS des situations telles que la sienne, et ne me souffle mot du jugement de Février, tout en continuant de dauber la section PS qui n’a pas même pris contact avec le PC, ce qui est élémentaire. Je retéléphone au PS où je n’ai qu’un Michel Bordeloue, adjoint de Charzat, 25 ans et content où il est, qui prend note de mon refus d’Angers et de ma demande de ré-examen de Pontarlier.

C’est dans ce contexte si précis et éloquent que je lis les communiqués sur les pourparlers des « gaullistes de gauche » avec le PS, et sur la constitution d’une énième composante à gauche… Dans Le Monde que je reçois aujourd’hui, paru le 18, quelques noms de ministres probables : Mauroy comme Premier Ministre, Defferre à l’Intérieur, Delors à l’Economie et Cheysson aux Affaires étrangères. Comme je l’ai toujours conjecturé, rien pour Jobert qui n’aura été reçu que comme le sage de la République qu’il est devenu. Tout cela est une indication : Mitterrand forme lui-même le gouvernement et s’entoure, au moins dans une première étape, de sa stricte famille de combat et d’esprit. On verra sans doute pour les communistes après les législatives, qu’il s’agit de gagner sans eux ou même contre eux, pour mordre le plus possible à droite, quitte ensuite en position de force à les admettre au gouvernement. Quant aux gaullistes de gauche et autres « démocrates », il est clair que jamais leur poids ne se pèsera dans les urnes : ou Mitterrand a sur eux un regard qu’avait le général de Gaulle, c’est-à-dire une utilité comme témoignage, comme force spirituelle au regard de l’Histoire et alors les places sont importantes mais, politiquement et électoralement, gratuites, ou bien le regard est instantané et calculateur, et rien pour eux que des paroles aimables dans des discours et des strapontins de figurants d’avance battus dans les joutes électorales. De poids dans les conseils ou au Parlement, rien. Je penche pour cette seconde analyse, car l’idée d’un moyen terme où cette fraction, dont je suis d’une certaine manière – fraction innommée et imbaptisable – serait prise dans un train voulant changer d’allure et d’attelage, me paraît assez irréaliste. Qui ne participe pas à l’entreprise en vient vite à la juger, et qui juge en toute indépendance ne sera pas forcément inconditionnellement flatteur, donc déplaira, donc… Mitterrand, transition vers la résurrection de l’élan coupé en 1969, mais qui dépendait plus d’un homme que d’une ardeur répandue ?ou Mitterrand, récupération habile par la gauche d’une Histoire qui se faisait sans elle à la suite de 1936, une gauche qui n’a de chances durables en France que par des moyens qui ne sont pas les siens propres : un homme venu du centre patriote et des institutions presque monarchiques. Déception par rapport aux mois derniers ? Non, car d’une part je ne croyais pas à la victoire de FM, et que d’autre part je pensais les choses autrement et en termes de naissance d’un certain rassemblement, non des notables mais du tout-venant qui est l’âme de tout renouveau. Mais déception par rapport aux derniers jours – au déjeuner de Jobert et à cette impression d’avoir à quelques-uns changé la majorité, sinon le cours de l’Histoire. Le Point donne ce début de semaine, 36% au PS, 20,5% à l’UDF, 18,5% au RPR et 13 % au PC pour les prochaines législatives. La dynamique du parti du Président ne m’étonne pas, le maintien de l’UDF : oui. Mon adjoint qui devient mon porteur d’eau comme celui de Thiers aux présidentielles de 1848 a ces commentaires : on a voté pour Mitterrand bien qu’on prévoit une mauvaise gestion, mais pour changer ! par contre, VGE garde sa position de recours… contre Chirac ! qui fait peur.

En Allemagne, la crise s’accélère – tout y est, le conf ;lit sur le stationnement des fusées Pershing et la question de confiance posée par Schmidt, dimanche.

Pierre Mauroy, le favori ces temps-ci pour Matignon, et l’homme du présent comme de l’avenir – l’autre jour, mon dernier soir à Paris, seul dans un manteau bleu, marchant du boulevard saint-Germain vers l’esplanade des invalides que je croise en voiture place du Palais-Bourbon. Un instant, l’idée de l’accoster. Frappé par la simplicité du pouvoir chez nous quand il n’est encore que potentiel… La République n’accorde encens et chauffeurs que le décret de nomination publié.


