vendredi 13 décembre 2013

pour la revue Défense nationale - Une dissuasion réfléchie -




Un colloque organisé dans l’une des salles de l’Assemblée nationale, le 12 Décembre 2013 – une « première » a-t-il été répété –, confirme que la dissuasion nucléaire française n’est plus un tabou dont l’énoncé dogmatisé et l’évolution des doctrines en concept et en emploi, ne seraient ni discutés ni discutables. Jeunes experts à titre personnel ou associatif, officiers généraux du cadre de réserve dont plusieurs responsables de l’une ou l’autre des composantes de ce qui à son origine était débattu ou critiqué comme « la force de frappe »(trois fois la question de confiance en Octobre 1960 – la pleine guerre d’Algérie – pour faire adopter les crédits budgétaires) ont dialogué entre eux, et pas assez avec le public, sur deux mutations.






Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne surtout, selon des participations russes à des colloques « occidentaux », la pertinence d’une dissuasion nucléaire est depuis deux décennies très discutées y compris par ceux qui en étaient militairement responsables, ainsi que par des personnalités telles que Mac Namara et Kissinger. En France, l’unanimité consacrée par le ralliement du Parti socialiste selon Charles Hernu et François Mitterrand, n’aurait donc duré qu’une vingtaine d’années. Les opposants observent que la France la France gagnerait en renommée et en influence, dans l’histoire et dans le monde, en abandonnant ses armes nucléaires. La dissuasion nucléaire ne nous garantit de rien. Elle accroît l’insécurité car elle est une incitation à la prolifération. Couplets sur l’argent mis ailleurs, sur les risques d’accident.(même s’il est avéré qu de nombeux accidents d’avions porteurs d’ogive n’ont pas dégénéré) On n’évoque pas Palomares mais un soldat PETROV… qui n’a pas appuyé sur le bouton alors que les radars satellitairs signalaient le vol de cinq missiles d croisière). Argument second, le monde a changé, la guerre froide est finie. Défendre dogmatiquement la « force de frappe » est se tromper d’époque. C’est un obstacle à la paix.La force française est à l’origine une prolifération. Son perfectionnement est aussi une prolifération nous mettant en contradiction avec notre ratification, d’ailleurs tardive, du traité de non prolifération (1975) nous engageant à œuvrer pour la désarmement nucléaire. Le nucléaire français (et britannique) est un obstacle à la construction européenne, puisque tous les autres Etats membres s’opposent à un nucléaire européen. Le nucléaire enfin nie la démocratie mondiale, un Etat = une voix, aux Nations Unies. Un rapport de l’an dernier au Sénat, reconnaît implicitement que si c’était à recommencer aujourd’hui, on ne la ferait pas. Ancien Premier ministre, Michel Rocard voit même dans la persistance française une participation à une génération de génocidaire au même titre que les responsabilités en matière climatique. Si sa remarque est avisée sur des ciblages à son époque – puérilement dangereux : la République démocratique allemande, ce qui nous eût définitivement avec la République fédérale si celle-ci l’avait su – sa caution est faible puisqu’il admet avoir changé plusieurs fois d’avis depuis son adhésion au socialisme (libertaire par opposition au communisme) à ses seize ans.



Les tenants de notre dissuasion ont d’abord beau jeu de montrer que les intérêts financiers et industriels tirent plus avantage des équipements conventionnels que nucléaires. Ils rappellent que François Mitterrand a fait abandonner une de nos composantes : la sol-air et les missiles du plateau d’Albion, que la production de matières fissiles a été arrêté puisque notre stock de 30 tonnes suffit largement, celle de plutonium, qu’enfin en 1993, la France avec Pierre Bérégovoy avait décidé le moratoire de nos essais. La dissuasion a beaucoup d’expression conceptuelles et même diplomatiques : partagée, élargie, peut-elle, en combinaison avec les moyens britanniques, selon les conversations de Saint-Malo et de Lancaster House, couvrir l’Union européenne ? Les Allemands – qui, à nos propres débuts de 1956-1958, s’étaient associés à nous ce à quoi, averti par Couve de Murville, arrivant de l’ambassade de Bonn, de  Gaulle mit fin tandis que Strauss, ministre de la Défense en 1961, revenait à al charge auprès de Messmer – sont hostiles depuis nos approches de 1996 et ensuite.






