samedi 22 mars 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 23 au 13 Novembre 2007



Observation & réflexions

013

Chronique . . .




soir du vendredi 23 Novembre – fini ?                                                        p. 1

soir du mercredi 21 Novembre – l’Esprit souffle où il veut                          p. 4

soir du lundi 19 Novembre – avant quoi ?                                                   p. 7

matin du samedi 17 Novembre – pour voir ?                                               p. 10

soir du jeudi 15 Novembre – « gérer » l’ambiguité ?                                    p. 15

soir du mercredi 14 Novembre – chronique d’une solution ?                       p. 19

soir du mardi 13 Novembre – chronique d’une confrontation                      p. 23


Soir du vendredi 23 Novembre 2007

Aujourd’hui…
 Le président de la République "Cette réforme, je l'ai promise, je l'ai tenue" "La réforme, elle se fait parce que la méthode choisie a été celle de la fermeté et du dialogue","Je n'ai pas l'intention d'arrêter le mouvement de réforme (...) je n'ai pas l'intention d'oublier des promesses."
Le Premier ministre "on ne pouvait pas faire mieux. Neuf jours de grève, c'est le minimum de ce qu'on pouvait craindre." "C'est la bonne stratégie puisqu'elle est en train de réussir." "les réformes les plus difficiles sont à venir".
Hier…
Les syndicats de fonctionnaires réclament une ouverture des négociations sur le pouvoir d’achat d’ici le 30 Novembre
Nouvelles manifestations de rue d’étudiants auxquels se joignent des lycéens, notamment dans le Nord. L’UNEF renouvelle sa demande de négociations, sans faire du retrait de la loi Pécresse un préalable, et Bruno Julliard juge « un retour à la normale envisageable »
Le Premier secrétaire du Parti socialiste appelle à la reprise du travail à la SNCF et à la RATP, il se rend le lendemain rue de la Banque
Fini ?

La reprise du travail dans le secteur public des transports, des mouvements étudiants très différents d’une université à l’autre, des ralliements lycéens dans quelques régions, une contestation de la carte judiciaire par les avocats plus encore que par les magistrats, une manifestation des fonctionnaires qui semble n’avoir été qu’un rite, le côté des gouvernés est regardé par les gouvernants comme une demande de pouvoir d’achat supplémentaire, les retraites, selon l’hypothèse constante, des deux camps, ne faisant pas question, les uns maintenant tout, les autres changeant le principe. Il n’y avait donc pas matière à communication entre eux et l’opinion publique était d’avance acquise, hostile aux grévistes, favorable au gouvernement. L’ordre de bataille, l’armistice intervenu, n’a pas changé.

Le côté des gouvernants est dans l’ombre. Les précédents mouvements sociaux qui ont fait date étaient transparents, une sorte d’unanimité dans la rue, un recul du pouvoir. Cette fois-ci, l’histoire a été secrète de l’entrevue-surprise de la C.G.T. à ce qui commence de filtrer des divergences d’appréciations et de propositions de « sortie de crise » dans la majorité parlementaire, entre membres du gouvernement et même entre Matignon et l’Elysée par conseillers et entourages interposés. Deux voies, l’une extrême et l’autre de modération. Nicolas Sarkozy, sans l’avoir prévu ni voulu, a été – par cette dynamique des différences dans son camp – placé au centre et en position d’arbitre, non entre les Français, non entre les entreprises publiques et les grévistes, mais entre des tendances. Il est probable que ce tournant dans la pratique des institutions va s’accentuer quand se répèteront ces épreuves de force, mais ne fera pas pour autant revenir à un exercice du pouvoir et à une répartition des rôles au sein de « l’exécutif » conforme à l’esprit de nos institutions.

A mesure que la contestation devient économique, alors qu’on l’attendait politique – avec comme enjeu principal, les libertés publiques – au début du quinquennat, et qu’elle a été subitement sociale, le président de la République n’est plus dans le registre des promesses plébiscitées selon lui par son élection. Social et politique, sont deux thèmes qui restent dans le champ des institutions, mais l’économie, le pouvoir d’achat ? Si le président cherche à en traiter, il court deux risques. Contredire fondamentalement ce qui l’avait fait préférer par le MEDEF et ce qui le fait admirer les Etats-Unis : l’économie libérée des interventions de l’Etat et des charges obligatoires pesant sur les entreprises. Laurence Parisot l’a marqué dès que le thème du pouvoir d’achat est devenu celui de l’Elysée. En ce sens, Nicolas Sarkozy est un bon élève de Jacques Chirac : donner une interprétation de ce que les Français ont voulu signifier au pouvoir (par le referendum de 2005, c’était, censément, l’attachement au « modèle social français », par le mouvement maintenant suspendu, ce serait le pouvoir d’achat…). Entrer dans un domaine pour lequel il n’a aucune compétence personnelle particulière et encore moins de « quoi donner du grain à moudre ».

Terrain nouveau, exercice du pouvoir modifié, du côté des gagnants des élections nationales du printemps. Du côté des perdants, les reclassements se poursuivent, quelques-uns en conséquence de l’ouverture des places gouvernementales, Eric Besson et Jean-Marie Bokel fondent des partis progressistes ou d’une gauche moderne, les U.D.F. qui se sont désolidarisés de François Bayrou (parce qu’il n’est pas parvenu au second tour) ont trouvé le moyen d’accéder aux financements publics du Nouveau Centre. L’occasion de ces dix jours est cependant peu saisie. Rencontre mensuelle désormais des dirigeants de la gauche plurielle, montée dans les sondages d’Olivier Besancenot ce qui fait réagir au Parti socialiste mais ne fait toujours pas un mouvement plus large que la Ligue communiste révolutionnaire d’autant qu’Arlette Laguiller maintient Lutte ouvrière dans le quant à soi. A aucun moment ni le pouvoir ni les opposants n’opèrent une jonction organique entre les mouvements sociaux et les partis politiques La Russie bolchevik, les sociaux-démocrates modernes – en Suède, en Grande-Bretagne, en Allemagne – au contraire ont fondé la gauche et son parti de gouvernement sur l’alliance en organisation et en thèmes avec les syndicats. François Hollande a appelé à la reprise du travail dès qu’elle a été probable, il avait dénoncé la stratégie d’affrontement puis les délais et préalables choisis par le pouvoir. Il est allé rue de la Banque.

Pendant ce « temps-là », des événements majeurs ont eu leur prélude. Angela Merkel et Jean-Claude Trichet ont rejoint Nicolas Sarzkoy dans sa critique de l’euro. fort. La Commission européenne a fait connaître ses propositions pour la nouvelle réforme de la politique agricole commune. Wladimir Poutine se maintiendra au pouvoir, quelle que soit la lettre actuelle de la Constitution russe. Les candidats à l’élection présidentielle américaine ne sont pas des candidats de rupture. Les questions d’Irak, d’Iran et du Liban montrent, une fois encore, que l’Union européenne n’a ni les institutions ni l’expression d’une politique étrangère.

C’est dire que les sujets de fond – tant en relationnement extérieur de notre pays, qu’en renaissance intérieure – ne sont toujours pas traités. Et rien n’annonce qu’ils le seront. La France à huis-clos. Mot d’un enseignant à un ancien ministre regrettant de n’avoir jamais eu le portefeuille de l’Education : on modifie beaucoup, on ne change rien.

La réforme des régimes de retraite – spéciaux cet automne, généraux d’ici l’été prochain – améliorera fort peu les comptes publics. Le déficit de ceux-ci handicape l’imagination gouvernementale, mais c’est secondaire. Nous n’avons plus d’appareil de production, nous ne prenons toujours pas les moyens d’en avoir de nouveau un : le remède est double, priorité à la recherche pour remplacer par de nouvelles filières celles dont nous avons perdu la propriété ou la rentabilité, et mutualisation des résultats et des budgets de soutien au niveau européen. La succession des « Grenelle » n’est pas même le rodage d’une manière nouvelle de négocier et d’imaginer ensemble – celui de l’environnement a précédé de peu le mouvement social et n’a en rien inspiré un modèle de mise en commun des demandes et des réponses. Culture, pouvoir d’achat demandent cependant ce traitement. L’insertion en bénéficie à partir d’aujourd’hui. Méconnaissance évidemment de ce qu’ont été les négociations et accords de Grenelle du 24 au 27 Mai 1968. Sans doute, « une mise à plat » de plusieurs des paramètres sociaux, les minima, la vie dans l’entreprise, mais ce qui était décisif, c’était l’ambiance : le pouvoir jouait sa survie. Les « Grenelle » actuel ne sont – dans un secteur donné – qu’une étude de thèmes dont l’énumération n’était pas imposée a priori. Contrairement à un autre des exercices du nouveau pouvoir : celui des comités de réflexion et de proposition.

Nicolas Sarkozy a gagné à ces dix jours de n’avoir pas été mis en cause dans sa manière d’exercer le pouvoir, mais le pays a perdu en ce que la crise a été uniquement vêcu en termes de satisfaction ou pas des revendications des uns, et de tenue d’engagements électoraux des autres. Aucune imagination collective, aucun sursaut n’a été manifesté pour que la France retrouve ses atouts ou s’en donne de substitution. Laurence Parisot  reste dans la logique d’une « refondation sociale » éliminant l’Etat : "il faudrait tout simplement abandonner la durée légale du travail". "Il faut que la durée du travail puisse être déterminée entre syndicats et patronats (...) par branche et par entreprise"  - mais ne propose pas la politique économique gouvernementale et les stratégies d’entreprise qui redonnerait à la France une capacité de production,  et Nicolas Sarkozy, s’il ne choisit plus son camp aussi nettement, ne propose – lui non plus – rien en propre et qui soit en son pouvoir. Comme si la commission Attali « pour la libération de la croissance française » et son audition de Jean-Claude Trichet, pouvaient être sous-traitants.

Bout de course si tôt ? qui justifie de la part des ministres – techniques – les plus en vue, Christine Lagarde et Rachida Dati, la recherche d’une consécration électorale : à droite et dans Paris, c’est toujours pérenne. Tandis que d’autres cherchent à évaluer le coût de ces dix jours : 0,1% du produit intérieur brut selon l’Elysée, 0,3% selon l’INSEE, plus de cinq milliards pour les économistes du secteur privé.

Je crois que la perte enregistrée par la France – ces jours-ci – n’est pas mesurable en statistique économique ou financière ; elle est que ni une élection présidentielle ni une paralysie de la capitale et des liaisons province-province ne font trouver – si elle existe encore – la voie qu’il nous faut.



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Soir du mercredi 21 Novembre 2007

Hier, mardi 20…
148 manifestations de fonctionnaires à travers la France ; étudiants et cheminots s’y joignent. A Paris 70.000 personnes. François Chérèque, hué, doit quitter le cortège – comme naguère, Nicole Notat.