Baldusweg, le jeudi 21 mai 1981





9 h 30 . Commentaires au rythme d’un match de foot-ball. FM vient de serrer la main de VGE ; ils sont ensemble pour se transmettre le code nucléaire. J’ai donné congé à mon bureau comme cadeau de joyeux avènement, et suis aujourd’hui à prendre la radio à vérifier les adresses de ma lettre périodique que je ne rédigerai qu’une fois connue la composition du Gouvernement.
Hier, film muet de trois heures anglais : deux orphelins dans la tourmente, dans un style sous-Eisenstein. C’est la fersque des années 1875-1795. J’ai été pris de mauvais pressentiments. Pêle-même des analyses générales et personelles. Et le peuple dans toute cette victoire de FM ? Encadré par les syndicats, par le PC, par tant de consignes de prudence, il est serein, passif ? attentif ? Qu’est-ce que cela change pour les non-gavés ? Et puis ce que j’ai vu personnellement de la procédure des investitures électorales, ressemble à la même exclusive contre les « marginaux » pour l’élection présidentielle : c’est un système de professionnels, et de classe. Cest-à-dire que, pour le moment, le peuple reste en dehors du coup. Par peuple, je n’ai jamais entendu un torrent révolutionnaire, mais la participation de tous. Toute la différence entre l’émeute et le civisme, les haines individuelles fondues en lâcheté collective et l’émotion enthousiaste.
Ne pouvant prendre ici la télévision, je regrette de ne pas voir les « trombines », tous les chanceliers Pasquier de tous les temps, de tous ceux qui se recaseront de toutes façons. C’est toujours l’heure des professionnels : on s’arrache les micros, Stasi, Chinaud. Il y a les émus, les proches : Defferre, Joxe – pour eux, les souvenirs sont ceux de la longue marche, donc déjà du combat de 1965. Il y a au fond quelque justice à ce que je ne profite que du soleil et du ciel dans ce nouveau septennat, car au fond je n’ai pas été de la longue marche, sauf ces derniers mois, et puis ma famille d’esprit innommé n’est qu’à peine plus dans la nouvelle majorité que dans l’ancienne. Toute ma conviction pour FM repose et sur l’homme et sur la logique de la Vème République, maintenant que la tactqiue s’est évanouie avec la défaite de VGE.
Hier soir aussi, Bernard Pons à France Inter m’a cependant confirmé que le RPR ne pourrait plus être ma famille ; ce ne l’était déjà guère puisque ce rassemblement n’est pas « gaulliste » et qu’il est aussi professionnel et encore plus personnalisé que les autres formations ; il pouvait l’être par stratégie contre VGE. Ce n’est plus le cas, Pons s’est acharné à démontrer qu’entre « giscardiens » et RPR, il n’y avait eu de divergences que sur le « style » du Gouvernement Barre et de la président de la République. Que de fond, il n’y avait pas de divergences sérieuses, et que les votes au Parlement l’avaient constamment montré. Je vais donc l’écrire à Jacques Chirac, tout en lui montrant la faille de FM d’un point de vue « gaullien » : la politique extérieure, et en manifestant mon souhait de maintenir des relations personnelles. Aussi répondre à Andrieu : dans ces foules du cinéma muet hier soir, on ne pouvait pas ne pas penser au PC.
Série d’âneries et d’ignorances sur l’histoire et la Constitution de la Vème République au micro…

10 h 15 – VGE quitte à pied comme il y était arrivé il y a sept ans, l’Elysée : Riton lui servira de chauffeur jusqu’à la rue de Bénouville. La prolamation se fait donc dans la solitude du nouveau Président de la République, seul héros désormais. Solitude, et aussi la litanie des intimes et familiers qu’égrènent les journalistes. Pour celui qui écoute, les choses sont plus monarchiques que populaires – mais le Panthéon et le Quartier Latin nous sont promis. Qui aura digéré l’autre : la gauche populaire ou la Vème République gaullienne ? La réponse est pour le moment impénétrable : elle tient au secret d’une des personnalités les plus complexes de notre histoire, celle de François Mitterrand qui entre – 10 h 35 au son de la musique un peu grêle de Delalande.
Roger Frey, la voix vieille, mais le texte sobre et beau. Un général à l’orthographe inconnue remet les insignes : VGE aura donc fondé au moins le complet veston ppur l’inauguration des des septennats. Les journalistes ont des voix de prêtres à la consécration …
Maintenant, François Mitterrand : façonner l’histoire de la France sans y avoir accès… la majorité des Français vient de s’identifier à sa majorité sociale… C’est convaincre qui m’importe… il n’y a qu’un vainqueur, le 10 Mai : c’est l’espoir… le chemin du pluralisme. Les vingt-et-un coups de canon. Naguère, grave et large, solitaire dans son habit, le geste timide devant le détachement militaire, Georges Pompidou : on aurait cru le glas. Celui du Général, et le sien propre. Aujourd’hui ?

