mardi 25 mars 2014

archives pour le vécu de notre histoire immédiate - 16 & 23-27 Février & 3-5 Mars 2009









La crise est mondiale, la France est touchée comme tous, mais ce qui rend sa situation exceptionnelle, c’est le mode de son gouvernement. Il est antérieur mais pas de beaucoup. Est-il adéquat pour nous donner un sort meilleur que celui des pays qui nous sont homologues ?et nous faire contribuer à l’imagination et à l’application mondiales de remèdes répondant à la crise, et changeant la donne : au lieu de subir les conséquences d’un mauvais système qui a fait dogme depuis l’élection de Ronald Reagan, mettre en place enfin un ordre international économique, financier donc également politique et social, qui se cherche – utopie ? – depuis 1945, et dont l’entreprise européenne avait longtemps semblé une des composantes majeures.

Manière de nous gouverner, sans précédent, donc exceptionnelle et tenant à une psychologie présidentielle apparemment simpliste tant elle est tournée vers l’action – initialement en « culture de résultats » mais de plus en plus en charge d’agenda et en décisions personnelles. Circonstances maintenant ressenties comme historiquement exceptionnelles. Peut-on considérer et évaluer Nicolas Sarkozy – de la même façon que ses prédécesseurs étaient analysés, jugés ? et peut-on saisir les circonstances de la crise mondiale avec le développement de conséquences qui ne resteront pas longtemps confinés aux seuls domaines économiques et financiers, de la même façon qu’étaient analysées les décennies précédentes ? Les réponses me semblent ne pouvoir être de même nature.

Le système de gouvernement instauré par Nicolas Sarkozy a été, à ses débuts et tel qu’il était présenté en campagne électorale, une réponse à une situation difficile pour notre pays : constat pour le passé lointain ou immédiat. Cette situation ne s’est pas améliorée et la crise pose toutes les questions d’avenir. Ce système de gouvernement – donc – y trouve-t-il un supplément de justification, ou devient-il un handicap ? le principal handicap de la France ? Est-il capable, surtout, de n’être pas seulement réactif mais d’avoir le souffle pour poser un diagnostic, comprendre et faire comprendre que la crise – le désastre – sont essentiellement un problème d’éthique et de valeurs, et enfin d’entraîner les Français dans une voie – effectivement – sans précédent, que peut-être notre examen de conscience national, qui fut déjà celui de nos valeurs, de l’armistice de 1940 à la Libération de 1944-1945.





Pour y voir clair,

j’ai tenté, ci-après, une évaluation de notre situation et de la manière dont nous sommes gouvernés, qui fait suite à une série de notes des débuts de la campagne présidentielle en Novembre 2006 jusqu’à la veille des élections municipales, en Février 2008, selon le plan suivant :

page 6             I – La France était déjà en crise profonde
avant que ne frappe l’évidence d’une crise mondiale.      
page 6                                      une discussion de notre mode de gouvernement
page 9                                       une économie déstructurée
page 11                                     un début de mandat hors sujet

page 14           I I – Face à la crise, les moyens mis en œuvre ne le sont, partout dans le     monde, qu’au niveau national et sont donc insuffisants. En France, ils sont inadéquats.
page 14                                        absence de plan commun
page 17                                       l’hésitation à choisir un nouveau cours
page 19                                       la France est sur la mauvaise voie

page 22           I I I – Le nouvel handicap français : la démocratie de façade
page 22                                      un régime de fait
page 24                                      une extraordinaire tolérance
page 27                                       une nouvelle culture : le sans-gêne

page 30           I V – La monocratie désorganisatrice
page 30                                       l’Europe manquée sciemment
page 33                                      l’option atlantiste indiscutée
page 36                                       rigidité et contradiction : la perversion des réformes

page 38           Conclusions 
page 38           I . simples  propositions d’action politique & orientation
page 40           II . l’énigme imposée :
Nicolas Sarkozy en tant que président de la République
page 45           III . monocratie et méfiance : pollution mutuelle
page 47           IV . notre révélateur ?


Observation & réflexions

016





Foison d’événements – ci-dessous et en rappel chronologique in fine – mais surprésence d’une personnalité, cours nouveau en forme et en fond de la politique française, changement probablement aussi important que celui intervenu en 1958 avec le retour du général de Gaulle au pouvoir. Reste à savoir si ce cours est bénéfique pour la France. Je ne le crois pas.

Foison d’événements dont pendant dix-huit mois Nicolas Sarkozy sembla – en France, et même en Europe du fait de sa présidence de l’Union pour un semestre – l’acteur et l’initiateur unique. La tendance semble s’inverser : l’inattendu domine le pouvoir en place, la crise et l’inadéquation des remèdes nationaux, telle que chaque mois exige un redoublement d’efforts et d’ingéniosité, le climat social contenu jusqu’à présent en métropole mais soudainement incontrôlé aux Antilles. Inadéquation et impuissance tenant à ce que ni les présupposés du président de la République ni la conception affichée de ses fonctions ne changent . Il est donc incapable – tant qu’il ne change pas – de trouver les solutions, ou de les susciter. Les Français, saoûlés de discours et de réformes, ressentent cependant que l’essentiel n’est pas traité et que les médications qui leur imposées, ne vont pas remédier ni à leurs difficultés ni aux difficultés du pays.

Cours des choses, en un an …

Elections municipales en Mars confirmant le reflux de la popularité présidentielle, initialement amorcé par un excès de la mise en scène de sa vie privée. Forces armées : sanctions, y compris exclusion de tous officiers généraux dans les prochaines promotions de Légion d’honneur, à la suite du drame de Carcassonne ; dix tués dans nos détachements d’Afghanistan qui avoisinent les 3.000 hommes. Sommet atlantique à Bucarest, le dernier de l’ère George W. Bush junior : notre retour dans l’O.T.A.N. y est annoncé sous condition d’un progrès dans la défense européenne. La présidence française de l’Union européenne s’illustre par une méditation en Géorgie aboutissant à la reconnaissance de fait des deux séparatismes favorisés, militairement, par Moscou. Discourant à Toulon, le président de la République s’engage à refonder le capitalisme ; les banques sans dispositif interne de contrôle et sans la contrepartie d’une reprise de leur financement de l’économie et des ménages, sont garanties par l’Etat à hauteur affichée de 26 milliards d’euros. Une proposition – mezzo voce et franco-britannique – d’un plan européen de réponse à la crise est écartée par l’Allemagne. Un G 20 à Washington se reporte à Avril 2009 sans décision. Un avocat de formation mais successeur de Nicolas Sarkozy en Hauts-de-Seine et à l’U.M.P. est chargé de la Relance, sans qu’intervienne le Premier ministre autrement qu’en récitation, à Lyon, d’un catalogue de travaux publics pour un montant de 4 milliards d’euros. Le plan de sauvetage de l’automobile, annoncé le 9 Février, montre que le financement de l’économie par les banques n’a toujours pas repris. Les suppressions de postes dans l’enseignement secondaire, puis la baisse constatée du pouvoir d’achat malgré la loi Châtel votée un an auparavant, mobilisent dans la rue : plus de deux millions de personnes, le 29 Janvier 2009, l’étiage d’Alain Juppé en Novembre 1995. La réponse présidentielle a été une promesse d’audience des partenaires sociaux, convoqués ensemble le 18 Février et l’indication d’une piste, la dépense d’un milliard et demi provenant, est-il espéré, des intérêts que paieraient les banques pour la garantie que leur a donnée l’Etat. La réponse à la réponse devrait être donnée le 19 Mars, les huit centrales syndicales appelant ensemble à la grève et aux manifestations.


Les événements…

A une voix près, le 28 Juillet 2008, l’élu du 6-Mai (2007) obtient la confiance des parlementaires réunis en Congrès de révision constitutionnelle à Versailles, mais depuis treize mois, sa cote de confiance populaire demeure autour de 40% de confiants et inférieure d’une dizaine de points à celle du Premier ministre. Tandis qu’il fait périodiquement part de ce que sa décision de se représenter en 2012 n’est pas prise, l’Express peut faire sa couverture sur «  la dynastie Sarkozy : comment le président prépare son fils. »

La présidence tchèque de l’Union, considérée par l’Elysée comme inférieure à la nôtre, est relayée par la Commission européenne dans son affirmation qu’il peut y avoir plusieurs savoir-faire dans la gestion des affaires communes et dans l’animation de la réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement. Auparavant, Nicolas Sarkozy avait tenté de prolonger son semestre en briguant la présidence de l’eurogroupe et en doublant la troïka au Proche-Orient à l’occasion de la guerre de Gaza mais parvient à co-porésider les réunions de donateurs pour la reconstruction. Le groupe de Visegrad fait désormais bloc contre lui, notamment à la réunion informelle du 1er Mars 2009.

Le 4 Novembre 2008, Barack Obama métis mi-kényan mi-hawaïen, brillant universitaire et sénateur de fraiche date, est élu 44ème président des Etats-Unis : « yes, we can »… s’affiche partout dans le monde, en signe de délégation mondiale des pouvoirs de crise à l’Amérique. La République Islamique d’Iran le considère comme un interlocuteur de bonne foi. Dès son entrée en fonctions – malgré un lapsus de protocole à la prestation de serment – il signe le décret fermant d’ici un an la prison de Guantanamo mais n’évoque pas le statut territorial exorbitant de l’enclave américaine à Cuba. Le testament de George W. Bush junior consiste dans le transfert des troupes américaines d’Irak en Afghanistan, Nicolas Sarkozy assure à Bagdad que le soutien français à la reconstruction sera illimité et notre retour dans l’O T A N est soumis à un vote de confiance parlementaire le 19 Mars, pour être proclamé au soixnatième anniversaire de l’Alliance.

A partir du 20 Janvier 2009, la Guadeloupe, puis à partir du 5 Février, la Martinique sont en grève générale et le théâtre de violences urbaines. 63% des Français croient possible l’extension de ces conflits en métropole. Au moment où se signe – 5 Mars – un constat d’accord entre l’Etat et la centrale syndicale à Pointe-à-Pitre, la Réunion à son tour entre en grève et en revendications, tandis que la Guyane depuis le début de l’année, réclame.


Est-ce nous ? Est-ce la France ?



L’an dernier à pareille époque, le récit et le jugement pouvaient se suspendre. Deux importants mouvements sociaux : la contestation universitaire contre la loi d’autonomie, dite loi Pécresse, et la négociation de la fin des régimes de retraite dits spéciaux, s’étaient soldés sans vainqueurs ni vaincus, sans résultats législatifs ou financiers clairs, mais l’emprise du pouvoir alors en place depuis dix mois n’était pas en question : ni sur les événements, ni sur les esprits. Sans doute, la popularité du président de la République avait-elle chuté brusquemment pour s’établir autour de 40-45% étiage où elle est demeurée depuis, celle du Premier ministre restant positive (plus de 50%).

Avec le recul, il est aisé de s’apercevoir que s’était installée une manière d’exercer les fonctions présidentielle et gouvernementale qui ne peuvent plus changer, sauf à mettre en question le mandat quinquennal donné le 6 Mai 2007, et que cette manière a plus occupé le système politique français que la gestion de ce qui – nettement  aujourd’hui – apparaît comme les derniers beaux jours. On a débattu jusqu’à l’automne sur des prévisions de croissance annuelle de 2%, on a joué à la révision constitutionnelle comme si les textes, quels qu’ils soient, empêchaient le moins du monde Nicolas Sarkozy de gouverner seul, sans contrôle, sans appel – du seul fait que ceux qui, dans l’exercice des pouvoirs publics, pourraient s’opposer à lui ou peser par leur opinion sur sa délibération, ne le font pas : Premier ministre et majorité parlementaire. Un premier semestre, rétrospectivement artificiel – l’impopularité présidentielle soulignée par le revers de sa majorité aux élections municipales, ne diminuant ou ralentissant ou modifiant en rien les réformes imposées, sans concertation, aux grands éléments de l’Etat que sont les forces armées, la justice, le système hospitalier, l’organisation de l’éducation, l’effort de recherche scientifique et technique. Et un second – tout aussi artificiel, très médiatisé par avance et pendant – le semestre de présidence française de l’Union européenne.

La France est aujourd’hui conviée à deux actes de foi. La manière d’exercer ses fonctions, c’est-à-dire de gouverner directement le pays et toutes ses affaires sans intermédiaires et sans responsabilité parlementaire que Nicolas Sarkozy a imposée à tous, dès son élection présidentielle, n’aurait pas d’alternative et serait la meilleure possible pour venir à bout de la crise dans laquelle nous sommes entrés, nous et le reste du monde dit « développé » - le Tiers Monde vivant en crise et une exclusion du progrès général depuis la décolonisation. La crise elle-même, quelques traits et causes qu’on lui donne, sera surmontée à délais relativement brefs, en tout cas d’ici les élections présidentielles française et américaine, en 2012.

Je tiens, au contraire, que la crise sera d’autant plus longue que le diagnostic n’est toujours pas posé et que la dogmatique générale – en Europe, car ce semble ne pas devoir être le cas aux Etats-Unis qui, une fois encore, nous montrent que leur supériorité est davantage d’ordre intellectuel et démocratique que matériel, comme si leur puissance n’était pas un argument suffisant – est de restaurer à terme l’état de choses antérieur. Je tiens aussi que la manière de poser le diagnostic et d’inventer puis d’appliquer, en tout cas de permettre, l’alternative au système qui nous a conduit où nous sommes, n’est pas la monocratie mais la démocratie.


I


La France était déjà en crise profonde
avant que ne frappe l’évidence d’une crise mondiale.


  une discussion de notre mode de gouvernement

La campagne présidentielle de 2006-2007 est la rencontre entre un pays doutant moins de lui-même que d’habitude, mais conscient que son mode de gouvernement n’est pas le bon. La succession de deux aboulies et la somme d’indécisions sur la plupart des sujets pendant le quinquennat de Jacques Chirac (2002-2007) autant que pendant celui de Lionel Jospin (1997-2002) – appelaient une rupture. Trois furent proposées.

