lundi 11 mars 2013

" Françafrique " - mûe ? ou pas ?


 
La France avait trouvé la bonne voie : un chef d’œuvre de négociation et une alliance tactique avec la Belgique et avec l’Italie, ayant elles aussi des territoires outre-mer, avait fait suivre la Loi-cadre du 23 Juin 1956 accordant un début d’autonomie de gestion à son empire au sud du Sahara, d’une convention annexe au traité signé à Rome le 31 Mars 1957 et instituant une Communauté Economique Européenne entre six Etats de l’ouest du Vieux Monde : le Fonds européen de développement pouvait accompagner les financements de la métropole ou s’y substituer amicalement, au lieu des possibles concurrences américaines et soviétiques. De leur côté, les futurs puis nouveaux Etats africains d’expression française avaient, à l’exception de la Guinée, couplé leur déclaration d’indépendance avec la signature d’accords de coopération, y compris militaire. Ils avaient été décisifs pour, d’élargissement en élargissement de leur cercle en Afrique occidentale et en Afrique, faire parvenir en moins de trois ans le continent presque entier – à l’exception des colonies portugaises et espagnoles, ainsi que de l’Union sud-africaine arc-boutée depuis 1948 dans sa doctrine d’apartheid – à une Organisation de l’Unité Africaine, associant à égalité, au contraire de tant d’organisations consacrant la division de leur continent respectif, le nord blanc et arabo-musulman et le monde noir multiconfessionnel. La France mutualisait donc les acquis physiques et mentaux de son administration coloniale avec ses partenaires européens, et ses nouveaux-nés africains étaient les zélateurs les plus conséquents, les mieux groupés du mouvement parafricain.

La France, le 11 Janvier dernier, a pris la bonne décision : la technique, les médias, la contagion des idéologies quand elles sont extrêmes soulignaient la relative proximité géographique entre le Sahel malien, le Sahara dans son entier vis-à-vis de l’Union européenne. Faute que l’organisation ouests-africaine (la C.D.E.A.O.) et les Nations Unies aient pu en dix mois s’accorder puis s’organiser pour une assistance militaire à la reconquête des territoires tombés sous l’emprise de « djihadistes », il fallait qu’une puissance alliant moyens matériels et humains, connaissance atavique du terrain et prestige vis-à-vis des populations à libérer ou à réconcilier, intervienne. Ce ne pouvait être que la France. On peut discuter le point de savoir si l’intervention aérienne n’aurait pas suffi et aurait donc évité à l’ancienne métropole l’ingérence massive et durable dans un pays s’étant révélé très fragile. Les précédents – notamment le soutien militaire au Tchad à compter du 25 Août 1968 où les Toubous rebelles manquent prendre Aouzou, l’opération aéroportée de Kolwezi pour un territoire et des expatriés de la mouvance belge, à partir du 19 Mai 1978, relayée en Juin par une force africaine (Maroc, Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire et Togo) – sont anciens et leur analogie incomplète : il existait un accord de défense entre N’Djamena et Paris, le Shaba était envahi depuis l’Angola par des rebelles formés par des Cubains, armés par les Soviétique et les Européens étaient massacrés.

Entre ces deux époques, celle de la concomitance entre les débuts de l’entreprise européenne et ceux des indépendances africaines, et celle, à présent, de l’intervention française la plus importante outre-mer depuis la fin des opérations en Algérie, l’évolution a été corrosive : elle a nui aussi bien aux Africains qu’à la France. Et l’actuelle guerre au Mali combine – qu’on le veuille ou non à Paris – l’ensemble des déviations et perversions d’un demi-siècle franco-africain avec quelques germes d’une novation dont aucun gouvernement en France et en Afrique, et pas davantage les institutions européennes, exécutives ou délibératives, n’ont été capables pendant tout ce temps.

