lundi 16 juillet 2012

lettre à un ministre français des Affaires étrangères entrant en fonction - vg. Dominique de Villepin . 4 Août 2002 . mais valant pour chacun de ses successeurs aussi

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Lisant l’entretien que vous avez accordé au Monde, je retiens trois éléments qui sont de l’ordre de l’esprit et vont donc structurer votre démarche et celle de tous ceux dont vous voulez l’entourement, le soutien et le travail avec vous.

la cohabitation, une seule voix… mais à présent une seule volonté. La capacité d’initiative, de synergie, d’impulsion s’en trouve renforcée. On a gelé le legs gaullien en le dogmatisant en quelques formules, moins brillantes et moins suggestives que celles du Général, et en feignant de croire à un consensus. On a rendu le tout émollient et inoffensif. Depuis es années, nous n’avons plus de pointe, pas tant dans l’action qui dans le domaine dont vous avez la charge est fille d’une évaluation des circonstances et des enjeux, d‘un dessein (correspondant autant à l’éthique dont je suis heureux que vous la mentionniez si explicitement, qu’à l’intérêt du pays au sens le plus large et qu’aux perspectives), mais dans la pensée et la conceptualisation. Qui ose réfléchir, donc écrire et formaliser pour le Ministre et pour le Président ce qui serait le plus naturel mais sort des jurisprudences et des préalables à concerter ? On s’empêche de penser naturel et simple, on s’empêche de voir et du coup tout paraît compliqué et impossible.
Une imagination, fondée sur une documentation, une réflexion, des consultations en beaucoup de sens, peut parce qu’elle serait transversale relativement aux habitudes de tous, dans notre opinion nationale comme chez les dirigeants de nos principaux partenaires, désarmer des préventions et faire sauter des tabous. Les grandes avancées depuis 1945 se sont faites par des raccourcis inimaginables et pourtant osés : Mai 1950, le traité franco-allemand, la chute du mur, le processus d’Oslo, ceux qui changèrent l’URSS ou l’Afrique du sud.
L’invraisemblable est ce qu’il y a de plus sûr, rapporte Joachim Fest d’Hitler en 1920 ou 1921. Novembre 1989 ou l’abdication soviétique, ou Le Pen au second tour, qui l’aurait prévu, l’avait prévu. Tout se désarme quand arrive l’extraordinaire. Il me semble que le prophétisme et le bon sens, le hic et nunc, le principe de réalité qui n’est pas la description convenue de l’existant mais l’existant lui-même engendrent les faits qui auront raison des faits.
Nous sommes en situation de libre imagination sur la plupart des grands sujets – que ce soit des points bloquants (vous les énumérez et en faites craindre l’explosivité, si on ne les traite vite et bien) ou des vœux proches d’être universels (la démocratie mondiale, la bonne gestion de la planète). Nous avons assez de poids pour que ce que nous proposerons comme nouveaux chemins de compréhension et de solution soit entendu et considéré, et nous ne sommes plus « mastodonte » au point qu’on fasse craindre de nous donner raison. Cette renaissance de la France à l’intelligence et à l’expression, à la vue à long terme mais qui ne soit pas bénigne ni éthérée, peut certainement contribuer à rendre à nos compatriotes un sens plus vif de leur identité nationale. Le lien social dépend de la figure de nous que donne notre diplomatie et l’expression que permettent son travail et sa rénovation au Ministre et au Président de la République. S’il doit y avoir consensus, il ne sera plus selon un nivellement par le bas et de la tolérance, mais se fera sur la vivacité, l’audace et la pertinence.

