dimanche 11 novembre 2012

Si la France mentait - esquisse d'un essai sur la France aujourd'hui, hier et demain - 1


Si la France mentait

premier jet et esquisse
11 Novembre . 2 Décembre 2012


à notre fille Marguerite,

née le 22 Novembre 2004, de notre mariage célébré le 18 Juin 2004

I

Pendant notre récente campagne présidentielle, tu me vois – à ce clavier où je passe tant de temps mais que tu décores d’auto-collants et dont tu choisis et renouvelles la page de garde à l’écran – écrire sur ce moment politique, tenter d’intervenir. Tu me dis : Papa, tu devrais écrire un article. Si la France mentait… Conditionnel, interrogatif, je reçois l’hypothèse. Elle me correspond, je ne me l’étais jamais formulée. Pourtant, j’ai représenté la France telle que je la vois, la ressens, je l’ai expliquée dans de nombreux pays étrangers et j’y parvenais parce que ma sympathie pour celui où je me trouvais affecté en diplomate m’était vite compréhensible parce que je m’y attachais affectivement, intellectuellement, que je cherchais à le comprendre et cela m’était rendu.

Tu as explicité quelques jours après : si la France mentait, ce serait très grave. Mentait à qui ? j’ai pensé aux peuples que nous avions subjugués d’abord par les armes, la conquête, l’occupation, mais plus durablement par ce qui transparaissait de nous (de la France) selon nos compatriotes du moment vivant là-bas et mariant des convictions, les leurs, avec les convictions qu’ils apprenaient à connaître chez nos sujets. D’étranger à étranger quelque chose se transmettait, pas réciproque apparemment, nous étions (nos ancêtres, nos ascendants à trois-quatre générations de nous) loin de chez nous, à reconstituer en partie, surtout mentalement, nos façons de penser, de vivre, de nous défendre, de nous voir nous-mêmes. Je pense au rose sur les planisphères, notre couleur, nos conquêtes, bien plus vastes et nombreuses dans leurs époques successives : le Canada dans son entier, tout le revers des Etats-Unis actuel, l’Inde, son subcontinent entier, les XVIIème et XVIIIème siècles, les Jésuites, les Iroquois, Cavelier de la Salle jusqu’à Montcalm, Dupleix. La suite, une solidarité avec l’Afrique du nord, l’Afrique noire au sud du Sahara, l’Indochine, solidarité nous fournissant les troupes augmentant substantiellement les nôtres pendant la Grande Guerre puis la Seconde guerre mondiale. Menti… au point que tous se révoltent, nous argumentent en faussaires, liberté, égalité, fraternité, déclaration universelle des droits de l’homme et notre domination se maintenant, nos intérêts s’accrochant, des instincts de supériorité se manifestant précisément que nous sommes forcés de changer, de partir. Nous ne partons pas par authenticité et application de ce qui aujourd’hui s’appellent nos valeurs et qui étaient autrefois nos principes de civilisation applicables aux autres, nous-mêmes ayant nos frontons et nos maximes, nous partons parce que nous y sommes forcés. Avons-nous menti ?