Aujourd’hui, mercredi 21, selon l’A.F.P.
Annonce que Jacques Chirac, à quelques jours de ses 75 ans, est mis en examen pour détournements de fonds publics. Il publie sa version dans Le Monde
09 heures 32 – la SNCF se dit victime d’actions coordonnées de sabotage
10 heures – réunion tripartite à la RATP à l’issue de la quelle (15 heures) FO reconduit le mouvement et la CGT laisse juge la base
20 heures –CFE-CGC et CFTC se retirent de la grève à la SNCF au vu des engagements d’Anne-Marie Idrac

L’Esprit souffle où il veut

« On se bat pour ne pas trop perdre » - propos de gréviste en assemblée générale. « Je ne veux ni vainqueurs ni vaincus » - déclare le président de la République, installé dans un rôle nouveau depuis le début du mouvement : celui d’arbitre quoiqu’il réunisse deux fois par jour les acteurs qui étaient de son camp et se soit laissé dissuader d’aller à la rencontre physique des protagonistes de l’autre bord, et ne sachant plus comment s’adresser aux usagers, ses électeurs d’il y a sept mois. Hyper-actif, hyper-présent, Nicolas Sarkozy est maintenant protégé par le ministre des Relations sociales, lui-même à l’arrière d’un front que tiennent les directions d’entreprises publiques, le Premier ministre vient de temps à autre en appoint. A peine terminé l’exposé de la nouvelle carte judiciaire, Rachida Dati rétrécit le maillage territorial des conseils de prudhommes et, à l’inverse, l’Assemblée nationale examine comment faire proliférer les grandes surfaces commerciales.

Les rencontres – censément tripartites – ont commencé : table-rondes ? faire-parts ? négociations ? compensations ? sans que les grèves soient terminées, sans que les conclusions soient à attendre immédiatement. Tout est réuni pour que tout reste flou, incertain, propice à de nouveaux éléments de perurbation sans solution complète de ceux déjà à l’œuvre. Pas vraiment de dissensions syndicales, pas non plus de lézarde encore dans la solidarité gouvernement-majorité parlementaire.

Les manifestations de fonctionnaires n’ont pas marqué. La suite de tout est incertaine, comme si l’ensemble du pays attendait que les décisions et comportements s’ajustent d’eux-mêmes. Nous nous en sommes remis au hasard.

Jusqu’ici, tout était au point. Le paternalisme des directions depuis la fin de la semaine dernière, promettant qu’il y aurait « du grain à moudre » pour les rencontres à commencer mercredi. Les lettres personnelles – mais publiques – des présidences de la S.N.C.F. puis de la R.A.T.P. sur le modèle de celles du président de la République aux principaux ministres ou à ceux qu’il charge d’une réflexion ou d’une proposition, et qu’a imitées la Garde des Sceaux. Des négociations encadrées par ce qui n’est pas négociable et par « ce qui est mis sur la table ». Encadrées aussi par le calendrier : une grève à Noël ou pour le Jour de l’An ? pourtant le mois de négociation évoqué par Xavier Bertrand fait bien aboutir l’exercice aux fêtes de fin d’année. Et à une libération programmée d’Ingrid Bétancourt ?

Tout était devenu habituel. Les urticants – non bloquants mais dérapants – réforme de la justice, réforme de l’université, perspectives de redessiner la carte hospitalière, puis la carte militaire. Argument constant : les Français ont voté pour la réforme, ces réformes-là en élisant le président de la République. Logique de la fermeté, céder pour les premières à intervenir, c’est perdre toute crédibilité pour réaliser les autres. Jeux de rôles dans tous les camps, des rivalités à l’intérieur de chaque syndicat entre le dirigeant de la centrale et le dirigeant de la profession, à l’intérieur du gouvernement entre les ministres thématiques comme celle de l’Enseignement supérieur ou le secrétaire d’Etat aux Transports, et le ministre relationnel, tellement mis en avant que le Premier ministre fait doublon et discerne, en six mois, deux candidats déjà à sa succession : Xavier Bertrand, le « démineur » du président, et Rachida Dati, plus que la favorite, le modèle d’exécution. Contestation attendue et compréhensible des parlementaires de la majorité, généralement candidats à la reconduction d’un mandat municipal et qui ne peuvent défendre la suppression d’un tribunal chez eux, avant celle d’une caserne ou d’un hôpital.

La prise de conscience me paraît être celle-ci. Quoique élu à droite, quoique préféré par la représentation patronale, le pouvoir actuel n’a pas la fibre économique. Ses solutions sont plus étatistes que jamais et il ne s’y ajoute par rapport aux expériences précédentes que la publicité assez différente et la mise en avant du président de la République jusqu’il y a dix jours. ce qui était logique, pas seulement en psychologie de l’impétrant, mais parce que l’argument de légitimité des réformes, et donc de la posture conflictuelle, se fonde sur l’élection présidentielle, mandat impératif du quinquennat. Le fond de la médication est donc politique. Les manières de faire sont essentiellement une émancipation vis-à-vis de Bruxelles pour quelques subventions ou dégrèvements et des économies de personnel pour l’Etat. Pas de politique fiscale novatrice encourageant la propension des entreprises à investir et des couples à procréer. Pas d’encouragement des ménages à investir, pas de relance d’une consommation publique ciblée en fonction de l’offre nationale. Nicolas Sarkozy légifère, modifie la Constitution, entend l’aménagement du territoire comme un regroupement vers les grandes villes et se fait attendre sur le pouvoir d’achat comme si cela dépendait encore des gouvernements. Les recettes de la commission Attali se font attendre.

La faute du pouvoir en place est maintenant ressentie – non par les grévistes, non par les usagers abasourdis que durent des choses dont tout indique, depuis le début du mouvement, comment elles seront réglées – mais par les entreprises et aussi tous ceux qui avaient cru à la concertation pour l’environnement : faire durer le mouvement pour le principe, c’est-à-dire en n’ayant pas été convaincant entre le 18 Octobre et le 12 Novembre a ruiné le pari de ces dernières années pour le ferro-routage, largement entamé les disponibilités du secteur public industriel et commercial, diminué les capacités de production déjà plus faibles qu’ailleurs. Déjà prévues, avant le mouvement social, pour être inférieures de trois dixièmes de points au pari qui a fondé le budget (une croissance de 2%), les perspectives économiques découragent. Nicolas Sarkozy et son équipe n’ont pas évité à l’économie une semi-panne de déjà dix jours. Les mêmes thèmes se représentent au printemps prochain, y aura-t-il le même gaspillage ?

Ainsi, les deux soutiens politiques du pouvoir : le patronat et l’U.M.P. ont-ils des griefs précis. La docilité sociale attendue depuis le verdict du 6 Mai et qu’aurait présagée pour beaucoup l’ouverture à des personnages de gauche, n’était qu’apparente ; les centrales syndicales en répondent encore moins que le gouvernement. Les élections municipales sont polluées par la Garde des Sceaux qui ne risque rien, quant à elle, à se présenter dans les beaux arrondissements du centre-ouest de Paris.

Ainsi, la percée médiatique de Nicolas Sarkozy sous un Jacques Chirac de moins en moins tonique, puis par contraste voulu avec lui dès le 16 Mai, ne perdure plus. La communication gouvernementale est dispersée, celle des porte-paroles de la majorité parlementaire est contradictoire, celle du MEDEF, sans compter l’affaire des caisses noires et des délits d’initiés, est à l’emporte-pièce ou banale. Depuis cinq ans, l’opinion publique était conduite, aujourd’hui le pouvoir attend d’elle la solution. A complet rebours de son système jusqu’il y a dix jours, le président de la République cherche à être perçu comme un arbitre et non plus comme le conducteur de tout et dans le détail. Au point que, ce soir, son départ en Chine est plus assuré que la reprise des transports publics. La bataille – la première véritable – a fait changer de système. Certainement sans l’avoir concerté, les syndicats par leur fragmentation entre centrales et à l’intérieur de chacun suivant les bases se sont révélés insaisissables, y compris part les commentateurs. Le pouvoir, jusqu’à aujourd’hui où ont commencé les négociations, n’avait pas d’interlocuteur et les usagers n’apercevaient plus le gouvernement efficace pour lequel ils avaient voté.

La mise en examen de Jacques Chirac illustre tous les défauts de notre gestion de nous-mêmes. Sous une autre République (pourtant française, elle aussi) et selon d’autres mœurs que les automatismes du jeu de rôles majorité/opposition, le président régnant aurait démissionné pour éviter un vote de défiance ou au moins le début d’un compte des voix nécessaires pour le pousser en Haute Cour : Arnaud Montebourg s’y est essayé sans dépasser la trentaine de signatures. Démocratie et morale y auraient gagné, l’impétrant aurait aussitôt cessé d’être inquiété. Aujourd’hui, lui-même et le pays perdent à ce statut d’impunité suspensive qu’il a fallu écrire selon les circonstances et la personne… L’actuelle inconditionnalité des députés U.M.P. et de chacun des ministres ou anciens ministres (à commencer par le Premier ministre et ses prédécesseurs du R.P.R. puis de l’U.M.P. est exactement celle qui a permis l’empoisonnement de douze ans de vie politique française. Du moins Jacques Chirac a-t-il toujours modéré les conflits sociaux – plus durs que l’actuel – y compris la crise des banlieues pour laquelle quelques propos du ministre de l’Intérieur de l’époque avaient beaucoup fait. L’ancien président de la République, venu au Conseil constitutionnel pour invalider les tests A.D.N. perd aujourd’hui une nouvelle fois. Ce pourrait être la dernière avant un retour de popularité, pas incompréhensible, puisqu’aujourd’hui tout s’obtient par comparaison avec le président régnant : Nicolas Sarkozy y a gagné pendant cinq ans, Jacques Chirac pourrait maintenant y trouver quelque remède adoucissant.



