jeudi 27 septembre 2012

courriel à Matignon - évaluant le moment du Premier ministre


----- Original Message -----
To: Matignon
Sent: Friday, September 28, 2012 12:27 AM
Subject: l'entretien donné par le Premier ministre à beaucoup, ce soir
Pièces jointes: 18 Juin pour nous… pour moi 22 III 10 – publié par le Monde 30 III 72 Du oui au non – curriculum vitae erga omnes 2012

Cher Monsieur, je compte écrire à nouveau au Premier ministre à vos bons soins dans les jours qui viennent, mais peut-être lui sera-t-il utile  - pour le moment télévisé de ce soir - d'avoir les sentiments et l'évaluation d'un non-professionnel mais simplement ancien diplomate, séduit par de Gaulle à son adolescence, ayant vu en François Mitterrand le digne mais différent successeur, et nourrissant une grande admiration rétrospective pour Pierre Mendès France en amitié chaleureuse, intime avec Michel Jobert et Pierre Bérégovoy...

Pourriez-vous de la manière que vous jugerez la plus appropriée porter ce qui suit à sa connaissance ? je vous en remercie beaucoup par avance.

1° la performance

Le Premier ministre a beaucoup de souffle, et à mesure que dure l'effort il l'emporte de mieux en mieux et de plus en plus sur des contradicteurs qui le mettent en valeur à tant vouloir lui faire dire ce que - eux - cherchent à lui faire dire ou ont décidé de lui faire dire. Il a assez de force intérieure pour accepter l'adversaire, alors même que journalistes ou ancienne ministre et porte-parole d'un président défait prétendent se situer bien plus qu'à son niveau : au-dessus et pour le juger.

La clé de cette sublimation par la durée est probablement une maîtrise intérieure et une conscience de qui est le véritable interlocuteur : en l'occurence, les téléspectateurs et non les commentateurs ou l'opposante par hypothèse.

2° le point faible a été le début : le chômage, les licenciements, la liste des catastrophes sociales. C'est la question d'actualité à laquelle semble ne pas répondre la stratégie présidentielle d'une remise en ordre comptable du pays. Deux éléments auraient pu être davantage dits (étant entendu que les responsabilités en pas cinq mois d'exercice du pouvoir reste forcément celle des prédécesseurs pendant dix ans) : l'Etat a perdu ses pouvoirs et la plupart de ses leviers, à 'exception de la fiscalité. Lesquels retrouver et comment ? Pour ma part, je l'ai fréquemment écrit au Président qu'il soit candidat ou enfin à l'Elysée, c'est la nationalisation des entreprises qui se défaussent des erreurs de leurs dirigeants sur les salariés, la nationalisation des banques, deux mesures de circonstances, de quelques années, le temps de changer l'esprit des entreprises et de donner les manettes non à des cooptés ou des parachutés mais au deuxième ou troisième rang de chaque entrerise, des gens la connaissant et l'aimant depuis plusieurs décennies, connaissant le métier, le marché et l'outil, et non pas des experts de la direction en tant que telle, et c'est le recours à l'emprunt citoyen souscrit par les personnes physiques, et non par les institutionnels et les banques. Le second élément est le choix d'une stratégie de consensus et donc de paix mentale dans le pays. Le Premier ministre a reçu en début d'émission, comme les Français en début de ce quinquennat, le choc en pleine poitrine des licenciements et de l'impuissance.

Deuxième élément, il ne s'est pas trouvé - au contraire de la suite de l'entretien - à même de dire la novation qu'il incarne avec ses ministres et par sa relation - tout à fait neuve sous la Cinquième République dès après de Gaulle - avec le Président. Cette novation est de refuser les effets d'annonce, de refuser le nivellement par les questions de détail et notamment fiscales et d'aller au contraire à la politique qui est de travailler au consensus.