Tu le lis : j’écris… nous, pas la France. Nous ! Tu m’as dit aujourd’hui. L’histoire de la France, comment la connaître ?  puisque je suis né en 2004. Ce matin, commémoration du 11-Novembre 1918, la fin de la Première guerre mondiale, la victoire, un discours que le maire a lu –  tu l’as pris un temps pour un juge, tu n’avais pas tort, on dit bien : le premier magistrat de la commune, et du président de la République que nous l’élisons à la magistrature suprême, et son travail est d’abord de faire la paix entre tous les habitants de la commune, et celui du président de la République pour nous tous qui vivons en France. Ceux qui ont combattu et ont fait gagner à la France la bataille, la survie, l’avenir qui a continué jusqu’à nous. Gagner à la France, à nous aujourd’hui, plus encore qu’à eux-mêmes et qu’à leur famille, à leur femme, à leurs enfants surtout s’ils sont morts. Dès ce moment-là, il y en a qui ont pensé que c’était pour gagner la paix : ils étaient jeunes, ils sont morts depuis, il y aura bientôt cent ans, ils voulaient que cela change. D’autres ont pensé que c’était un rêve ou une tromperie. Si la France mentait… Jean-Marcel Jeanneney t’a pris dans ses bras, comme Pierre Messmer, tous les deux combattants dans la grande guerre suivante, puis ministres du général de Gaulle. Jean-Marcel que Georges Clemenceau le 13 Juillet 1919 prit par la main, ainsi qu’une petite fille qui était là, pour qu’ils aillent ensemble se recueillir sous l’Arc-de-Triomphe à la mémoire de tous les morts de cette guerre-là et pour que la France ne mente pas. Un arc de triomphe, l’un de nos grands monuments à Paris, voulu par Napoléon mais que celui-ci ne commença qu’à peine : y inscrire la liste de ses victoires les victoires de la France, les noms de batailles couvrent les faces murs intérieurs des quatre énormes piliers. Mais lui-même a finalement été battu, nous avons la gare d’Austerlitz, et les Anglais ceux qui ont vaincu Montcalm, nous ont chassé d’Amérique du nord et de l’Inde ont la gare de Waterloo. Le défilé de la victoire en 1919 descendant les Champs-Elysées… quarante-huit ans avant, il y avait eu dans l’autre sens, remontant notre grande avenue, les troupes prussiennes, humiliant Paris, et la France dans sa capitale au point que le peuple quelques semaines plus tard s’empara de quelques canons et se révolta contre les signataires de cette paix et l’un des députés qui ne voulait pas que l’Alsace, la province, le pays de ta Maman et de tes grands-parents et de toute une ligne de tes ascendants, symétriques des miens, de ton père, soit annexée par l’Allemagne, s’appelait Georges Clemenceau, l’homme d’Etat dont le père de notre ami Jean-Marcel Jeanneney fut le ministre de confiance. Je crois que l’histoire de notre pays, de tout pays, de nos familles, de toute famille, ce sont des noms et des dates apparemment sans rapport que soudain par des attaches précises et personnelles nous mettons en relation.

Des arrières-grands-pères et grands-oncles pour toi se sont battus sous l’uniforme allemand. En 1941-1944, on les appela les « malgré-nous », beaucoup refusaient et certains furent fusillés à cause de cela. J’ouvrais notre ambassade au Kazakhstan – je représentais la France, qui n’avait jamais été vue comme on peut voir et recevoir un ambassadeur – et je m’aperçus que les immenses « terres vierges », celles du goulag, le long de la frontière nord de ce pays nouvellement indépendant, chef-lieu Sélinograd, aujourd’hui la capitale Astana après s’être appelée Akhmola quand je la visitais pour la première fois, avaient un cimetière où des Français d’Alsace et de Lorraine, fait prisonniers par les Russes en tant que soldats portant l’uniforme de leurs envahisseurs allemands, étaient enterrés. Sans tombe, sans lieu de mémoire. Avec mon attaché de défense, nous avons érigé une stèle, nous l’avons inaugurée avec musique des anciennes troupes soviétiques et bénédiction donnée par un prêtre d’origine allemande, c’était le 9 Mai 1992, anniversaire de la déclaration de naissance de l’Union européenne par un Français, Robert Schuman, proposant la réconciliation par les moyens les plus concrets : au chancelier allemand Konrad Adenauer, et c’était le lendemain de l’anniversaire de la défaite de l’Allemagne hitlérienne. J’avais fait jouer pour des anciens combattants soviétiques la symphonie Liningrad, la VIIème de Chostakovitch, aussi entrainant et émouvante que l’hymne à la joie concluant la IXème de Betthoven, cette insurrection des partisans gagnant imperceptiblement puis de proche en proche jusqu’au gigantesque de tout un paysage, tout un peuple. Bolero de Ravel, vertige d’un patriotisme, cortèges immenses des révolutions et des liesses nationales. Dans le vent de la steppe, j’ai dit la prière de la France à ses enfants qu’elle n’oubliait pas même s’ils s’étaient battus sous d’autres uniformes et si loin d’elle. L’administration dont j’étais voulut, un de mes successeurs, quizne ans après moi, trouva que ce monument et cette mémoire n’étaient pas « corrects » politiquement dans un pays qui cultivait encore le souvenir de ses combats contre une Allemagne alors en dictature et en mépris de presque tout, y compris de sa propre âme et de ses propres traditions. Comme le prédécesseur de François Hollande, Nicolas Sarkozy, alors président de la République allait visiter le Kazakshtan – en fait, ce fut très bref, un aller-retour pour une conférence de presse conjointe avec Nursultan Nazarbaev, le président que j’ai été le premier français, à entretenir de la France, à la suite de notre propre président, François Mitterrand… il fut question de renverser la stèle, de reconsidérer comme on l’avait fait, honteusement : Si la France mentait… après chacune des deux grandes guerres mondiales qui initialement furent chacune des guerres franco-allemandes, que les Alsaciens étaient de mauvais Français ou des semi-Français quand ils se battaient par contrainte sous l’uniforme allemand (mais jamais contre nous). Ma réaction fut simple. Quand des décisions mal informées sont prises sans débat, seul l’appel à tous, au peuple, peut enrayer le processus. Les Dernières nouvelles d’Alsace publièrent donc des photos et un article racontant ce qu’avait été cette inauguration, cette prière, cette remise en mémoire à Spassk. La stèle est restée, d’autres nations avaient dressé la leur, la France avait donné l’exemple, tous ses enfanst sont dignes d’affection et de mémoire, c’est notre responsabilité aujourd’hui.

