dimanche 27 octobre 2013

le Front national : révélateur ou agent des Français ?

susceptible de retouches après relecture



Les odeurs de palier à Orléans : Jacques Chirac en campagne (électorale) 1981 ou 1986. « Les assistés. Comment la France les fabrique. Peut-on vivre sans travailler ? Les riches qui en profitent. Le grand délire des allocations », affichage grand format de la couverture du Point cette semaine.

Incitation à la haine, la haine de l’autre quand il nous est différent si peu que ce soit ou beaucoup. Symptôme d’un pays qui meurt, le réflexe du « petit blanc » : la défensive, l’accusation, le bouc émissaire. Le racisme et les slogans du genre « les Français d’abord ! » ont peut-être été ré-essayés par le Front national, dans la France contemporaine, après tant d’autres époques de notre histoire quand se répand la conscience de perdre et d’être dépassé par les événements sans pouvoir se comprendre ni comprendre l’actualité et la leçon des circonstances (nos années 30), mais les véhicules ont été nombreux et se sont multipliés, à telle enseigne qu’un passé du genre de Drancy, voire les camps dits de rétention administrative pendant la guerre d’Algérie, en métropole-même, aujourd’hui condamnés sans qu’aient jamais été dites exactement les responsabilités, n’interdisent toujours pas et le fait et plus encore le discours les « justifiant » : Brice Hortefeux, Claude Guéant, Manuel Valls… un président de la République, en Juillet 2010, à Grenoble. Autant de salutations depuis plus de trente ans à ce qui, par ailleurs quand il s’agit de comptabiliser les voix ou de légitimer les alliances pour en empêcher d’autres, est ostracisé. Deux bienséances différentes sur un même thème, pour les mêmes faits.

La base en morale politique étant si molle, médias et dirigeants de partis, gouvernants aussi sont forcément désarmés pour comprendre le Front national, l’admettre à l’élection, le combattre en psychologie et en sociologie. Car la manière dont ce qui est prétendu l’apanage ou le « fonds de commerce » des lepénistes, a été en fait reprise par une partie de l’U.M.P. et par l’actuel ministre de l’Intérieur, les uns en paroles après avoir exercé le pouvoir, l’autre en ressemblance (même si elle n’est pas voulue ?) avec ses prédécesseurs immédiats, coupe la parole à tout adversaire politique du mouvement dit d’extrême-droite.

Les législations et réglementations françaises – nationalité, avantages sociaux, droit d’asile – seraient à étudier dans leurs évolutions en fonction de deux questions : accompagnement des calendriers électoraux, contamination par les simplismes sinon les « bobards » du Front national accueillis par une part de plus en plus grande de la population française, peu informée des conditions d’accueil et de pérennisation des personnes d’origine étrangère et pas davantage de l’accès de celles-ci aux droits sociaux. Le préjugé général est que ce qui est donné à d’autres est enlevé aux nationaux, quand il n’est pas – anecdotes à l’appui – assuré que la préférence non seulement n’est pas nationale, mais au contraire donnée aux étrangers [1].

Les thèses Front national ont donc été contagieuses, leur propagation n’est pas en déclin, elles sont explicatives de presque tous les maux publics : déficits budgétaires, tension sur le marché de l’emploi, et pas seulement des problèmes d’insécurité. Elles dominent l’ambiance parce qu’elles sont simples, de portée générale, d’application à tous les sujets et que la stratégie électorale de la formation extrêmiste étant le renvoi dos à dos des deux principaux partis à vocation gouvernementale et à représentation parlementaire, elles passent surtout pour être sans étiquette politique. Elles portent donc un critique globale, non de la société, mais de ce que la politique fait de la société. La contagion du propos, la tolérance à ce propos sont du même ordre qu’à certaines de nos tristes époques l’antisémitisme. D’ailleurs, l’antisémitisme est un des fonds du Front national à sa fondation mais un filon bien plus productif a été trouvé avec l’immigration.

La République, et donc les partis qui la respectent et en procèdent – y compris ceux qui soutiennent la proposition capétienne d’un autre mode de recrutement pour sa présidence, même s’ils sont bien peu nombreux et aucunement notoire maintenant – ont traditionnellement de la difficulté à s’opposer avec les partis extrêmistes. Elle ne peut les dissoudre sans contredire  sa propre source spirituelle et idéologique, la somme de ses valeurs humanistes et libertaires, sauf groupuscules sans conséquence comme en 1968-1969 ou cet été. Le Parti communiste naguère, le Front national aujourd’hui, même si les positions du premier à la déclaration de guerre en Septembre 1939, ou les graves écarts de langage de ses chefs depuis des années pour le second, semblent exclusifs d’une vie publique respectueuse des acteurs autant que respectées par ceux-ci.

