mercredi 30 janvier 2013

il y a quatre vingt-ans : Adolf Hitler, chancelier du Reich - nous sommes tous responsables

Hitler et le nazisme : quatre-vingt ans …
tous responsables d’hier à maintenant



Le XXème siècle a été franco-allemand. Des grands assemblages territoriaux et familiaux et des grandes discussions sur la souveraineté des souverains dont le XIXème siècle périmait tout mais en suscitant le drame bellègène des nations et des personnalités collective refusées, acceptées, niées, contraintes, libertaires, ont été pêle-mêle conclus par des guerres et des organisations internationales subséquentes. Les douleurs et les morts ont enfanté le monde du XXIème siècle que nous ne comprenons pas encore, que nous subissons au rebours de discours peu inspirés et irréalistes, les grands personnages – ceux dont on reconnaît vite ou plus tard qu’ils font l’Histoire – se font attendre, manifestement : le « people » et les égéries diverses n’en tiendront jamais lieu. La rencontre entre un pays et une personnalité, produisant ensuite des liaisons entre circonstances et partenaires, se fait actuellement dans l’anonymat de relations non voulues mais puissantes : notamment celles entre quelques Etats, la Chine et les Etats-Unis surtout, celles entre des idéologies de répulsion apparente mais d’attraction mutuelle, intégrismes simplistes d’identités dites ici islamistes, et là occidentales. Des aveugles et des forces se croisent sur une planète dont on sait qu’elle est limitée et vulnérable. Les Etats sont en question : la spéculation financière, la mondialisation, les marchés et les entreprises qui comptent, les nient évidemment. Les peuples ne se révoltent plus que selon des individualités héroïques : la Birmanie, le Tibet produisent ce genre de saints, l’Europe s’éteint sans soubresaut social, l’Amérique évite depuis cinquante ans toute interrogation sur ce qu’elle est devenue, l’Afrique n’a pas su placer ses élites au pouvoir, les pays émergents s’ignorent dans leur population mais défient en statistiques économiques les vieilles gens.

Qu’avons-nous aujourd’hui de commun avec Adolf Hitler ? l’instrument étatique, l’orgasme collectif en réunion politique et en plein air, la revendication d’espace et de justice ne sont plus ou presque. En tout cas, les relations internationales, les obsessions nationales ne sont plus dominées ainsi. Les dirigeants au mieux symbolisent les acceptations ou les refus. Le 30 Janvier 1933 est probablement l’avant-dernière date purement politique qui marque un rapport créatif – pour le pire ou le meilleur – entre une personnalité individuelle et une personnalité collective. La dernière – selon moi – étant le 18 Juin 1940. Ensuite, les dates seront celles d’alliances : la déclaration Schuman, la conversation Kennedy-Khroutchev, la rencontre De Clerck-Mandela, ou de catastrophes : Hiroshima, Tchernobyl, Fukushima, ou de victoires pour l’humanité entière : le premier pas sur la Lune, le premier robot sur Mars, et ainsi de suite. C’est plus que notre histoire. C’est sans doute la suite de la création (le mot, avec ce qu’il a divin chez l’artiste ou chez l’Innommé, a la majuscule ou pas, selon notre foi ou notre refus).