le pays tout entier acteur de notre action dans le monde, donc de notre diplomatie : les Etats, les peuples, les organisations non gouvernementales, les individus, toutes les consciences, dites-vous au Monde, à commencer donc par chez nous.
Les grands sujets, les grandes causes, mais aussi les impasses, les énigmes, les quadratures de cercle doivent être analysés, débattus, disséqués, mis en dynamique de groupe et en réflexion cadrée dans le temps et dans ce que celle-ci doit produire. Nous pouvons combiner connaissance de cause et multiplicité des points de vue pour parvenir à une analyse et à une proposition de stratégie très simplement structurée, exprimée et donc naturelle à mettre en œuvre.
Je l’ai souvent fait remarquer ces sept dernières années, à propos de la question israëlo-palestinienne. La communauté française juive, articulée ou non en des composantes de représentation, est dans son élite à la fois très soucieuse du tort qu’une politique extrêmiste à Tel Aviv peut porter à toute la diaspora, et très déterminée à ce que la démocratie existe dans l’Etat hébreu.  Elle peut peser tant à Jérusalem qu’à New York, puisqu’elle est la seconde du monde. Les Arabes l’ont compris qui par cooptation montent depuis trois ou quatre ans le pendant du Congrès mondial juif. Une institution, comptant actuellement quelques 250 personnages d’élite et de liberté personnelle, qui s’active en deux directions, le dialogue avec l’Islam et l’intégrisme et les prémisses de dialogues non étatiques et apparemment non politiques avec celles des élites juives qui peuvent tout infléchir à Jérusalem. Eli Barnavi, dont les analyses sur les conséquences de notre position en Juin 1967 sont paradoxales mais pénétrantes, est de cette mouvance côté Israël. – Quand je passe à la FNAC, notamment celle de Montparnasse, je suis frappé de ce que les crises difficiles depuis Septembre 2001 ont donné lieu à des dizaines de livres bien faits, parfois corruscants, cherchant tous à être constructifs et investigateurs. Ce qui veut dire qu’en langue française, donc en mentalité française, on est capable de se documenter, que nous avons des éditeurs intelligents et que ce que ceux-ci savent propager comme socle d’une réflexion puis d’une action, ce que notre diplomatie pourrait, elle surtout, étudier, éprouver, faire.
A la réunion de talents ou de spécialistes, travaillant en flux tendu pour le Ministre, mais à huis clos et en production d’autant plus rapide que ce serait davantage la combianison, la confrontation et l’estime de vues ou d’approches déjà très approfondies par chacun quand il le schématise et le met au débat d’autres spécialistes ou « réfléchisseurs » que lui, débat auquel participent des agents du Département, peut s’ajouter une structure informelle mais permanente, pays par pays ou grand sujet par grand sujet, celle que constitueraient les anciens Ambassadeurs et premiers collaborateurs s’étant succédés sur les sujets et dans les pays, et dont presque toujours les connaissances ne sont ni exploitées ni prolongées. Le bureau géographique ou thématique compétent en serait le bureau d’ordre et en zélerait les réunions bénévoles ; les communications venant des postes seraient accessibles à ces vétérans et à ces aînés. La vue synthétisée ou approfondie, qui serait alors donnée au Ministre, participerait à la fois des diversités et des expériences françaises, du croisement de différentes professions, et d’une réelle mémoire concrète, vivante, continue. Il est probable que le passé ou l’externalité de points de vue mettraient en évidence des analogies, voire des solutions oubliées mais qui avaient failli aboutir.