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Soir du lundi 19 Novembre 2007

Hier, dimanche 18…
manifestations d’usagers et d’anti-blocage d’universités à Paris
annonce de la suppression de 63 conseils de prudhommes sur 271
réunion des centrales syndicales qui acceptent de participer le mercredi 21 à des tables-rondes tripartites à la RATP et à la SNCF
Je reçois d’un ami - longtemps au Parti communiste – ce commentaire : les choses sont mal parties pour les grévistes, bien que les motifs de leur lutte soient parfaitement légitimes. Les conditions du succès, en effet, ne sont pas réunies : les illusions répandues par Sarkozy ne sont pas encore dissipées, notamment parmi les classes populaires ; une majorité de l’opinion publique, désinformée et dépolitisée, ne soutient donc pas la grève ; ce qui obligerait les grévistes à une action très dure et très longue de blocage du pays pour avoir quelques chances de succès. Comme Sarkozy, en fait, veut faire un exemple politique avec la SNCF et casser les syndicats (les gains financiers retirés de la « réforme » des régimes spéciaux sont négligeables pour l’Etat), et reproduire la politique de Thatcher en ce domaine, il fallait que les syndicats avertissent les salariés. La CGT le savait mais ne l’a pas dit, laissant la porte ouverte à la surenchère de Sud.
Aujourd’hui, lundi 19 …
Ouest France, éditorial de Paul Burel :  Nicolas Sarkozy que l’on a connu plus réactif, aura sans doute tendance cette semaine à monter lui-même en première ligne. Tout d’abord pour une raison fondamentale à ce type de mouvement. Plus ces conflits durent, plus les acteurs jusqu’au-boutistes s’installent aux commandes, plus l’esprit de compromis s’éloigne, plus les passions s’exacerbent. Bref, plus les pépins sont à craindre. Le Président le sait sûrement, le scenario du gouvernement est trop souvent celui du pire. La seconde raison tient à la concomitance des mouvements sociaux (…)
Nicolas Sarkozy accapare le pouvoir et fait feu de tout bois : les marins-pêcheurs bigouden ou les infirmières bulgares. Sur un chantier aussi névralgique et consensuel que celui des retraites, il serait paradoxal et contradictoire que le Président temporise ou se défausse sur le gouvernement. D’autant qu’il a trois cartres inédites et importantes dans son jeu. La modération sinon la compréhension de la confédfération CGT incarnée par Bernard Thibault. La relative neutralité de l’opposition socialiste qui se contente de contester la méthode mais pas le fond de la réforme. Le soutien de l’opinion qui ne semble pas se dérober. Voilà trois cartes majeurers qu’il serait bon de ne pas gaspiller, car le Président ne les réunira peut-être plus de sitôt. En tout cas, pas en même temps.
France-Infos. très en avance sur l’AFP annonce :
10 heures  – mouvement dans quatre lycées à Caen et au lycée Fénelon à Lille
17 heures 30 – des évaluations sur les coûts de la grève.
17 heures 48 – au sortir d’une réunion sur la réforme des institutions, le Premier ministre assure en personne que « le gouvernement ne bougera pas sur les principes de la réforme des régimes spéciaux ; la société des journalites des Echos regrette que Nicolas Sarkozy ait personnellement évoqué devant certains d’entre eux, vendredi, le changement dans la direction des médias du groupe LVMH.
18 heures – les grévistes disent leur explication du silence de Nicolas Sarkozy
19 heures – plus de deux cent « A.G. » lycéennes


Avant quoi ?

L’ « exécutif » prévisible, les grévistes proprement dits imprévisibles, des troupes fraîches attendues et inattendues. Mais quelque chose me semble anormal, que je n’élucide pas encore.

Aux concessions données par les syndicats – la C.G.T., dès la veille du mouvement, à titre stratégique, la C.F.D.T. en deux temps du mercredi au vendredi à titre tactique, Sud depuis dimanche – qui veulent connaître le contenu des propositions gouvernementales, le gouvernement a répondu par des concessions également de forme : les négociations seront tripartites, quoique dans le cadre des entreprises concernées, elles commenceront nonobstant la poursuite des grèves pourvu que celles-ci ne soient plus que résiduelles ou le fait d’irréductibles. C’est sur ces derniers que tout se joue. Car ils sont imprévisibles et décideront sur pièces. Or, les pièces sont connues. 92 millions octroyés dans les cinq ans par une S.C.N.C.F. assurant contradictoirement qu’elle a recouvré la santé, mais qu’elle perd 20 millions par jour de grève et que son activité fret est moribonde, sans plus aucune crédibilité. Surtout, il est redit par le Premier ministre que « le gouvernement ne bougera pas sur les principes de la réforme : quarante annuités de cotisation, décote, indexation ». Tout cela prévisible, rationnel y compris l’attente des « résultats » de la journée de mobilisation des fonctionnaires demain mardi 20.

Les recours aux tribunaux administratifs des usagers ou des collectivités locales, les financements sur fonds municipaux de transports collectifs de substitution en périphérie parisienne avec retour sur la région Ile-de-France (à présidence socialiste), l’exposé en boucle des coûts de la grève pour l’écnomie (3 à 400 millions par jour selon Christine Lagarde et Bercy, 5 ou 5 milliards par semaine selon le patronat) avec omission du sacrifice financier personnel des grévistes, la compétence du ministre du Travail et des Relations sociales plutôt que celle du secrétaire d’Etat aux Transports de manière à banaliser et à « désétatiser » la question des régimes spéciaux de retraite sont également prévisibles. La mise en évidence par le gouvernement de ce que 60% au moins des Français soutiennent la réforme de ces régimes et de ce que les grévistes sont de moins en moins nombreux (18% à la RATP contre 22% la veille, 22% à la SNCF contre 26% dimanche) est de bonne propagande.

Curieusement, ni le gouvernement ni les commentateurs n’exposent le dénouement du conflit dans les chemins de fer allemands ni la situation du gouvernement de Romano Prodi qui peut tomber devant le Sénat italien sur la question des retraites. La France se regarde isolément…

Ne sont pas prévisibles – en revanche – et cela a été patent dès le premier jour de cette grève les réactions et comportements de la « base ». Sans doute, les « actes de vandalisme », un moment constatés et aussitôt montés en épingle par le directeur général de la S.N.C.F. Michel Pépy, ou le blocage des gares par des irréductibles ou par des étudiants auraient changé l’ambiance dans un sens encore plus propice à aliéner les grévistes dans l’opinion générale. Les négociations, à entreprendre mercredi à la RATP et à la SNCF, sans que le résultat de celles menées depuis vendredi à EDF et à la Gaz de France ne soit publié ni par les syndicats ni par les directions concernées, s’ouvriront dans l’ambiguité : sont-elles une prise de connaissance de ce que peut concéder le gouvernement en compensation de l’allongement de la durée du travail et considérer la pénibilité, les sorties de carrière ou la conduite des secondes carrière sera-t-il suffisant ? J’ai tendance à croire que non, et que les syndicats ne laisseront pas la « base » en décider, qu’au contraire – adossés sur la crédibilité de celle-ci, si peu nombreuse soit-elle, mais elle est névralgique dans les deux entreprises – ils vont contraindre les directions à abonder beaucoup leurs propositions.

Les syndicats de fonctionnaires – initialement – avaient décidé une journée de grève non reconductible ; il est maintenant entendu qu’ils vont se revoir mercredi pour décider «  de la suite à donner ». Le 29 Novembre, les professions de justice (magistrats et avocats) manifestent nationalement à leur tour ; localement, il ne se passe pas de jour ni de déplacement de la garde des Sceaux en province, sans qu’il y ait manifestation des professionnels et/ou des élus. Pouvoir d’achat des uns, maintien du service public de proximité des autres : les effectifs sont nettement plus nombreux, plus de dix fois celui des personnels concernés par la réforme des régimes spéciaux. Il était entendu que le mardi 20 on ferait jonction de deux mouvements : les transports publics et la fonction publique, sans cependant trouver une thématique commune, les prestations de l’Etat, les conditions de gestion de sa ressource humaine pesant à terme sur le service public lui-même. N’y a-t-il pas demain la tentation d’une nouvelle jonction, le jeudi 29, avec les professions de justice ?

L’imprévisible est dans l’arrivée de troupes fraîches. Fraîches à deux titres. Autant usagers et grévistes ont la mémoire d’une ou deux générations, en tout cas et au moins celle des mouvements de Novembre-Décembre 1995, autant les étudiants et à plus forte raison les lycéens se lancent dans la contestation et les manifestations sans expérience, ni code de conduite. Les assemblées générales ont leurs désordres, les blocages d’université aussi, à tel point que des revirements se font plusieurs fois par jour et qu’il est impossible de savoir combien d’universités sont impraticables sur les 85 que nous comptons : 25, 30, 45 ? Les lycéens en Normandie et à Lille sont entrés dans le mouvement aujourd’hui, ils vont être de plus en plus nombreux. Rien d’idéologique, rien d’encadré même si la FIDEL de 1995 et des mouvements anti-Allègre est bien présente : simple logique, ce qu’il advient des universités, c’est le sort des prochains bacheliers.

En face, le pouvoir élu en Mai-Juin dernier a mis en ligne des distributeurs de tracts dont on ne dit rien et des manifestants à Paris, hier, dont on commente davantage le courage à affronter le froid que le nombre. La déferlante du 30 Mai 1968 n’est pas proche de se reproduire. En revanche, l’examen des budgets de chacun des ministères amène son lot de contestataires. La grève à l’Opéra, la revendication – maintenant – d’un « Grenelle de la culture, paraissent de petits enjeux. L’Odéon occupé en 1968 fut dans le moment un symbole plus parlant que le face-à-face de Cohn-Bendit avec un CRS demeuré anonyme.

Le président de la République découvre – dans la pratique du pouvoir par temps imprévisible mais gros – l’intérêt de disposer d’un Premier ministre apparemment autonome. Sa prolixité et son don d’omniprésence font, par contraste, commenter son silence depuis huit jours. Apparaître – demain – aux côtés d’Hugo Chavez, expert en injures anti-américaines et anti-capitalistes, ou au milieu de la réunion périodique des maires de France qu’il serait risqué de prendre à témoins, sera à contre-emploi : au mieux, quelques affirmations sur le sens des responsabilités, à reprendre par les médias. Quant à un discours olympien à la de Gaulle, faisant s’effondrer les grévistes et s’assagir les étudiants comme se dissolvèrent les pustchistes de 1961 à Alger ou se raffermirent les esprits égaillés en 1968, il faudra à Nicolas Sarkozy plus que du talent, plus qu’un rappel de la décision des électeurs en faveur de la réforme lors du scrutin présidentiel.

D’une certaine manière, il ne se passera rien demain mardi – sauf improbable prise en défaut du dispositif policier. Rien de « conventionnel ». L’U.M.P. s’est absorbée dans les investitures aux élections municipales (qui vont requérir l’agenda de la plupart des membres du gouvernement… alors que le non-cumul était aussi un des thèmes de campagne de l’élu du 6 Mai). Le Premier ministre commence avec les chefs nominaux de son parti : Patrick Devedjian et Jean-Pierre Raffarin, les consultations prescrites par le président de la République (sa lettre du 12 Novembre) à propos de nos institutions. Le ministre des Affaires étrangères et européennes s’occupe du Liban et du processus de paix entre Israëliens et Palestiniens comme si la partition entre Gaza et la Cisjordanie là et l’emprise de la Syrie et de l’Histoire ici ne rendaient pas illusoires toute conférence, toute élection : Darfour et arche de Zoé ont quitté la scène. La Commission européenne, si prolixe pour juger des politiques budgétaires ou des consultations électorales dans les Etats membres, est muette sur les éphémérides allemands, français, italiens.

Les syndicats veulent du temps, le gouvernement ne peut plus leur en donner que sous la contrainte. Le suspense a repris. Une majorité de Français, inchangée depuis le début du mouvement social de cet automne, continue de soutenir la réforme, mais chaque mois, le pésident de la République perd quatre ou cinq points de popularité. Une distinction apparaît entre la conscience répandue de la nécessité des réformes et l’appréciation de la manière de les faire aboutir. L’élection présidentielle n’est pas seulement le referendum – que croit Nicolas Sarkozy – sur les thèmes de campagne du vainqueur ; elle est un choix de personne, qui s’éprouve à longueur d’exercice du mandat donné.