Mais Hitler et le nazisme sont – sans qu’il y ait à choisir – notre responsabilité. Factuellement, tout a été reconnu et expliqué d’une obsession franco-allemande mutuelle depuis la fin des années 1860 du double fait des naïvetés de Napoléon III et de l’habileté de Bismarck. Deux nationalités se heurtèrent dont les expressions n’avaient pendant un millénaire jamais été vraiment belligènes : seules les bandes dessinées ad hoc à partir du désastre de 1870 ont produit une rétrospective désastreuse en France, mais très motivante, tandis que l’Allemagne, et d’abord le « chancelier de fer », craignait que le succès soit éphémère et d’avoir à subir, avec peut-être moins de chance, la « revanche » française. Ceux qui comme Caillaux s’opposèrent à cette obsession et voulurent la conciliation, furent mis au ban, autant que Jaurès impuissant contre la pulsion coloniale française des années 1890-1910. Le traité de Versailles était mauvais, la Société des Nations sans les Etats-Unis qui avaient décidé de la paix ne valait rien qu’une leçon pour l’avenir. La crise de 1929 n’était ni française ni allemande. Les deux pays côte à côte n’avaient plus rien de commun, les rapports de force et les frustrations donnèrent leur fruit détestable. Chaque pays a ses démons mais les circonstances les rendent disponibles – ils l’étaient à la fin des années 20 et dans les années 30 en Allemagne – ou ridicules – ils le sont dans l’Europe de maintenant, France en tête, avec ses mouvements dits d’extrême-droite, quelques divers qu’ils soient selon les pays. Hitler pouvait être empêché par d’autres contextes : Briand et Streseman le comprenaient, Kellog, l’Américain aussi. Il pouvait être réduit par la force dans les deux-trois années de son arrivée au pouvoir : la Reichswehr et von Seekt, plus qu’Hindebourg, une solution politique…, l’intervention française contre la remilitarisation de la Rhénanie… étaient possibles. La chaîne des culpabilités par présomption ou par peur est certaine, établie.

Mais le tréfonds d’un système politique et mental est encore à reconnaître. Il ne fut qu’accidentellement allemand, et l’exceptionnalité de Hitler vient d’adhésions innombrables mais intimes qui n’ont pas encore été toutes repenties, consciemment et explicitement. L’Allemagne est unique en son histoire non par son paroxysme hitlérien mais, à la suite de sa défaite, par sa psychothérapie institutionnelle, d’autant plus méritoire que le manichéisme provoqué par sa division et par le stalinisme, lui donnait a priori prétexte pour l’éluder.   

La parabole nazie est oubliée. Car en tenons-nous compte pour nous, pour aujourd'hui ?

Cela s’est organisé – de façon voulue ? – depuis la fin des années 1960. La France en est un exemple. L’histoire des années 1930 et 1940, celle de l’Occupation, a été centrée sur la shoah avec une déviance, consacrée par Jacques Chirac en 1995 et validée l’été dernier par François Hollande : la France n’était donc pas à Londres mais à Vichy. Israël fascina en 1950 et encore au début des années 1960 – Pietro Nenni et Pierre Mendès France y contribuèrent – parce que le nouvel Etat, « mettant en valeur » le désert, était un modèle de socialisme et de colonisation alors que le stalinisme et la guerre d’Algérie en semblaient les négations. Ben Gourion ne fondait pas le nouvel Etat sur le sionisme ou sur la shoah mais sur la mémoire scripturaire et un droit de propriété, ce qui plaçait la question de Palestine sur le terrain d’aujourd’hui, dépasser les prétextes spirituels et ethniques de la Thora et du Coran, combiner les droits acquis de quelque date qu’ils soient. En France, naquit ainsi le communautarisme – aux méfaits pour la collectivité natiuonale bien plus importants mentalement que le « phénomène » des banlieues – auquel se refusent avec mérite les Français musulmans ou originaires de notre Outre-Mer. Le maniement de l’Histoire – l’obsession de la « revanche », les mythes germaniques autant que celui de la « perfide Albion » entre Jeanne d’Arc et Sainte-Hélène, ont été, par anticipation, du même tonneau que les invocations de Nuremberg – n’est possible que si les dirigeants politiques du moment savent discerner et exposer la réalité. Il est frappant que le général de Gaulle ait consacré une part décisive de ses discours, pendant la guerre, et surtout en fondant notre actuelle République, à l’explication de l’Histoire dont nous venions très immédiatement dans les années 1960, et à un discernement du monde contemporain nonosbtant les manichéismes d’alors : communisme, décolonisation et autres. La même entreprise de décapage n’est toujours pas commencé en économie où continue de régner, plus encore dans la conscience des dirigeants et des soi-disant élites, la dogmatique libérale selon laquelle moins il y a de règlement et donc d’Etat, plus il y a de propension et de fécondité à fonder de quoi produire. Le bien commun : automatique, selon le degré de pureté du marché.

