jeudi 9 mai 2013

entretien avec Jacques de Bourbon-Busset, directeur du cabinet de Robert Schuman - au moment de " la déclaration "


Mercredi 7 Juin 2000 

. . . au café du Dôme, en face de l’église Saint-Paul, Jacques de BOURBON-BUSSET, 18 heures à 19 heures 15 + C’est lui qui a choisi ce lieu malcommode au possible s’il s’agit d’enregistrer, ce à quoi je tiens, pour la partie de notre entretien concernant MCM. Nous commençons par la candidature de MJ à l’Académie ; mon ami est estimé et connu des immortels, son élection, l’accueil sont acquis, la formalité est d’une lettre au Secrétaire perpétuel, actuellement Hélène CARRERE puis l’on fait des visites. Nous continuons très vite sur le second point. Mon homme est toujours très grand, le visage émacié, barbe blanche indécise, flottant plutôt dans sa silhouette et ses vêtements.Il n’est vêtu ni ne parle avec recherche. Quand je l’aurai quitté et serai de nouveau dans le métro, je tomberai sur un des contes pour Laurence, titré Le soir, et j’y verrai de l’auto-portrait ; il exhale de lui quelque chose qui est proche de la tristesse, il parle avec aisance sans affectation mais ne dirige pas la conversation, ne fait pas spontanément un exposé, les points d’une situation ou un portrait, mais il est précis et précieux, de première main. Normalien, le dernier concours, la maîtrise absolue qu’avait Alexis LEGER sur le Quai d’Orsay juste avant guerre, son anglomanie et donc son hostilité connue et déclarée envers le ministre, Georges BONNET, partisan d’un arrangement avec l’Allemagne ; le pacte germano-soviétique fit co nsidérer aussitôt la guerre comme inévitable ; curieusement, il ne caractérise pas le secrétaire général du Quai d’Orsay en littérature…Lui-même, fait prisonnier n’est élargi qu’en Avril 1941 sur la demande de BARNAUD, exceptionnalité des quatre diplomates prisonniers, tous les autres affectés spéciaux ou en poste au loin. On lui propose l’équipe de SCAPINI : celui-ci n’était pas collaborationniste, mais ultra-collaborationniste ; trouver autre chose, BARNAUD donc. Celui-ci, très intelligent, inspecteur des Finances, surtout de la Banque Worms ; pas du tout collaborationniste, ainsi que le reste de l’équipe, tâchant de préserver les intérêts français. On croit alors que PETAIN s’est séparé à tout jamais de LAVAL, qu’il joue double jeu, aussi le retour de celui-ci est un coup dur pour tout le monde. BOUTHILLIER qu’il n’approche pas est le personnage important. Pas de référence à BENOIST-MECHIN ni à DARLAN. ARNAL ne lui dit rien, SAINT-HARDOUIN est important ; le passage à Alger de MCM et de PLB est admirablement organisé, une mission en Espagne ; lui-même, par Jean TERRAY se fait nommer à la Croix-Rouge, il est en fait dans la Résistance le service de santé des maquisards.Le 20 Août 1944, Paris pas encore libéré, DG le fait président.S’il ne passe pas àLondres à son retour de camp, c’est par égard pour ses parents qui eussent certainement encouru des représailles, or il vit chez eux.Pas de contacts avec les Allemands et au Majestic, c’est la Wehmarcht. 