Celle énoncée par Nicolas Sarkozy était personnelle – sa mise en œuvre l’est encore plus. Elle s’était inaugurée par un défi au président régnant que celui-ci ne releva pas : une conférence de presse pendant celle-même de Jacques Chirac à l’occasion des vœux aux journalistes. Ruinant son autorité en quelques semaines, au début de 2005, Jacques Chirac libéra ainsi de toute allégeance ses troupes et mit à la disposition d’un quelconque de ses ministres et cadets un cycle de quarante ans de dérive du gaullisme à l’extrême droite. Abdiquant au soir du referendum négatif sur le projet de Constitution pour l’Europe, il eût repris la main en imposant pour le successeur une conception gaullienne des institutions et une conviction vraie pour l’entreprise européenne. Ne le faisant pas, jouant sa propre image historique – que ne peuvent corriger l’essai, pourtant brillant, de Pierre Péan envers qui la majorité de droite est aujourd’hui ingrate, ni des mémoires combinés avec Jean-Luc Barré – sur les ambitions présidentielles d’un dauphin se surestimant, Dominique de Villepin, le président sortant s’enferra et son candidat avec lui dans des affaires qui contraignent l’un et l’autre aujourd’hui à la figuration. La dernière occasion pour ces deux de défaire Nicolas Sarkozy était à Versailles, lors de la révision constitutionnelle, où il s’avéra que le nouveau système monocratique n’avait qu’une voix de majorité qualifiée. L’échec du projet – dont la lettre, embrouillée et lourde, importe peu puisque tout y est pour la montre [1] – aurait restauré le Parlement, donc tous les équilibres. Très différent des intentions initiales du proposant, le texte ne valait plus que pour le principe d’une révision commandée L’engagement du prédécesseur du président régnant : Jacques Chirac, aurait déplacé plus de voix que les manœuvres de couloirs, rattrapées – semble-t-il – par des promesses élyséennes, circonscription par circonscription. L’échec à Versailles aurait rétabli le Parlement dans la crédibilité qui lui fait, aujourd’hui,  totalement défaut en tant qu’instance de contrôle de l’exécutif.
Le mécanisme intellectuel n’est exposé qu’une fois les fonctions endossées. En campagne, ou pendant la longue candidature, l’énoncé des propositions est brutal, le dédain de toute mise en perspective conduit à l’énumération et défie donc l’analyse d’un dessein. Les Français sont conviés au très court terme, à « la culture de résultat ». Jamais, la critique implicite de l’Etat n’a été poussée aussi loin, avec une logique dont l’origine n’est pas perceptible. Les réseaux, les alliances, les étapes de formation d’une candidature sur au moins une décennie auraient probablement fait hésiter s’ils avaient été aussi évidents qu’aujourd’hui où ils sont cyniquement revendiqués. La rupture revient au mépris de l’existant, la réforme – qui ne reçoit ses thèmes qu’une fois le candidat élu – semble devenir un jeu pour qui exerce le pouvoir : quelle est la limite du supportable, idéologiquement, pour les Français. Le dépaysement mental et politique est le ressort du quinquennat en cours, l’opinion est certes surveillée et mesurée, encore plus qu’avant, mais l’impopularité installée en dix mois est telle qu’elle magnifie l’impétrant, elle en devient secondaire ce qui banalise aussi tous les refus. Le découplage entre l’exercice du pouvoir et le consentement est devenu l’outil d’une émancipation présidentielle de tous les usages, de tous les précédents, de toutes les oppositions à un point que le régime dans lequel nous vivons, ne peut plus être qualifié.

La rupture proposée par Ségolène Royal est tout aussi personnalisée, mais elle ne fait pas de l’impétrante par elle-même le moyen principal de cette rupture. Nicolas Sarkozy applique – dans toute sa pureté et dégagé de toutes scories, celles de l’immobilisme peut-être dû à l’âge et à la hantise de maladies plus graves – le système de Jacques Chirac, qui était plus en paroles qu’en actes : le volontarisme. Bien à tort, on croit cette manière celle du général de Gaulle. La volonté servant une vue claire des situations et des objectifs, ceux-ci traités en perspectives à terme parfois lointain et réclamant secret et ténacité ; tout le contraire d’une crispation d’instant en instant, et d’une floraison de discours. Ségolène Royal a une démarche très différente de celle de son rival, et proche, à bien y regarder, de celle – précisément – du fondateur de la Cinquième République. Elle en a appelé aux militants contre les appareils, elle s’invente une légitimité que Nicolas Sarkozy s’est donné par les manières qu’il a fait valoir encore plus place Beauvau que rue de Bercy (son action, là, est surtout mise en scène rétrospectivement par son livre-manifeste de campagne : Témoignage, et depuis son élection par de fréquentes références au sauvetage d’Alstom et à une négociation par chantage avec les réseaux de grande surface). L’appel au peuple pour une démocratie participative ou une démocratie sociale. Elle programme un referendum pour organiser constitutionnellement et législativement le cadre de cette démocratie à faire aboutir en France. Elle le date : l’automne 2007. Rupture aussi bien avec Jacques Chirac qu’avec Nicolas Sarkozy. Les propos de ce dernier, en campagne, sont la répétition de ceux essayés place Beauvau, et l’exercice du pouvoir ne les changera pas : ce sont des engagements et des promesses. Ségolène Royal établit en campagne, non un programme, mais une relation avec le peuple. Elle prépare ainsi aussi bien un exercice du pouvoir – nouveau pour la gauche – susciter le mouvement social et s’appuyer sur lui pour légiférer, qu’une posture d’opposante et de candidate au quinquennat suivant. En ce sens, sa manière de faire campagne est également – et surtout – une rupture institutionnelle avec toutes les campagnes présuidentielles de droite ou de gauche qui ont précédé la sienne. Lacune : aucun appareil ne suit vraiment, aucun groupe organisé. Je ne sais pourquoi, l’observant et l’imaginant ensuite au pouvoir, le Chili populaire m’est souvent venu à l’esprit. Pourtant, la France n’est pas le pays des coups militaires… alors, l’hallali et la course-poursuite, une femme à abattre ? à raison d’elle-même et non de son programme. Elle-même pourquoi ? parce qu’elle dépasse tous les clivages. Ce que souhaitent les Français et ce que comprend – tente de réaliser – Nicolas Sarkozy, dès son élection : l’ouverture aux transfuges, le pari sur l’appétit du pouvoir, répandu chez ceux qui se désolidarisent de leur camp perdant. Ségolène Royal a donc, même vaincue en 2007, opéré, elle aussi, une rupture dans la politique française. Très probable persévérante d’élection en élection, à l’instar de François Mitterrand, sa candidature ne signifie pas une stratégie mais une façon d’être.

François Bayrou n’a rien créé ni proposé : il a eu l’art suprême d’incarner à l’improviste, ce que les Français ont commencé de comprendre, sans savoir se l’exprimer, au début de la campagne. L’alternance gauche/droite d’une législature à l’autre depuis 1981 sans que les problèmes de fond soient résolus. Une domination binaire engendrant un mimétisme empirant d’élection en élection que le mode de scrutin a institutionnalisé. En peut-être vingt-quatre heures, ce résistant à l’embrigadement dans les « grands partis » - son intervention à Toulouse en 2002 pour justifier face à l’U.M.P. naissante une indépendance au premier tour est sifflée – n’exprime pas sa propre analyse, mais celle qui est répandue. Les Français répondent de partout, une crédibilité naît que renforce une équipe de hauts fonctionnaires, à Bercy ou ailleurs, anciens ou en activités : tandis que les appareils de campagne à droite et à gauche se disputent sur des chiffrages, donc sur l’apparence de la compétence et de la cohérence des programmes, le centriste est technique, précis. La question posée, par sa défaite-même : la justice du mode de scrutin, le doute quant à la légitimité d’une représentation nationale excluant le cinquième de l’électorat, comme en Novembre 1958 fut rabaissé jusqu’à pas vingt sièges à l’Assemblée nationale le parti communiste qui avait recueilli (mais éparpillées) plus de voix que le parti vainquueur en nombre d’élus, cette question est de fond. Je crois que les dispositions constitutionnelles (le 49-3) sont telles pour imposer une discipline majoitaire qu’il n’est plus nécessaire de refuser la représentation proportionnelle. Je crois surtout que l’imperium présidentialiste a été poussé à un point tel que le Parlement pour faire contre-pouvoir, et le débat démocratique pour renaître, ont au contraire besoin de l’incertitude de beaucoup de scrutins au palais-Bourbon. François Bayrou porteur de ces intuitions et de ces bouleversements dans cinquante ans de structuration progressive du paysage politique français, propose – puisque sa candidature persiste autant que celle de Ségolène Royal – une rupture civique. Celle proposée par Nicolas Sarkozy réside dans les thèmes : tout ce qui faisait la stabilité française passe au printemps 2007 pour un conservatisme handicapant, et dans la manière : le passage en force, au preétexte qu’il s’agit de respecter la parole donnée, en campagne présidentielle à l’électeur. La rupture imaginée par Ségolène Royale est de l’ordre intime, une adhésion individuelle de chaque Français, qui a fait diagnostique un messianisme politique. Le thème pourtant de la candidature n’est pas le salut, mais un combat précis, social.

Pourtant, l’élection présidentielle de 2007 a probablement figé le gouvernement des Français pour dix ans. L’opposition est divisée et impuissante parce que son principal parti – le Parti socialiste – ne croit certainement pas aux programmes extrêmes : depuis Lionel Jospin, ce n’est plus nouveau, mais surtout parce qu’il ne choisit pas ses alliances électorales. L’opposition n’est porteuse ni d’un programme alternatif – au mieux quelques-uns de ses porte-paroles, le meilleur ne l’est pas, c’est Michel Sapin puisque la contestation des décisions ou des énoncés économiques porte du fait de la crise sur l’ensemble du discours et des idées politiques majoritaires – ni d’une stratégie de conquête du pouvoir (appui sur le mouvement social ? unification de tous les mouvements existants ? débauchage à droite répliquant à l’ouverture à gauche ?). Le débat démocratique, par construction à peine concédée par le système au pouvoir, est donc formel, sans aboutissement à espérer. Que le gouvernement soit mouvementé sans trêve par la réforme qui embrassant tout et à un tel rythme, ne gère plus rien de ce qu’elle prétend fonder, reste un artifice de présentation ; il tranche avec les gouvernements de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, mais il n’innove pas. L’Etat est invoqué par les Français comme l’instrument du bien commun, mais ceux qui en reçoivent – par l’élection présidentielle, notamment – la disposition, veulent le réduire, alors même qu’ils n’ont de légitimité que selon lui et de possibilité de peser sur les circonstances et sur les choses que par lui. Le mal-être des Français est là : l’omnipotence et la lourdeur de l’Etat ont longtemps paru une gêne pour les individus et pour les entrepreneurs ; aujourd’hui, sa disparition lente, notamment celle du service public, en esprit et en disponibilité pratique est redoutée, déplorée. La crise de légitimité française, latente depuis le premier quinquennat de la gauche de 1981 à 1986, est celle de la place de l’Etat, non dans le fonctionnement de l’économie et de la société, mais dans l’esprit et la façon de penser des Français. 2007 a prétendu la résoudre par la thématique des réformes, mais celle-ci n’est déclinée que pièce par pièce sans donner lieu à une définition des compétences et à une réflexion – que l’Union européenne a su mener  en son sein – sur la subsidiarité entre Etat et citoyens, Etat et entreprises, Etat et en fait l’universalité des composantes collectives de la France. Ce problème de fond est occulté par la discussion sur la manière dont le président régnant exerce ses fonctions, ce qui n’a rien à voir avec l’Etat dont il est nominalement le chef.

La campagne puis l’élection présidentielles n’ont réglé que la manière d’exercer le pouvoir, n’ont décidé qu’une conception du pouvoir. Pas en doctrine, mais en admettant une personnalité sans précédent. Le fond demeure problématique : quelle matière et quel patrimoine administrer ? quelles élites et cadres pour la démocratie ?



  une économie déstructurée

La mûe française d’un pays très industrialisé – quoique pas autant que la Grande-Bretagne et moins que l’Allemagne – et de hautes technologies en un autre où dominent les services et dont la balance des paiements n’est équilibrée que par le tourisme, ne date pas de 2007. Elle s’est doublée d’une cession de nos principaux actifs à l’étranger et d’une prise de contrôle croissante de notre patrimoine national. La course – politique – aux investissements étrangers renflouant un électorat émollient et se décidant pour la France et tel de ses territoires déprimés à l’appel d’une personnalité locale a commencé dès le début des années 1970. La course aux implantations de Ford que mènent alors Jacques Chaban-Delmas, Premier ministre, maire de Bordeaux et tentant une élection partielle en sondage réel de l’opinion nationale, contre le « duc de Lorraine », Jean-Jacques Servan-Schreiber, en qui François Mauriac quelques semaines avant sa mort, voit le Kennedy français. Ces installations artificielles et subventionnées sont précisément celles que la crise, dès son commencement, met en faillite.

Les délocalisations marquent ces dernières années, mais la désindustrialisation du pays est antérieure à ces mouvements. Il s’est agi aussi bien de décisions « stratégiques » de certains groupes que du lâchage par l’ensemble français – patronat et Etat – de grands réseaux mondiaux, et enfin de notre incapacité à maintenir compétitifs des pans entiers de notre économie. Dans le mouvement nationalisation-privatisation des années 1982 à 1988 – Renault et la S N C F étaient au programme de la « plate-forme libérale » de Janvier 1986 – les ventes à l’étranger ont commencé. Parce que j’avais travaillé à l’exécution très difficile d’un contrat de vente par Thomson au Brésil d’imagerie médicale pour lesquelles jouait une synergie entre la réputation de l’Assistance publique de Paris, des Hospices civils de Lyon et la technique française, j’ai mal vêcu la cession de cette activité – cession livrant notre marché à Philips et à Siemens par défaut comme chacun le voit à la moindre radiographie aujourd’hui – et surtout je savais que l’ambition de Thomson par cette vente d’acéquérir en échange une part du marché américain pour ses téléviseurs était tout à fait vaine : les téléviseurs en France ne sont plus français. Les ventes regroupements ont fait passer Péchiney – et notre savoir-faire premier chronologiquement et encore technique – sous contrôle d’Alcan, lui-même racheté. L’électro-métallurgie alpine a disparu. Il en a été de même pour la sidérurgie française dans sa totalité, Francis Mer au lieu d’un score médiocre à Bercy – dont la responsabilité incombe à l’incohérence des engagements électoraux de Jacques Chirac en 2002 – aurait été plus utile en demeurant à la tête d’Arcelor. L’absorption d’Elf par Total n’a pas accru le poids pétrolier relatif de la France chez les « majors » et la culture du repreneur n’est pas la compréhension ouverte et opérationnelle, la communauté de vues stratégiques dont nos gouvernants disposaient avec la fondation des années 1960, structurée par Michel Debré. Celui-ci, puis Georges Pompidou pendant tout son quinquennat, avait  porté au plus efficace l’effort de tous nos gouvernements depuis Raymond Poincaré en 1926 légiférant pour l’indépendance de nos approvisionnements pétroliers. Cette absorption permise, sinon voulue par les pouvoirs publics, a été une faute majeure. Faute à peine moindre : Alcatel fusionné avec Lucent sans bénéfice ni pour le bilan du nouveau groupe ni pour l’emploi.

Deux autres erreurs, d’aussi grande ampleur, ont été commises. Que nous ayons laissé tomber le Crédit Lyonnais et l’ayons traité en simple recouvrement de créances et en gestion d’avoirs, alors que son réseau était mondial et par conséquent facteur de notre puissance et de notre rayonnement, que le « parrain » qu’est devenu Claude Bébéar pour le haut patronat français (patronat et France ont perdu au change d’Ambroise Roux) ait fait lâcher Jean-Marie Messier dont la construction était devenue mondiale et pouvait se viabiliser après les périodes pionnières, nous a privé de deux empires. Il ne nous reste que le nucléaire avec Areva et Alstom, et un peu de ferroviaire avec Alstom. Nous n’avons plus de textile, nous n’avons plus de machinisme agricole, nous n’avons plus de fabrication de poids lourds. Sans doute, Air France se défend bien et son union avec K L M lui a permis de prendre pied en Italie aussi. Nos fusions-absorptions, ce qui n’est pas accessoire, n’ont jamais favorisé l’unification européenne. A ma connaissance, des ententes structurelles entre chemins de fer français et allemand ou entre opérateurs « historiques » de télécommunication de part et d’autre du Rhin n’ont pas encore été imaginées.