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Matin du samedi 17 Novembre 2007

Hier, vendredi 16…
6 heures 30 – un « sans domicile fixe » est trouvé mort de froid à Ajaccio, les centres d’accueil ne sont ouverts en Corse que pendant la journée, « la Croix-Rouge a cessé ses maraudes, faute de crédits ».
France-Infos. annonce :
15 heures 15 – négociations à Gaz de France, tous les syndicats y participent, sauf la CGT.
15 heures 37 – l’ancien directeur du cabinet de Michèle Alliot-Marie à la Défense et le général Rondot sont confrontés : la ministre était-elle personnellement au courant, ce qu’elle nie.
16 heures – François Bayrou candidat à la mairie de Pau. En 1989, il avait été défait par André Labarrère, mais celui-ci, charismatique, n’est plus. Anticipation médiatique du commentaire des prochaines municipales où le MoDem ne gagnera rien, sinon son chef.
16 heures 30 – des grévistes ont envahi les voies ferrées à Bordeaux dans la matinée, des trains ont été empêchés de partir depuis la gare Saint-Lazare.
16 heures 34 – Alain Morvan, responsable-cheminots de la CFDT, appelle les assemblées générales à suspendre le mouvement de grève.
18 heures 18 – Marine Le Pen, interrogée par Olivier de Lagarde, la voix et les intonations de son père, une habileté tout autre : « il n’y a plus de travail en France » - « Nicolas Sarkozy n’a fait aucune des réformes promises » - « il ne s’agit pas de sauver le Front national, mais la France ».

Ni le président de la République, ni le Premier ministre, ni un quelconque ministre – hors la garde des Sceaux achevant sa tournée de présentatio de la nouvelle carte judiciaire – n’ont pris la parole directement ou par communiqué, ce vendredi 16.

Passage en boucle de deux moments du procès Yvan Colonna : le journal intime du préfet assasssiné Claude Erignac (je ne voulais pas y aller, j’y ai été contraint à peine de disgrâce, le piège), l’adresse du prévenu à la famille (ce n’est pas moi).


Pour voir ?

  Evénements

Hier…
a) Les étudiants ne sont pas plus de trois cents à manifester devant l’Assemblée nationale à l’occasion du vote du budget de l’enseignement supérieur.
b) Rachida Dati achève à Lyon et en Corse son tour de France pour présenter la nouvelle carte judiciaire.
c) Le responsable CFDT cheminots appelle à suspendre le mouvement de grève.

Le premier événement n’est pas commenté ni par les médias ni par la ministre. Simple opposition de statitistiques sur les universités touchées par le mouvement de contestation : 32 ou 46 des 85 universités. Les entretiens du jeudi ont plutôt « monté » l’UNEF contre la ministre, qu’ils n’ont calmé le jeu. Des rétablissements de l’ordre par la force la nuit précédente ou dans la matinée : Montpellier, Strasbourg, Nantes, Rennes, la Sorbonne. La discussion porte sur la représentativité de ceux qui empêchent le fonctionnement des universités, elle n’est pas un débat sur les dispositions de la réforme. Qui sait aujourd’hui – chez les étudiants – ce qu’apporta ou ce que défit la première grande loi d’autonomie, votée en Octobre 1968 à l’unanimité par une Assemblée nationale craignant la renaissance des révoltes et désordres de Mai 1968 mais sous le charme aussi du mage que fut en la circonstance Edgar Faure… et qui y fait référence – au ministère et chez les enseignants ? Un dialogue argumenté entre la nouvelle génération d’étudiants et ceux des enseignants qui ont, par la durée de leur carrière, le plus vu et vêcu de réformes, apporterait beaucoup. Au sujet, et au pays. Il n’a pas encore commencé. La ministre ne l’a pas provoqué.

Le second événement symbolise le régime du 6-Mai. La faveur extrême, sinon intime, dont bénéficie la Garde des Sceaux. Les traits de caractère qui l’apparentent au président de la République : courage physique, type très personnel de présentation orale, entêtement absolu, tendance à la colère, sinon au mépris dont les proches font les frais. La réforme de toute carte administrative est difficile. Il fallut la crise de 1929 et le prestige de Raymond Poincaré pour supprimer les conseils d’arrondissements. Le département en question dans l’esprit de beaucoup de réformateurs lui préférant des régions, sans doute bien plus nombreuses que celles de 1964, a résisté. Le canton a une consistance électorale, et même physique, vêcue : il est à l’échelle du quotidien. Il est clair que c’est la manière de Rachida Dati qui fait question, que la fédération des bâtonniers et les différents corps de magistrats sont – par profession – rompus à l’art des propositions, des discussions et des conclusions équilibrées. Le temps d’examiner cas par cas toutes les organisations pouvait être pris et la négociation pouvait se faire antérieurement à la décision. Cela n’a pas été. Il est faux que les Français aient peu recours à la justice, il est vrai qu’un exercice de celle-ci trop local peut être défectueux – barreau et juridiction s’usant et risquant de se « médiocriser » mutuellement. La présentation de la réforme a semblé davantage une réduction des coûts et du nombre des emplois qu’une considération des besoins du justiciable. Son fondement a paru budgétaire, les principes ne sont pas clairs. Elle semble aussi comporter des aspects changeant complètement la relation entre justiciable et magistrat : l’instruction par correspondance video… Il se peut que l’essentiel – « liberticide » ? pragmatique par l’informatisation – soit dissimulé par la contestation des suppressions de tribunaux.

Le troisième événement est davantage retenu que celui qui ouvrit tout le mouvement et le contredisait : la rencontre de la CGT avec le gouvernement à quelques heures du début de la grève. L’appel à la cesser, lancé par le responsable cheminot de la CFDT, Alain Morvan, est assorti de conditions, et me semble aussi tactique que l’a été l’attitude de la CGT. Permettre à la « base » de connaître les propositions gouvernementales de nature à compenser un consentement à l’allongement de la durée de cotisation pour les régimes spéciaux de retraite. La réalité n’est nullement la division syndicale – secondaire et à propos des moyens –, mais le vœu de tous de connaître s’il y a quelque marge de négociation ou pas. Le gouvernement ne la fait manifestement pas connaître, car ce serait par avance consentir. Elle est l’anxiété des grévistes, sans marge leur mouvement est légitime. Faire apparaître cette marge est un but en soi, mais qui peut être atteint par bien des chemins. Trois degrés d’interlocuteurs pour le gouvernement : les responsables nationaux, dont deux sont très identifiés, Francis Chérèque et Bernard Thibault, tandis que Sud-Rail ne s’incarne pas et que FO – faute de Bergeron – attend l’entrée en lice de la fonction publique ; les responsables cheminots, Alain Morvan et Didier Le Reste se font connaître, ils seront décisifs ; les bases, elles sont localement connues mais pas nationalement, et ne peuvent l’être. A Bernard Thibault, le président de la Républque avait  solennellement écho. A Alain Morvan, le ministre ne répond pas même, puisque l’analyse, voire les termes employés par le gouvernement sont confirmés. Mais le conditionnement et l’objectif de l’appel de la CFDT ne sont pas analysés. 

Trois événements dans ce que l’on ne sait plus nommer car ce n’est plus la lutte des bénéficiaires des régime spéciaux pour les conserver, c’est aussi une prise de conscience par le pouvoir ce qu’il est et enfin une critique mesurée des Français de cette lutte et de cette prise de conscience. Enoncer cela fait comprendre la caractéristique de ces dernières vingt-quatre heures. Les contestations ne font masse qu’en tant qu’actualité. Elles ne se rejoignent pas, elles ne disent pas leur point commun : la contestation du pouvoir élu il y a sept mois, elles sont factuelles. Le pouvoir peut les traiter une à une. Les autres parties sont au défilé ou au spectacle, aucune n’est solidaire d’une autre ou de l’ensemble. Les fonctionnaires ne veulent pas que l’affaire des régimes spéciaux pollue une revendication dite classique : les salaires, le pouvoir d’achat, l’emploi (en l’espèce, les postes supprimés). Parmi eux, ceux ressortisant de l’éducation nationale ne se rangent pas du côté des étudiants contestataires : clivages entre enseignement primaire et secondaire d’une part, et enseignement supérieur de l’autre ? entre cadres enseignants et cadres administratifs ? Les représentants de la magistrature ne semblent pas faire cause commune, sauf localement, avec le barreau. Le lien pourrait être la manière de faire et d’être de « l’exécutif » - aussi bien dans les matières traitées, objet de la contestation, que dans la crise elle-même de cette semaine depuis le 18 Octobre. Il n’est pas montré. Ce qui laisse hors champ le changement dans notre politique extérieure – la précédente depuis 1995 était surtout, à part les quelques semaines précédant l’agression des Etats-Unis en Irak, une passivité sans précédent dans l’histoire française récente – et la préparation de la révision constitutionnelle.

Tout se passe comme si les Français appréciaient que les choses soient traitées sans eux. Et par conséquent comme s’il devenait de règle de laisser seuls à leur querelle les contestataires de telle ou telle de ces choses. 

Parmi les professions ou états de vie qui sont en mouvement et qui contestent – les fatalistes, mais révoltés : ce sont les victimes des changements sur la carte judiciaire qui n‘en demandent pas le retrait mais en discutent l’application ponctuelle, et ceux qui réclament le retrait de l’objet contesté : une loi publiée, un projet de réforme.

Personne ne met en cause ce qui est à l’origine de chacune des décisions contestées : la manière de la prendre puis de l’appliquer. Ainsi, le gouvernement peut-il jouer de l’inexorable et de l’énergie perdue par les contestataires, des « dégâts collatéraux » dont ceux-ci portent la responsabilité : la « prise en otage » des usagers.

Les événements n’en sont pas. Il y a des attitudes. Aucune évacuation d’univertsité ne semble avoir donné lieu à violences, ce que la SNCF a qualifié d’actes de vandalisme sur quelques voies ne semble avoir causé aucun accident. Pas de choc. Pas de décision.


  Facteurs déterminant les comportements

Prévision de calendriers et réserve de crédibilité déterminent le comportement des partenaires ou adversaires.

La fin de la semaine dernière et lundi dernier ont été marqués par une hâte soudaine des quatre entreprises publiques principalement concernées par les préavis de grève reconductible. L’anticipation d’une grève « longue et dure » a fait accoucher SNCF puis RATP de propositions écrites. Celles-ci, inscrites dans le cadre gouvernemental : l’harmonisation des durées de cotisation, permettent en fait de maintenir des spécificités qui, très certainement, déterminent dans le régime général – aussi – une quantité de niches. EDF et GDF sans avoir formalisé ce qui est possible, compte tenu du principe gouvernemental, sont prêts dès le début du mouvement à donner une matière analogue à la négociation. En sorte que la menace de la grève n’est pas moins efficace que le mouvement lui-même, tandis que le mouvement risque de diminuer la crédibilité syndicale en faisant apparaître des divisions entre centrales et confédérations. Mais celles-ci retrouvent toute leur crédibilité quand il apparaît qu’elles ne sont pas suivies par leur « base » et qu’au contraire c’est celle-ci qui apprécie les propositions des directions. Souverainement. Syndrome du 27 Mai 1968.