Au lit, collant les photos que j’ai prises à la Glyptothèque de Munich, radio et cassettes à main droite, carnet de notes itou, et à main gauche la TV allemande qui, sous e titre générique «  le sphinx de la gauche » consacre une grande heure à la carrière de FM, insistant sur le côté élu local et vieux militant de gauche. Les cafés, les bérets, les meetings, la rose au poing, toutes les batailles depuis 1965 : l’ensemble est sympathique et bien fait.
A la suite, retransmission du discours de VGE, le 19 : plus émouvant à voir   


Baldusweg, au petit matin 23 mai 1981



Après une nuit sans conseil, ni rêve, je me lève : de la cendre dans la bouche. L’affaire de Pontarlier où j’ai perdu tant d’espoir, de temps et d’argent, trahi semble-t-il de bout en bout par Chevènement. La médiocrité de ces premiers actes du septennat. La convergence des deux évolutions : la République continue, la pire, celle des partis. Quant au métier de directeur de cabinet, il est celui d’un larbin qui « garde » la maison en l’absence du patron et qu’on court-circuite. Quant à une candidature ailleurs, le ton rue de Solférino est celui pour recevoir ou éconduire les mendiants. Je ne suis ni un larbin ni un mendiant, et le gâteau sent déjà le rance.



[1] - notamment à un repas familial autour d’un de mes neveux premier communiant, j’essaie la facétie suivante. De Munich, alors proche du « rideau de fer », j’entends dire que sitôt l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, les chars soviétiques seront à la frontière et circuleront dès lundi autour de l’Arc de Triomphe. On me répondit : tu crois ? Une de mes tantes téléphona le lundi matin à ma mère : « ils vont me prendre Saint-Cast », résidence secondaire au bord de la Manche. Le père d’une de mes amies, alors intime, était convaincu que les retraites complémentaires seraient sucrées. Enfin, Claude Fauvet, l’épouse du directeur du journal Le Monde, se faisait prendre à partie chez ses commerçants de l’avenue Mozart à Paris. Le silence de mort dans les beaux quartiers quand je sortis du cinéma, aurait dû tout me dire…

[2] - elle est adressée à Val’ry Giscard d’Estaing, écho appuyé à la prononciation : François Mit’ran de Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur, proclamant au soir de chacun des deux tours, les résultats du scrutin, prononciation identifiant tous ceux qui n’ont pas aimé l’opposant et n’aimeront pas le président, ne l’admettront pas. Il y avait et il y a encore ceux qui prononcent de Gol – comme rigole – et ceux qui écrivent le général De Gaulle et voudraient même y mettre le trait d’union néerlandais ou flamand

[3] - militants du Mouvement des démocrates, voir note 5

[4] - ambassadeur de France, collaborateur de Maurice Couve de Murville dans l’ambassade de celui-ci au Caire, puis directeur de son cabinet quand il devient ministre des Affaires étrangères du général de Gaulle

[5] - directeur du cabinet de Georges Pompidou, Premier ministre, en 1967-1968, secrétaire général de la présidence de la République de 1969 à 1973 puis ministre des Affaires étrangères, s’illustrant par sa dialectique face à Henry Kissinger, secrétaire d’Etat de Richard Nixon : 1973-1974. Il fonde le Mouvement des démocrates, puis est ministre d’Etat, ministre du Commerce extérieur à la formation du gouvernement Mauroy, ce qu’il ne sait pas encore le 11 Mai 1981.