L’histoire, la nôtre, celle des autres rencontrant la nôtre, faisant partie de la nôtre et la nôtre de la leur, les Français et les Allemands en particulier. Avec Maman, Ludwigsbourg, le Septembre dernier pour commémorer, aux côtés de François Hollande et d’Angela Merkel, le discours du général de Gaulle à la jeunesse allemande, cinquante ans auparavant, en fait le 9 et non le 22. Cinq grands discours en trois jours, chacun prononcé en allemand et par cœur. Les foules allemandes dont la France reconnaissait que ce n’était plus celle des années 1930, extatique et en orgonie autour du Führer, seul de Gaulle pouvait l’authentifier, l’incarner puisque le premier – un 18 Juin 1940, justement – il avait répondu à l’attente muette de Français n’acceptant pas que la victoire de Hitler soit définitive et la France piétinée, défigurée. Les foules et les évidences, les gloires et les hontes car les foules quand elles se pressent et ne savent pas, peuvent tuer. Ne pas savoir…

Je rentre de Paris vers notre Bretagne, celle où s’entretiennent encore aujourd’hui les deux souvenirs d’une France pas belle et qui est donc étrangère aux Bretons parce qu’elle les tue. Dans le duel franco-allemand de 1870-1871, des camps de Bretons internés, je ne sais pourquoi, ou des camps de prisonniers faits par les Prussiens et que nous ne savions pas libérer encore, furent affamés et moururent faute de ravitaillement. Pendant la Grande guerre, celle de 1914-1918, les Bretons – disent leurs enfants, leurs descendants – furent de la « chair à canon », une de nos provinces où les familles étaient les plus nombreuses, les enfants si nombreux que dès l’adolescence pour manger, ils partaient chercher du travail à Paris. Le père de notre cher Denis – de qui tu as reçu ta première communion dans la vieille église du Guerno, construite par les Templiers – arriva ainsi peu avant le conflit mondial, il allait s’engager dans l’armée quand un marchand de beurre, œufs, fromages l’embaucha. Je rentre donc par le T.G.V. – dans peut-être peu d’années, il faudra développer ce sigle de même que pour ta génération, Barbie est une poupée inventée en Amérique, faite en Chine et dont les aventures en animation sont proprement merveilleuses, et te donnent des thèmes et idées pour les fêtes que tu donnes à tes amies de classe, alors que pour la mienne et celles de mes aînés, contemporain de la Seconde Guerre mondiale et donc de la Résistance à l’ennemi, Barbie est le nom d’un tortionnaire allemand qui à Lyon, l’été de 1943, tortura à mort Jean Moulin, unificateur de tous les mouvements en France occupée. Et autour de moi, parlent avec l’accent et la véhémence des banlieues franciliennes de leurs récentes études secondaires. Ce sont des immigrés. J’admire la richesse du vocabulaire, tout nouveau pour moi, pas compréhensible au premier degré et qui justifie le débit et le ton. La langue française, notre langue – même si Maman, en famille à Strasbourg, au téléphone avec tes grands-parents, parle plus habituellement l’alsacien si proche de l’allemand sauf en accent et dans beaucoup du vocabulaire de la nature, de la vie quotidienne pratique – la langue française s’enrichit à l’évidence de cette appropriation par les originaires d’Afrique et du Maghreb, c’est souvent plus prenant à entendre et moins étranger que bien des accents de notre midi, où nous avons aussi de la famille et des souvenirs. J’écoute, j’entends puis celui qui semble leur chef vient s’affaler à côté de moi. Je le félicite pour ce que je dois reconnaître en l’ayant entendu avec ses amis échanger avec tant de force quoique le sujet était anodin. Le voici qui me répond dans le même français que celui que tu me connais, accent, vocabulaire. La grammaire inchangée en français de l’Académie ou en beur, à quoi se constate que l’esprit de la langue n’a pas été du tout trahi par cette appropriation de nos plus récents compatriotes. Nous continuons, Français ils le sont mais, précisément leurs études secondaires, leur histoire propre – comment ils sont venus à nous puisque nous étions allés à eux et sur place, chez eux – n’est pas vraiment enseigné. Parler à leur manière, ils le peuvent spontanément mais partager leur histoire avec le commun des Français pour s’assimiler la nôtre, l’officielle, est donc difficile.

