dimanche 30 septembre 2012

pour mémoire - une note à François Hollande, le 2 Mai 2012


le mouvement social

Les grands changements dans l’histoire de la France se sont faits par une volonté populaire clairement exprimée, soit – plus ou moins organisée par le pouvoir ou par ses opposants – en manifestations de rue, toujours pacifiques (en 1789, ce qui décide n’est pas la prise de la Bastille mais la journée d’Octobre, la marche à Versailles et le retour du roi à Paris… le retour de l’île d’Elbe n’est pas militaire… le 30 Mai 1968 pour le général de Gaulle alors que les cortèges de gauche en Mai 1958 ou Charléty provoquent le contraire de ce qui était recherché), soit par consultation référendaire : Octobre 1945 et Octobre 1962, voire Avril 1969 et Mai 2005. Mouvement populaire ? ou mouvement social ? Bataille pour des idées ou très concrète revendication ou défense d’intérêts vitaux ? Il n’y a que les intellectuels ou les « professionnels » de la politique (élites naguères aristocratiques ou élus pour plusieurs décennies depuis 1815) pour faire la distinction. Le mouvement social et politique est d’abord une révolte, une décision apparemment de masse mais fondée sur une vive conscience individuelle que la solidarité est à l’instant immédiatement nécessaire. Alors, les mots d’ordre, l’organisation sont reçus.

Les partis de la gauche, parti communiste compris alors même qu’il était électoralement puissant, n’ont jamais su provoquer le mouvement, sauf en Février 1934 pour réagir en contre-manifestation face à l’extrême-droite et aux anciens combattants. Ils ont craint le mouvement suscité par la victoire du Front populaire en Juin 1936, ils ne se sont impliqués dans les « événements de Mai 68 » qu’à partir du 29 Mai, la proposition des élections les a désarmés ou dédouanés… et Novembre-Décembre 1995 s’est fait et s’est vécu sans eux. Les syndicats eux-mêmes n’ont suscité ni Juin 1936, ni Mai 1968, ni Novembre-Décembre 1995 : ils ont accompagné. Ils n’ont pas voulu exprimer à fond les refus populaires à l’été 2010 : grève générale, blocus des communications, seule manière de faire reculer un pouvoir qui gérait mal et dont il se révélait que les principaux représentants étaient personnellement corrompus. Seuls, les personnels des raffineries ont entrepris de changer le rapport des forces, ils n’ont été ni imités ni légitimés.

La situation dans les entreprises – bien ressentie par le candidat socialiste : la vague de licenciements préparée pour l’après-6 Mai est une édition nouvelle de l’habituel fuite des capitaux : Novembre 1968 et Mai 1981 – et les « luttes sur le terrain » montrent que, site par site, la conscience de classe qui a été si émolliente pendant une vingtaine d’années en coincidence avec le triomphe idéologique du « libéralisme » et du mondialisme et avec la dénationalisation de nos élites et de la part la plus favorisée socialement et familialement de notre jeunesse, est en train de revenir. Elle ne se vérifie sans doute pas encore au plan national. Elle existe, de pair avec une conscience de solidarité régionale dans certains de nos territoires : villes ou régions « sinistrées » économiquement.

Un président de gauche, le gouvernement de la gauche ne pourra s’imposer, quotidiennement, face au chantage à la fermeture des entreprises et aux délocalisations s’il n’est soutenu explicitement et massivement par le mouvement social. Celui-ci – vg. toutes les manifestations étudiantes et lycéennes depuis 1968 ont toujours été hostiles au pouvoir qu’il soit de droite ou de gauche – se retournera contre un président et son gouvernement qui décevraient : cela se jouera, le cas échéant, dès l’automne. Mais pendant les six premiers mois, la partie se joue sur le plan des institutions : gagner les législatives, être audacieux législativement (quoique ce ne soit pas lr programme mais c’est l’évidente nécessité qui se vérifiera vite par le sabotage des premières mesures gouvernementales : nationalisation des banques, le temps des réformes, la durée de la législature), l’emporter en Europe par la refonte des institutions bien davantage que quelques protocoles ou déclarations du Conseil européen à propos de la croissance (les incantations ne suffiront pas). Donc, des manifestations civiques de soutien. Sans doute le referendum : la moralisation de la vie publique peut-être, les nouvelles règles économiques dont l’aménagement du territoire, la « planification souple à la française », la nationalisation ad hoc e temporaire des banques. Mais la rue comme acquiescement et comme processus de défense. C’est à inventer, il n’y a pas de précédent dans les cent ans écoulés.

Sinon, ce sera la droite qui trouvera le prétexte et qui mettra alors du monde dans la rue, vg. les manifestations sur l’enseignement en Juin-Juillet 1984.

Cette brève note n’est que l’appel à réfléchir. La droite a deux armes si elle perd le 6 Mai ou si, ayant gagné sur le fil, elle perd les législatives car les Français prendront massivement conscience du risque d’un second quinquennat outré par cette victoire et sa thématique de ces semaines-ci. Mais un gouvernement de gauche en cohabitation sera pris entre l’Elysée, le capital et la rue de droite. Celle-ci a donc pour elle la bourse tant que les outils de la nationalisation et la révision européenne ne sont pas acquis, et elle peut avoir la rue si la gauche n’est qu’une autre version de l’austérité et déçoit tout autant que la droite version 2007.

Ce mouvement populaire est à motiver par le péril social. Les lois et la gestion sage, prudente et juste – que peut incarner un candidat manifestement maître de ses nerfs et sûr de sa destinée, de sa préparation personnelle – ne va pas suffire. Le redressement économique, l’épuration démocratique des désastreuses confusions institutionnelles de ces dix dernières années, l’équité sociale, le sauvetage d’entreprises et grandes par des initiatives publiques aux niveaux national et régional ne s’obtiendront pas par la simple détermination et la seule intelligence du président de la République nouveau et de son gouvernement à gauche. Il faut le soutien explicite, constant des Français. Il ne peut se susciter que si demeure la conscience d’un grave danger : la dogmatique libérale qui n’a pas encore eu à affronter une contre-idéologie organisée et d’expérience, la tenue de la plupart des manettes économiques et financières par les ennemis acharnés du changement. Maintenant et dans les mois qui viennent.

Bien entendu, cette manière de faire – le peuple avec le gouvernement pour le soutenir – va être exemplaire en Europe dont beaucoup de gouvernements sont à renouveler dans les mois à venir, au plus tard dans l’année calendaire. C’est cela qui donnera la main à la France pour imposer le social et le démocratique aux fonctionnements de l’Union européenne. C’est possible, mais c’est sans précédent, que nos grandes propagations des années 1790, de 1830 et de 1848. La gauche y trouvera des lettres de noblesse, désormais indiscutables, périmant et apauvrissant tous les arguments de gestion ou d’archaïsme. La France y gagnera. Notre fierté nationale n’est pas l’identité ou le frémissement du drapeau, elle est de contribuer décisivement au progrès du genre humain. Je l’écris « un peu pompier » mais notre Histoire et les enjeux de tout de suite, se lisent ainsi, me semble-t-il .

Les élections donnent un outil, mais l’élan et surtout sa persistance viennent d’ailleurs./.


.                                                          Bertrand Fessard de Foucault
n° 4 – vendredi 27 Avril . mercredi 2 Mai 2012

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