Les indépendances africaines ayant eu lieu en pleine confrontation entre les deux blocs issus de la Seconde guerre mondiale, la crainte principale était une bascule vers Moscou. Elle n’a pas eu lieu même au plus fort de l’Union soviétique. En revanche, des gouvernants et des Constitutions, les uns et les autres très proches par leur  carrière ou par leur rédaction des caractéristiques françaises ont dégénéré. La chronologie des coups militaires engendrant, pour la plupart, des pérennisations pluridécennales au pouvoir ainsi conquis par des putschistes a tenu lieu dans presque tous les pays d’histoire nationale. L’état de droit n’est plus qu’une pétition, les procès politiques se dénouent par grâce pérsidentielle, jamais par voie de droit et les élections sont le plus souvent des apparences destinées – avec la triste tolérance de l’ancienne métropole, se portant fort des résultats de ces scrutins incontrôlés, tant auprès de ses partenaires européens que des organisations panafricaines ou de la francophonie – à légitimer un système de fait aux origines prétoriennes. La corruption est tellement l’ambiance locale qu’elle atteint les représentations des organisations internationales, et notamment celles fonctionnant sous l’égide des Nations Unies. Les exceptions sont rares et l’ancienne expertise française, résultant de l’administration coloniale et d’une réelle capillarité des fonctionnaires et militaires de l’Outre-mer, n’est plus qu’un discernement alétatoire tenant à un personnel diplomatique qui certes « tourne » en Afrique dans sa majorité, mais n’a pas le réflexe de mémoire et ne reçoit pas d’instructions de  rupture, au contraire.
La Cinquième République à ses débuts – en la personne du général de Gaulle – avait su forcer la conversion de ses ressources humaines. Trente ans plus tard, François Mitterrand avait tenté un nouveau cours : l’aide de Paris serait proportionnelle à l’efficience du mouvement démocratique au sud du Sahara, sinon dès la rive sud de la Méditerranée. Son discours prononcé à La Baule, le 19 Juin 1990 devant ses pairs africains, fut même avalisé, le 11 Juillet suivant, par le XXVIème sommet de l’Organisation de l’Unité Africaine. Quelques conférences nationales suivirent dans quelques Etats et les événements propres à d’autres déterminèrent aussi des retours à l’Etat de droit, mais la suite s‘est produite souvent autrement : des guerres civiles en règle en Côte d’Ivoire et au Congo-Brazzaville, des successions héréditaires à la présidence de la République, réussies en Afrique noire alors qu’elles étaient contre-carrées par les « printemps arabes ». Prononcés à Dakar, à cinq ans d’intervalle, le 26 Juillet 2007 par le président Sarkozy n’ayant pris connaissance de son texte qu’en se rendant à l’Université Cheikh Anta Diop qui l’accueillait, puis, le 12 Octobre 2012, par le président Hollande ayant au contraire beaucoup consulté et s’étant plusieurs fois repris à la plume, les plus récents et notables discours français ont été des adresses à l’Afrique disant à celle-ci son identité, son avenir. Ils semblent n’avoir eu comme ambition que d’évoquer les liens unissant la France et cet espace géographique, culturel, plus rarement stratégique et économique. L’un osa assurer que : « Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire…. Le problème de l'Afrique, ce n'est pas de s'inventer un passé plus ou moins mythique pour s'aider à supporter le présent mais de s'inventer un avenir avec des moyens qui lui soient propres. » Il fut donc quasiment hué à peine son texte entendu ou diffusé. L’autre, ayant relu son prédécesseur qu’il avait critiqué à l’époque, ainsi que le discours de son homologue américain parlant à Accra en Juin 2009, interrogea : « Le futur de l'Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises que le continent traverse. …  Mais sommes-nous là pour faire des analyses, pour essayer de comprendre, ou pour prendre nos responsabilités ? » Le second avait inscrit en proposition 56 de son programme : « je romprai avec la Françafrique » et, lors de sa première prise de parole, le soir du 6 Mai 2012, les urnes ayant été dépouillées, avait assuré que « nous ne sommes pas n’importe quel pays, nous sommes la France, la paix, la liberté, le respect, la capacité de donner aux peuples de s’émanciper des dictatures et des règles illégitimes de la corruption. »  L’écho du second discours de Dakar était programmé pour se faire entendre dans les trois jours, à Kinshasa en fin de « sommet » franco-africain et en dialogue avec le dynaste Kabila : l’exercice tourna court et mal, reçu comme avait été la leçon de 2007. L’application, alors imprévue, s’est donnée le 11 Janvier 2013 : l’intervention française au Mali, faute que personne d’autre n’en prenne l’initiative.