Mis en difficulté devant les déceptions actuelles causées par la temporisation du politique devant l'économique, le Premier ministre l'a été aussi sur la cohérence des positions politiques dans l'intérieur de sa majorité à propos des votes à émettre sur le pacte budgétaire et sur la loi organique. Il me semble que cela pouvait se résoudre - et aura peut-être à se résoudre si les votes hostiles se confirment - assez simplement en estimant très démocratique la liberté de vote. Particulièrement depuis dix ans, le pays souffre de la rigidité du couple excéutif-législatif pour cinq ans, sans modulation possible : on vote au canon quoiqu'on pense, quoique s'en révolte le pays. Il est probable que les Français ne croient pas à l'efficacité du pacte budgétaire qui sera violé à l'occasio, y compris par l'Allemagne, comme le furent les critères de Maastricht, y compris par l'Allemagne, et qu'un referendum même expurgé de toute référence au président régnant, serait négatif et de bonne foi. Qu'il y ait dans la majorité des voix qui se refusent, ne montrera pas la faiblesse du gouvernement lmais au contraire son respect des convictions. Si l'on veut l'apport des parlementaires - de la majorité comme de l'opposition - au travail gouvernemental, il faut la liberté d'opinion creuset de l'inventivité. En revanche, l'effort de conviction et la mise en évidence des responsabilités à ne pas fuir est du ressort du Premier ministre. le drame de 2005 n'est pas le résultat négatif, mais que ce résultat n'ait pas été porté à Bruxelles et chez nos partenaires - en compagnie notamment des Néerlandais - pour que l'on fasse un autre texte. Or, il va falloir en faire un. 

3° la dialectique a été généralement aussi bonne que perceptible, en quoi elle a été communicative .

L'opposante comme les journalistes ont chacun récité, jamais surpris par leurs questions ou leurs attaques ; ils n'ont pas apporté du neuf. Le Premier ministre au contraire... j'ai particulièrement noté le critère du recours au referendum : y a-t-il transfert de souveraineté... le critère de la fiscalité regardée depuis les bas revenus et non plus à partir du haut, dans le souci de ne pas aggraver les inégalités.

Le fait que le Premier ministre ait été souvent bridé dans un mouvement d'éloquence (chacun de ces mouvements a manifestement agacé les journalistes se mettant constamment en position de juge, d'enseignant, de porteur de la vérité tout en se vengeant de n'être pas eux-mêmes aux gouvernes) le met je crois en empathie avec les téléspectateurs qui, eux, rêvent (cf. le slogan présidentiel) d'être emportés.

La réplique sur les hauts salaires a été excellente en évoquant Gattaz, mais le Premier ministre aurait pu aller davantage que dans la statistique des comportements : des dirigeants comme d'humbles ouvriers aiment d'abord ce qu'ils font, et ensuite ce qu'ils gagnent. Le travail un épanouissement, une contrbution au bien commun et pas seulement le salaire. Dimension sociale, ouvrière, valable dans le rural, que n'ont pas nos élites de la finance et de la multinationale, surtout quand ce sont de hauts-fonctionnaires défroqués.  

4° le portrait n'a pas été dessiné par les questions ni par les questionneurs, mais par le Premier ministre lui-même.

Il y a évidemment la ressemblance parfois hallucinante avec François Mitterrand dans la façon d'avancer une idée ou un argument par le menton et en acquiesçant par un clignement des yeux. Il y a la diversité des jeux de mains, particulièrement dans la contradiction avec Kosciuzsko-Morizet, les doigts très crispés. Les mains sont belles. Le stylo assorti au costume et à la cravate. Pas de décoration ostensible.

Réserve : on a compris. Pas d'ouverture à la vie privée, le camping-car étant une moindre concession, les quelques secondes en piste de danse très convaincantes. Pas d'insistance sur les origines. Pas de virtuosité sur la pratique germanophone. Concentration sur la ténacité telle quelle sans justification philosophique ou références biographiques. On a rencontré une personnalité actuelle dont on sait plus le tempérament - les traits principaux ont été répétés et sans s'en rendre compte les journalistes ont fini par en être, eux aussi, des vecteurs - que l'emploi du temps ou les décisions lui devant tout ou au contraire rien. Il s'est donné à connaître comme agent du fonctionnement du pouvoir plutôt que comme son théoricien ou son bénéficiaire. 

Le souci, la hantise de faire partager et de rencontrer correspondent aux agenda : très souvent, m'a-t-il semblé depuis la fin des législatives, le Premier ministre " sort à deux " : Marseille avec Valls, Taubira ensuite, Duflot l'autre jour.

Conclusion spontanée : cet entretien a été un utile dépaysement, un dépassement d'une conjoncture particulièrement déprimante et de l'absence de radicalité qu'on peut actuellement reprocher à l'ensemble du nouveau cours français. Deux cohérences s'opposent nettement : celle des circonstances et celle d'une stratégie. Avant de décider chacun s'il faut une autre stratégie, les Français ont appris ce soir celle du gouvernement. Redite des propos du Président ? sans doute sur le fond, mais d'une tout autre manière et en montrant un autre tempérament. Ce binôme est probablement l'atout politique principal que s'est donné le pays le 6 Mai dernier. Hiérarchie peut-être étant donné la Constitution et sa pratique, mais entente et osmose de deux personnalités à la tête de notre système, c'est si nouveau !  

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