D’une manière générale, nous n’avons plus ni de stratégie industrielle, ni de géographie industrielle, ce qui rejoint la lacune majeure de cette décennie : l’abandon d’une politique d’aménagement du territoire. Et nous nous sommes départis d’un instrument de prospective, d’un lieu de rencontre entre partenaires sociaux dans une perspective dynamique : la projection économique, et d’un élément très pratique et visible du débat démocratique : la planification pluriannuelle.

La France dans la crise se présente avec des décideurs de l’emploi de ses ressources humaines, qui lui sont extérieurs soit par la géographie, soit par la nationalité, et sans les encadrements et les concertations qui avaient fait sa fortune économique, et une partie de sa cohésion et de sa paix sociales, pendant cinquante ans. Tout a été dit sur notre endettement. Il était deux fois moindre à la mort de Pierre Bérégovoy, et au terme de conjonctures bien moins favorables que dans les années 1990. Nous n’avons aucune réserve budgétaire et nos gouvernants n’ont plus les outils de direction ou d’orientation de leurs prédécesseurs.

  un début de mandat hors sujet

Paradoxalement, celui qui s’est fait élire selon son réalisme pour gérer nos insécurités et ses convictions ultra-libérales pour « remettre la France au travail » consacre son activité à des discours thématiques, à une législation répressive et à des réorganisations administratives.

L’Etat est sollicité pour une mutation systématique. Priorité à des économies budgétaires ? caserne par caserne, tribunal par tribunal, emplois publics par emplois publics ? économiser quelques millions avec pour conséquence de dresser des professions et des usagers, par pans entiers de la vie collective quotidienne, contre les gouvernants, d’autant que ces « coupes sombres » ne sont pas concertées et qu’il est présumé, en allant brusquement, qu’elles ne seraient pas acceptées et même choisies si on laissait aux personnels et usagers concernés le temps et la liberté du discernement. Mais en regard, le « bouclier fiscal » dont le coût budgétaire est estimé à quinze milliards par an, soit une bonne part de notre manque à respecter les critères de Maastricht, et une suppression de la taxe professionnelle, soit une ressource de plus de huit milliards à compenser pour les collectivités locales. En débat, une réorganisation territoriale commençant de fusionner les « échelons » régionaux et départementaux au fonctionnement trop coûteux. Au total, des changements qui désarticulent les espaces ruraux, éloignent des gens les services publics – qui plus encore qu’avant discuté dans son principe-même, malgré que le traité de Lisbonne, à l’initiative proclamée de Nicolas Sarkozy, le consacre et l’approuve – et privent les Français de repères acquis sans leur en donner d’autres. Les énièmes réformes de l’Université ou de l’enseignement secondaire ou de la recherche dans leur cadre éprouvent particulièrement aussi bien les enseignants que les lycéens et les étudiants. Aucun n’est écoûté, chacun se sent contraint sans que ses doléances, dont certaines sont économiques, soient traitées. Le raisonnement uniquement économique pour considérer les institutions collectives coincide avec l’invocation constante de l’exemple étranger pour inspirer ces réorganisations. La spécificité française – comme celle de tout pays (s’appartenir à soi-même, avoir droit à son identité nationale) – n’est pas la donnée première des examens gouvernementaux. L’approche principalement budgétaire écarte la priorité qu’en démocratie on devrait donner au citoyen et à l’usager que les réformes éloignent physiquement ou politiquement de la décision ou du service public.

La réforme de l’audiovisuel public – inaugurée sans préavis par une décision non concertée de supprimer la publicité aux heures les plus propices – et la révision de la Constitution n’ont pas même « l’excuse » de correspondre à une réorganisation de l’économie, à un allègement des charges pesant sur l’activité de chacun. Elles semblent de confort présidentiel, comme s’il était indispensable que Nicolas Sarkozy teste sur tous les sujets son emprise. Ni l’une ni l’autre ne s’imposait, ni l’une ni l’autre ne correspondent d’ailleurs à ce qui est présenté comme un effort de rendre notre « démocratie irréprochable ». La politique de l’immigration, dont la France – au rebours de son image traditionnelle et de ses constructions juridiques plus que bi-centenaires – tente de faire généraliser le modèle par ses partenaires européennes, est souvent attentatoire aux libertés publiques et à la dignité humaine : les conditions matérielles de détention à ce titre, à supposer que la détention de gens dont on ne veut pas chez soi soit légitime et même logique, nous font honte. Des mises au débat de principes acquis quel qu’ait été notre régime depuis 1789 – l’indépendance du juge d’instruction, la non-accentuation des peines et la non-prolongation de la détention au-delà de ce qui a été prononcé, la séparation de la gendarmerie – relevant du ministère des Armées – et de la police – aux ordres du ministre de l’Intérieur nous mettent sur une pente toute nouvelle, comme s’il était nécessaire de faire douter de la primauté des libertés publiques, dans les comportements du pouvoir. La fusion du renseignement extérieur et de la documentation politique intérieure a eu pour but de centraliser et situer à la présidence de la République la sécurité du territoire et plus encore le fichage. Les manipulations – baptisées « affaire Clearstream – sont une naïveté comparées à l’organisation que s’est donnée la présidence de la République. Les administrations ministérielles ne comptent plus quand les sujets importent à Nicolas Sarkozy. Le libéralisme n’est plus politique.

Deux initiatives diplomatiques – avant que ne vienne le tour semestriel pour la France de présider l’Union européenne – paraissent une dépense d’énergie et de débat inutile. La proposition d’une Union pour la Méditerranée fait manifestement double emploi avec le processus de Barcelone. Nos partenaires unanimement nous le font remarquer, et l’expérience de treize ans du partenariat euro-méditerranéen est dédaignée. Notre retour dans l’organisation intégrée de l’Alliance atlantique ne change rien pour le fonctionnement de cette alliance – qui n’a plus rien de commun avec ce qu’elle fut vis-à-vis de la menace soviétique et du pacte de Varsovie – et rien pour le cadre de nos éventuelles interventions militaires. Un repère de plus est abattu pour les Français, pour nos représentants à l’étranger et pour nos partenaires. Un atout, même de plus en plus fictif : l’indépendance politique et mentale de la France vis-à-vis de l’hégémonie américaine, est perdu. La spécificité française – en politique et relationnements extérieurs – ne tient plus qu’à l’activité et au discours du président de la République, lequel n’est pas imaginatif. C’est patent pour le rapport de l’Union européenne avec la Chine ou pour la question israëlo-palestinienne. Nous laissons à Pékin les ordres du jour, les calendriers et nous ne traitons rien de ce qui nous préoccupe : le dumping, les droits de l’homme. Nous ne comprenons pas que la dogmatique de trente ans : Israël dans des frontières sûres et reconnues, et de quinze ans : un Etat palestinien, qui eut sa pertinence, l’a maintenant perdu.

En revanche, les urgences ne sont pas traitées et des réflexions pour mieux nous organiser ne sont pas menées.

La vie en société n’est plus l’ajustement permanent des mœurs et des lois, et le dialogue entre les différents groupes d’acteurs économiques, mais un système où les tentatives de sécurisation physique sont contredites par la précarisation financière de plus en plus de gens. La sécurité dans les banlieues, l’intégration des jeunes générations d’immigrés sont traitées en termes répressifs ou de maintien de l’ordre – sans politique spécifique de l’emploi, sans politique culturelle, sans surtout la synergie entre l’Etat et les collectivités locales. Tous les indicateurs, toutes les associations compétentes soulignent la paupérisation d’une part croissante de notre population, les contraventions flagrantes d’importantes municipalités aux lois sur la construction de logements sociaux. Les suppressions d’emplois dans le système hospitalier et dans le système éducatif rendent problématiques non seulement la réponse aux besoins du pays, mais plus l’encadrement pour l’avenir. Pour la finance des revenus et salaires modestes, les chèques postaux et les livrets d’épargne étaient depuis plusieurs générations une sécurité. Leur assimilation à la banque, et la dégénrescence des services de celle-ci ont ajouté à nos déficits budgétaires et commerciaux nationaux, les embarras comptables des ménages. Les chiffres sont flous, sinon mensongers – pas seulement pour les statistiques économiques. Les choix de privatisation et de mise en concurrence dans les télécommunications, les transports ferroviaires, l’énergie électrique n’ont pas produit de nouveaux investissements ni des dessertes de tout le territoire. Au contraire, le contraste entre certaines zones dites rurales et ce qui s’urbanise et devient zone à risques et à pollutions, augmente sans aucune politique d’aménagement du territoire. Pour les chemins de fer, la multiplication des accidents et incidents – passages à niveau et caténaires – tient peut-être à des agissements ou défaillances humaines, mais surtout à l’obsolescence de tout le système. Les intempéries font plus de ravages et la distribution électrique est moins vite rétablie que dans les années 1930…

Nos engagements militaires dans des zones qui nous sont traditionnelles, sont désormais cumulés avec d’autres – l’Afghanistan, une probable contribution au relais des Américains en Irak à leur départ – alors que nous n’en avons ni les budgets ni les ressources humaines.

Enfin, les manipulations fiscales – « bouclier », heures supplémentaires – désarment l’Etat qui aurait pu réduire de moitié son déficit annuel.



*
*   *





I I


Face à la crise, les moyens mis en œuvre ne le sont,
partout dans le monde, qu’au niveau national
et sont donc insuffisants.
En France, ils sont inadéquats.


     absence de plan commun

Il y a eu la faillite de la Kredit Anstalt à Vienne, en 1929. Il y a eu en 2008 la faillite de Lehman Brothers, à l’automne dans chacune des époques. Dans les deux cas, une affaire de banque, une date point de départ. La réalité a été autre dans l’entre-deux-guerres : la « crise de 29 » était celle du traité de Versailles, des rapports de force artificiellement nés d’une guerre plus ruineuse pour le vainqueur que pour le vaincu et déjà de la place que les Etats-Unis occupaient ou pas dans le monde, elle était donc politique et sa médication a été politique, des régimes mettant fin au chômage par le réarmement, des démocraties libérales économiquement se donnant les moyens législatifs, des Etats-Unis à la France du Front populaire, du dirigisme et de l’interventionnisme.

La crise dont on a pris conscience cet automne – mais dont l’annonce était périodiquement faite depuis plusieurs années, faits à l’appui, sans ceopendant qu’on en fasse la synthèse ou la mise en relations les uns avec les autres [2] – frappe les principaux Etats dans des circonstances nationales très disparates. La Chine l’a emporté sur les tenants des droits de l’homme, les Jeux olympiques n’ont pas été boycottés, son rôle dans les équilibres monétaires et financiers mondiaux n’est toujours pas mis en parallèle avec les déséquilibres commerciaux que ses dumpings sociaux provoquent grâce au dogme libre-échangiste. Les Etats-Unis vivent leur élection présidentielle quadriennale mais la crise du crédit immobilier met vis-à-vis le sort de millions de gens (et d’électeurs) avec celui d’institutions financières pressurant les premiers. La Grande-Bretagne et l’Allemagne sont à dix ou quinze mois d’élections générales, moins difficiles que d’habitude mais devant ramener ou maintenir les conservateurs au pouvoir. L’Italie vient de restaurer Silvio Berlusconi et, en France, le jeu n’est apparemment pas égal entre un « hyper-président » de la République et, pour le semestre, de l’Union européenne, et une opposition de gauche que le congrès de Reims réduit au silence.

Deux pays prennent l’initiative, les Etats-Unis quoique Bush junior tire à sa fin (plan de sauvetage des banques pour quelques 800 milliards, malgré le dogme libéral et non interventionniste des Républicains), la Grande-Bretagne qui renouvelle pour six de ses principales banques ce qu’elle a fait pour une de moindre importance l’été précédent. Les pays de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher n’hésitent pas à nationaliser. Le précédent – mais dans la solitude et pas vraiment étudié ni pris en exemple – est le Japon des années 1990, aujourd’hui le seul pays qui ait mis à la disposition du Fonds monétaire international un concours apporéciable : plus de cent milliards de dollars. L’Allemagne et la France protestent, chacune à sa manière, que la situation de leur système bancaire et financier n’a rien à voir avec celui des Etats-Unis, que leurs banques respectives ne sont pas en manque de fonds propres. De celles-ci – illustrées en France par l’affaire Kerviel et les dysfonctionnements de la Société générale, puis par les pertes de la Caisse d’épargne et du Crédit agricole – on ne sait finalement pas la situation ni si et comment a été mise en œuvre la garantie que leur a donnée l’Etat à hauteur de 26 milliards d’euros.

Une fois compris – au moins aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne – que les banques sont à « sauver » tous les trimestres : en Février, on en est au second plan dans ces deux pays, l’éclairage est devenu plus ambiant. La récession, puis la dépression sont devenues en quelques semaines le diagnostic avéré, la France seule ergotant sur les définitions, un ou deux trimestres d’affilée de décroissance. La crise financière est posée comme la cause de la crise économique, mais les raisons de la crise financière ne sont pas dites. Une affaire Kerviel et un scandale Madoff ne font pas revenir sur deux décennies pendant lesquelles les banques se sont dégagées du financement des entreprises, ont acculé celles-ci – c’est surtout vrai en France – à aller en bourse, où sauf statut en commandite comme Michelin, elles sont désormais sous la menace constante d’offres hostiles de rachat. Les croissances sont externes, elles sont du cannibalisme : on achète des marchés captifs, des carnets de commande, des technologies et l’on supprime les sites jusques là concurrents et la main d’œuvre allant avec. Les licenciements boursiers ne datent pas de cet automne, la mésestime du facteur travail – sans même qu’il soit question de la dignité humaine dont l’Eglise fait la condition de son soutien au libéralisme économique – est la manière courte dont les gérants d’entreprise conçoivent la rentabilité. La constitution d’un marché, la compétivité par l’innovation, qui faisaient la progression des économies et la création des entreprises, ont fait place à la facilité de dépouiller le concurrent.

Le remède à la crise économique serait donc la relance. Aux Etats-Unis et partout en Europe, cette relance est mixte : investissement et consommation.. En France, elle n’est que par l’investissement, au prétexte qu’en 1975 et en 1981, la relance par la consommation tentée par Valéry Giscard d’Estaing, président de la République mais précédemment ministre de l’Economie et des Finances, puis par la gauche arrivée enfin au pouvoir, a échoué. Ces précédents ne sont pas probants : ni monnaie unique, ni  synchronisation des rythmes économiques français et allemand, et surtout une inflation à deux chiffres. Mais à quoi servent des investissements s’il n’y a pas de demande solvable pour en acheter la production ? et le refus, notamment français, d’une relance par la consommation tient à l’inpacacité générale d’imaginer une autre architecture du commerce mondial : un protectionnisme concerté entre zones chacune homogène socialement et techniquement, en sorte que le dumping ne soit plus la panacée des plus pauvres et la hantise des plus solvables.