Il me donne un exemple. Il est d’origine sénégalaise par l’un de ses parents. Dans l’île de Gorée, en face de Dakar, où il y avait un fort, une prison vieux de plusieurs siècles, car les Français sont arrivés là-bas au temps de Louis XIV – le château de Versailles que nous avons visité sous la pluie, toi et ton amie Laetitia dessinant des cœurs sur les vitres embuées nous faisant regarder vers les jardins royaux. A l’issue de la Seconde guerre mondiale, des tirailleurs sénégalais – une formation de nos troupes coloniales qui firent merveille, si je peux employer un tel mot pour des combats affreux pendant l’hiver des Appenins italiennes, puis l’année suivante de notre Alsace – furent massacrés, fusillés pour des raisons que mon nouvel ami ne m’explique pas et que je ne lui demande car je suis pressé de lui avouer d’abord que je ne savais pas cette horreur : elle n’a pas été enseignée dans nos cours et selon nos manuels d’histoire, alors que c’est la nôtre autant que la sienne, alors que celle de Sétif en Mars 1945, horrible elle aussi, est connue mais isolée. Ce fut donc la reconnaissance nationale pour ceux qui nous avaient fidèlement aidés ? si la France mentait… il n’y a pas eu que ces horreurs au contraire, mais – quand même et sordidement – nos frères d’Afrique ont dû attendre que les ex-métropolitains, à commencer par Bernadette et Jacques Chirac, celui-ci alors président de la République, soient secoués d’émotion par un film : Indigènes pour que leurs pensions militaires d’anciens combattants soient actualisées et revalorisées. Je m’accorde avec lui sur la nécessité de tels enseignements, mais rien à voir avec du colonialisme – système aujourd’hui condamné selon les normes de maintenant mais justifié autrefois tellement que nous en oubliions l’origine : le coup de force, l’instinct de supériorité même et surtout raciale – et rien à voir non plus avec du mépris. Justement, j’en ai un exemple, à mon tour.