La réalité militaire a donc été appréhendée plus aisément que l’ensemble d’une relation, dite dans son fondement, mais jamais analysée dans son fonctionnement. Le discours de La Baule a considéré la légitimité des interlocuteurs de la France : celle-ci est évidemment en cause au Mali puisque le régime transitoire actuel est issu de deux coups de force successifs (contre le présudent en place : Amadou Toumané Touré, le 22 Mars 2012, puis contre le Premier ministre de transition, le 11 Décembre 2012). Elle l’est aussi pour les deux pays plus efficients dans les opérations dont la France garde, jusqu’à présent l’orientation et la responsabilité, l’essentiel du financement aussi : les troupes du président tchadien ont été les premières à venir en appui aux soldats français et donc à leur apporter la caution internationalement décisive d’une participation africaine au devenir d’un autre Etat africain, les frontières occidentales du Mali au travers desquelles peut se faire le repli de « djihadistes » ou de partisans d’une indépendance de l’Azawad (proclamée le 6 Avril 2012) sont celles de la Mauritanie. A N’Djamena comme à Nouakchott, soutenus par la France, avant l’actuelle intervention, règnent deux putschistes défroqués de leur uniforme : leur soutien est devenu indispensable et leur régime ne sera pas critiqué avant longtemps, alors même que l’un révise sa Constitution pour ne plus limiter le nombre des réélections et abolit l’indépendance de la magistrature, et que l’autre prépare des élections parlementaires et municipales sur la base de listes électorales contestées.

Il est probable que l’évaluation des régimes qui sont les partenaires de la France ne se fera pas. Apparemment, parce que la doctrine internationale et française considère les relations entre Etats selon l’effectivité de leur dirigeant, non selon leur légalité et encore moins selon leur légitimité. Une aspiration populaire, une contestation politique ont peut-être des voies de droit à l’intérieur du pays considéré, mais aucune dans la communauté internationale, l’exemple du Soudan se faisant inculper son président régnant devant la Cour pénale internationale, montre le cas qui est fait de cette juridiction par les partenaires de ce pays pour lesquels rien ne change. L’autre raison – et l’on vient à la question même que recouvre le néologisme de Françafrique – tient à ce que les relations ne sont pas seulement bilatérales, et entre Etats de nature et de fonctionnement en plus différents que leur puissance ou leur poids, mais qu’elles sont surtout de personne à personne, plus nombreuses privées que publiques, plus assimilables à des individualités qu’à des raisons sociales et ou à des personnes morales. En cela, elles ne sont ni identifiées ni analysées. Pas même récusées. Quelques procès – à la honte de notre pays – mettent au jour le soupçon de participations étrangères au financement des élections françaises. La corruption n’a pas principalement pour objet l’obtention par des firmes françaises de marchés africains, elle achète surtout une tolérance politique et des cautions diverses. D’autres grands partenaires étrangers de l’Afrique se sensibilisent autrement : ainsi les Etats-Unis, dont l’influence est déterminante sur les organisations financières internationales, posent comme condition de leur éventuel appui la reconnaissance d’Israël par l’Etat qui les sollicite. Naguère, la République fédérale d’Allemagne rompait avec tout partenaire reconnaissant la République démocratique allemande.

L’engagement pour l’intégrité territoriale malienne a deux caractères politiques. Il en va d’une part de la sécurité stratégique, pas seulement nationale, mais de l’Europe entière. Er d’autre part, l’armée française supplée à une carence des organisations africaines et de celle des Nations Unies. La France agit donc pour compte de tiers à deux points de vue. Là est la novation franco-africaine. La relation à l’origine – la fin des années 1950 – était ouverte en partenariat aux autres Etats-membres de la Communauté européenne et en concept puisque l’indépendance des anciennes colonies était dans son principe acceptée, et même par avance soutenue à tous égards, notamment financier et militaire. Cette relation – aussi parfaite que possible dans l’ordre international – s’est corrompue par une prétention de familiarité et d’expertise de l’Etat français avec ses jeunes homlogues africains. De plus en plus, à mesure du temps et que s’oublièrent les normes juridiques françaises, fondées sur la sincérité des sujets de droit dans l’application de celles-ci, familiarité et expertise sont devenues le fait quasi-exclusif de personnes et d’intérêts privés. Ils ne seront pas facilement chassés de leurs circuits car ceux-ci approchent et parfois contrôlent les souverainetés africaines. Le système n’est pas même vulnérable au niveau des intermédiaires : quelques-uns ont leur heure de célébrité médiatique et de mise en cause judiciaire. L’Afrique joue alors la réciproque : l’incarcération au Togo de l’ancien président d’Elf procède de ces scenarii où nos partenaires renvoient l’image de ce que nous sommes devenus, à leurs yeux.