La semaine a eu comme horizon, non les samedi-dimanche moins ouvrés que les autres jours, mais mardi prochain – 20 Novembre – jour du mouvement général de la fonction publique, avec en gros bataillon et mise des absences en statistiques : l’éducation nationale. Les étudiants – explicitement – cherchent la jonction de leur mouvement avec d’autres et espèrent que la fusion des manifestations et défilés la produira. Gouvernement, usagers et grévistes se sont donnés jusqu’à ce mardi soir. Date dont il n’est rien attendu sinon qu’elle sera passé et que le rite des manifestations aura été exécuté. Peut-il y avoir une surprise ?
Les grévistes savent que cesser le mouvement et consentir à un mois de négociation, c’est aller à l’impopularité d’une reprise du mouvement au moment des fêtes de Noël et de fin d’année.

L’horizon – vrai – du gouvernement et des syndicats est le moment – l’an prochain : 2008 – où il faudra continuer ce qui a été commencé par à-coups cet automne et en 2003 : passer à 41 ans, voire 42 ans de cotisation, tous régimes confondus par principe et parce que ceux-ci auront, censément, été harmonisés à cette future échéance. Là, la « jonction des mouvements » et le rassemblement de l’ensemble des Français sont certains. Dans le civisme et selon une pédagogie d’un gouvernement ayant montré sa fermeté pour un traitement égal de tous les Français et d’un président ayant fait approuver d’avance cette réforme par sa propre élection. Ou bien dans un refus général. Refus du réel ? refus de la nécessité ? refus de la manière ? tout dépend du dénouement de la présente contestation de la réforme des régimes spéciaux de retraite. Gouuvernement et syndicats veulent être crédibles les uns pour les autres à cette échéance. Chacun en position de force. Le gouvernement pour céder le moins possible et faire que la réforme en soit enfin une après quinze ans de petits pas et de contestations irritantes. Les syndicats pour obtenir à la marge.

A l’énoncer ainsi, on s’aperçoit que la crise actuelle est plus formelle que fondamentale, que des mises en scène « byzantines » sont nécessaires en France pour que l’on se parle et que l’on discute au fond.

Accessoirement, quelques privilégiés quant à leur retraite sont désormais sous le projecteur : les parlementaires, les dirigeants avec leur « retraite-chapeau » ou les stock-options dont ils sont nantis à leur départ, pour quelque raison que ce soit.

Deux types d’acteur commandent ceux qui ont à se rencontrer pour discuter et formaliser les décisions. Les grévistes eux-mêmes mandatant les fonctionnaires de leur centrale syndicale respective. L’opinion publique générale – distincte de chacun des groupes contestataires, lesquels sont minoritaires et « mal vus ». Les grévistes sont, par construction, ceux qui appliqueront la décision de reprise du travail – le numéro un de la RATP, casé du cabinet de Dominique de Villepin, Premier ministre, a donné l’information la plus importante de la semaine en disant que 57% des machinistes, 81% des conducteurs de métro et 92% de ceux du RER restent en grève ce qui enlèe toute signification pratique à la décrûe du nombre total de grévistes dans la régie (44% le 14, 27% le 15, 23% le 16). L’opinion publique fait sentir – par la révélation qu’en donnent censément sondages et médias – aux dirigeants syndicaux leur isolement.


   sens probable de cet « automne social »

Les mouvements de 1968 et de 1995 ont donné lieu à une analyse de contenu. Ils sont chargés d’idéologie et ont eu une portée politique. Ils ont véhiculé des analyses, elles-mêmes commentées et analysées. Ils ont été sanctionnés par des consultations électorales : les dissolutions de l’Assemblée nationale confortant de Gaulle et Pompidou, défaisant Jacques Chirac. Celui de 2007 s’apparente à ceux qui n’ont pas marqué car le pouvoir du moment n’en est pas ébranlé et que les décisions contestées sont restées acquises : 2003. La contestation anti-CPE mettait en cause un pouvoir sans avenir, elle a enregistré une déshérence, elle ne pouvait marquer par elle-même. Mais 2007 se différencie de 2003 en ce sens qu’il met en scène un pouvoir né fort et le fait reconnaître tel, tandis que 2003 n’a renforcé ni les ministres signataires des projets contestés ni le Premier ministre du moment. 1968 a fait les destins finaux respectifs du président de la République de l’époque – plus le Général en personne, que sa fonction – et de son Premier ministre qui a dû à ces événements d’entrer à l’Elysée. 1995 a empêché le destin d’un Premier ministre, doué et prometteur, Alain Juppé, aujourd’hui presqu’unanimement regretté à propos d’une conduite de nos politiques de culture « environnementale ». Cet automne – la crise de 2007 – confirme le savoir-faire et le savoir-être de Nicolas Sarkozy.

Le maintien de l’opinion publique en faveur de l’élu du 6-Mai explique que son élection était bien plus irrésistible que les différentes campagnes du printemps dernier ne l’ont fait croire. Le vainqueur certain paraissait – trompeusement – si humble et défait, recroquevillé sur sa chaise, mendiant le regard des animateurs, quand colérait Ségolène, dans leur face-à-face du 2 Mai… La défaite à venir de Nicolas Sarkozy sera-t-elle pour la vraie raison – sa manière de gouverner/présider ? ou la durée et ses usures, la trop faible croissance économique, quelques fautes inattendues dans des dossiers ouverts imprévisiblement (seul jugement négatif actuellement dans l’opinion publique : la conduite de l’affaire du Tchad) déferont-elles le consentement actuel, presque général, à sa manière de gouverner/présider ? Deux affaires d’Etat à l’explosion latente : la mission de Claude Erignac en Corse 1996-1998, les comptes chez Clearstream.

Il n’y aura donc qu’une analyse politique, qu’un découpage en scènes successives de combat dialectique. On démontrera comment gagner ou perdre dans la France contemporaine. Il y aura le constat en psychologie collective que la contestation – qui garde ses objets – n’a plus ses moyens, qu’elle tend même à être réprouvée dans l’ensemble social, comme elle l’est déjà dans les carrières individuelles, dans la vie interne des entreprises et des administrations. La sociologie expliquera que les inégalités – pourtant de plus en plus grandes à tous égards – sont, la plupart du temps, globalement perçues comme un inexorable nivellement. Une sorte d’endormissement et d’impuissance de tous, sauf d’un pouvoir sans mise en cause, qu’à l’instant de sa montée ens scène ou du renouvellement de son mandat.

Mouvement rendant médiocre l’image des syndicats – à l’instar des années 1960 où de Gaulle, s’appuyant aussi bien sur la mémoire alors très vive de l’impuissance des Républiques antérieures que sur leurs erreurs à l’automne de 1962 à propos de l’élection au suffrage direct du président de la République, stigmatisa l’artifice des partis. – Je l’ai déjà dit.

Mais qu’est-ce qu’un pays où n’existerait plus que le face-à-face du pouvoir et de la statistique général des citoyens ?



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Soir du jeudi 15 Novembre 2007

Aux aurores, mise en ligne du sondage BVA-Orange, très favorable à Nicolas Sarkozy dont la fermeté est souhaitée autant qu’elle est prévue.
AFP – 12 heures 39 : « baisse significative du nombre de grévistes à la SNCF »
France-Infos rapporte :
14 heures 15 : grève reconduite à la RATP, débats et votes dans les divers sites de la SNCF, nette tendance de la base pour la reconduite. Quarante uniuversités bloquées ou gravement perturbées, Valérie Pécresse recevant la conférence des présidents d’université exhorte ceux-ci à faire de la pédagogie sur son texte.
16 heures – David Martinon donne une conférence de presse : « des évolutions importantes se produisent… de ce point de vue nous ne sommes pas inquiets. Nos lignes rouges sont connues, elles n’ont pas changé » Suivent, selon lui et à l’étonnement de la presse, les statistiques de grévistes à la SNCF dont la publication est du ressort de l’entreprise. 
16 heures 30 – la lettre de Xavier Bertrand ne passe pas chez les cheminots : « on a commencé à perdre de l’argent, nous ne lâcherons pas ». Le président de l’université de Tours compare les blocages à la casse de l’outil de travail, ligne jaune jamais franchie par les travailleurs. Bruno Julliard, président de l’UNEF, sortant de son entretien avec Valérie Précresse, le juge pas du tout concluant et appelle à l’amplification du mouvement de contestation étudiante.  La garde des Sceaux évoque devant l’Assemblée nationale une franchiose ou un tricket modérateur pour l’octroi de l’aide juridictionnelle. Dans quel pays sommes-nous, réplique François Hollande, où la solidarité ne joue qu’entre malades, qu’entre justiciables.
17 heures – Alain Potier, secrétaire général de la CFTC juge la lettre de Xavier Bertrand floue et rappelle que c’est à la base de juger et de mandater les confédérations, sans cela celles-ci ne peuvent négocier.
18 heures – la CFTC dit que les annonces, tout le monde peut en faire, elles ne servent à rien, on ne sait pas même qui de l’Etat viendra aux négociations.
18 heures 25 – devant le Sénat, François Fillon appelle aux négociations
18 heures 28 – Xavier Bertrand conditionne l’ouverture des négociations à la cessation des grèves.
18 heures 32 – Nicolas Sarkozy a reçu à deux reprises dans la journée François Fillon et Xavier Bertrand.
19 heures – fin de la réunion des centrales syndicales au siège de la CGT à Montreuil ; elles exigent une réunion tripartite demain pour fixer le cadre de la négociation et appellent en même temps les assemblées générales à la base, à reconduire le mouvement de grève. Xavier Bertrand observe que les syndicats jouent sur les deux tableaux : négociations et grèves simultanément. La SNCF publie que 50% du trafic sera assuré demain.
19 heures 18 – le combat pour les régimes spéciaux ne vaut pas pour les 5% d’actifs concernés mais en prévision et en test du prochain rendez-vous, prévu par la loi Fillon de 2003 pour se tenir en 2008, et qui concerne l’ensemble du régime général des retraites : passage à 41 ou 42 ans de cotisation… nécessaire prise en compte de la pénibilité quels que soient les statuts, de l’espérance de vie.
19 heures 45 – Xavier Bertrand tranche et confirme : pas de négociation si la grève continue.
20 heures – le Financial Times classe les ministres de l’Economie et des Finances dans l’Union européenne, premier l’Allemand Peter Steinbrück, dernière Christine Lagarde « pour être récalcitrante à Bruxelles et pour l’hyperactivisme de Nicolas Sarkozy dans le domaine économique ».
A l’affiche, deux hebdomadaires … Le Nouvel Observateur donne la couverture à henri Guaino, main sur l’épaule du président de la République : « Le gourou de Sarkozy » - L’Express se vend pour « le passé turbulent du Premier ministre, François Fillon, secrets de jeunesse ».
Commentaires reçus… un Africain de passage à Paris, représentant d’une société d’approvisionnement en hydrocarbures dans son pays : tout cela est incompréhensible, c’est bien français… le recteur (le curé) de mon village, familier et aimé depuis dix ans : le gouvernement n’a pa été malhabile et savait comment cela se passerait.

« Gérer » l’ambiguité

L’ « histoire immédiate » a-t-elle déjà tranché ? ce matin, je l’ai cru.