Opinion et ambiance générales, concessions des pouvoirs publics par leur production de textes et par leurs comportements, objection démocratique ne trouvent cependant leur impact que par une progression dans les urnes. Déjà en 1986, par un habile changement du mode de scrutin, le Front avait embarrassé la droite parlementaire. Déjà en 1998, aux élections régionales le Front sembla, en certaines régions, dont Rhône-Alpes, arbitre de la suite. Déjà en 2002, le Front dénatura l’élection présidentielle au point de faire plébisciter un vétéran qu’aurait sans doute, dans une autre disposition des candidatures, bousculé le Premier ministre sortant. Justement, chacune des avancées du Front national a été facilitée par des manœuvres ou des fausses manœuvres de l’un ou l’autre des deux partis d’expérience et de vocation gouvernementale. C’est à ce point du questionnement des circonstances actuelles qu’il convient de s’arrêter. Un mouvement, initialement protestataire selon des thèmes d’expression précise mais d’application extensive, est devenu une menace pour l’ensemble du système que les deux partis dominants ont érigé, au mépris certain de l’esprit fondateur de la Cinquième République et de ses institutions, et sans considération pour le vœu des électeurs.

U.M.P. et P.S. ne sont plus des partis d’alternance ni, chacun selon ses traditions, ses précédents, ses origines idéologiques et historiques, un creuset pour des solutions gouvernementales, tenant compte de l’échec des précédentes et des souhaits formulés par les électeurs quand ceux-ci favorisent l’un plutôt que l’autre. La vie gouvernementale française ne marque plus aucun changement que de personnes à la suite d’aucune élection. Seules, celles de 1981, 1986 et 1993 ont été suivies de changements substantiels d'orientation. Depuis 1993, la ligne générale a été au démantèlement de l’Etat et du service public, quelle que soit l’étiquette gouvernementale ou présidentielle, les privatisations des services, structures et entreprises. Les réformes des régimes de retraite spéciaux ou généraux, la troisième en dix ans, le creusement de la dette publique, la croissance du chômage, la désindustrialisation du pays atteignant maintenant l’ultime bastion : l’agro-alimentaire, la pénétration de l’investissement étranger au cœur du ludique autant que dans nos partenariats nucléaires, empêchent de différencier les tenants et l’exercice du pouvoir en France depuis vingt ans. Les Français ressentent comme un bloc intellectuel ou une soumission à l’air du temps, sinon à l’étranger et au supranational, les politiques, la fiscalité et même l’offre de produits de grande consommation qui leur sont imposées. Ils ne se reconnaissent plus dans leurs gouvernants. L’antiparlementarisme, limitant aux élus la critique et la caricature, est dépassé : le gouvernement, le président de la République semblent ne plus être d’abord dévoués au pays, aux administrés et aux citoyens mais appliqués à satisfaire des règles ou des intérêts débordant les Français. Le Front national formule ce sentiment avec plus de vivacité : complicité des partis dominants et abandon de leur fait, par l’Etat, d’une mission tutélaire ! Evidemment, quoique l’impact soit difficile à mesurer, que la mémoire ne soit pas lointaine et que l’exceptionnel soit devenu ces années-ci une seconde nature de la politique en France : la corruption et son application aux financements des élections présidentielles depuis celle de 1995. Le scandale d’une participation de pays étrangers eux-mêmes sous dictature, à ces financements, ou le détournement de marchés à l’exportation ne sont pas distingués du reste : affaire de mœurs… le discernement des cas, des montants, de la place des bénéficiaires, personnes physiques ou personnes morales n’est pas fait. La même approximation qui surcharge les rumeurs de fraude à la nationalité et aux prestations sociales, banalise au contraire ce qui entache gravement l’image de la France contemporaine.