Non seulement, les différentes réunions « au sommet », G 7 puis G 20 à Washington,  avant  Noël, G 8 de nouveau à Rome, G 20 à Londres en Avril, G 8 avant l’été prochain sont des renvois les uns aux autres d’études et de décisions futures, des refus persistants de supprimer les paradis fiscaux, des reports de l’examen des grands déséquilibres mondiaux et de leurs causes, mais surtout aucun effort n’est commun. Chacune de ces réunions plaident devant des opinions nationales et une conscience mondiale qui ont toutes le pressentiment des vrais remèdes, que l’analogie des plans de chacun est le fruit de vues d’ensemble, et que l’exercice des responsabilités vaut mieux que l’inauguration d’un gouvernement économique et financier mondial. Chacun est entré dans un système protectionniste, secteur par secteur – donc agressivement – tout en niant que c’en soit un, et personne ne propose à ses pairs un système de zones homogènes et d’unions douanières et fiscales appelées à négocier et discuter entre elles les échanges. Le mondialisme était prématuré, les écarts de développement pas tant économique et technique, mais sociaux et démographiques déséquilibrant les termes de presque tous les échanges, surtout pour les biens de consommation : chacun était victime plutôt que bénéficiaire, cours des matières premières, coûts de la main d’œuvre, tout était spéculatif. Le système de zones protégées mais négociant entre elles, sous des égides arbitrales à définir et dont l’Organisation mondiale du commerce n’a pas la culture, ne serait pas un modèle définitif mais passager, exactement comme l’ont été les nationalisations bancaires au Japon, et le seront celles auxquelles – après les Etats-Unis et la Grande-Bretagne – devront procéder tôt ou tard les Etats européens.

Pour l’heure, les efforts dispersés, dans le monde avec des débuts peu cohérents de protectionnisme – dont la discussion du bien-fondé des subventions à l’aéronautique de part et d’autre de l’Atlantique était une anticipation depuis plusieurs années, en fait depuis le 11-Septembre – et surtout en Europe, sont pris de vitesse par la destruction des emplois qui va partout s’accélérant. Pour la simple et unique raison que l’aide à l’investissement ne conforte qu’artificiellement la trésorerie et non la structure du bilan financier d’entreprises sans marché solvable.

En Europe, la solidarité est deux fois évidente.

Les grands Etats de l’Ouest présentent des analogies avec les pratiques et les faillites américaines, d’autant que leur système boursier a été satellisé, psychologiquement puis mécaniquement par le  New-York Stock Exchange. Ceux d’Europe centrale et orientale gardent des besoins de pays en voie de développement. L’Union européenne doit organiser, bien davantage que selon les « fonds structurels » existant sa mise à niveau d’est en ouest, comme l’Allemagne le tente avec les länder de l’ex-République démocratique. Et elle doit s’affirmer comme un acteur décisif pour mettre au point le nouvel ordre mondial – puisque le sujet paraît économique et financier, donc d’un registre où elle a moins de retard que dans d’autres domaines vis-à-vis des Etats-Unis. Face à la crise elle-même, une répartition entre les Etats et l’Union va de soi. L’Union européenne pouvait/pourait – en tant que telle – avoir un plan de relance et être chargée de la relance par l’investissement, c’est-à-dire selon sa compétence par de grands travaux d’infrastructure et de communication, et – carrément et franchement – par une application enfin des résolutions de Lisbonne, c’est-à-dire par des investissements pour la recherche. Ceux-ci permettent, par nature, de faire coup double, c’est-à-dire de promouvoir les éléments matériels et technolohgiques d’une défense européenne. La relance par la consommation resterait la responsabilité des Etats-membres, ce qu’elle a commencé d’être depuis Novembre.

L’avance scientifique et technologique des Etats-Unis et naguère la compétitivité, en ces domaines, de l’Union soviétique, tient à leur budget de défense. Nous – Européens – ne le pratiquons toujours pas. Résultat, la totalisation des plans nationaux dans l’Union européenne, aux alentours de 200 milliards de dollars, abondés d’une dizaine relevant de la Commission, n’est pas le dixième de l’effort américain. Et les plans américains ont sur les nôtres – notamment en France – la supériorité d’être vraiment débattus au Congrès, plans gouvernementaux à tonalité qu’on dirait de gauche de notre côté de l’Atlantique, la droite étant sur la défensive mais s’y ralliant à force que le nouveau président mette l’opinion à l’assaut des élus, tandis que chez nous, les socialistes ne parviennent pas à faire entendre – au moins de l’opinion – que tant d’argent, si c’est autrement que d’apparence, justifie des nationalisations ou des contrôles publics aussi longtemps que banques et entreprises n’auront pas retrouvé leur autonomie financière, y compris leur désendettement vis-à-vis de l’Etat.


    l’hésitation à choisir un nouveau cours

Le nouveau cours – à choisir – n’est pas de changer d’idéologie. Le capitalisme n’en est pas une, à son origine et dans sa pratique jusqu’aux années 1970. L’étatisation n’en était pas une non plus. Selon les pays et les peuples, l’intervention de l’Etat avait des domaines d’applications et des formes de gestion très différente. Les choix du Front populaire – en France – puis de la Libération sont aussi empiriques que ceux de Franklin D. Roosevelt qui est élu, aux Etats-Unis, sans programme et commence par inproviser selon les urgences, exactement comme, aujourd’hui, Barack Obama. Ce sont des choix politiques, question par question, et dictés davantage par l’impossibilité d’une autre option que celle choisie : renflouer plutôt que laisser tomber en faillite. Mais depuis les années 1970 – libéralisme et mondialisation ont formé un corps de doctrine, une dogmatique commandant les carrières et tenant lieu de réalisme, forçant donc à un consentement général pour que chacun se croit contemporain des autres. Mimétisme qui a eu pour conséquence une acceptation tout aussi générale de deux déviations – contraires à l’éthique et au bon sens. Les dumpings sociaux et fiscaux de certains pays ont été tolérés, sinon encouragés, parce que – censément émergents – ils étaient devenus une réserve de marché plus facile à conquérir dans leur ensemble que les marchés saturés, sauf proposition extraordinairement inventive. Les échanges avec la Chine sont exemplaires : un marché de biens d’équipements lourds et chers (principalement l’aéronautique et le nucléaire) a été échangé contre notre silence sur les droits de l’homme et l’ouverture de nos marchés à des produits à bas prix et de faible qualité. L’autre consentement a été que les banques changent de ressort et abandonnent leur mission de transformation des dépôts en investissements d’entreprises ou de particuliers, pour ne plus rester profitables qu’en salle des marchés, et donc en spéculation.

Les deux remèdes qui n’en font qu’un, consistent à choisir une rupture avec le dogme du profit à n’importe quel prix, fût-ce au défi de la logique ou de l’éthique , et avec le dogme du mondialisme, censé produire le bien commun de la planète – point de jonction des deux courses : la « déréglementation ». Le premier dogme a pourtant été ruiné par les faits : la spéculation ou la cavalerie, exemples Madoff ou Kerviel, aboutit à des pertes dès lors que les marchés inversent leur tendance par une simple crise de confiance aussi spéculative que l’étaient certaines gestions. Le second dogme continue d’être défendu comme si la liberté humaine dépendait de l’abolition de toute barrière. Ce n’est pas vrai en philosophie et ce n’est pas vrai économiquement tant que restent considérables les écarts de développement : l’Union européenne et la France en particulier le savaient bien jusqu’aux accords de Cotonou avec leur hinterland Afrique – Caraïbes – Pacifique. Des préférences mais asymétriques furent la manière d’aider – en plus de financements directs – les anciens territoires de l’Europe outre-mer. On a changé depuis 2000 avec les accords de partenariat économique, unanimement décriés par les chefs d’Etat africains.
Il apparaît que les courtiers restent prisés même s’ils seront contrôlés davantage, et qu’aucune banque n’envisage de les perdre et que les siens passent à la concurrence. C’est avouer qu’elles n’ont toujours changé de système pour être profitables. Le changement des mœurs bancaires et financiers passe peu par la lutte contre les paradis fiscaux, ceux-ci ne sont qu’apparemment géographiques, ils gisent en fait dans chaque banque des pays dits développés, puisque les flux en partent selon les conseillers donnés aux clients voulant s’évader. Les dirigeants – d’industries ou de banques – sont à remplacer parce qu’ils se sont trompés stratégiquement et parce qu’ils persistent dans la perversion du profit. Les croissances externes plutôt que la création ou la pénétration des marchés par l’innovation de l’offre. Leurs remplaçants sont tout trouvés, les échelons inférieuyrs : ceux-là se sonty effrayés depuis des années de la dérive et des erreurs. La nationalisation, à temps limité, permet entre autres cette bascule d’une strate de dirigeants qui a moralement et financièrement failli. Ce choix n’est envisagé – quand il l’est, comme aux Etats-Unis – que pour des raisons politiques et financières. Il devrait être d’abord dicté par la considération éthique : faire revenir au métier affiché ceux qui l’ont pratiquement quitté.  

S’engager dans le protectionnisme sans négociations mutuelles tout en protestant du contraire, est le pire chemin. Sans doute, la relance par la consommation que pratiquent la plupart des Etats développés – à l’exception de la France – n’a de sens que si elle rentabilise l’investissement et rétablit la balance commerciale. Pas de préférence nationale dans les marchés – relevés – de consommation, c’est servir encore mieux qu’avant les pays tricheurs. Le protectionnisme ne serait pas la fermeture quantitative, il serait la compensation par des élévations de droits douane des dumpings fiscaux et sociaux de plus en plus sensibles depuis vingt ans. En revanche, ce serait un protectionnisme sélectif et négocié. Des ensembles seraient suscités par leur homogénéité sociale et par les coûts de production que cela induit. Et l’on négocierait de zone à zone les échanges et leur libération.

Nationalisations et protectionnisme ne seraient que temporaires. Les premières, le seul temps nécessaire à l’assainissement financier et à la résorption de l’endettement. Le second devrait persister tant que des groupes de pays ne sont – manifestement – pas capables d’être autant ouverts que d’autres, ou pratiques une concurrence entre coûts de production au lieu d’une concurrence entre qualité et innovation de la production. Ce qui revient à reconnaître trois zones : les pays émergents dont la Chine et l’Inde tant qu’ils font du dumping le cœur de leur avantage compétitif, les pays toujours en retard plus par nos fautes et la corruption que nous y entretenons en sorte que les frais généraux et de souveraineté sont exhorbitants, les pays formant en gros le groupe des développés : l’O C D E et l’Amérique latine.

Les choisir n’est donc pas du tout changer de modèle à terme, mais devenir réalistes, ce qui est un chemin de la morale. Le libre-échange n’est équilibré et fructueux, durable que si les pays sont de structures productives et de niveaux de vie comparables. Il faut créer les conditions de cette compatibilité entre les acteurs, bien avant de leur faire réciter la pièce. Exercice auquel j’ai assisté pendant deux ans, depuis l’Autriche, où j’étais en poste : multiplicité de colloques et de conseils aux pays d’Europe de l’est pour qu’ils changent au plus vite de doctrine, de systèmes et d’habitudes, abandonnant en tout les structures (et les protections) communistes pour se livrer à un air libre qui les a souvent énivrés puis asphyxiés. Ne donner à l’Etat – au contribuable – que le bouche-trou de trésoreries calamiteuses ou le soin d’écoper les plans de licenciement, tout en réclamant la baisse des impôts et des charges sociales est contradictoire. Réclamer une visibilité pour l’avenir économique et financier sans accepter un arbitrage neutre – donc étatique – est paradoxal : l’atendre de qui ? ces agences de notation-bidon qui ont fleuri depuis dix ans et qui étaient soit la danseuse de groupes industriels et financiers, soit des cabinets d’audit ou de comptabilité dont la certification était à vendre.

Rien à fonder que d’autres comportements et que la pratique de valeurs qu’on se contentait d’afficher pour le discours. La question n’est pas le capitalisme, mais sa pratique. Ce qui met en cause la plupart des dirigeants de grandes entreprises, leurs erreurs stratégiques, le plus grand soin qu’ils ont manifestés de leurs intérêts personnels que des orientations stratégiques de leurs groupes et du maintien de l’activité de ceux-ci, donc de l’emploi.  


    la France est sur la mauvaise voie


La France est sur la mauvaise voie, car elle cumule des erreurs antérieures à la crise, dont elle ne revient toujours pas, et des refus proches du dogmatisme là où des pays comparables, plus pragmatiques, hésitent – et sont en passe d’accepter de profonds changements de cap.

Pour la France, ces changements devraient être bien plus aisés que pour d’autres, puisque la crise donne raison aux options qui furent les siennes – tant de tout autres circonstances et pour de tout autres motifs : les choix du Front populaire, de la libération et de 1981-1982 lui avaient donné l’habitude des nationalisations et lui avaient même fait inventer diverses gestions et négociations qu’on a appelé – pour former un ensemble intellectuel cohérent – le « modèle social français ».

La prise de conscience de la crise, actuellement, devrait nous faire renouer en le perfectionnant avec ce modèle pour tenir compte de cet autre élément, auquel la France avait donné une priorité particulièrement : l’entreprise européenne. Articuler les deux en une seule politique de structure devrait être la voie française pendant les dix années à venir, et cette voie serait certainement comprise, enviée et suivie aussi par la plupart de nos partenaires dans l’Union européenne. Les circonstances rendent aussi le décisif ami allemand plus pragmatique en organisation économique et financière.

Ne pas prendre l’initiative de structurer notre économie et d’en reconstituer certains des éléments que nous avons toléré de perdre ces vingt dernières années, ce n’est pas seulement manquer une grande occasion de nous reconstituer, c’est dépenser ou mobiliser le crédit de l’Etat, en vain. L’aide aux constructeurs automobiles nationaux, quatre milliards chacun, vient de le montrer. Le besoin en trésorerie de Peugeot et de Renault manifeste hautement que le système bancaire ne tient pas son engagement – en échange des garanties de l’Etat – de reprendre les financements des particuliers, des petites et moyennes entreprises (l’exposé du Premier ministre devant les dirigeants de celles-ci en fin d’année) et de la grande industrie. Les bénéficiaires de l’aide directe de l’Etat ne sont pas en reste de viol de promesses : dans les trois jours, Peugeot a joué sur les mots, près de dix mille suppressions d’emplois, mais pas de licenciements. La fusion des Caisses d’épargne et des Banques populaires le confirment : les aides données à chacun des groupes à même hauteur que pour les constructeurs d’automobiles ne suffisent pas et le nouvel ensemble sera doté par l’Etat de quatre milliards en plus.