Sondages et statistiques le proclament. BVA-Orange en ligne aux aurores donne 54% de Français satisfaits du Président et assure que 58% souhaitent que le gouvernement ne cède pas aux grévistes et 69% prévoient qu’effectivement il ne cèdera pas. Moitié moins de grévistes en début de matinée, tant à la RATP qu’à la SNCF, ce qui fait mystère : l’organisation des deux entreprises semble telle que le trafic n’y est pas proportionnel aux effectifs disponibles. 46%  à la SNCF contre 64% la veille…
Pourtant, tout a rebondi. Déjà, Xavier Bertrand avait, la veille, tardé à composer sa lettre. Pourquoi ? Celle-ci est considérée au moins comme floue et pas assez précise, au pis – c’est le sentiment de la « base » - inacceptable puisque les principes de la réforme : quarante annuités, décote, indexation sur les prix, ne sont pas négociables. Quant à la négociation elle-même, entreprise par entreprise, elle a un mois pour se conclure. Il n’est enfin pas dit qui et à quel niveau représentera l’Etat pour satisfaire l’exigence syndicale de tripartisme ?
Comment perdre une bataille déjà gagnée ? La CGT, en double jeu, autant que le gouvernement ? puisque si cela était, elle aurait beau jeu d’affirmer que le ministre lui avait menti l’avant- veille. Les centrales ne paraissent ni surprises ni scandalisées que les négociations soient liées à la fin de la grève – tant c’est la réciproque de la posture des grévistes, pas de reprise du travail si les négociations n’ont pas abouti. Retour donc au blocage qu’on avait cru initial, mais qui n’apparaît que maintenant.

Et comment entretenir une guerre en parallèle ? La carte judiciaire de Rachida Dati prévoit la suppression de 200 tribunaux. Presque tous les parlementaires ont un mandat local. Le schéma du bâtonnier de Montluçon ou du maire d’Aubusson, entamant chacun une grève de la faim, est simple. La justice moins accessible et plus coûtreuse, disparition progressive des infrastructures du service public dans l’arrondissement. Pas d’explication ni de communication globale de la garde des Sceaux, son tour de France se fait sous les huées à chacune des étapes. Maladroitement, elle évoque aujourd’hui, à la tribune, le rapport d’un sénateur recommandant l’établissement de franchises à l’aide juridicitionnelle à l’instar de celles votées dans l’été pour les consultations et actes de médecine. Lapsus ? mutation pour un emploi fictif à la Cour de cassation du procureur général d’Agen pour lequel l’ensemble de la magistrature a pris fait et cause. Observation que 10 procureurs généraux sur 35 viennent d’être changés, procès en politisation sous prétexte de discrimination positive en faveur des femmes.

Globalisation : c’est le vœu des grévistes qui attendent davantage les fonctionnaires (en grève le 20 Novembre) qu’ils n’accueillent (même attitude qu’en 1968) les étudiants. Ceux-ci sont moins aisés que les cheminots à discerner.

La coincidence, jugement politique et jugement moral… sens aussi de la « rentrée » médiatique du prédécesseur et repoussoir de Nicolas Sarkozy : Jacques Chirac venant siéger au Conseil constitutionnel. Pour une fois d’une très grande habileté, puisqu’il peut arbitrer le verdict sur les tests ADN, procédure et sujet emblématiques de celui qui est censé avoir gagné … depuis 2002 par les voix du Front national (il est vrai que Jacques Chirac devait aussi la dialectique de sa réélection au Front national). La décision rendue accentue les « garde-fous » et – comme il était prévisible – annulle pour ue raison de forme le « cavalier législatif » qui avait été ajouté pour traiter de statistiques ethniques. Les plaignants et la majorité gouvernementale ont chacun satisfaction.

 La mûe des rapports sociaux.
Ce n’est pas la relation à la réalité qui domine les uns et les autres – du moins si cela se déchiffre en termes politiques – mais la relation au gouvernement, au pouvoir (on a moins dit aujourd’hui : l’exécutif, d’ailleurs Nicolas Sarkozy et François Fillon ont été plus en retrait, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand, Rachida Dati sont chacun responsables d’un front, ce sont eux que l’on a vus et entendus, tempéraments différents, même inexpérience, sérénité qui détonne). L’UMP mobilise, adossée aux sondages et inaugure la distribution de tracts : demain, quatre millions. Genre d’écrit dangereux parce que décalé forcément entre le moment de la conception et celui de la distribution. Prélude à des manifestations. Langue de bois et automatisme des porte-paroles, louange du chef, lecture que Nicolas Sarkozy a su trouver (ou se faire donner) et qu’il a inculqué : depuis vingt-cinq, cela ne va pas. Matrice que je retrouve, celle d’un « gaullisme » que j’ai abhorré et qui est né – aussi le 30 Mai – et qu’avait suggéré la difficile lutte contre des oppositions systématiques à de Gaulle pendant dix ans : celle des anciens politiques. Un jeu de rôle est né alors dans lequel « majorité/opposition » s’est d’ailleurs coulée la gauche en 1981 et en 1997. Chaque camp avec sa lecture manichéenne, ses approbations à la baguette quand il est au pouvoir. Pourtant, des fissures à l’UMP. Jean-François Coppé sur la défensive pour la manière dont il conduit le groupe parlementaire, les élus dans l’ensemble révoltés contre Rachida Dati. Le parti socialiste, de toutes façons daubé par la droite quoi qu’il soit, et quelle que soit son expression, est au spectacle. Il est dans une position cohérente – pour la gauche – où le politique soutient et suscite le social mais ne peut s’y substituer.
La « base » est invoquée de part et d’autre, les responsables syndicaux se savent tributaires pour que vaille leur propre signature, les dirigeants de la majorité parlementaire la croient mobilisable politiquement. L’équilibre et le calme sont précaires.

La comparaison franco-allemande ? Grève du fret hier, grève étendue au trafic des voyageurs aujourd’hui et jusqu’à samedi. Réclamations : se considérant les plus mal payés d’Europe, les cheminots outre-Rhin demandent 31% d’augmentation de leurs salaires.

Ailleurs, dans le monde… la scission non seulement politique entre le Hamas et le Fatah, mais aussi géographique ce que laissait prévoir depuis toujours la discontinuité territoriale du futur Etat palestinien, rend évidemment artificiels tousd pourparlers de paix, et même la création de ce fameux Etats… Wladimir Poutine, après Lénine et après Staline, durablement et puissamment maître du jeu chez lui, donc partenaire de première grandeur dès le cas constitutionnel et électoral passé : printemps 2008… tandis que les Etats-Unis entreront dans la phase de transition de la future élection présidentielle… laquelle ne tranchera probablement pas la question d’Irak, d’autant qu’elle se sera compliquée de celle d’Afghanistan et du Pakistan. Ce qui protège pour longtemps l’Iran nucléaire, en sus de la garantie et des livraisons russes.

Sous peu, chez nous … la croissance économique en 2007 inférieure qux prévisions gouvernementales, donc aux hypothèses budgétaires déjà critiquées en réunion européenne des ministres des Finances… l’inflation sensible en Europe et aux Etats-Unis, mais joignant ses effets au « ressenti » général que le pouvoir d’achat baisse… prise de conscience que « les choses » vont vraiment commencer au premier anniversaire des 6-16 Mai 2007.



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Soir du mercredi 14 Novembre 2007

Chronique sur France-Infos., dialogue avec un ancien ministre du général de Gaulle et de François Mitterrand. Qui me rapporte – entre autres gemmes – la recommandation du doyen de ses directeurs d’administration centrale l’accompagnant à Matignon (on est sous Michel Debré) après qu’il les ait réunis à sa prise de fonction et leur ait fait dire ce dont ils ont la charge. Le petit homme à deux ans de la retraite, lui-même est très grand, à peine quarante ans, lui prend le bras devant le porche :  Ayez une vision. Communiquez-la nous. Acceptez qu’on en discute. Prenez une décision claire. Entrouvrez les portes et mettez le pied dedans. Et nous, nous ferons tout le reste, sans aucune défaillance. Il y eut une époque récente où il y avait de grands commis de l’Etat et où servir celui-ci était tout le bonheur et l’ambition de ceux qui s’y adonnaient. La Quatrième et les débuts de la Cinquième furent le régime d’élites certaines, imprégnées d’un Etat serviteur et concepteur : François Bloch-Laîné, Pierre Guillaumat, Louis Armand, Pierre Massé, tant d’autres et des ministres marquants en étaient, Michel Debré, Maurice Couve de Murville, Edgard Pisani, Jean-Marcel Jeanneney, d’autres… il y eut pourtant Mai 1968…
« Nouvelles » de 10 heures 30-10 heures 45 – la CFDT : la grève ne sera pas efficace. Sept syndicats de cheminots sur huit ont appelé à la grève. La prise en compte des différences d’espérance de vie selon les métiers, peut être le point de rencontre entre les régimes spéciaux et les autres.
« Nouvelles » de 13 heures 30 – Xavier Bertrand reçu à l’Elysée « en présence du Premier ministre ». Il rend compte de ses entretiens avec les syndicats, hier et ce matin. Le président de la République (le texte lu par David Martinon en boucle pendant deux heures) a dit qu’une opportunité existe pour que l’esprit de responsabilité l’emporte. Une lettre de proposition de méthode est demandée au ministre du Travail, des Affaires sociales et de la Solidarité pour qu’il l’adresse aux syndicats dans les prochaines heures.
Enoncé des participations au mouvement de grèves, toutes moindres que le 18 Octobre. SNCF 61% au lieu de 73%, EDF 28 % au lieu de 43%, Gaz de France 31% au lieu de 45%. – « Nouvelles » à 13 heures 56 : François Fillon dit sur le perron de l’Elysée que çà avance. A 14 heures, Claude Guéant publie dans Le Monde.
« Nouvelles » de 15 heures 23 – 33 universités bloquées ou agitées sur les 85, selon l’UNEF. Laurence Parisot, les grèves sont une ringardise, propos rapporté, relevé mais pas donné en direct ni dans son contexte. RATP 44% contre 56% et insistance sur le fonctionnement de la ligne 14 puisqu’il est automatisé.
« Nouvelles » de 18 heures – David Martinon en boucle.
Questions-réponses animées par de Lagarde. Jean-Louis Mallis pour la CFDT, Maryse Dumas pour la CGT et Christian Payeux pour Sud-Rail. Propos de cortège (Bernard Thibault attend des engagements écrits) et de base (ce qu’ils font dans les hautes sphères). Des usagers : qu’ils s’en prennent aux ministres ou aillent devant l’Elysée, mais pas à nous. La lettre de Xavier Bertrand pas encore parvenue aux destinataires désignés par le président de la République.
Le bâtonnier de Montluçon, reçu par la garde des Sceaux, suspend sa grève de la faim et s’est entendu dire qu’aucune décision de suppression de juridictions n’est encore décidé : jeux de mots ?
AFP 19 heures 57 – Danielle Mitterrand publie ses mémoires et un entretien donné au Parisien affirme : "Pourquoi le PS est-il devenu ce qu'il est aujourd'hui ? Parce qu'il avait à sa tête des gens qui n'ont pas l'esprit socialiste"
"Ce n'est pas parce qu'on prend une carte qu'on est socialiste. Foncièrement, depuis quelques années, les dirigeants socialistes n'ont pas la tripe socialiste" (ils ont "un regard beaucoup trop attendri pour l'argent. Ils ne réagissent pas, ne respirent pas ce désir de société que nous avions".
AFP 21 heures 43 – Michel Sapin estime que ce n’est l’intérêt ni de la gauche, ni du Parti socialiste que Ségolène Royal soit Premier secrétaire et qu’il sera trop tôt au prochain congrès pour que soit décidée la candidature l’élection présidentielle de 2012.