L’automne de 1945 : BIDAULT amène FALAIZE, journaliste comme lui avant la guerre, pas de raison spéciale pour nommer MCM mais aussitôt une bonne entente entre eux. Suzanne, la seule femme du Quai dès avant la guerre,entre au cabinet, deviendra sa femme et sera précieuse, méthodique et organisée, ce que n’est pas le ministre. Celui-ci intelligent, brillant peut paraître superficiel et peu travailleur, ce n’est qu’une apparence, FALAIZE encore plus ne paraîtra pas sérieux ni assidu, une pose. SCHUMAN est bien accueilli au Quai d’Orsay, il a réussi aux Finances, précis, très travailleur, lisant beaucoup et a été président du Conseil. CLAPPIER lui a été amené par BLOCH-LAINE, le premier de ses directeurs de cabinet, entente excellente, des catholiques, et lui-même proposé par CLAPPIER qui aux Finances en 1941-1942 l’avait repéré chez BARNAUD. SCHUMAN demande qu’on prenne des renseignements et l’accueille, il faut tout de même quelqu’un du Quai d’Orsay. BIDAULT peut parler avec Suzanne et a son exutoire, SCHUMAN, célibataire, n’en a pas, d’où l’importance du directreur de son cabinet.Le cumul avec la présidence du Conseil tant pour BIDAULT que pour SCHUMAN est flatteur pour le Quai d’Orsay, pas de réunions quotidiennes systématiques, mais fréquentes, et JBB assiste à celles ayant lieu avec le secrétaire général et le directeur politique. CHAUVEL, secrétaire général, puis PARODI, celui-ci n’étant pas plus du Quai originellement que MCM ou ALPHAND, est aimable, mais tous deuxà se succéder dans le poste sont peu rauyonnants.MASSIGLI au contraire a l’ambition et l’étoffe pour exercer la même emprise que LEGER. PMF, plutôt redouté à l’avance au Quai d’Orsay pour ses idées arrêtées et son esprit de décision, étonnera beaucoup en virant aussi vite MASSIGLI du secrétariat général. SCHUMAN et BIDAULT du même parti, mais de tempéraments totalement différents : le second reproche au premier de n’être pas orateur et celui-ci à celui-là d’etre superficiel et fluctuant. SCHUMAN comme GASPERI et ADENAUER est un homme des marches, en sus il veut éviter que se renouvelle le jeu anglo-américain de 1918-1924, Etats-Unis et Angleterre montant les Allemands contre nous.Il faut faire quelque chose et c’est MONNET, à qui est exposée l’idée d’André PHILIP d’une Haute Autorité de la Ruhr qui trouve l’idée en y ayant mis URI et HIRSCH. Il y aussi Paul REUTER qui sera le rédacteur du traité CECA. Ce n’est reçu qu’avec inquiétude au Quai d’Orsay, crainte qu’on donne trop aux Allemands. MCM en fait alors partie. Réunion à laquelle assiste JBB : la Corée impose le réarmement allemand, il n’est pas concevable que les soldats américains se fassent tuer tandis que les jeunes Allemands se croisent les bras, résistance de SCHUMAN qui fait état de sa propre arrestation par les Allemands, insistance américaine, téléphone à MONNET qui improvise, ce qui plaît à PLEVEN dont il est également proche, une CED calquée sur la CECA mais chacun sait que ce n’est qu’un faux-semblant, sauf ALPHAND qui y croit et devient l’homme d’une institution à laquelle personne n’adhère. Autant MCM peut s’entendre avec BIDAULT, chaleureux et brillant, qui le met à l’aise, autant avec SCHUMAN, ils sont tous deux à se réfrigérer l’un l’autre. L’exil au Caire. A l’époque, l’Egypte est une grande Ambassade ; la dignité d’Ambassadeur de France, c’est MCM qui la réclame ; une sanction ou une mésentente d’origine SCHUMAN ou BIDAULT. Ni l’une ni l’autre, MCM est lassé et surtout n’est pas promis au secrétariat général (nétant pas de la carrière originellement, c’est proprement impossible), mieux vaut partir. FRANCOIS-PONCET une nomination indiscutée, ce qu’il a fait avant-guerre, il parle l’allemand et connaît l’Allemagne mieux que quiconque, sa succession ouverte dès 1953 au profit de MCM, mon vis-à-vis qui est alors hors du cabinet et directeur des affaires culturelles, ne peut en attester…
De GAULLE est, aux débuts de la période, la référence constante et implicite : qu’en pensera DG ? On ne peut dire qu’il existe des clans et des clivages au Quai d’Orsay, MCM homme de DG ? sûrement pas à l’époque, et c’est PALEWSKI, l’homme de la confiance, COURCEL évidemment ; ce n’est qu’à mesure et plus tard que DG et son ministre auront la relation qu’on connaît. Mérite certain d’avoir fait le traité avec la République fédérale, preuve que DG n’était pas le nationaliste qu’on a d’abord cru.

Ce genre de conversation me ramène à moi-même, j’ai d’évidence les sujets et la bonne posture ces mois-ci, mais je n’ai pas su m’y prendre : attendant trop du prince et négligant la fratrie et la corporation.

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