Les Etats-Unis de Bush junior à Barack Obama inventent quant à eux – coup par coup et sans doctrine (ce n’est pas aux Etats-Unis que le capitalisme ou le libéralisme sont une idéologie ou un dogme, ils ne sont qu’une pratique tandis qu’en France ils sont un enseignement mais pas un savoir-faire ni une morale du risque) – des nationalisations, des contrôles internes par l’Etat fédéral de l’emploi des fonds octroyés, des systèmes de holding pour gérer les subventions dcevenant des participations. L’Allemagne invente une nouvelle forme de banque, directement vouée au financement de l’économie. En regard, la France, comme contrepartie des garanties aux banques, n’a mis en place, à la charge de l’Etat qu’un cahier de doléances et un médiateur de plus, sans aucun pouvoir d’injonction. Les Etats-Unis de Barack Obama vont – point par point – au fond des problèmes : un plan spécial pour résoudre la crise de l’immobilier par une aide au désendettement des particuliers ; une décentralisation territoriale et institutionnelle d’une partie des crédits, Etat par Etat ; des nationalisations envisagés selon les entreprises et les services. Pas de dogmes, aucun tabou : exactement la posture de Nicolas Sarkozy sur la plupart des questions qu’elles se posent ou ne se posent pas, à son avènement. Aujourd’hui au contraire, le pouvoir semble prisonnier de ses propres précédents, pourtant récents et controversés : pas de contrôle institutionnel de l’utilisation des concours accordés aux banques : elles ne financent toujours pas l’économie soit par leur emploi des dépôts soit par les circuits interbancaires censément garantis à hauteur de plus de 450 milliards, pas de contrôle des engagements demandés aux constructeurs automobiles : ils suppriment des emplois, en jouant sur les mots. Le slogan électoral avait été de remettre les Français au travail : les plans sociaux, avec départs volontaires ou mise en pré-retraite sont autant de mise à la charge de la collectivité et de ce qu’il reste d’actifs.

Et conjoncturellement, l’erreur grave est de ne pas pallier nos peu de réserves budgétaires – comparées aux masses disponibles pour la relance en Allemagne, en Espagne et en Grande-Bretagne qui font que les aides sont en argent frais, alors que chez nous elles ne sont que des concours en trésorerie à très court terme – en imposant des contrôles et des mûes aux entreprises et aux secteurs aidés ou garantis, qui seuls peuvent donner leur plein effet de levier aux fonds accordés et aux flux garantis. Soit une logique juridique : les entreprises et banques sont laissées à leur sort, et des repreneurs sont cherchés. Soit une logique politique : la nationalisation pour un retour au privé quand la viabilité est retrouvée, remboursement des endettements compris

Chaque hypothèse, chaque option choisie a son occasion européenne. La société de droit européen, les politiques renforcées menées par un groupe d’Etat, domaine par domaine, en pionnier du reste des Etats-membres et avec leur accord, l’implication des chefs d’Etat ou de gouvernement dans la fixation des parités de l’euro., chacune constitue une voie possible vers un rebond d’unité européenne, autrement que par l’écriture et la négociation, de plus en plus décevantes, de nouveaux traités.

Seulement réactif, le pouvoir ne donne aucune analyse ni perspective d’ensemble ni aux citoyens ni aux acteurs économiques. Il abandonne en quelques jours une dialectique de réductions des déficits et de contraction budgétaire – très coûteuse en termes d’emplois et génératrice de tensions et d’insatisfactions sociales – pour revenir à des concours et subventions, donc à des anticipations que ne gage aucune assurance en calendrier et en débouché l’hypothétique reprise. Nous ne préparons pas même l’assainissement financier et ajoutons aux désordres du libéralisme ceux du coup par coup. Contrairement à toutes nos précédentes périodes de crise, nous n’inventons aucun régime juridique nouveau, aucune procédure de dialogue ou de concertation adaptée.


*
*   *

I I I


Le nouvel handicap français :
la démocratie de façade [3]



1° un régime de fait


L’excessive révérence de la fonction présidentielle qui s’est ancrée chez nous – comme si le fondateur de la Cinquième République n’avait tenu son prestige que de sa fonction – et la faiblesse de la critique d’opinion dans les médias et dans l’intelligentsia ne datent pas du 6 Mai 2007. Elles ont facilité les abus d’aujourd’hui. D’une certaine manière, dans une époque où le pouvoir politique et l’argent avaient commencé d’avoir des complaisances plus complémentaires que mutuelles, il y avait « un coup à jouer » pour tout cumuler du gouvernement d’un pays. Le coup a été joué. En prévenir les électeurs pendant la campagne présidentielle paraissait un procès d’intention. La mise en garde a été peu exprimée. La convention a été de comparer les personnalités et les programmes, et aujourd’hui comme à l’ouverture du quinquennat, tout continue d’être analysé comme si rien n’était exceptionnel ni exhorbitant du droit commun. Or nous sommes entrés dans une ère gouvernementale nouvelle, appelant une autre définition de la démocratie, si tant est que nous prétentions encore vivre en démocratie.

Quel est aujourd’hui notre mode de gouvernement ? Ni exercice collégial du pouvoir, ni respect des compétences que la Constitution répartit entre le président de la République, le Premier ministre et les ministres, ni contrôle parlementaire du fait d’une discipline majoritaire d’autant plus surveillée que les consciences et les opinions sont brutalisées et presque quotidiennement surprises, ni contre-pouvoir au point que la plupart des réformes peuvent s’analyser en sape de ceux qui existent institutionnellement ou mentalement. En défense, le régime produit que l’élection présidentielle fait du programme de réformes un mandat impératif et que seul l’élu du 6 Mai a la capacité personnelle et l’énergie pour défendre et faire appliquer ce programme quinquennal. Les Français sont priés de ne pas se déjuger avant la fin du mandat. Sondages ou élections d’une autre nature ne sauraient entamer la légitimité d’un exercice du pouvoir de plus en plus détachable des réformes qu’il est censé mener à bien.

Nous sommes entrés dans un régime de fait depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. C’est un régime présidentiel, mais auquel il manque l’élément décisif aux Etats-Unis, l’indépendance mentale et pratique des membres du Congrès. En effet, si le président gouverne directement et peut, à bon droit, tant le fait est patent, déclarer que le Premier ministre n’est que son premier collaborateur – et encore, le premier est sans doute le secrétaire général de l’Elysée – et s’il est exclu que l’Assemblée nationale soit dissoute en cours du présent mandat puisque la majorité ne serait sans doute pas reconduite au niveau qui est actuellement le sien, tous éléments caractérisant un régime présidentiel, en revanche le système des partis et les relations du Parlement avec le gouvernement datent de la Constitution de 1958. Le gouvernement, et donc le président de la République, a tout moyen d’imposer la discipline à sa majorité, et les élus composant celle-ci, au scrutin uninominal à deux tours, savent que leur réélection – la pérennité de leur vie socio-professionnelle – dépend de leur obéissance. Le vote de conscience est pratiquement impossible, rarissime, malgré qu’aujourd’hui l’éthique – donc le jugement moral, personnellement motivé et exprimé – domine la plupart des objets de législation. Il se trouve d’ailleurs que – bien davantage que sous tous les présidents précédents – le pouvoir actuel légifère dans des domaines engageant l’éthique et les libertés publiques. Un régime aussi rigide traite des questions aussi délicates et subtiles.

En entendant le discours d’Epinal ouvrant le processus de révision constitutionnelle, il avait été permis de penser que la refonte – très profonde – des textes décrirait et codifierait la nouvelle pratique de nos institutions, à l’initiative personnelle de Nicolas Sarkozy. Le régime parlementaire, la fonction du Premier ministre, la définition de celles du président de la République ont été mis en discussion, mais dans les faits depuis son élection, Nicolas Sarkozy gouverne directement sans même que le Premier ministre soit associé en double commande. Il est même institué un ministre de la Relance économique, alors que tout naturellement l’animation interministérielle est la responsabilité quotidienne de Matignon. Le secrétaire général de la présidence de la République n’est plus en coulisse, le conseiller aux affaires sociales (se mêlant d’ailleurs d’économie et d’outre-mer), opine publiquement. Les compétences sont bouleversées, l’Elysée est constamment en première ligne, seule la protège l’amnésie du grand public provoquée par une succession trop rapide des interventions, des décisions, des déplacements et des discours présidentiels pour marquer.
Il a été évoqué un « statut de l’opposition » octroyé par le pouvoir, mais il est question de limiter le temps des débats et toute obstruction dans les travaux parlementaires – seule arme qui reste à la gauche face à une majorité de droite monolithique à l’Assemblée nationale – est regardée non comme une obligation de davantage débattre et composer, mais comme du sabotage, voire un déni de démocratie. Les soi-disants octrois de prérogatives parlementaires nouvelles ne sont que des additions au texte de 1958. Aucune nomination d’importance n’a encore été soumise aux commissions compétentes, les débats prévus désormais pour l’envoi ou le maintien de troupes à l’étranger n’ont eu lieu en Février et en Octobre 2008 qu’à raison de motions de censure déposées par les opposants. On est loin de l’esprit démocratique avant la lettre de louis XVI mettant – sans attendre que soit totalement écrite notre première Constitution, celle de Septembre 1791, – en œuvre ses dispositions une à une, à mesure de leur vote. Au reste, les lois organiques prévues en Juillet 2008 ne sont pas encore à l’ordre du jour ; leur projet est-il même rédigé ? Le vote obtenu, à une voix près, au Congrès du Parlement à Versailles n’a été qu’un vote de confiance : il n’a de sens que politique. D’ailleurs, l’innovation – très encadrée – que peut être l’initiative populaire soutenant une initiative parlementaire minoritaire pour qu’une question soit mise au referendum, n’est pas exploitée par l’opposition. A l’exception des deux perdants de l’élection présidentielle de 2007 : François Bayrou et Ségolène Royal, personne dans la classe politique n’est enclin à en appeler directement au peuple. Ni la révision constitutionnelle, ni le traité de Lisbonne – deux sujets ayant de forts précédents référendaires – n’ont été soumis par Nicolas Sarkozy à cette consultation directe du peuple.

Il est généralement entendu qu’une décision est bonne par elle-même – donc selon l’appréciation-même de celui qui la prend et, de fait, l’impose – et non par la garantie de sa bonne et loyale exécution selon le consentement populaire. C’est l’essence du despotisme. Dans le cours actuel que nous traversons, peu importe qu’il soit éclairé. Le président régnant peut vouloir [4] « en finir une bonne fois pour toutes avec l’idée d’un Etat qui serait seul à même de savoir ce qui est bon pour notre pays ». Littéralement, c’est vrai puisque toutes les « réformes » ont deux points communs : d’une part, amenuiser l’Etat, ses procédures et le service public qui est son extension pratique à l’économie et à la société, d’autre part, l’initiative personnelle de Nicolas Sarkozy. A un vouloir contraignant de la puissance publique – en tant que telle, mais contrôlé et débattu – succède la volonté d’une personne… que seuls les faits ou la rue peuvent contredire. Ce qui est enlevé à l’Etat en prérogatives et en moyens, est conféré à un homme… transcendant.
S’il en est autrement – ce que je souhaite –, la communication actuelle du pouvoir est piètre et celle de ses partisans, pis encore.


2° une extraordinaire tolérance

Notre mauvaise santé démocratique tient à deux décisions, malheureuses et qui n’étaient en rien obligées, de Jacques Chirac. Elle tient aussi au mauvais exemple qu’il a donné et qui a pollué les douze ans de son règne – des appartements de complaisance aux divers abus dans l’exercice des fonctions de maire de Paris jusqu’à la « cassette Méry » et ses révélations « abracadabrantesques ». Le quinquennat, proposé par Valéry Giscard d’Estaing, encore député à l’époque, et endossé par Lionel Jospin, n’avait aucune chance d’être adopté comme durée du mandat présidentiel si le président régnant s’y était opposé ; bien au contraire, à l’instar de Georges Pompidou qui y vit en 1973 une facilité de réélection malgré son état de santé, Jacques Chirac jugea de son intérêt propre, vu son âge, que le mandat qu’il briguerait en 2002 soit plus court. Le records d’abstention a montré dans quel désaveu il avait entraîné le pays. Le triomphe du non au referendum sur le projet de Constitution pour l’Europe imposait à Jacques Chirac sa conduite, d’ailleurs à l’avantage de sa future image historique. Ou bien démissionner le lendemain même, offert sur l’autel européen ce qui n’est jamais injurier l’avenir. Ou bien porter le vote négatif à Bruxelles et chez nos partenaires en faisant refaire toutes les copies. Il ne fit ni l’un ni l’autre, ne tenant donc aucun compte du vote et faisant du coup perdre deux ans au pays, ce qui était valoriser par avance tout personnage actif et jouant la résolution.

Mais notre mauvaise santé tient aussi et surtout à nous. Nicolas Sarkozy est notre produit collectif. Notre responsabilité collective. Les collaborateurs du président de la République, les membres du gouvernement à commencer par le Premier ministre, les élus parlementaires, les opposants, le Parti socialiste enfin, certaines des « forces vives » de la nation aussi – tous tolèrent. Parce que complices. Rien ne le montre mieux que l’exploitation des scrutins de liste à la représentation proportionnelle. Les machines – dans l’opposition socialiste – y trouvent un pouvoir de nomination et d’attributiuon d’emplois et de prébendes équivalant à celui du président de la République. Les places éligibles au Parlement européen valent donc un portefeuille ministériel, cf. Rachida Dati, quoi qu’elle en est. Les postes dans le parti majoritaire ont aussi cette valeur, cf. le chassé-croisé Patrick Devedjian / Xavier Bertrand à la tête de l’U M P. Décisif pour la sécurité des carrières politiques et leur professionnalisation : l’abandon de cette disposition essentielle de la Constitution, qui – pour casser les habitudes de la Quatrième République selon lesquelles le gouvernement n’était qu’une commission parlementaire puisque les ministres restaient membres des assemblées, et que certains (les communistes en 1947) pouvaient même voter contre le gouvernement dont ils faisaient pourtant partie – interdisait le cumul des fonctions parlementaires et ministérielles. Dès que la loi organique l’aura organisé, les ministres de carrière politique (la plupart tant est chroniquement patent l’échec des ministres non parlementaires, non de leur fait, mais par le sabotage organisé par le parti majoritaire du moment) retrouveront leur siège au Parlement dès leur départ du gouvernement, sans revenir devant le suffrage universel.

Nicolas Sarkozy ne peut donc étendre – et surtout maintenir, malgré son impopularité – son emprise et l’exclusivité de ses initiatives, de ses décisions, de ses rattrapages, dans tous les domaines et de toutes les façons, par abus de la prérogative présidentielle et par l’interprétation qu’il impose de son élection présidentielle, que par la tolérance générale, qu’il organise systématiquement.