La question se pose alors : s’agit-il pour le pays de réduire un parti extrêmiste, de le confiner comme cela domina dogmatiquement la vie française pendant un demi-siècle, à propos du Parti communiste ? Ou s’agit-il de maux à éradiquer et qui sont réversibles ? Exclusion ou assainissement ? Le Front a-t-il droit de cité ? lui accorder non seulement l’élection, mais la représentativité et à terme la participation à des gouvernements ? est-ce mettre en danger la démocratie et le corpus des valeurs humanistes nationales ? Assainissement ? mais comment ? Opération sur le corps politique dans son entier pour qu’il retrouve la confiance populaire ? ou banalisation d’une formation qui aurait, par ses succès électoraux et surtout la diffusion de ses thèmes, changé l’attitude des Français et de leurs dirigeants en viciant, voire en rendant impossible la relation entre sécurité et liberté ? Le dilemme, pas clairement assumé dans le jeu de rôles pouvoir/opposition, est posé dans un contexte périlleux : celui du chômage et de la récession, celui du quant à soi d’une minorité fortunée dont les rejetons se dénationalisent, tandis que la dialectique et la solidarité de conditions sociales et de classe ont presque totalement disparu au profit d’une paradoxale mais désastreuse combinaison de l’individualisme et du communautarisme. La nation entière est en voie de fragmentation, les partis politiques traditionnels – qui ces temps-ci, au pouvoir ou dans l’opposition, n’ont plus, chacun, vraiment un chef, ce qui n’a pas de précédent – se sont à leurs propres dépens organisés un duopole qui doit beaucoup au fixisme de nos institutions, les rapports de force et la distribution des rôles se faisant tous les cinq ans. La représentation nationale n’épouse donc pas les mouvements de l’opinion et l’exercice du pouvoir exécutif ne répond pas aux souhaits de la population pas plus qu’il ne maîtrise ou pallie les circonstances de plus en plus défavorables au pays.



Le traitement politique d’un parti extrêmiste a ses précédents et recettes. François Mitterrand, ainsi qu’en d’autres domaines, a été inventeur encore plus que fondateur. La stratégie de l’alliance pour gouverner avec le Parti communiste a eu raison de la base électorale de celui-ci sans qu’il puisse, au contraire, être reproché à la gauche, de trahir l’histoire nationale par un programme commun de gouvernement contraire à sa nature. L’instauration de la représentation proportionnelle pour l’élection à l’Assemblée nationale n’a pas transformé ni réduit le Front national mais était une occasion pour la droite parlementaire d’alors : le rassemblement pour la République (R.P.R.) de se démarquer du Front. Nos institutions sont telles que les prérogatives et la stabilité de l’exécutif ne seraient pas mises à mal par un recrutement différent du scrutin majoritaire uninominal à deux tours. L’Assemblée contrôlerait mieux le gouvernement, représenterait bien davantage et fidèlement le pays. La participation à terme du Front national à un gouvernement de l’U.M.P. s’inscrit dans la logique des fraternisations thématiques. Jacques Chirac a manqué la grande opportunité d’un gouvernement d’union nationale après sa fausse réélection de 2002, il y eût gagné une légitimité qu’il n’aura historiquement jamais obtenue, puisqu’au premier tour de chacune de ses candidatures présidentielles, il n’a jamais dépassé 20% des suffrages exprimés. Nicolas Sarkozy et ses éventuels successeurs à la tête de l’U.M.P. ont tort de refuser une coalition avec l’extrême droite « frontiste », même si ce serait reconnaître que, depuis le départ forcé par referendum du général de Gaulle en 1969, les mouvements qui lui ont survécu et se sont succéder pour un électorat de plus en plus réduit et de plus en plus identifié seulement à droite, n’ont plus rien de commun avec un quelconque legs de l’homme du 18-Juin. Cette cohérence aurait un autre avantage, rendre de l’espace au centre et, ce qui peut ne pas rester accessoire, donner par celui-ci une structure conforme à la laïcité de l’Etat à une autre extrême-droite que le Front : la nébuleuse des protestataires se disant catholiques, qu’ont mise en évidence les projets gouvernementaux sur le mariage et la bio-éthique. Ces protestataires sont d’ailleurs davantage accueillis et soutenus par la droite parlementaire que par le Front.

Si la responsabilité de l’U.M.P. est de l’ordre de la franchise : les thèmes sont communs avec le Front national, de même que la politique économique, sociale, budgétaire tentée avec discontinuité et sans méthode entre 2007 et 2012 est maintenant à l’œuvre avec ténacité sous signature socialiste, et que le reconnaître à droite serait pour celle-ci le meilleur moyen de miner son ennemi…, la responsabilité de la gauche est de réinventer un gouvernement et une politique de son crû qu’intuitivement les Français, s’il s’agit de gouvernement et non plus des obsessions sécuritaires sinon racistes, attendent et formulent même.