[6] - j’y ai été candidat indépendant à la succession d’Egar Faure à l’Assemblée nationale, au début de Novembre 1980 : campagne de six mois dans un pays que je ne connaissais pas et qui est devenu mien pour une dizaine d’années passionnantes, mais, politiquement, infructueuses, quoique l’investiture socialiste en 1988 ne m’ait manqué que de très peu

[7] - mensuel inspiré par l’Association nationale d’action pour la fidélité au général de Gaulle, que préside de fondation Pierre Lefranc, pionnier en Novembre 1940 de la résistance étudiante défilant devant l’Arc de Triomphe derrière « deux gaules », puis chef de cabinet du Général pendant la traversée du désert et au début de la Cinquième République. – Premier numéro en Octobre-Novembre 1973, paraissant spécialement contre le projet de Georges Pompidou de réduire de sept ans à cinq ans la durée du mandat présidentiel. Y participent Sonia Eloy, Christian Fouchet, André Frossard, Frédéric Grendel, Léon Noël, Louis Vallon, Jacques Vendroux et moi. Il y aura bien vite Philippe de Saint-Robert, Jean Charbonnel, Patrice Gélinet, et beaucoup d’autres signatures notoires régulièrement ou occasionnellement… Olivier Germain-Thomas est notre rédacteur en chef. Nous irons jusqu’au numéro 79-80 daté de Mai-Juin 1982

[8] - soutenir François Mitterrand et donc lui donner une majorité à l’Assemblée nationale

[9] - je suis conseiller commercial près le Consulat général de France à Munich depuis Février 1979

[10] - je me trouvais à Zouérate, invité par Doudou Fall, gouverneur délégué, à la réception pour la veille de l’anniversaire de l’Indépendance – stage de l’Ecole Nationale d’Administration que j’effectuais pendant deux mois chez Miferma (la société des Mines de Fer de Mauritanie). C’était pour moi le premier retour dans ce pays où, de Février 1965 à Avril 1966, j’avais effectué mon service comme professeur au Centre de formation administrative à Nouakchott, érigé ensuite en Ecole Nationale d’Administration

[11] - Moktar Ould Daddah, président fondateur de la République Islamique de Mauritanie, a passé la Saint-Sylvestre, avec sa femme Mariem, à Latché, reçus par les Mitterrand

[12] - j’ai été candidat à l’élection législative partielle, en Novembre 1980, qu’avait ouverte l’élection d’Edgar Faure au Sénat. Ma campagne, déclarée le 18 Juin 1980, était d’abord fondée sur l’espérance que soit le PS soit le RPR me soutiendrait, l’autre parti reste neutre bienveillant, face au candidat giscardien : mes amitiés avec Pierre Messmer et Jean-Pierre Chevènement, dont les circonscriptions de Sarrebourg et de Belfort ne sont pas si éloignées, m’ont fait croire à cette configuration, leur accueil à chacun aussi. Puis, j’ai voulu tenir parole : me présenter que j’ai des soutiens ou pas, démontrer la possibilité de l’indépendance en politique et récusant même l’étiquette du Mouvement des démocrates, de Michel Jobert, dont je passe pourtant pour l’une des illustrations. Résultat : 2,47% mais la gauche quoique mieux votée n’est pas non plus présente au second tour qui se joue entre deux conseillers généraux rivaux. Je persisterai, serai au conseil municipal en 1983 mais dans l’opposition, et en 1988 manquerait de peu – au PS local – le vote de l’assemblée de circonscription. En 1989, je tente une ultime fois d’obtenir l’appui de la rue de Solférino (Lionel Jospin me reçoit, Premier secrétaire) et jette l’éponge, la fidélité à ses limites, mais le pays – le Jura, le Haut-Doubs – et certains de ses natifs, dont l’exceptionnel Pierre Bichet, peintre de l’abrupt en lumière et en psychologie, m’a profondément plu : je continue de l’aimer.

[13] - de la tête rédactionnelle de l’Est Républicain à Besançon, Serge Golder m’a pris en amitié. J’avais été recommandé au journal le plus lu à Pontarlier, par Jacques Fauvet qui avait commencé, avant la guerre,sa carrière de journaliste dans ce quotidien, dont il resta le correspondant parlementaire jusqu’en 1963

[14] - le dispositif du commerce extérieur – la Direction des relations économiques extérieures, sise alors au 41 quai Branly, où sera installé le musée voulu par Jacques Chirac – est très étoffé en République fédérale d’Allemagne : à Bonn (l’ambassade), un ministre plénipotentiaire, chef des services d’expansion économique, et un conseiller commercial près le consul général à Hambourg, à Francfort, à Stuttgart et à Munich (je suis celui-là). A Cologne, le poste compte des dizaines d’agents très spécialisés sur lesquels rabattent ceux des autres Länder, car il est rare qu’une prospection de nos ressortissants se limite à un seul territoire, mais chacune est en revanche mono-disciplinaire. André Garcia dirige Cologne et notre chef à tous est le très fin Henri Chazel, qui m’a pris en affection. Périodiquement, le long du Rhin, nous faisons la revue d’Allemagne sinon de la planète, à titre personnel et non professionnel. Ce qui me passionne. Débutant au Danemark à la fin des années 40, il avait été le visiteur en prison de Céline.