Après notre défaite en duel contre la Prusse en 1870-1871, une Prusse que nous avions imprudemment mise en situation de se faire soutenir par toute l’Allemagne ce qui ne s’était jamais vu auparavant et qui fit acclamer son roi comme empereur allemand, à Versailles, le château dédié « à toutes les gloires de la France » par Louis-Philippe, notre roi-bourgeois dont je te parlerai plus loin… il y a tant de personnages dans notre histoire qui s’appellent les uns les autres et sont parents entre eux… mais pour commencer je veux que nous restions avec les derniers arrivants et avec les anonymes. Après notre défaite, nous eûmes deux idées fortes pour nous redresser et envisager notre revanche : nous réorganiser, nous gouverner et nous administrer avec de nouvelles élites ne se disputant plus entre partis – cela nous est revenu aujourd’hui, la droite, la gauche, chacune prétendant abominables ceux d’en-face – et ayant d’abord le souci du bien commun. Une grande école des cadres fut alors fondée : l’Ecole libre des sciences politiques, des manuels de civisme furent écrits et répandus,  la réforme intellectuelle et morale, les origines de la France contemporaine, le tour de France par deux enfants, et une alliance politique et militaire conclue, avec la Russie. Nous aidions celle-ci à développer son industrie, elle empruntait des milliards à des Français même modestes mais nous achetions ainsi notre retour à la sécurité face à l’Allemagne devenue très puissante grâce au ministre qui lui avait déjà donné la victoire, le prince de Bismarck, chancelier pendant vingt-huit ans après avoir été almbassadeur à Paris et donc avoir connu nos forces et nos faiblesses, surtout en la personne de notre souverain d’alors, Napoléon III. Beaucoup de Russes émigrèrent chez nous et quand éclata la guerre redoutée et attendue contre cette Allemagne – l’Allemagne a eu beaucoup de figures pour elle-même et dans l’histoire des peuples européens, au contraire de la France – ces Russes s’engagèrent dans l’armée française. C’est moi qui raconte à notre compatriote d’origine partiellement africaine. Je viens d’apprendre tout cela en dépouillant les dossier du procès en Haute-Cour, le Sénat à l’époque, que subit Joseph Caillaux par la volonté, principalement, de Goerges Clemenceau à la fin de la Grande Guerre 14-18. Caillaux voulait éviter la guerre avec l’Allemagne et chercha en 1911 un accord avec elle, principalement, par des cessions de territoire en Afrique centrale contre lesquels nous obtenions s’avoir « les mains libres » au Maroc, dont l’entrée en possession, effective un an plus tard, complétait ce qui était déjà nôtre en Afrique du nord, de l’autre côté de la mer Méditerranée. La guerre venue, il était l’image, le symbole du pacifisme et donc passa pour traître d’autant que des rumeurs au Parlement de Berlin – le Reichstag – en faisait le candidat de l’Allemagne, notre ennemie, pour nous gouverner et donc mettre fin aux hostilités. Avait-il raison ? vouloir la paix en pleine guerre… Ce matin, devant le modeste monument aux morts – tu en as escaladé le socle, demandé le pourquoi du compte de drapeaux, exclusivement français, cinq – a été évoqué le vœu de notre Parlement, peu après la victoire d’alors : que ce soit, l’anniversaire de l’armistice du 11 Novembre 1918, que ce soit la commémoration de la victoire de la paix. J’avais voulu étudier ce grand homme, cette politique et donc ce procès parce que je m’étais demandé ce qu’il se serait passé si quand survinrent la Seconde guerre mondiale et le troisième duel franco-allemand, avait encore vécu un prix Nobel français de la paix, Aristide Briand, chantre de la sécurité collective et déjà de la réconciliation franco-allemande. Qu’aurait-il fait ou dit, lui inattaquable de réputation ! un collaborateur avec l’ennemi, en intelligence avec l’ennemi, ce qu’aurait été selon d’autres commémorations officielles aujourd’hui, le généralissime des troupes françaises à partir de 1917, le maréchal Pétain, défilant précisément quand notre ami, la main dans celle de Clemenceau, va, à ses dix ans, sous l’Arc-de-Triomphe.