nos grands partenariats. L’Amérique et l’Allemagne. Ils sont justiciables de traitements intimistes et volontaristes, mais chacun spécifique.
Avec les Etats-Unis, votre ton est juste, il évoque pour moi les couvertures de Time accordées à COUVE de MURVILLE. Ce dernier à partir de 1963, c’était généralement après un débat de politique étrangère à l’Assemblée, qu’il voulait distinct de l’actualité et aussi du débat budgétaire, allait passer trois ou quatre jours à Washington et s’enfermait sans collaborateur de part ni d’autre avec Dean RUSK. Il n’en ressortait aucun communiqué, personne ne coinvainquait l’autre, mais la France intéressait au plus haut point les dirigeants américains et même la presse américaine. Bien entendu, il était su tant au Quai que là-bas que MCM avait toute la confiance du Général et qu’il ne fallait pas compter sur lui pour qu’il en rabattît le moins du monde, au contraire, mais il disait les choses dans une langue et selon une pensée telles que les rapports de force ou les préventions disparaissaient, que le rapport n’était plus qu’entre intelligences, qu’en dialectique et qu’on se pénétrait mutuellement de ce qu’il serait convenable et adéquat d’attendre ou de faire, chacun en était mieux avisé. Ce n’était pas de l’information mutuelle, c’était de la connaissance.
Il faudrait d’une part que le flux de jeunes étudiants notamment en finance, gestion et économie soit à double sens et pas seulement de France vers les études si diplômantes que proposent les institutions américaines ; cela suppose que la France soit à la tête qualitativement d’une initiation du reste du monde à l’Europe en langues, en droit, en méthodes de gestion et de comptabilité, en histoire et perspectives de la construction européenne. Donc des unités universitaires multidisciplinaires sur l’Europe et dans des sites tels qu’outre Atlantique on ait envie d’y venir, notamment pour des trimestres d’été s’inscrivant dans les cursi habituels américains. Et d’autre part qu’il y ait aussi des échanges à contenu plus politiques. Il y a davantage de littérature américaine sur les grands moments des grands (et des petits) pays d’Europe qu’il n’y a d’historiens et d’économistes européens, français qui soient spécialistes reconnus aux Etats-Unis sur les Etats-Unis. Des Stanley HOFMAN français sur l’Amérique.
Avec l’Allemagne, il faut des éléments très forts ; nous n’avons guère qu’Arte, mais la matrice est la bonne. Que la langue de l’autre soit enseignée obligatoirement et pour tous dans chacun de nos deux pays. Qu’il existe un ou plusieurs organes quotidiens ou périodiques, rédigé respectivement dans la langue nationale, mais paraissant simultanément et avec le même contenu rédactionnel dans les deux pays. Formule qui s’étendrait éventuellement au reste des Etats-membres de l’Union européenne. C’est différent de The European ou du New York Herald Tribune qui ne sont qu’en une version. La salle de rédaction commune peut être virtuelle, le vrai coût serait la traduction, le lancement pourrait commencer par encart dans un des grands quotidiens de chacun des pays. Le Monde l’a parfois tenté, mais pour des suppléments et avec davantage de partenaires que la seule Welt.
Il y a un troisième partenariat que nous sommes acculés à réussir et dont le défi est frontal et d’honneur : faire de l’Algérie, avec laquelle nous sommes en osmose et en consanguinité quel que soit le statut d’Etat, un pays démocratique, libre, prospère, clé de notre action en Afrique et dans l’ex-Tiers Monde. Là, plus qu’avec tout autre pays, la densité des relations humaines peut être mobilisée : tous ceux qui ont fait leurs études chez nous, notamment. Ce peut être le champ interministériel pendant ce mandat de cinq ans le plus fécond, vous apportant un objet et une thématique à la plupart de vos collègues.

Ci-après, synthétiques en forme de «fiches»,  quelques propositions. Comme elles ont été dialoguées, pour certaines, avec Pierre Vimont, elles sont au vrai le fruit commun de notre conversation.

P . S .
Kaliningrad est évoquée devant vous. Depuis le Kazakhstan et du fait de l’intimité avec mon homologue allemand, j’avais indiqué au Département le flux organisé (et financé) vers cette moitié de l’ex-Prusse orientale des retours à la mère-patrie des Allemands déportés de la Volga aux « terres vierges » en 1941-1942, au lieu qu’ils aillent en République fédérale. Ils sont arrivés au temps de Catherine et de Frédéric, et parlent encore une allemand compréhensible ; ils sont très majoritairement agriculteurs, mais certains étaient au sommet de la hiérarchie dans les usines stratégiques d’Oust-Kamenogorsk, ces derniers, naturellement, n’émigrent pas.
Là est l’un des futurs points chauds, puisque les Allemands peuvent avoir à terme davantage qu’une minorité ethnique significative et que les Russes ont à résoudre la question du passage des leurs (et aussi de leurs troupes)par ce qui sera d’ici peu l’un ou l’autre des Etats membres de l’Union européenne, sur la Baltique. Contre-offensive culturelle ingénieuse quoique non concertée en ce sens, la fondation des Bénédictins de Solesmes en Lithuanie. Nous devons avoir une présence dans cette région telle qu’elle fasse éviter un voisinage qui ne serait pratiquement que germano-russe. Le traité signé par KOHL et GORBATCHEV était « significativement » un traité de bon voisinage.

A n n e x e s
Suggestions d’instruments        logo à créer pour chaque instrument
 
    1   Bibliothèque courante du Ministre

   2   Apport de nos anciens Ambassadeurs dans un pays donné à la réflexion sur l’action à mener et à la mise en perspective de celle-ci avec nos acquis ou nos lacunes traditionnels

3         Séminaires à huis-clos documentant et structurant une relance française  sur commande thématique du Ministre


Missions 

1 pour un sujet à approfondir et renouveler          
Le développement durable


2  pour un sujet à approfondir et renouveler          
Le développement durable et l’éthique des entreprises
au sein de l’Union européenne
dans le droit positif naissant et la pratique syndicale et entrepreneuriale

3  pour dépayser la recherche de solutions à des conflits installés  
Vg. le dialogue judéo-musulman


  4  pour rénover un partenariat acquis 
France Allemagne : capillarité et interpénétration
pour une imagination commune de l’Europe et du monde




 

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