La fonction et le pouvoir de nomination discrétionnaire – pas dans les textes, mais dans la pratique – imposent certes la déférence, et dans la hiérarchie une obédience de façade, mais ce que sont le charme ou l’intimidation en tête-à-tête, et que, fasciné par le successeur qu’il ne s’était pas choisi mais qui semble son propre accomplissement, a subi le premier Jacques Chirac à partir de 2002, et qui doivent être réels, n’a pas encore été dit. Quoique diserts, les trois collaborateurs, tour à tour les plus en vue, sinon en cour, Claude Guéant, Henri Guaino et Raymond Soubie n’ont pas jusqu’à présent délivré un secret sur celui qu’ils servent. Les prédécesseurs de Nicolas Sarkozy avaient – chacun – très vite eu des portraitistes d’intimité au travail. Les journalistes ne donnent que de la seconde main. Le résultat est d’un personnage envahissant, prolixe mais inconnu. Or, il détermine toutes les orientations du pays, toutes ses réactions et soit il réduit à presque rien le champ démocratique au niveau national, soit il inroduit à une autre forme de la démocratie, en la subordonnant comme dans d’autres continents aux atavismes et surtout à la religion dominante différente des nôtres, à une conception unilatérale du bien public. Textes, précédents, discussions doivent plier dans l’urgence devant une définition sommaire du bien commun instantané.

La révérence de mise pour l’élu national au suffrage universel ne devrait pas impliquer la réapparition des crimes de lèse-majesté, des délits d’offense au chef de l’Etat, ni la substitution du président de la République au Premier ministre, aux ministres et même au législateur, tant ses propositions, lettres de mission, pistes et discours, ses réactions immédiates et son monopole de la signature médiatique valent projet de loi. La tolérance dont ce nouveau régime bénéficie a sans doute de nombreuses causes. L’apathie sociale et l’atomisation des comportements en sont – je crois – les principales. Le faible taux de syndicalisation, le chômage aussi bien des seniors que des jeunes ne laisse plus d’alternative qu’entre une résignation générale que ne dissimulent pas des manifestations même numériquement très importantes, mais sans acharnement ni esprit de suite, à très peu d’exceptions près (le statut des enseignants chercheurs) et une explosion que rien ne laisse prévoir alors que tout devrait la faire attendre… A quelque niveau d’emploi que ce soit, le souci des carrières individuelles, de la sécurité personnelle l’emporte sur une solidarité de groupe, de classe.

Comme dans toutes nos périodes de grand revers, la question des élites est posée. Leur formation professionnelle n’est pas notre lacune actuelle, c’est d’éthique, de moralité qu’il s’agit. Deux filières de formation sur le tas et de carrières peu orientées par le sens de l’Etat ou du bien commun, sont critiquables, elle sont historiquement assez nouvelles. Les carrières politiques et l’accès aux cercles où tout se décide semblent de moins en moins dûs à des qualités de fond, et surtout utiles à l’Etat et au pays, elles reconnaissent au contraire l’habileté et la persévérance de l’entrisme. La cooptation et le parrainage, au sein d’un parti ou par une personnalité abandonnant progressivement ses cumuls de mandat est devenu depuis deux décennies le principal mode d’avancement en politique. Vivier bien plus pourvoyeur mais à peine plus « républicain », que celui de l’hérédité (les Baudis, Léotard, Raffarin et plus évidents les Giscard d’Estaing, Sarkozy, Dominati – une étude montrerait que ce n’est pas statistiquement négligeable), du moins celle-ci est une bonne formation. La voie royale est devenue celle de l’assistanat parlementaire ou du cabinet des dirigeants d’un grand parti. Modèles : François Fillon arrivé et Frédéric Lefebvre démarrant. L’autre voie pour parvenir est les cabinets ministériels : cette filière produit de belles carrières dans le privé, aussitôt au niveau suprême. Gérard Mestrallet, Jean-Marie Messier, Daniel Bouton, Charles de Croisset, Jean-Yves Haberer pour prendre des exemples de même poids que François Pérol. Le phénomène n’a pas vingt ans : Jacques Wahl, Pierre-Brossolette ayant occupé à l’Elysée les mêmes postes n’ont pas obtenu autant en quittant la présidence de la République, il est vrai sur la défaite de leur patron.

La première filière produit surtout les parlementaires, la seconde la direction de l’économie. Dans les deux cas, c’est l’encouragement du mimétisme et souvent de la cécité, il n’y a pas le recul chez les seconds, ni la culture et les structures intellectuelles chez les premiers pour vraiment imaginer les alternatives. Tout le monde – la France en ce moment – est donc sans analyse et sans proposition maintenant que s’effondre le système qui dominait tous les avancements et toutes les carrières, et qu’apparaît l’alternative dramatique d’un monde tout autre, où les riches et survivants, peu nombreux au sommet, risquent de devenir des boucs émissaires. Thierry Desmarest, comme par un mouvement de séance, qui était parvenu pendant quinze ans de sa présidence de Total, à n’être jamais en cause ni responsable de rien, est soudain poussé au banc des prévenus. Plus généralement, c’est le for intérieur qu’on retient, donc le meilleur de soi, de manière à ne donner prise qu’à la faveur. Les deux systèmes fonctionnent sur le tas et risquent de produire plus de parvenus que d’hommes et de femmes libres mentalement. Et les parvenus ne peuvent que s’incliner devant une réussite météorique et le culot, l’aplomb – si l’on est hostile – ou l’énergie et la puissance de volonté – si l’on est fasciné – d’un personnage qui les double tous, selon les deux critères de l’arrivisme et de l’émancipation. Y compris une prétention à l’hérédité [5] que quelques-uns ont commencé de servir à Neuilly avec empressement. Louis et Henri Giscard d’Estaing ne sont arrivés en rien pendant le mandat présidentiel de leur père et la carrière de Philippe de Gaulle a été plutôt gênée par celle du Général.

La tolérance n’est pas seulement le fait français. Benoît XVI reçoit un personnage, dont le second divorce n’a pas un mois et qui se fait accompagner par sa future belle-mère. Le pape ne refuse pas d’être reçu à l’Elysée alors que son homologue en autorité spirituelle : le Dalaï-Lama n’a pas été admis à l’audience présidentielle lors de son principal séjour en France. Lui-même n’est pas en reste qui se prête à la comédie d’une entrevue de trente minutes, traduction comprise, dans un pays tiers.




  une nouvelle culture : le sans-gêne

La mise en scène publique, pour exploitation, de la vie privée du président de la République est voulue [6], mais elle découvre aussi des travers qui n’avaient jamais eu cours sous la République, Jules Grévy conduit à démissionner à cause de son gendre. Ainsi la maternité de la garde des Sceaux a mis en cause la fratrie présidentielle, le cambriolage d’un cabinet d’avocats a révélé que Nicolas Sarkozy restait associé à ses anciens partenaires,  

Multiplication des procédures pour ce qui n’est pas des offenses au chef de l’Etat, mais la conséquence des étalages de son intimité : la poupée vaudou, les tee-shirt réunionnais au nu de l’épouse. Sort judiciaire fait à Jean Sarkozy, son fils d’un premier lit, qui non content d’une conduite discutable après un accident de la circulation imite son père pour « protéger » sa vie privée : les photos de son mariage attaquée, un caricaturiste y perdant sa tribune, et en mélangeant les genres : élu local déjà considérable dans le département le plus riche de France, il peut imposer son commentaire des propositions Balladur. Intervention des épouses successives dans la vie politique nationale – tel ministre doit sa nomination ou sa faveur à celle des épouses qui commence le mandat, et décline donc avec le divorce… tel autre est fragilisé par l’influence de la seconde. Cécilia et Clara, sont chacune la cause d’un imbroglio diplomatique : pour tenter de garder Cécilia, le rôle qui lui est donné dans la libération des infirmières bulgares et du coup le séjour détonnant du colonel Khadafi chez nous, sans aucun avantage puisque la Libye complique les affaires du Tchad et du Darfour et que notre invité de l’automne 2007 a été le seul, parmi ses pairs, à ne pas honorer de sa présence la rencontre euro-méditerranéenne de l’été 2008, tandis que certains dires de Carla sur l’Italie provoquent la passion outre-Alpes et une réplique du Quirinal. Il y a même la succession de Patrick Poivre d’Arvor déterminée par une liaison passagère du ministre de l’Intérieur se consolant d’une liaison passagère de sa femme légitime de l’époque. Et quand la 100ème édition du Michelin donne la distinction suprême au restaurant du Bristol, Bibendum doit préciser que ce choix ne doit rien à celui – fréquent – de Nicolas Sarkozy pour cette table. L’énumération n’est pas limitative, la drague de Valéry Giscard d’Estaing n’empiétait pas sur l’officialité et la double vie de François Mitterrand – hormis les ennuis faits à Jean-Edern Hallier et la mise sur écoute de quelques journalistes – n’a pas pesé sur le fonctionnement de l’Etat ni son état de santé, le président protégeant au contraire son intimité et celle des siens.
De la fête de la victoire au Fouquet’s – il est loin le temps où une « garden-party » à Bagatelle des jeunes giscardiens avait paru déplacée le 27 Mai 1974 – aux quelques jours sur le yacht de Bolloré, aux vacances aoûtiennes outre-atlantique, les genres sont confondus : l’ostentation, comme si par elle-même la fonction présidentielle n’était pas assez en vue. Le triplement de l’argent de poche du nouvel arrivant à l’Elysée a donné lieu à un rapport parlementaire illuminant la rigueur méticuleuse du général et de madame de Gaulle, mais n’a pas été discuté ni en principe ni en opportunité. La communication publique devient même (volontairement ?) son contraire : Séguéla et la rolex présidentielle d’un « nouveau riche ».  

Il s’y ajoute, selon Le Canard enchaîné – hebdomadairement – et de nombreuses indiscrétions médiatiques, le récit des colères ou le verbatim des appréciations présidentielles sur des ministres ou des personnalités politiques dénotant des grossièretés de langage et un mépris des gens, qui diminuent plus l’auteur que l’objet de tels propos. Le « casse-toi, vieux con ! » ou certains des déplacements en province – trop de CRS à Sandouville, pas asez à Saint-Lô – avec des discours ouvriers devant les seuls journalistes ou des limogeages de préfet en représailles des sifflets qui n’ont pas été empêchés, vont donc rester.
La systématisation de ces attitudes et de ces mélanges des genres – protégés au besoin par le recours à la justice et naturellement par la mobilisation des forces de l’ordre – exprime un dédain très conséquent et revendiqué du « qu’en dira-t-on ? » tout simplement parce que Nicolas Sarkozy prétend à bien mieux que contrôler la rumeur : la faire. Et par là imposer une façon de voir et de décider, apparemment très loin de la politique, mais fondant celle-ci sur le mépris de tout précédent et en fait de tout ce qui existait le soir du 6 Mai 2007. Institutions, jurisprudences, personnalités antérieurs à la prise de fonctions de l’actuel président de la République n’ont ni valeur en elles-mêmes ni légitimité à raison de l’ancienneté, du consentement jusques-là général, ou de leurs fondateurs respectifs. Le régime constitutionnel, l’organisation territoriale, le système hospitalier, celui de l’éducation nationale, nos forces armées tout est à revoir. En tout, il faut refonder : la relation franco-africaine, le capitalisme, la démocratie. La spontanéité, le propos d’apparent bon sens mais véhiculant des simplismes dangereux tiennent lieu de culture, de structure intellectuelle : la trouvaille sur une mémorisation de force de la shoah. Quant aux prédécesseurs… François Mitterrand voyageait pour son plaisir, moi : pour faire. Jacques Chirac : il cumulait sa retraite et ses émoluments, donc pour égaler ses ressources, j’augmente ceux-là … Quant aux partenaires : les Irlandais revoteront jusqu’à ce que ce soit dans le sens voulu, les Tchèques ne sont pas capables d’assurer la présidence de l’Union après nous.

Le président fait des émules. Presque toutes les femmes ministres affichent toilettes et vie privée, conjugale ou pas, dans les bons magazines. Les biographies de complaisance, sinon les tirages, abondent. La garde des Sceaux y excelle jusques dans sa maternité, sans congé-maladie ni aveu d’état-civil, mais les secrétaires d’Etat ne sont pas en reste. Valérie Pécresse, Xavier Darcos, Roselyne Bachelot rivalisent – pour imiter en volontarisme, le président de la République.Toute concertation avec les personnels et sur les sujets qu’administre chacun des ministres « proposant » sa réforme est refusée carrément, ou bien les consultations ne sont que pour la montre, les décisions étant déjà « actées ». Rachida Dati est la plus performante, jusques dans ses rapports quotidiens avec ses collaborateurs de cabinet. Se comparant avec son homologue allemande, Nicolas Sarkozy conclut – retour de son pays d’origine, la Hongrie – à bâtons rompus avec les journalistes dans son avion  [7] :  « La difficulté, c’est qu’elle doit composer avec ses Länder et sa coaltiion. Moi, je peux aller plus vite. », ce qui est bien décrire la dégénérescence de notre démocratie. L’ « ouverture », pratiquée à la formation du gouvernement, par « débauchage » de certains socialistes, et depuis par des hommages ou des égards appuyés à d’autres, pas encore recrutés pour l’officialité, ne me paraît nullement libérale ou témoigner d’une ouverture d’esprit. C’est mépriser le fond – que Nicolas Sarkozy croit connaître d’expérience – de la nature humaine, tout s’achète, se corrompt, s’annexe.

Le cynisme devient aisément la façon de parler. La « démocratie irréprochable » ou la « modernisation de la démocratie » tournent pratiquement au déni d’opposition, et à la célébration crûe d’une victoire sur une gauche que la droite depuis 1968 – dès qu’elle a pu se débarrasser du général de Gaulle – caricature à traits de plus en plus gros. Cette rhétorique est d’ailleurs la continuité fondamentale de l’U D R post-gaullienne, du R P R chiraquien, et de l’U M P : François Fillon a des termes et un concept que n’ose pas Nicolas Sarkozy. « La France a changé de cap, de culture, de valeurs et de politique – nous avons gagné la bataille idéologique . . . nous sortons du relativisme culturel et moral que la gauche française des années 1980 avait diffusé dans le pays » [8]. Et le mensonge peut devenir une manière de se justifier : Jacques Chirac ne l’a pratiqué que pour le passé antérieur à sa prise de fonctions, Nicolas Sarkozy le pratique au présent, cf. l’abus de termes dans la soi-disant consultation de la commission de déontologie pour une nomination controversée.  