Dans le dossier du procès Caillaux, un autre, celui de massacres pour désobéissance au feu, au front. Des Russes – que l’on dit : des Russes blancs depuis que le régime politique et la capiale aussi, ont changé dans leur pays, devenu soviétique et le tzar Nicolas II emprisonné et bientôt massacré, roman de la grande-duchesse Anastasia, survivante, pas survivante ? – des Russes veulent bien combattre, surtout combattre l’ennemi commun, les Allemands, mais ils veulent un statut national, le nôtre, pas la Légion étrangère : nos régiments de ligne. Refus de la hiérarchie militaire. Leur refus d’aller, dans ces conditions et sous l’uniforme de la Légion, au feu. Fusillés comme mutins, alors qu’ils ne refusent pas du tout, comme d’autres, fatigués ou pacifistes, terrorisés ou justement contestataires de la tuerie et des soi-disant buts de guerre. Il y a une quinzaine d’années, deux polémiques dans notre vie politique – quand a commencé la lecture plus critique et plus diversifiante de notre histoire nationale, de l’histoire de France – la première sur l’abolition de l’esclavage avec pointage des votes de l’époque et leur qualification, hasardeuse selon les clivages et les partis de maintenant, et la seconde pour réhabiliter les mûtins, les soi-disant traitres de l’époque. Un peu comme ce qui est tenté parfois difficilement pour les « malgré nous » d’Alsace et de Lorraine. Du même genre, il y a juste dix ans, un débat aussi sur « les aspects positifs » de la colonisation, discussion pour faire des lois obligeant la mémoire et dans un sens décidé par quelques-uns… il est vrai que décréter des fêtes officielles, des célébrations d’anniversaire est aussi arbitraire, sauf si c’est un appel à réconcilier les mémoires et les points de vue opposés. Or, il y eut à l’époque où nous avons massacré ces alliés et ces courageux volontaires, une commission d’enquête diligentée par le Conseil d’Etat et qui mit en cause l’autorité militaire : en pleine guerre. Ces Russes blancs avaient raison, avaient eu raison de se révolter. Un dogme et une autorité étaient renversés mais dans une discrétion, un quasi-secret – qui ne fut pas le cas d’une très grande affaire, ne concernant pourtant qu’une seule personne apparemment : l’affaire Dreyfus – tel que presque rien n’en a été su jusqu’à présent, maintenant que tu lis ce que je racontais au chef du groupe de jeunes. Ainsi, l’histoire nationale peut être, non réécrite, mais très complétée, très ouverte à être complétée, nuancée, discutée. Le fondement de nos origines, de nos malheurs, de nos lumières et réussites, victoires et paix n’en sera pas ébranlé. Au contraire, ce sera plus solide, ce sera le concours de toutes les mémoires, de toutes les filiations. Si nous avons massacré pendant la Grande Guerre des Russes blancs, ce n’était ni du racisme ni du colonialisme, concepts pouvant expliquer une nouveau massacre, celui des tirailleurs sénégalais à la fin de la Seconde Guerre mondiale : c’était, ce fut dans les deux cas, la bêtise et l’abus d’une partie de nos institutions, quand elles ne sont pas contrôlées. Nos hontes et nos crimes nationaux ont des origines, qui tiennent à nous, mais dont l’examen historique appelle à notre respect du droit, au respect de l’homme bien plus qu’à une inefficace mésestime de nous-même. Notre histoire doit être l’interrogation rétrospective de notre conscience et donc un questionnement précis sur la réédition ou pas, aujourd’hui, sous notre responsabilité, en notre connaissance de cause, d’erreurs ou de crimes analogues à ceux de notre passé, parfois avant la naissance de nos parents ou leur page adulte, avant la nôtre.

C’est bien pourquoi, j’ai eu honte de nous et craint pour l’image de la France dans le monde entier, dans le cœur de nos amis étrangers quand à partir de l’été de 2010, les gens du voyage, les Roms comme il est dit et généralisé avec mépris et racisme, ont été maltraités, expulsés, emprisonnées. Sans doute pas mis à mort, mais avec des contraintes, des simplismes et surtout un aval officiel – un discours-programme du président de la République, d’alors, Nicolas Sarkozy et une circulaire gouvernementale les visant expressément. L’Eglise catholique, dont nous sommes depuis notre baptême à chacun – tu es née à l’anniversaire de la naissance du général de Gaulle, à dix minutes près, et moi sous les bombes américaines visant les usines Renault et épargnant heureusement la maternité du Belvédère où Maman aurait accouché de toi, si à quelques moins près elle n’avait été soudainement dédié à la cure de toutes addictions – l’Eglise comme sous le gouvernement de Vichy, protesta, notre évêque, celui de Vannes, communiqua en compagnie de celui de Belfort, tous deux chargés par l’ensemble de l’épiscopat de la pastotale des migrants et des Roms. On ne peut, en temps de paix, et quand rien de décisif n’est en nous menacé, faire quelque chose que nous avons imputé à crime, autrefois, à des ennemis dûment punis et condamnés. C’est d’ailleurs ce que je reproche à l’Etat d’Israël, héritier de ces Hébreux, de ces Israëlites ayant quitté l’Egypte de Ramsès sous la conduite de Moïse, tu l’as lu et tu en as vu les films très évocateurs. Ils ont subi la rafle et la mort lente ou soudaine par millions, uniquement parce qu’ils étaient Juifs et n’avaient pu fuir des pays qu’occupait l’Allemagne nazie mais qui étaient les leurs depuis des siècles. Puis ils sont revenus sur des terres ancestrales, conquises et partagées il y a trois millénaires avec des populations installées avant eux. L’Histoire sainte des chrétiens, des juifs et en partie l’histoire des musulmans s’est renouvelée, mais cet Etat se conduit en raciste autant que l’Allemagne nazie, sans doute avec moins de cruauté et bien moins de victimes : le principe, l’abus de position dominante, la posture de domination sont les mêmes. Il a naturellement son explication et de même que certains nient la « shoah », le massacre des Juifs qui reste enore mémoire d’hommes, de femmes, des victimes, de même Israël soutient que sa main-mise sur des territoires ne lui appartenant pas en droit international et la répression, le contrôle qui pèsent sur les populations de ces territoires sont une légitime défense. Victime du négationnisme, peut-on être négationniste soi-même ? J’ai soutenu la commissaire européenne chargée des Droits fondamentaux et de la Justice quand elle a dénoncé les pouvoirs publics français et a même évoqué un retour, jusques-là impensable, aux pratiques de 1942-1944. Et voilà que le gouvernement de François Hollande, cet été, s’est mis aussi à procéder de la même manière que celui de son prédécesseur. Si la France mentait…