Les temps ont indiscutablement changé. Sont-ils moins dangereux ? Les dissuasions existantes, celle des Cinq, mais aussi d’autres sans aller jusqu’à la vingtaine que redoutait Kennedy, se sont entreprises toutes dans une ambiance binômale : les Etats-Unis pour en finir au plus vite avec le Japon et se prévenir d’un accès d’Hitler à cette arme absolue que Renan puis Nobel prédisaient comme la meilleure arme universelle contre la guerre, l’Union soviétique contre l’Occident, la Chine face à Moscou, et la France pour valoir face à l’Allemagne selon la réponse donnée à Kissinger par de Gaulle devant Nixon, l’Inde et le Pakistan, sans doute l’Argentine et le Brésil. C’est la fin de la guerre froide qui a d’abord clos tous les cycles de réduction convenus entre Américains et Soviétiques : elle a provoqué les proliférations iranienne, nord-coréenne, d’autres…  et surtout une recrudescence de conflits graves, l’Europe balkanique des années 1990 et peut-être l’Extrême-Orient pour divers îlots.



Deux éléments actuels n’ont pas été évalués.



La crédibilité des Etats nucléaires n’est pas seulement fonction d’une mise à jour technique, elle est politique, elle est une relation du décideur suprême avec son peuple. Les démocraties sont alors vulnérables, les dictatures bien moins. Il a été dit que le président français – Jacques Chirac – avait acquis cette crédibilité par la reprise de nos essais et par l’attitude de la France dans la seconde affaire d’Irak et que François Hollande l’obtenait par sa détermination en Afrique au sud du Sahara. Il n’a pas été dit qu’une réinvention d’un service national, universel, garçons et filles, avec un temps d’initiation militaire et un autre de coopération notamment dans les pays si peu démocratiques de nos actuelles interventions militaires, aurait, outre son effet social, une reconstitution d’un esprit de défense, celui que nous avons perdu à la suite de la Grande Guerre.



La Chine à peine, la Russie presque pas du tout, ont été évoquées comme éventuels partenaires dans le jeu de rôles du nucléaire. Sans doute, a-t-on relevé l’erreur – la volonté américaine de maintenir une emprise mentale sur les Européens – de ne pas déclarer désormais sans objet l’Alliance atlantique à la dissolution du pacte de Varsovie, et tant des maladresses « occidentales » frustrant la Russie. Sa dictature actuelle, les questions de matières premières et de délimitation territoriale de l’influence entre Bruxelles et Moscou, se résoudraient-elles par un retour aux dissuasions d’antan ou par une reprise des processus démocratiques. Moscou ne fait-il pas valoir un rapatriement sur son seul territoire de tous ses engins balistiques, stationnés à l’extérieur à mesure des installations américaines en Europe, alors que les Etats-Unis n’en font rien, même si leur « pivotement » de l’Atlantique au Pacifique le fait redouter aux Européens leur désengagement, bien plus que le retrait symétrique de ces armes. La Chine, analysée comme la puissance humiliée par excellence pendant plus d’un siècle et envahie de tous, ne serait que pacifique, cf. le Tibet... et n’aurait pas plus de têtes nucléaires que nous. Ce qui est oublier son projet prochainement réalisé de base lunaire et ses équipements maritimes à proportion de ses ambitions en mer de Chine



Une réflexion, pas nouvelle, sur ce qu’est la puissance : l’économie allemande, l’exportation chinoise même si elle sont respectivement tributaires de la santé du reste de l’Union européenne et des matières premières dont n’a jamais disposé en propre l’Empire du milieu... doit-elle se substituer à la considération d’autres techniques militaires : la balistique important plus que la bombe ? ce qui avait d’ailleurs été l’intuition du général de Gaulle pour toute négociation de désarmement.



Peu traitée dans le livre blanc sur la défense – elle n’a fait l’objet que de deux séances de ses rédacteurs – la dissuasion nucléaire française a reçu de l’élu de 2012 le maintien à peu près intégral de ses crédits, le président Hollande ne tranchant pas sur les choix à opérer à l’intérieur du montant acquis. Reste à faire participer, non plus seulement le contribuable, mais le citoyen. La discussion pour construire un nouveau consensus, plus explicite, en des temps difficiles à caractériser, sera plus efficace qu’une sanctuarisation politique à laquelle personne, pendant ce colloque, ne s’est plus attaché.


initiative et organisation : Pierre Paacallon, ancien député - accueil par Hervé Morin - modérations : Michel Polacco, Alain Barluet, Philippe Wodka-Gallien, amiral Jean Dufourcq - exposés, Georges Le Guelte, général Bernard Norlain, Patrice Bouveret, Jean-Marie Collin, Benoît Pélopidas, général Claude Leborgne, Thierry Widemann, Yannock Quéau, Alexandre Vautravers, Bernrd Sitt, Philippe Cothier, Jean-Pierre Gaviard, général Forget, François Gere, Bruno Tertrais, Jean-Pierre Maulny, Jean-Pierre Tiffou, général Vincent Desportes, général Etienne Coppel , André Dumoulin, Isabelle Lasserre, Emmanuel Nal, Camille Grand, Jean-Sylvestre Mongrenier



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