*

*      *

 I V



La monocratie désorganisatrice
de l’Union européenne et de la France


    l’Europe manquée sciemment

La crise « mondiale » reporte à une période lointaine, sans doute au-delà de la campagne de réélection présidentielle en 2012, tout bilan de l’action économique et sociale de Nicolas Sarkozy. En revanche, pour l’immédiat, le président régnant passe – même aux yeux de beaucoup de ses opposants – pour avoir tiré l’Europe de l’ornière en lui faisant accoucher au forceps le texte, devenu le traité de Lisbonne, dès sa propre entrée en fonctions. Et pour avoir exercé, au moment tournant de la prise de conscience universelle de la crise financière, une présidence semestrielle particulièrement énergique. La réduction du conflit entre la Géorgie et la Russie serait également à son actif.  Un peu comme à Jacques Chirac – quels que soient les lacunes et l’immobilisme de son règne de onze ans, dont cinq en cohabitation et deux en guerre de succession – on devrait que la France ne se soit pas engagée en Irak (les mêmes nous laissant aller de plus en plus en Afghanistan…), il serait à terme presque tout pardonné à Nicolas Sarkozy en politique intérieure, parce qu’il a contribué à « faire l’Europe » de la réalité. Pour tenter l’Europe des Etats – véritable re-fondation pendant le semestre de présidence française de l’Union – le président de la République ne rencontre, en France, aucune opposition. De Gaulle en subissait une au point que l’audience de Jean Lecanuet le mit en ballotage

Curieusement les « souverainistes » - qui ont plusieurs familles en lice pour l’élection du Parlement européen dans trois mois – ne s’y reconnaissent pas, alors que tout y est : le refus de l’adhésion turque, un traité qui reste du droit international, c’est-à-dire qu’il n’est pas susceptible de révision par les organes qu’il institue et que la compétence des Etats reste entière pour le modifier éventuellement, des réponses à la crise sans doute parentes, voire analogues, mais sans actions communes, sans programme commun, sans instruments communautaires nouveaux en procédure ou en financement..

Je pense donc que Nicolas Sarkozy a fait manquer à la France et à l’Europe deux grandes occasions. Il s’en présentera certainement d’autres, elles ne seront pas forcément d’esprit français, mais ce qui importe désormais c’est que puisse s’exprimer institutionnellement l’esprit qui existe déjà latent : un patriotisme européen.

Le traité de Lisbonne est un mauvais traité pour deux raisons. Il n’est pas une Constitution et maintient donc l’initiative des Etats pour tout progrès ultérieur de l’Union en organisation et en compétences. Or, les Etats s’entendent de moins en moins et à l’intérieur de chacun d’eux, l’Europe longtemps une espérance qui pénalisait ceux qui n’y croyaient pas ou paraissaient ne pas y croire (ce fut sans doute le malentendu le plus profond entre beaucoup de Français, partisans d’une avancée européenne résolue, et le général de Gaulle – que je considère au contraire, et plus encore son impeccable ministre des Affaires étrangères, Maurice Couve de Murville, comme l’un des pères fondateurs au même titre que les canonisés) est devenue un repoussoir. Contresens d’ailleurs car rien de ce qui est décidé est Bruxelles, l’est sans l’assentiment des Etats. Et, deuxièmement, le traité est encore moins lisible que le projet de Constitution. La Constitution, parce qu’elle se modifierait selon ses organes, était la voie ouverte, le traité de Lisbonne comme tous ceux signés depuis l’Acte unique européen il y a plus de vingt ans, appelle de nouveaux traités. Les referenda négatifs en France et aux Pays-Bas étaient l’occasion – rêvée – pour la France, appuyée par un Etat fondateur comme elle et très longtemps son anniversaire dans la conception de l’avenir européen, de faire valoir les erreurs et les impasses de vingt ans et de proposer des solutions ou des débats de fond. Rien de tel quand Nicolas Sarkozy a pris la relève. Le traité est encore plus forcé que l’était la Constitution. L’Irlande est sommée de voter – c’est la seule qui, on ne peut plus démocratiquement, décide par referendum – jusqu’à ce que ce soit oui. La Tchéquie que l’on brocarde depuis dix-huit mois, est traitée comme si son opinion ne comptait pas. Que dirions-nous si une présidence tournante nous accablait comme le président français stigmatise ce pays. Il reste évident que presqu’aucune opinion nationale n’aurait approuvé le nouveau texte par referendum.

Président en exercice de l’Union européenne de Juillet à Décembre 2008, Nicolas Sarkozy a été très conséquent. L’Europe des Etats et elle seule. La Commission a été constamment minorée, il est vrai qu’elle a perdu dans cette période son commissaire Mandelsohn, dont la responsabilité était déterminante : les négociations commerciales, vrai aussi que Manuel Barroso n’a pas de charisme. Le président français s’est conduit sur la scène européenne comme sur la sienne propre, la vedette, l’accaparement de tous les rôles, la réunionnite. Des succès de forme seulement : la réunion à Washington du G 10 dont ne voulaient pas les Américains, qui a donc eu lieu, mais qui n’a strictement rien décidé. Le renvoi à Février était le vœu et même l’annonce française, le rendez-vous finalement n’a lieu qu’en Avril, les décisions – s’il y en a – ne seraient prises qu’en Juillet. L’euro-groupe réuni et élargi à la Grande-Bretagne certes, mais sans que rien n’apparaisse d’une nouvelle relation de gouvernement entre les Etats-membres et la Banque centrale européenne. Les habitudes de la Banque, sa politique de taux d’intérêt et ses rémunérations des dépôts bancaires chez elle ont permis aux banques dans les Etats-membres de placer les fonds reçus pour les sécuriser, ou pour garantir les relations entre elles, au lieu de les employer à financer l’économie.

La présidence française – qui aura été celle des débuts de la crise – n’a eu qu’un mérite – mais il a son revers – celui d’intégrer, un peu, la Grande-Bretagne dans l’euro-groupe. Gordon Brown a participé à la réunion des chefs d’Etat ou de gouvernement de ce sous-ensemble européen. Il est vrai qu’en libellant en euros ses concours aux banques défaillantes, le Trésor britannique avait fait allégeance. Il y eut même l’amorce – proposition franco-britannique – d’un schéma européen, mais l’entente franco-allemande, émolliente sous Jacques Chirac, est problématique entre Nicolas Sarkozy et Angela Merkel. Cela tient aux personnes, et aussi à une opinion allemande, bien moins tolérante que l’opinion française. Simplement démocratique, et probablement plus informée des questions économiques. L’activisme politique n’est pas forcément un label de bonne gestion.

Il faut juger la présidence française à ce qu’elle n’a pas fait. Deux oublis majeurs. Le premier a concerné l’Islande et la Suisse. Depuis trente ou quarante ans, ces deux pays – l’un stratégiquement décisif pour l’Europe, l’autre plaque tournante de la finance continentale – ne parviennent pas à trouver le mode de leur coopération avec l’Union et de certaines des intégrations nécessaires. Ls difficultés soudainement éprouvées par l’une et l’autre : une faillite d’Etat sanctionnant des choix typiques de l’économie « irréelle » de ces deux décennies, la défaillance de l’activité la plus entraînante de l’Etat alpin enclavé dans l’Union, les banques suisses, de surcroît attaquées par les Etats-Unis, ce qui n’est pas l’affaire des Européens. Les admettre sans négociations – elles sont archi. au niveau des Etats-membres les plus sophistiqués – et sans risque de désaveu populaire puisque tout l’automne les opinions sont à la dérive. La Russie et les pays scandinaves ont assumé l’Islande et nous nous joignons aux Américains pour vilipender un secret bancaire, bien moins déstabilisant que les « paradis fiscaux », lesquels dépendent, chacun le sait, des banques nationales qui, dans les Etats-membres, leur transfèrent des clients. Tout à la gestion – diplomatique, médiatique et « au sommet » – de la crise, la présidence française a oublié ce qui devait initialement être sa responsabilité : préparer l’avenir. C’est-à-dire les élections au Parlement européen, et sans doute les vouloir constituantes. C’est-à-dire en cas de mise en œuvre du traité de Lisbonne, le choix du futur président du Conseil européen, à coopter par les chefs d’Etat ou de gouvrenement. C’est-à-dire enfin une avancée substantielle dans la défense européenne, puisque ce progrès conditionnait – Nicolas Sarkozy dixit – la retour de la France dans l’O T A N. Rien de cela n’a été seulement abordé ou mentionné.

Enfin, en Géorgie, la Russie n’a évacué que selon son calendrier propre : Nicolas Sarkozy a enfoncé des portes ouvertes, et surtout la sécession des provinces séparatistes a été reconnue de facto par l’Union. Ce qui était resté hors de question depuis 1994. Ayucune analyse n’a été faite de ce conflit, encore moins des responsabilités américaines en la matière. Or de la Géorgie à l’Ukraine et aux frontières de l’Union, il y a dans les esprits indépendantistes de ces pays, peu de distance. Les conflits intérieurs entre pro-Russes et pro-Européens n’en ont été qu’attisés : nous le voyons en ce moment. C’est sur décision américaine que la Géorgie avait été imprudente et c’est sur la décision américaine de ne plus tenir rigueur à la Russie que s’alignent l’Europe et la France.

La participation aux cérémonies d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin, le refus de recevoir le Dalaï-Lama officiellement tandis qu’il séjournait en France n’ont pas été – pendant l’exercice de la présidence de l’Union – plus glorieux que cette sorte de dialogue public par médias interposés, auquel excelle le colonel Khadafi et qui nous a été imposé, à nous et à un Nicolas Sarkozy manquant de dialectique par lui-même et avec ses troupes en appui. Le président régnant, pas mieux que le candidat, n’est à l’aise s’il est mis en position de demandeur. L’ambition – par manque de culture et d’information sur le dossier – de faire une nouvelle institution méditerranéenne, dont aucune suite ne s’est trouvée après le 13 Juillet 2007, acte fondateur, a mis la France en porte-à-faux vis-à-vis des autres Etats-membres, tous soucieux de l’avenir du « processus de Barcelone » et en déséquilibre vis-à-vis des Etats réputés longtemps terroristes. Envoyant Jack Lang en ambassadeur des droits de l’homme et de la « transition démocratique » à Cuba, maintenant, Nicolas Sarkozy n’aurait pu avoir le rayonnement de Jean Paul II, mourant mais aux côtés de Fidel Castro, qu’en doublant Barack Obama : demander que cesse l’extra-territorialité d’une enclave étrangère sur le sol cubain. Toute l’ambition de Vergennes fut que la France – défaite en 1763 aux Indes et au Canada, certes – récupère la souveraineté sur Dunkerque. Imagination … courage… le ressort est unique, l’a priori de l’indépendance non du chef en scène parmi ses pairs ou par rapport à ses prédécesseurs, mais de son pays en tant que tel.

Pour clore au plus mal sa présidence européenne, Nicolas Sarkozy a ensuite prétendu – et continue de prétendre, selon les sujets, notamment ceux traités par l’Eurogroupe – que la suite n’est pas à la hauteur et que pour certains thèmes, il devrait garder une présidence de fait. Deux secrétaires d’Etat aux Affaires européennes sauvent ce qui peut l’être : Jean-Pierre Jouyet par une connaissance des façons et des rouages européens, telle qu’il peut la faire observer puis prendre en considération par un président de la République qui les ignorait ; Bruno Lemaire par sa germanophilie et, semble-t-il, par une connaissance suffisante de l’allemand pour faire plaisir à des partenaires qui – eux – depuis des générations (Frédéric II…) sont courants dans notre langue.

La relation franco-allemande, éprouvée par la crise de confiance mutuelle qu’avait suscitée l’absorption de la République démocratique par la République fédérale, avait été maintenue par le sentiment partagé de François Mitterrand et d’Helmut Kohl de sa priorité et de sa fécondité. Elle a été banalisée par Jacques Chirac, malgré l’opposition ensemble aux intentions américaines en Irak  – communion de vues spectaculaire parce qu’elle fut signifiée au quarantième anniversaire du traité de l’Elysée de Gaulle-Adenauer. Elle est maintenant mauvaise principalement parce que les personnalités d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy sont trop différentes et que le Français est trop envahissant et ne sait pas pratiquer la diplomatie discrète et les entretiens de fond sans communiqué, ceux qui font la connaissance, la confiance mutuelles, et donc l’accord pérenne même pour les sujets encore imprévisibles : de Gaulle-Adenauer et aussi Giscard d’Estaing-Schmidt. Sans doute, est-ce « rattrapé » ou compensés parfois selon des complicités entre hauts-fonctionnaires… c’est insuffisant. Les sujets étant autant économiques – diagnostic de la crise, évaluation des remèdes – que stratégiques – le bouclier anti-missile, l’adhésion ou pas d’anciennes Républiques soviétiques plus voisines de Berlin que de Paris, l’entente était forcément difficile. Sous de Gaulle – avec la divergence de vues à propos de l’O T A N, voire de l’armement nucléaire de la Bundeswehr, et surtout à propos de la candidature britannique au Marché commun – elle était encore plus malaisée, parce qu’elle n’avait aucun précédent.

Dramatiquement, il semble que les décideurs ou ceux qui influent la décision sur une relation dépouillée de sa priorité absolue, aient pris leur parti de cette mésentente sur la crise, sur la manière nationale et européenne d’y répondre, et de ce que les intérêts doivent désormais gouverner, puisqu’ils seraient divergents. A courte vue, ils le sont sans doute. Les causes de friction sans volonté politique de les éviter ou de les réduire, sont assurément multiples. Si ce devait être la décision française de « laisser tomber » comme il paraît, Nicolas Sarkozy commettrait la rupture la plus décisive et son erreur la plus grande. « Repenser » la relation franco-allemande selon un catalogue d’intérêts et de mésententes est la plus mauvaise manière de procéder au réexamen. Le couple naquit pour servir ensemble une cause décisive – nationalement et mondialement : l’émancipation européenne, la résurrection. L’option atlantiste a – comme inconvénient majeur – de refuser cet objectif. Et l’absence d’affinités mutuelles entre la chancelière et le président ne rattrape rien. En revanche, à Münich, la sympathie entre le nouveau vice-président américain Joe Biden et Angela Merkel était évidente.


2° l’option atlantiste indiscutée

Notre retour dans l’organisation intégrée de l’Alliance atlantique est symptomatique de deux abandons. Il n’a pas été débattu efficacement en politique intérieur, il correspond à l’abandon d’une ambition d’identité européenne. Je reconnais que Nicolas Sarkozy ne cherchait pas un tel silence et que ceux qui ont quelque autorité et compétence en France sur le sujet, et nos principaux partenaires en matière de défense : les Allemands et les Britanniques, y ont concouru.

En France, il n’y a pas eu d’opposition organisée – sauf celle de Surcouf : une lecture très courageuse du « livre blanc » sur la défense par un groupe d’officiers sous pseudonyme collectif [9], aux arguments desquels il n’a pas été répondu – pas plus qu’il n’y eut un débat en 1995 sur la reprise puis l’arrêt de nos essais nucléaires, et sur la suppression du service militaire obligatoire et universel. Les questions de défense semblent affaire de spécialistes alors que la valeur militaire d’un pays – donc le respect qu’il inspire – tiennent autant à son complexe « militaro-industriel » qu’à l’esprit de défense qui y prévaut. L’opposition réclame un débat, joué d’avance. Candidats déjà déclarés pour 2012, François Bayrou et Ségolène Royal ne pèseront – en Avril – que s’ils précarisent l’annonce du président de la République en s’engageant à nous faire ressortir si l’un ou l’autre prend l’engagement de nous en faire ressortir. La majorité parlementaire n’est sans doute pas plus enthousiaste pour ce retour, assorti d’un investissement toujours croissant et plus muetrier en Afghanistan qu’elle ne l’était pour la révision constitutionnelle. Ouvrant la campagne d’accompagnement de la décision présidentielle, Michèle Alliot-Marie est fidèle à elle-même c'est-à-dire à la logorrhée R P R plus encore qu’U M P : les comportements ou les décisions « responsables ». De quoi ? et devant qui ? Le Premier ministre, réticent lui aussi, déclare à des proches qu’il a été, à la longue, convaincu par les arguments du président de la République. Lesquels donc ? Y a-t-il eu débat en conseil des ministres ? Pierre Sudreau, aujourd’hui dernier survivant des signataires de l’original de notre Constitutionnel, en démissionnant en Octobre 1962 parce qu’il s’opposait à la révision par la voie référendaire directe de l’article 11, fera-t-il des émules ? des démissions du gouvernement pour protester contre une décision d’importance.