La spéculation en philosophie de l’histoire peut paraître spécieuse et abstraite, je ne le crois pas, mais ne la poursuis pas ici. En revanche, les signes de notre cécité et de notre « mithridatisation » devraient ne pas nous tromper, mais ils mobilisent encore peu. De même qu’Israël a prétendu, depuis la guerre des Six-Jours à peu près, à se fonder désormais sur une créance envers le reste de l’univers – mais que les Palestiniens seraient seuls à acquitter malgré leur éloignement géographique et historique du nazisme – en oubliant totalement que leur implacabilité de dominants par la force envers les dominés malgré eux que sont les Arabes environnants, ressemble fort, dans son essence, sinon dans son degré et son organisation, à celle qu’ils ont dramatiquement subie en Europe dans les années 30 et 40, de même la France de ses ministres de l’Intérieur depuis 2010 – avec le triste précédent des charters d’expulsés inaugurés par Edith Cression, Premier ministre en 1992 – fait penser, camps de rétention, chass aux sans-papiers… à Drancy, à tous regroupements selon la race et la religion. Viviane Reding, en 2010 et en 2012, a eu raison de placarder en caractères immenses ce que faisait la France officielle, à un moindre degré, certes, à bien moindre échelle, peut-être, et vers des destinations qui ne sont pas les camps de la mort mais parfois des pays nataux ne valent guère mieux si l’on doit – comme aujourd’hui, mûris que nous sommes par l’expérience des guerres et des génocides – raisonner et gouverner, purement et simplement, selon les droits de l’homme.

Second indice de morbidité chez nous. La culture du chef. C’est la grande déviance du gaullisme d’après 1969. La démolition du Général par les siens a paradoxalement engendré en quelques années – manque de charisme et de « leadership » d’un président, grand par certains aspects, mais ordinaire par bien d’autres et d’abord par son parcours personnel – le chiraquisme, mélange de messianisme, de système à réseaux et corruption, et de simplisme. Le débouché a été double : l’inaction au pouvoir une fois qu’il fut conquis, si laborieusement, en 1995, et l’élévation au pavois d’un volontarisme de parole, celui de l’éphémère Dominique de Villepin, et d’un énergique culot, celui de Nicolas Sarkozy qui, rétrospectivement, commence à exercer du charme. Car notre histoire et notre malheur politiques, s’écrivent depuis une quarantaine d’années selon des manques, des vides, et non selon une direction à laquelle le grand nombre – « tout le monde » disait de Gaulle – est invité à participer, plus encore qu’à adhérer. On aboutit à la propagande et à la semi-vérité constamment. Au vide et à des décérébrations bien plus avancées chez les dirigeants, perdant conscience de ce qu’ils font, que dans le peuple, qui sait sa tolérance. Hitler en savait le maniement. Aujourd’hui, le poison nous laisse en déshérence.  

Le troisième signe est décisif, mais demande une analyse très étendue et documentée. Le mépris du « facteur travail » dans l’analyse des économies d’entreprise, les salaires de la base (non de la haute hiérarchie) comme seule « variable d’ajustement » sont notre racisme contemporain. Ils méprisent les droits de l’homme, la dignité de chacun, l’instinct de s’épanouir dans la création production, dans le coude-à-coude de la production. Le libéralisme – version récession des économies contemporaines – est un mépris, plus encore qu’un accaparement par quelques-uns. Tandis que se perdent la conscience de classe et son élan mobilisateur qui firent l’histoire sociale, et même politique de la France au XXème siècle, triomphe avec impudence une avidité pécuniaire qui ne seut s’expliquer que par une conscience apeurée de la précarité d’à peu près tout, et d’abord d’une réussite si individuelle qu’elle manque de socle.

Avoir vaincu Hitler, condamner rituellement le système et les obsessions de Mein Kampf, ostraciser pendant longtemps et encore souvent un parti extrêmiste, qui il est vrai s’y prête et en profite même, n’est plus qu’à peine utile. C’est en nous – en conscience si l’on est dirigeant, en tolérance ou en distraction collectives si l’on est tout le monde – qu’il y a à regarder et à faire. Factuellement, nos abus sont différents, moindres. Psychologiquement, ils sont analogues.

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