Les antidotes ont existé au commencement des indépendances. Deux présences sur place empêchaient les dérives aujourd’hui déplorées. L’Europe en tant que telle, mais selon des formes pluralistes débattues financièrement à Bruxelles entre Etats-membres. La coopération française au fonctionnement et au développement, assurée en partie par d’anciens cadres de la France d’outre-mer, mais surtout par les jeunes gens du service national dès qu’eut cessé la guerre d’Algérie et son emploi du contingent. Elles peuvent aisément être de nouveau inoculées. L’intervention française au Mali, à laquelle se gardent de participer nos partenaires européens autrement qu’en quelques centaines de formateurs de la future armée de Bamako, et qu’en mise à disposition de quelques transsports aériens, s’est déclenchée et se poursuit sans qu’une préparation diplomatique ait procuré à Paris des soutiens plus étendus. Si ces soutiens sont intimidés par l’implication militaire, ils pourraient être appelés dans des contextes apparemment moins contraignants, mais bien plus importantes perspectives : l’état de droit dans chacun des associés de l’Europe en Afrique, dans les Caraïbes et dans le Pacifique (les Etats A.C.P.). Des institutions existent déjà, des financements aussi, notamment pour un concours détaillé et de longue durée dans les processus électoraux : de la confection-même des listes électorales à la proclamation des résultats, l’Union européenne a un savoir-faire technique et la ressource humaine. De tels concours et contrôles ont même été chiffrés aux alentours de deux euros par électeur. Le pouvoir peut changer de main – pacifiquement et par le suffrage universel – à condition que son expression sincère soit garantie devant les votants par des intervenants irrécusables, c’est-à-dire n’étant pas ceux du pouvoir en place.

Quant à la coopération française, qui pourrait avoir sa réciproque en France pour certains métiers – c’est déjà le cas pour le concours visible et apprécié des Eglises subsahariennes à l’animation en tout ou en appoint de paroisses françaises – elle suppose la réinstauration du service national obligatoire et universel. Justement, l’admission des filles autant que des garçons, et une option ouverte au plus grand nombre, avec pour seule limite l’attestation de capacités professionnelles déjà acquise, option pour une année ou deux en Afrique. L’exigence de celles et ceux qui sortent juste de l’adolescence ne serait altérée par aucune concession à l’ordre établi localement ni par aucune consigne des administrations ou du pouvoir politique français. Le regard et l’apport seraient  spontanés et le répondant africain de même nature et enthousiasme. Ainsi, la conjugaison des deux types d’intervenants romprait l’exclusivité des milieux d’affaires. La relation franco-africaine, sans perdre avant longtemps encore, ses racines de cœur et d’histoire, s’assainirait en changeant d’acteurs et en élargissant beaucoup ses perspectives. Une osmose très différente de l’actuelle serait possible et d’éventuelles migrations africaines vers l’Europe auraient leur caution d’une amitié nouée autrement que par les paris du dénuement et du désespoir. On serait enfin à l’air libre.

La France et l’Afrique peuvent donc entrer dans une troisième façon de relation, la première fondatrice n’ayant finalement son écho qu’à la troisième qui commencerait.  La seconde a été toute d’exploitation sinon de recel des acquis historiques, par des personnages corrupteurs et corrompus, enveloppant depuis longtemps le pouvoir politique dans un prétendu réalisme. La troisième ne peut se soutenir que par un fort soutien de ce qui a été peu appelé jusqu’aujourd’hui. L’Europe et la jeunesse. Et la vraie compréhension de la France pour l’avenir africain serait – en relations multilatérales – une militance nouvelle pour la révision des accords de Cotonou qui ont étendu aux Etats A.C.P. les princpes de la mondialisation en supprimant les préférences dissymétriques et les fonds d’aides structurelles. Sans s’éloigner de la France, au contraire en la retrouvant, l’Afrique changerait de vis-à-vis et les relations n’auraient plus une ambiance que les élections en France ne mettent pas en cause et que les soi-disant élections africaines confortent même.
 

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