[15] - Jean-Edern Hallier, un temps éditeur, a publié mon essai de réplique à Démocratie française de Valéry Giscard d’Estaing, à l’automne de 1976 : Dernière prière à M. Valéry Giscard d’Estaing, encore président de la République. Très jolie brune au teint mat, Sylvie Bouscasse, l’attachée de presse, au moment du « lancement », était la future femme – vite abandonnée – de Bernard-Henri Lévy. J’ai rencontré ce dernier dans ma recherche alors d’un éditeur, manquant Ramsay qui commençait, tous au Twickenham, rue de la Chaise, et ne gagnant – mais c’est inestimable – qu’un déjeuner avec Françoise Verny : celle-ci, sans jamais me publier, m’honorera de son amitié et d’une véritable chaleur de relations jusqu’à sa fin

[16] - l’ancien président du Conseil à deux reprises sous la IVème République, puis ministre du général de Gaulle, de Georges Pompidou, et enfin président de l’Assemblée nationale, a été le plus souvent appelé par son prénom – courtier d’assurances (comme Charles Pasqua ou Xavier Bertrand), le second est le zélateur de Jacques Chirac dans tout le Doubs, et a vêcu alors dans la certitude que son champion l’emporterait au premier tour sur Giscard d’Estaing, puis au second sur Mitterrand.

[17] - Romain Vuillaume, que j’ai connu à son dernier poste de consul général à Lisbonne, tandis que j’étais (Septembre 1975 à Février 1979) adjoint du conseiller commercial près notre ambassade – le cycle passionnant de la « révolution des oeillets » – et qui est devenu un ami cher : excentrique, très drôle, éminemment cultivé, bonne plume, ne doit pas être confondu avec celui qui recueillit, par concours de circonstances la succession d’Edgar Faure au Palais-Bourbon : Roland Vuillaume, chauffagiste de son état professionnel comme son adversaire André Cuinet. Il obtint sans aucune conviction politique, notamment gaulliste, l’investiture du RPR en 1980 tout en gardant l’affichage, plaisant localement, d’un indépendant. Il conquit la mairie du chef-lieu Pontarlier en 1983 et garda le siège jusqu’à passer la main en 2002, sans que le RPR soit battu

[18] - j’ai toujours ce projet, mais avant de m’y atteler, je dois boucler l’édition commentée de mon journal du départ du général de Gaulle, puis quelque chose sur l’Abbé Pierre dans le bourbier de « l’affaire Garaudy » et surtout la biographie de Maurice Couve de Murville, entreprise du vivant, il y a dix ans, de l’ancien ministre et Premier ministre du général de Gaulle…

[19] - internet n’existe pas encore

[20] - le Stadt-kino très francophile et francophone de programmes et de publics

[21] - il avait été « mon » ambassadeur au Portugal, après Bernard Durand et il me faisait confiance pour des dépêches économiques, parfois même politiques quand il se trouva que j’étais presque intime d’un Premier ministre imprévisiblement nommé, Luis Nobre Costa. J’étais un peu amoureux de sa fille, Vera, qui finit par épouser un journaliste grec, et sa femme m’aurait apprécié comme gendre. Jean-Paul Anglès, très « carrière » et très anti-gaulliste, fils d’un député collaborateur de Paul Reynaud, gentil en privé, peureux en public et par écrit. A l’avènement de Valéry Giscard d’Estaing, il était le chef du protocole. Sa femme, Eugénie, d’origine américaine (Chicago), est inoubliable de charme mais aussi d’une certaine excentricité, douce : l’animation au palais Abrantes, c’était elle

[22] - Marcel Pochard, au cabinet de Jacques Barrot, secrétaire d’Etat au Logement, a souhaité candidater à l’automne de 1980 , déjà. Casé directeur des services de la région Franche-Comté, que préside Edgar Faure, je l’ai retrouvé directeur général de la Fonction publique à mon retour du Kazakhstan en 1995. Nommé au Conseil d’Etat ensuite, il est l’auteur maintenant de rapports officiels

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