Les changements institutionnels sont, pour le moment, de la compétence de la gauche. Et s’il fut de la responsabilité de Jacques Chirac de créer le consensus en 2002, il est à la charge de François Hollande de proposer les réformes rendant nos institutions et surtout l’expression de nos opinions, conformes aux états d’esprit. La représentation proportionnelle devra éviter l’écueil d’une toute-puissance des appareils de parti sur la composition des listes. Celle-ci serait pire que le cumul des mandats et aurait encore moins de justification. Les expertises de constitutionnalistes, de publicistes voire de comparatistes sont nécessaires pour établir ces nouveaux modes de scrutin. En revanche, pour donner à l’opinion protestataire la possibilité de s’exprimer autrement que par l’abstention, difficile à classer, ou par le vote en faveur du Front national que toute la classe politique veut contenir, le vote blanc devrait être distingué du vote nul et avoir son efficacité en ce qu’un quorum de suffrages exprimés par rapport aux inscrits et dont seraient retranchés les bulletins blancs, serait nécessaire pour tout scrutin en toute assemblée ou au suffrage direct national. Enfin, si les citoyens veulent du civisme chez leurs élus et leurs gouvernants, ils seraient pris au mot en rendant leur vote obligatoire, à peine de pénalités fiscales.

La rigidité actuelle de nos institutions tient en grande partie à la coincidence des élections présidentielles et législatives, à la durée égale des deux mandats et aux habitudes malheureusement prises d’interdire les votes de conscience au Parlement, en sorte qu’aucun débat n’a plus d’enjeu, que la contestation à l’intérieur de la majorité comme de l’opposition est seulement médiatique. La concurrence pour l’exercice du pouvoir n’est plus qu’une bataille entre machines dont des personnalités (sinon des caractères) se disputent le contrôle, elle n’est plus depuis les années 1980 une comparaison des diagnostics et des remèdes et la question d’Europe, pourtant mise en referendum en 1992 et en 2005, est traitée de façon aussi puérile et peu informée que les enjeux nationaux.

La vie politique française répudierait les simplismes et les invectives, les procès d’intention et les répétitions d’arguments controuvés pour se consacrer à la renaissance du pays, à sa restructuration économique et sociale si elle était appelée à choisir une telle mûe institutionnelle. Celle-ci en entraînerait certainement une autre : la remise en œuvre d’une planification, donc d’une concertation de tous les partenaires, pour des durées que suggèrent celles des mandats du président de la République et de l’Assemblée nationale (on ne serait d’ailleurs pas loin du gouvernement de législature proposé par Pierre Mendès France par opposition, en 1962, au nouveau mode d’élection à la tête de l’Etat). Donc un nouveau cadre pour les forces sociales et les décisions économiques, au lieu du libre-arbitre et des multiples rapports ou commissariats généraux. Donc des modalités de participation pas seulement à la vie politique ou selon les procédures propres à la vie des entreprises.

Les Français ne demandent qu’à être adultes. Si les simplismes ou les extrêmes sans exutoire ont cours parmi nous, c’est que la comédie des pédagogies gouvernementales, à droite puis à gauche, et ainsi de suite pour un total immobilisme de la pensée et de la communication, celle des diverses auto-justifications aussi, sans jamais l’aveu d’erreurs ou d’impasses pourtant évidentes, nous infantilisent.


[1] - Le Canard enchaîné n° 4852 du mercredi 23 Octobre 2013 - p. 3


propagande (Jean-François Copé, 10 Octobre . France 2) : le RSA accordé aux étrangers sans minimum de séjour
réalité : 5 ans de présence régulière avec titre de séjour autorisant à travailler
propagande (Jean-François Copé, 21 Octobre : France Inter et Brice Hortefeux, 15 Octobre . RTL) : aide médicale d’Etat couvrant à 100% même les irréguliers, alors que les nationaux ont une franchise de 50 euros à acquitter
réalité :  justifier de trois mois de présence et de revenus mensuels inférieurs à 716 euros ;  les Français sous le même seuil de pauvreté, sont couverts par la CMU-C remboursant mieux notamment l’optique et le dentaire
propagande (Hervé Mariton BFM TV, après Marine Le Pen, Laurent Wauquiez et Nicolas Sarkozy en 2012) : le minimum vieillesse après quelques mois de résidence
réalité : dix ans de résidence et moyennant permis de séjour ayant autorisé à travailler 

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