Chronique d’une solution ?

Le sens de cette journée a changé à plusieurs reprises.

Celle du 18 Octobre prend rétrospectivement son sens. La mobilisation dans les transports publics a été « historique », à un degré sans précédent. Elle a créé le rapport de forces dont sont sortis les ultimata des syndicats et le raidissement stratégique du gouvernement. L’avant-grève a eu lieu ce jour-là et non pas hier mardi 13. Comparaison des porucentages de grévistes du 18 Octobre au 14 Novembre, ceux d’aujourd’hui sont moindres mais ils s’inscrivent dans une dialectique.
Initiative – sans précédent dans le manuel de conduite des mouvements sociaux – celle de Bernard Thibault, à peut-être distinguer de Didier Le Reste (l’instance suprême et la représentation des cheminots en propre, mais Thibault est cheminot d’origine – poids appréciable du découplage d’avec le Parti communiste qu’il avait inspiré dès son arrivée aux manettes – il a la voix « peuple » mais dans un grand corps et selon un visage fruste, beaucoup de finesse). La C.G.T. réaffirme son rôle directionnel comme elle ne l’avait sans doute plus fait depuis quarante ans. Après avoir énoncé fortement sa pétition d’une négociation globale, dite tripartite : entreprises, syndicats, Etat-patron, elle consent à ce que la scène principale soit segmentée selon les entreprises. En regard, le gouvernement consent à ce que l’Etat soit représenté dans chacune de ces négociations. L’accord se fait – en réalité – dès lundi soir, lors de l’entretien Thibault-Bertrand. Il est essayé sur les autres centrales syndicales. Etonnamment, le ministre n’invite pas à ses bureaux : Sud-Rail.
Bataille de la communication en ligne, qui l’emporte sur celle d’une prise directe de l’opinion à témoin. Il y avait mardi les préparatifs de l’U.M.P. : faire distribuer par ses adhérents un million de tracts en région parisienne et trois millions dans le reste de la France. En regard, la manifestation unitaire de la gauche : le déjeuner écolo.-développement durable, paradoxalement dans le XIème, arrondissement de Georges Sarre qui, avec Jean-Pierre Chevènement, l’avait boudé. Aujourd’hui, ce sont les annonces et commentaires directs. Le premier, c’est la phrase que Martinon extrait du « compte-rendu » d’entretien à l’Elysée des conversations ministre-syndicat : « il y a une opportunité », fait savoir le Président de la République, qui donne ainsi à penser qu’il est dans la posture du vigile regardant les X écrans-vidéos par lesquels il suit les développements de situations diverses à plusieurs niveaux et en plusieurs lieux. Le second, c’est François Fillon quittant l’Elysée : « çà avance ». C’est la fin de la matinée. J’ai cru les choses bouclées, la bataille gagnée par le pouvoir du 16-Mai car l’opinion ne détaillera pas les concessions de fond, ne verra pas l’équilibre des concessions de forme qui auront permis la négociation de vraiment commencer ; elle ne peut que retenir une grève, prévue durable lundi soir, et dure, qu’un  gouvernement ayant « scandé-martelé » qu’il ne bougerait pas sur les principes d’une réforme, est arrivé à stopper en quelques heures. Crédibilité d’un règne, ouvert par deux victoires électorales et consacrée par un duel aussi rapide et flagrant que les championnats d’épée, la retouche en quelques secondes sans qu’au contraire des scènes de cinéma, on ait « ferraillé ».
Troisième commentaire, il est à l’occasion du défilé parisien (entre 5 et 25.000 défilants, comment les écarts d’évaluation sont-ils tels ?). Bernard Thibault insiste sur le contenu des négociations sans cependant se cramponner à la question des 40 annuités et reconduit la grève pour jeudi, ainsi que les six autres syndicats : motif étonnant puisqu’il charge le gouvernement. La lettre que Nicolas Sarzkozy a commandé à Xavier Bertrand d’adresser « dans les heures à venir » aux syndicats pour leur proposer méthode et cadre de négociations ne leur était pas encore parvenue à 21 heures. Bernard Chérèque peut dire que toutes les conditions sont réunies pour arrêter le mouvement, la CFDT a reconduit comme les autres le mouvement.
Premier élément de suspense donc. Après des concessions de forme de part et d’autre, une rencontre possible. Une victoire optique du gouvernement, un acquiescement de fond des centrales syndicales aux quarante annuités mais une exécution retardée. Pourquoi ?
Deuxième élément, il est nouveau. Il rappelle instantanément la séance de Georges Séguy désavoué par la base de Renault le lundi 27 Mai 1968. Les annonces gouvernementales prenant acte de l’initiative de la C.G.T. et du suivisme des autres centrales n’ont pas été mentalement préparées pour une « base » qui s’est mise en mouvement, à frais individuels, et qui a conscience de son porte-à-faux dans l’opinion (que les médias et le gouvernement ne se font pas faute de lui rappeler). Les dires dans les différents cortèges évoquent une trahison et un cramponnement sur les positions initiales. La négociation, entreprise par entreprise, ce qui permet – au gouvernement – d’éviter que l’opinion et les grévistes, tout à la fois, aient une vue d’ensemble, va être dominée par la possibilité de dissidences soit d’une ou plusieurs centrales, soit de la base, soit des unes et des autres.

Enfin, le gouvernement – sauf François Fillon qui a été déjà baptisé en 2003 et qui participait au gouvernement de 1995 (à vérifier, car il était déjà dans le gouvernement d’Edouard Balladur et Jacques Chirac n’a jamais apprécié les fidélités doubles) – est novice dans la « gestion » des mouvements sociaux. Silence d’Alain Juppé, ces deux jours… de Jean-Pierre Raffarin, aussi, ce qui est moins significatif. Quant au précédent président de la République, par l’immobilisme duquel (douze ans…) presque tout est arrivé… il s’évertue à communiquer sur sa prise de place au Conseil constitutionnel. Bernard Thibault, Bruno Julliard, Sud-Rail sont au contraire – à la tête du syndicat le plus emblématique, à l’UNEF, dans les chemins de fer – des experts. Ont-ils fait entrer Nicolas Sarkozy dans la cage aux fauves ? la négociation, quand elle s’engagera, sera encadrée pour le dehors d’une intense bataille de communication. Après avoir « affiché sa fermeté » pendant un mois, le gouvernement pourra-t-il se placer sur les tréteaux en négociateur ouvert qui ne songe que’aux « galériens » ? L’initiative de la C.G.T. est expliquée comme un « signal donné au secteur privé ». Je ne le vois pas encore. Mais il est clair, en revanche, que de part et d’autre la conscience des enjeux est très différente : Nicolas Sarzkoy joue son emprise sur ses troupes et ses ministres, il joue pour l’opinion et tous ses partenaires sociaux et politiques, dans le pays, et vis-à-vis de ses homologues étrangers sa crédibilité. Celle-ci entamée par le probable pourrissement de ce qui devient l’affaire tchadienne – les otages de Téhéran firent la chute du président Jimmy Carter. Tandis que les syndicats regardent à court terme : obtenir du concret, ce qui suppose que la base les suive et que l’opinion publique ne leur soit pas plus hostile qu’elle l’est déjà.

Question : la Cinquième République s’est fondée sur une caricature du « régime des partis » – qui avait assez bien pris, et qui est redevenue d’actualité mais très déformée, car de Gaulle critiquait la main-mise des partis sur le fonctionnement des institutions d’Etat, tandis que la moquerie d’aujourd’hui vise le fonctionnement interne des mouvements politiques (vg. en marge du mouvement social, les retrouvailles radicales entre Borloo et Baylet, entre un ministre dont on fait cas et qui a bonne image alors qu’il n’a pas prise sur ses services ni sur la succession des domaines qui lui sont confiés, et un futur ministre, fils de famille mais de terroir sinon de franc-maçonnerie, les « rade-soques »…). Les partis à l’index et responsables d’une France qui traîne, ou décalés par rapport à la modernité souhaitable et souhaitée. En sera-t-il – dans l’opinion – de même pour les syndicats ? Laurence Parisot s’y essaye mais un peu précocement : les grèves ? une ringardise. Aussi censée qu’était la recommandation de Christine Lagarde : l’essence trop chère, faites du vélo… de fait, les bicyclettes couleur de l’uniforme allemand 1939-1945 sont nombreuses dans un Paris calme. De dispositifs et de cars de police (Pierre Joxe les avait voulus en blanc, ils sont de nouveaux en bleu-noir) que le long de la Sorbonne, côté rue Saint-Jacques et en face de la FNAC, rue de Rennes.


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Soir du mardi 13 Novembre 2007

Les multiples dépêches de l’A.F.P. et France-Infos. se reproduisent.
Jacques Barrot, ministre du Travail (ou des Affaires sociales en un sens plus large) en Novembre-Décembre 1995 appelé à faire une comparaison avec maintenant qu’il ne fait pas, sous prétexte que l’opinion est maintenant gouvernementale, que la réforme des retraites a été acceptée par les Français du régime général et que les principes en sont les mêmes dans toute l’Europe.
François Fillon appelle les ministres à recevoir à tout moment les syndicalistes, la présidence de la RATP joue comme celle de la SNCF, la lettre personnalisée et les « propositions concrètes ».
Le front universitaire est d’une quinzaine, moins de vingt universités en tout cas, bloquées ou en grève depuis hier matin : de tension qu’à Rennes II et à Nanterre. La grève des transports affecte surtout Paris et l’Ile-de-France et les liaisons province-province.


Chronique d’une confrontation

Contre-sens sur l’élection présidentielle, sur son sens dans nos institutions et probablement dans nos esprits. Ce n’est pas un referendum de ratification du programme de l’un des candidats et valant blanc-seing pour le mettre en œuvre en cinq ans. C’est un choix de personne à personne, un vote de confiance. Mais ce vote et cette confiance sont révocables selon que la personne élue tient – non ses promesses électorales (c’est l’une des grandes déviations depuis de Gaulle de tous les campagnes qui ont suivi son retrait dicté par le non au referendum de 1969 – il ne devrait pas y en avoir) mais ce que les Français attendent de lui/d’elle : orienter la France dans le bon sens, veiller à ce qu’elle soit bien gouvernée. Et qu’est-ce que le bon gouvernement, ce n’est pas celui qui décide mais celui qui fait décider, qui provoque le consentement, le consensus, l’adhésion. Alors, l’efficacité est au rendez-vous.