Nous ne disons pas : histoire de la France, mais histoire de France, c’est-à-dire tout ce qui se rapporte à la France mais n’est pas tout elle. Elle est autre parce qu’elle a, pour beaucoup de Français, et plus encore pour beaucoup d’étrangers, un visage indépendant de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. La France est distincte de nous, mais nous en sommes responsables. Nous pouvons regarder, regretter nos hontes si – dans le présent que nous vivons et façonnons – la France se retrouve et s’embellit à nouveau de ce qu’elle est dans l’imaginaire et dans bien des aspects de ses paysages, de ses générosités et héroismes quotidiens. Certainement, c’est cet imaginaire qui a attiré les étrangers et nos anciens sujets, qui nous retient nous-mêmes, nous lie à la France par fierté. Je m’en sens responsable. Le Conseil d’Etat – notre plus haute juridiction adminiustrative – m’a reconnu implicitement le droit d’attaquer une décision ne me concernant pas personnellement, au seul motif qu’elle attentait à mon honneur : il s’agissait de faire annuler un décret signé du Premier ministre François Fillon, extradant vers l’Italie, son pays d’origine où elle risquait la prison à perpétuité, Marina Petrella, terroriste des « années de plomb ». Or, François Mitterrand, président de la République, avait promis que ces bénéficiaires de notre asile politique ne seraient pas livrés. Le gouvernement de Vichy, dans des circonstances tout autres, livra à l’Allemagne nazie, après l’armistice du 26 Juin 1940, qui ne le prévoyait pas, des milliers de réfugiés étrangers, ayant cru à notre image, notre culture, notre tradition de liberté : si la France mentait … à nouveau en 2008. J’argumentais – même moment que le traitement inhumain des Roms – qu’ambassadeur, j’avais cité à mes interlocuteurs officiels la France, notre pays, en exemple de la parole donnée surtout pour le respect des droits de l’homme et l’équité des procès. L’ambiance en Italie était au « lynchage » des terroristes politiques virtuellement récupérés : je l’avais vérifié auprès d’un de tes cousins d’origine italienne. Je ne fus pas débouté, la haute juridiction m’objecta simplement qu’avant qu’elle examinât mon recours, satisfaction avait été donnée à la prisonnière qui fut remise en liberté et assurée de n’être pas livrée aux siens. Et voici que l’affaire – l’histoire ? – recommence avec Aurore Martin, extradée vers l’Espagne pour participation à un mouvement politique séparatiste, Ibatasouna, au pays basque des deux côtés de notre frontière du sud-ouest. Or, ce mouvement interdit au-delà des Pyrénées, selon la loi faite à Madrid, est légal à Paris comme à Bayonne, et Aurore Martin, beau prénom est de nationalité française. Et Claude Guéant, le prédécesseur de Manuel Vallss, sous Nicolas Sarkozy, avait, semble-t-il donné sa parole qu’elle ne serait pas livrée… Le plus souvent les variantes empirent moralement.

Je ne sais encore si, maintenant – page suivante – je vais te dire comment s’est faite la France, à mon sens et de mémoire d’enfant instruisant progressivement la mémoire de l’adulte que je suis, du vieillard que je vais être bientôt, ou si je vais témoigner de ce qui peut l’empêcher de continuer à être elle-même. Et si elle n’est plus elle-même, elle n’est plus du tout, un pays c’est un peuple, ce n’est pas un drapeau, une surface sur la carte, la représentation en boule de notre planète Terre, ni des frontières, pas même une armée, des livres, des élus pour le gouverner ou le représenter. C’est… mais si la France mentait… question-affirmation que tu me donnes à traiter. Tu m’as demandé aussi d’expliquer le drapeau, le nôtre. Autre possibilité aussi de poursuivre. 


Dimanche 11 Novembre 2012

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