On en est aux antipodes ce soir. L’exécutif – mot nouveau dans le commentaire général, pour éviter sans doute le terme « pouvoir » qui ferait trop absolu, agressif dans les circonstances actuelles ? – et la majorité parlementaire ont comme argument principal qu’il s’agit de tenir une promesse faite aux Français et ratifiée par eux. Le contre-sens sur la signification de l’élection présidentielle. Mais on voit bien pourquoi il est perpétré. Faire en sorte que toute contestation soit illégitime jusqu’à la réélection, seul moment où elle est acceptable, en l’état actuel du système implicite qui fonde la pratique de nos institutions par Nicolas Sarkozy.

Bien entendu, la pétition que la négociation est souhaitée par les gouvernants, est gratuite, l’affirmation que la grève n’est pas payante est mensongère, puisque c’est sous la menace de celle-ci que depuis quelques jours et peut-être quelques heures, des concessions ont été accordées. La négociation n’est pas dans l’esprit de l’élection présidentielle ayant censément tranché toutes alternatives et elle n’est pas non plus dans le dire gouvernemental puisqu’il a été ressassé (on dit depuis quelques années : marteler pour : dire, scander pour : répéter – élégance du parler public et du commentaire qui l’enserre) que l’on ira jusqu’au bout, que c’est affaire de devoir. Or, l’enjeu pratique est mince, pas 500.000 personnes aujourd’hui, pas 1,25% de la masse des retraites en 2020. La question est bien de principe. Il s’agit en faisant juge le pays, l’opinion contre les grévistes de confirmer l’élection présidentielle valant « referendum ». Si le gouvernement avait été plus souple et avait consenti à la négociation davantage de temps et d’espace, la réponse syndicale n’aurait pas été l’ultimatum et le goût de faire plier le nouveau pouvoir ne se serait pas répandu. Il s’agit donc bien d’un prétexte et ce ne sont pas les syndicats qui l’ont cherché.                      

Des coincidences… la presse économique change de main quand se joue l’efficacité de l’alliance gouvernement-patronat.

Des anomalies…  le front syndical n’est pas tout à fait cimenté, la CFTC s’en est retiré, le second syndicat des conducteurs de train a obtenu les concessions qu’il voulait, la CGT fait valoir son rôle de pilote en revenant au tripartisme de la Libération : pas de négociations en entreprises, mais une discussion d’ensemble avec l’Etat-patron (seul patron contrôlable par la démocratie) ; Bernard Thibaut se fait recevoir par Xavier Bertrand, chacun croit y gagner, factuellement ou devant l’opinion, mais laquelle ? Les étudiants sont divisés sur la manière de contester la loi les concernant : faire grève, bloquer les entrées de bâtiments, jouer les boute-feux dans les gares. Les radicaux sont désavoués par le principal syndicat étudiant et par les syndicats de travailleurs salariés.

Des curiosités… la relance dans ces circonstances de la réflexion et des rédactions pour retoucher nos institutions, le Premier ministre est chargé par lettre pérsidentielle publiée aujourd’hui mais datée d’hier de proposer au président de la République un projet. La lettre comme toutes celles du même genre depuis le 16-Mai (date qui fut longtemps celle de ce qui avait été ressenti par les républicains comme un coup de force du maréchal de Mac-Mahon zélé par les monarchistes…) dicte la copie à rendre, le rapport du « comité Balladur » est pris comme une confirmation des analyses données en campagne puis à Epinal, le quinquennat comme le générateur du bouleversement dont il faut maintenant assumer les conséquences (s’il y en a tant pourquoi ne pas revenir au septennat ? et Jacques Chirac qui publie, juste, son entrée au Conseil constitutionnel, n’assurait-il pas en 2000 que le quinquennat ne changerait en rien nos institutions ?). De même que la révision constitutionnelle est présentée comme principalement une augmentation des pouvoirs du Parlement (alors que tout le souhait présidentiel et toute la pratique depuis le 16-Mai est d’augmenter encore la prérogative du chef de l’Etat), de même il est demandé au Premier ministre – en la personne de François Fillon – d’organiser lui-même la diminution de sa fonction. Cynisme ? exercice complètement décalé.

De mauvaises habitudes… celle du président de la République de s’adresser depuis l’étranger aux Français, ce qui est prendre les tiers à témoin et ne pas être au devoir d’état qu’est la visite en cours : la déclaration à Berlin, sa réitération devant le Parlement européen que le gouvernement ne cèdera pas.

Il ne faut pas se tromper de stratégie : le nouveau pouvoir mise tout sur les réformes pour garder la confiance publique. Je crois celle-ci fonction du pouvoir d’achat donc de la croissance économique, ce qui est peut-être médiocre mais va décider de tout. Or la tendance est à l’inflation, l’allongement de la durée de cotisations peut s’analyser comme de l’épargne forcée supplémentaire. Les « réformes » ne feront pas le pouvoir d’achat. Ne pas se tromper non plus de tactique : le pari que le pouvoir va sortir renforcé de la confrontation avec les grévistes (et avec les étudiants). Ne pas se tromper surtout de registre ni de terrain. En 2005, Dominique de Villepin, candidat virtuel à la succession de Jacques Chirac, est convaincu que tout se joue sur le « social », la bataille de l’emploi à gagner en cent jours par une restauration spectaculaire de la confiance.  Il se trompe, la question est politique, celle du vide institutionnel qu’ont suscité la pratique de Jacques Chirac, la victoire du non au referendum sans que la conséquence en soit tirée (anticiper l’élection présidentielle), l’accident de santé du président de la République qui a perdu toute crédibilité pour un nouveau mandat. En 2007, Nicolas Sarkozy croit la question politique réglée par son élection, par la crise au Parti socialiste, par l’effondrement des extrêmes à droite comme à gauche, et que par conséquent la question est sociale que règleront les réformes et la « réhabilitation du travail ». Je crois que là est son erreur. La question est politique, il y a procès d’intention, il y a défiance a priori d’une partie de l’opinion et des Français – peut-être pas majoritaire mais fondée sur des motifs politiques, sur une vue de la France, de l’Europe, de la société, des relations internationales très différente de celle de Nicolas Sarkozy. Une vue instinctive qui a fait s’insurger contre les tests ADN, qui a soutenu les femmes africaines rue de la Banque, qui pousse à réclamer le referendum sur l’Europe : les 61% de cet avis sont à rapprocher des 59% appuyant, au début du moiuvement social de maintenant, le gouvernement. Comme l’avait très bien analysé Daniel Cohen dans Le Monde pendant la campagne présidentielle, il y a beaucoup de majorités en France, elles ne se recouvrent pas, elles changent selon les sujets (et les moments, on l’a vu d’un tour à l’autre des législatives).

Reste que le diagnostic de Jacques Barrot, dans l’ambiance de Bruxelles – qui est un bon observatoire – est fondé : la France est à la traîne économiquement et financièrement parmi les Etats-membres. Tout gouvernement doit y remédier, et cette traîne a des causes multiples et anciennes. En revanche, notre crise politique est simple : elle est une crise de confiance d’une bonne partie des Français vis-à-vis de ceux qui « conduisent » au forceps des réformes que je crois de simple apparence, et dont aucune – notamment la révision de la carte judiciaire – n’est située dans un ensemble en sorte qu’il soit bien visible qu’en y procédant nous sortirons de misère. Défaut de confiance aussi envers l’économie et la dialectique d’entreprise : c’est le fond du procès de la « loi Pécresse », et les appels à la foi lancés par Laurence Parisot aux étudiants ne l’instruisent pas.

En regard, nos partenaires sont – eux aussi – dans des expectatives, parfois très difficiles. L’Allemagne est en crise sociale comme nous, pour les mêmes raisons : la chronique des huit grèves de chemins de fer, et la formule gouvernementale va peut-être s’effondrer. La Belgique est à la veille – peut-être aussi – de la partition avec d’immenses inconnues à la clé : que deviendront les « morceaux » ? quel sera leur statut au regard de l’Union européenne ? Bruxelles prête alors au rôle à « constitutionnaliser » de capitale fédérale du Vieux monde, celle chère à Charles-Quint et à sa sœur ? La Grande-Bretagne et l’Espagne à la veille d’élections qui ne sont pas gagnées encore par le pouvoir en place. Et ainsi de suite.

Ce que nous avons commencé de vivre est donc l’ajustement et le cadrage du mandat donné le 6 Mai 2007.











disponibles par courriel sur demande :


15 notes sur la campagne et l’élection présidentielles,
rédigées du 12 Novembre 2006 au 8 Mai 2007



journal réfléchi

14 . 20 Mai 2007
Le point de départ
Les commencements
Les contradictions inévitables
Les lacunes institutionnelles

25 Mai 2007
Quelques « grilles de lecture »
Le pouvoir personnel ou « l’homme d’une nation » ?
La sécurité (du pouvoir)
Le concret, le terrain, les urgences : qu’est-ce à dire et à faire ?

31 Mai . 5 Juin 2007
Nouvelle génération et antécédents consensuels
Une périlleuse prétention
La probation diplomatique
La quadrature du cercle ?

15 . 16 Juin 2007
La manière du candidat ne peut être celle du président de la République
La démocratie de gouvernement
Les débuts de « l’action »

17 . 24 Juin 2007
Déblais…      
Une claire distribution des rôles et des stratégies, au pouvoir et dans l’opposition
La fausse obligation de hâte
Le mode de scrutin pour désigner les députés  l’Assemblée Nationale est-il adapté ?

6 . 10 Juillet & 12 Septembre 2007
Notre pays, notre temps, notre monde – banalités ?
Notre pays, notre temps, notre monde – ce qui change
Les paradoxes qui demeurent
Les précédents ne valent que pris dans la période Cinquième République         
Concept et pratique de la carrière politique - Logique républicaine et accélération des dévoiements
Difficulté de l’émergence d’une nouvelle éthique des grands patrons français

19 Septembre 2007
Des bons points        
Des mauvais points
Des indices
Des sujets d’inquiétude

4 Octobre 2007
I – Politique intérieure
tout se répète
la nouveauté : l’organisation du pouvoir
l’ouverture
le risque de saturation
la pierre de touche
la lacune
l’isolement
II – Politique extérieure
le changement vis-à-vis des Etats-Unis
l’abandon de la priorité européenne

15.19 Octobre 2007
Les pièces du puzzle ? ou « les silences du scenario »
. consacrer quelques premiers mois d’un exercice du pouvoir par une modification de la Constitution ?
. un fonctionnement à risques quotidiens de l’ensemble du mécanisme élu ce printemps
. elle aussi sans précédent, la mise en scène en responsabilité partagée d’une vie de couple
. vis-à-vis de nos partenaires en Europe et de l’entreprise d’Union, une attitude toute nouvelle et sans précédent depuis les fondations des Communautés européennes et de la Cinquième République
. c… par-dessus tête en économie et en social
. les contre-pouvoirs qui s’établiront sans octroi du pouvoir en place

23.25 Octobre 2007
. . . le temps où nous sommes, pourquoi ne savez-vous pas le juger ?
le régime se qualifie lui-même
l’Europe à défaire ?
le mouvement social et l’opposition parlementaire
l’économie seconde

5.6 Novembre 2007
La gestion des crises
La gestion du fond
Desseins et tempêtes
La contradiction

13 Novembre 2007




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