Les raisons de cette passion atlantiste ? vaincre les tabous ? pour le principe, comme a été imposé celui de la révision constitutionnelle, même sans contenu … Nous engager davantage en Afghanistan, voire en Irak si après le retrait américain, il fallait relayer les Etats-Unis pour gérer la guerre civile qui suivra ? avec comme argument déjà plusieurs fois développé : l’humanitaire, mais alors en quoi l’O T A N est-elle l’indispensable structure à rallier ? La dialectique initiale – celle de 2007 – était de donner un nouvel élan à la défense proprement européenne en ne nous distinguant plus de nos partenaires. Notre retour atlantique était conditionné par des progrès substantiels de l’émancipation européenne. Assez flou, le discours établissait un lien et appelait des faits nouveaux. Crise économique mondiale, affaire géorgienne, aucun ne s’est produit, ni n’a été cherché pendant notre présidence européenne, dont ce devait être le grand œuvre. Ne trouvant aucune explication rationnelle, faut-il croire que le président de la République reste sur la pente qu’avait commencé de suivre Jacques Chirac, dès que François Mitterrand – paradoxalement converti au gaullisme sur ce point – eût été quitté par le pouvoir, pente savonnée par une grande partie des militaires. Les muscles, l’armement, la puissance des Etats-Unis fascinent les professionnels sachant notre dénuement relatif, surtout en armes conventionnelles : un « voyage aux armées » quand j’étais élève à l’E N A fut contemporain en 1967, à quelques semaines, de la « guerre des Six Jours ». Il n’y avait guère que les forces stratégiques qui résistaient à l’admiration exaltée de nos officiers pour Israël.

A la racine de toute réforme, depuis son élection, il y a chez Nicolas Sarkozy le goût de prendre le contre-pied et de démonter tout ce qu’ont d’illogiques et de peu approfondis les tenants des causes qu’il déboulonne. En quoi, il est  salubre, même si la décision est déplorable. Notre retrait de l’O T A N ouvrait une série d’émancipations successives vis-à-vis des Etats-Unis : le discours de Phnom-Penh sur la guerre du Vietnam suivit dans les six mois, puis il y eut le Québec libre, au cœur de l’Amérique anglo-saxonne, et surtout la langue et les mains libres au sujet du conflit israëlo-arabe. De Gaulle parti, nous avons avec constance suivi la thèse américaine : Charte transatlantique en 1974, soutien à l’installation des euro-missiles en Allemagne en 1982, imbrication des traités atlantiques dans les traités européens depuis Maastricht en 1992, après que la guerre du Golfe nous eût remis sous commandement américain et pour une cause qui n’était ni celle de l’Europe ni la nôtre. Enfin, en 1995 même, le transfert de nos essais nucléaires dans les laboratoires et simulateurs américains.

Paradoxal « parallélisme des formes » . De Gaulle eut à convaincre jusqu’à Pierre Messmer, son ministre des Armées… il y eut une motion de censure, déjà déposée par la gauche… il y aura la même chose dans quelques semaines, le Premier ministre volant même le geste au groupe socialiste. Et Le Figaro, publiant l’ancienne ministre de la Défense, censément vestale du « gaullisme », prendra pour une joie officielle délirante, déferlante dans toute l’Amérique, notre chef-lieu, un vague communiqué de deux lignes d’un porte-parole adjoint à Washington-Pentagone prenant acte des bonnes paroles du président de la République française… d’ailleurs l’O T A N l’avons-nous jamais réellement quitté…

Il faut donc supposer que dans une France, jusques-là réputée anti-américaine et indépendantiste, il ne s’est trouvé personne dans l’entourage présidentiel ou dans l’organigramme officiel – pas un officier, par un politique, pas un journaliste, pas quelque expert ou auteur d’un livre ou d’études soit sur les choses militaires, soit sur les mécanismes intellectuels et industriels de l’hégémonie américaine dans le monde, et très particulièrement en Europe, le continent de très loin le moins contestataire des Etats-Unis – il ne s’est trouvé personne pour « travailler » un quinquagénaire sans expérience du sujet et le ramener à la thèse et au legs du général de Gaulle – dont l’élément principal m’a toujours paru être le bon sens. Contre lequel la volonté d’un seul homme s’impose à tous. Les décisions et façons de voir ou de raisonner de Nicolas Sarkozy sont donc aussi inexorables, donc intouchables et indiscutables au simple nom de la résignation – accepter ce à quoi on ne peut résister – que la crise, elle-même présentée comme surgie du néant ou tombée du ciel sans que personne ait pu, soi-disant la prévoir, et sans que personne, plus encore, y soit pour quoi que ce soit dans le vaste monde et en France.

Les autres Etats-membres – et les Américains bien entendu – n’attacheront aucune importance à ce retour, certainement pas l’Allemagne au point où nous en sommes : nous honorons aujourd’hui le préambule atlantiste dont le traité de l’Elysée avait été assorti, malgré Adenauer, par le Bundestag, et nous donnons raison à Laurent Fabius dont l’argument principal contre le projet de Constitution européenne (argument valant pour le traité de Lisbonne, qui a repris ces articles) était l’encadrement de la défense européenne, en décision et en moyen, par l’O T A N. Notre « retour » n’ajoute ni ne retranche rien aux organisations pratiques, aux chaînes de commandement : il signifie simplement que nous donnons raison – contre nous-mêmes et au bout de plus de quarante ans – à ceux qui n’ont jamais voulu l’indépendance de l’Europe. Drôlatiquement, la solidarité logistique européenne a été démontrée, le 4 Février dernier : Français et Britanniques n’en sont pas même à combiner les itinéraires de leurs sous-marins stratégiques. Alors, une dissuasion nucléaire que chacun mettrait à la disposition de l’ensemble de l’Union … L’actualité rappelle d’ailleurs que si l’Europe  continue d’être fascinée par les Etats-Unis, ceux-ci ont d’autres partenaires que nous – bien plus considérables pour eux parce que pas assurés : la Russie et la Chine, et pas faciles à analyser ni à prévoir. L’Union europénne et la France, n’ont avec ces deux puissances que des relations subordonnées au rythme et aux conclusions (changeantes) des Américains : le bouclier antimissile réglé, abaissé ou relevé, concerté, la discussion n’est que bilatérale ; les armements chinois plus encore. Avec un partenaire dont les dépenses militaires sont 40% du total de ces dépenses dans le monde, l’association signifie la disparition.


  rigidité et contradiction : la perversion des réformes


La thématique des réformes est censée décrire toute l’actiuon gouvernementale. Une dialectique très simple est répétée – malgré le changement total du contexte et surtout des circonstances dont il faut répondre. Les Français ont voté pour une volonté et pour « les » réformes. Il n’y a lieu ni de les consulter à nouveau soit sur le principe, soit sur une réforme particulière – fut-elle de la Constitution nationale, des traités européens, de l’organisation territoriale, des services publics – ni d’abandonner ou de retrader quoi que ce soit. La volonté ne doit pas être mise en doute, elle est manifestée non par une certitude de soi ou par une préparation des sujets telles que le débat et la discussion ne sont pas redoutés, mais par une rigidité sans faille. Qu’un par un, les grands métiers de l’Etat et leurs agents respectifs entrent en dissidence morale, et en contestation affichée des orientations et des décisions qui leur sont communiqués, d’autorité et pour exécution sans délai, est signe pour le pouvoir d’être sur la bonne voie. Raison de plus de tenir et de persévérer. Le premier anniversaire de son élection à peine passé, le président de la République peut affirmer à ses partisans, à propos des grèves : « désormais, quand il y en a, personne ne s’en aperçoit » [10].

Le volontarisme aboutit à des impasses par impossibilité pratique.

Changeant à l’improviste de registre lors de son entretien radio-télévisé qui devait conclure le mouvement de contestation de la réforme des régimes de retraite de retraite, le président – en Novembre 2007 – ouvre le débat sur le pouvoir d’achat et prétend le conclure aussitôt en donnant l’exposé des motifs d’un projet de loi à faire entrer en vigeur avant même son vote parlementaire. C’est la déclinaison d’une augmentation du pouvoir d’achat par la baisse des prix – constamment démentie en 2008 que le prix de l’énergie quadruple ou diminue d’autant. Juste avant le mouvement social et sortant à peine de l’université d’été du M E D E F, Nicolas Sarkozy avait dit : « je veux une croissance de 3% ». Deux trimestres ensuite, la discussion n’était plus que sémantique : la France était-elle ou non en récession, autrement dit y avait-il un ou – « au contraire » – deux trimestres sans croissance ?

S’arc-boutant sur l’affichage de sa persévérance à poursuivre les « réformes » – qui sont toutes d’organisation, de textes réglementaires et d’économies budgétaires, jamais des innovations ou un rebond par mobilisation des personnels et des moyens : c’est patent pour l’armée, pour l’éducation nationale, pour la recherche – le pouvoir périme, depuis que la crise économique et financière mondiale est patente, ravageuse, que le chômage augmente spectaculairement, ces fameuses « réformes ». Elles semblent inutiles au regard de ce à quoi devrait s’attacher le gouvernement, elles passent pour une perversion de l’exercice du pouvoir ; celui-ci devient superficiel pour l’opinion générale puisqu’il ne s’attache pas au souci général. L’évaluation se fait désormais en termes de gestion, et non de changement, les circonstances se chargeant manifestement d’opérer celui-ci. Or, cette première crispation dans la poursuite des « réformes » vient de se renforcer d’un entêtement pour maintenir le diagnostic sur la crise et le choix des remèdes. Le Premier ministre le revendique : pas de changement de politique économique et sociale (hiver 2008), ne rien céder au mouvement social (automne 2007). On ne revient pas sur les décisions  fiscales du début du quinquennat, prises alors par beau temps, on refuse la relance par la consommation, en en restant aux démonstrations vieilles de dix-huit mois sur le pouvoir d’achat en augmentation par la baisse des prix. On croit s’exonérer de toute responsabilité quand le pays s’enfonce dans la crise en annonçant que les chiffres qui le décrivent seront de plus en plus mauvais à mesure que passera le temps…

La plus forte contradiction est dans l’attachement au libéralisme antérieur. Pas d’institutions ni de procédures nouvelles, s’ajustant à la gravité et à l’universalité de la crise parce que le pouvoir est incapable d’imaginer que l’Etat retrouve la position qu’il a eue chez nous – et que lui donnent maintenant nos grands homologues, eux aussi libéraux et même traditionnement traditionnellement, Anglais, Allemands et surtout Américains. Le pouvoir tombe dans le risque d’une totale inefficience de ses concours et garanties, alors même que les chiffres sont vertigineux. Comparés aux économies budgétaires qui font tant souffrir en termes d’emplois ou de proximité du service public, rapportés surtout à l’affirmation – courageuse et spectaculaire – du Premier ministre au début de l’automne de 2007 : l’Etat est en faillite, relayée dans un langage moins technique par le président de la République : « les Français savent très bien qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses »  [11]. Maintenant : d’où vient l’argent ? où va l’argent ?

Le discours présidentiel n’a pas de sanction en France avant 2012 – c’est la doctrine constitutionnelle du mandat en cours, mais il n’est pas crédible au sein de l’Union européenne. On ne peut à la fois accaparer la présidence de l’Union, minorer la Commission, jouer l’Europe des Etats et d’autre part réclamer une gouvernance économique européenne, sans même en avoir concerté le concept et l’expression avec la première puissance commerciale, financière et économique de l’ensemble à unifier. On ne peut discourir sur le carreau des usines en instance de fermeture pour imposer aux dirigeants d’ntrepeprise l’emploi et le nationalisme tout en diabolisant le protectionnisme. On ne peut réclamer une baisse des taux par la Banque centrale européenne et proscrire l’inflation. On ne peut donner des leçons si l’on n’a pas en dix-huit mois d’exercice des pleins pouvoir, assaini une situation économique et financière sévèrement jugée à Bruxelles et à Berlin.



*
*   *




Conclusions 

I

simples  propositions d’action politique & orientation


Changer notre mode de gouvernement national et faire celui de l’Europe :

1° selon un contrat passé entre les groupes parlementaires dans les deux assemblées, et valable jusqu’à la fin de la législature, sauf dissolution par le président de la République, au motif que ce contrat serait violé par l’une des parties ou ne serait plus adéquat selon son propre arbitrage, tel que le prévoit la Constitution,

gouvernement d’union nationale – tout autre par nature que le débauchage de quelques encartés d’un parti de gauche. Le Premier ministre pouvant fort bien demeurer François Fillon, au titre de l’U.M.P. ou selon sa connaissance méritoirement acquise des travers présidentiels et des défauts de concertation ministérielle avec les parties concernées par chacune des réformes engagées au début du quinquennat en cours.

3° proposition française et mobilisation de nos capacités de persuasion chez nos partenaires de l’Union européenne pour que le Parlement européen à élire en Mai prochain soit constituant, l’évidence étant que les conférences inter-gouvernementales n’aboutissent qu’à toujours davantage de complexité dans les textes et à toujours moins de « visibilité » des institutions communes. Soumission au referendum européen – circonscription unique pour l’ensemble des Etats membres, même question le même jour – du texte ayant fait la navette entre le Parlement européen constituant et les Parlements nationaux selon leurs procédures constitutionnelles respectives. Proposition française à nos partenaires et surtout à l’opinion publique européenne – à constituer par une telle avancée institutionnelle – que le président du Conseil européen ne soit plus ni un gouvernant national par rotation semestrielle, ni une personnalité cooptée en Conseil européen, mais élu au suffrage universel direct par l’ensemble des citoyens de l’Union. Dans la limite des compétences données à l’Union par les traités ou par la future Constitution européenne, ce président pourra soumettre au referendum tout élément de législation et faire trancher de la même manière toute orientation de politique extérieure et de sécurité commune, y compris évidemment les adhésions de nouveaux Etats.

4° réinstitution de la planification à la française, le plan devenant contrat de législature défendu – en propositions alternatives, concurrentes ou consensuelles – par les candidats à la présidence de la République.

5° pour une durée déterminée par la loi, nationalisation des banques, entreprises et services. Le Japon, il y a une dizaine d’années, les Etats-Unis d’ici très peu ont fait ce choix, la Grande-Bretagne, l’Allemagne l’envisagent. Un outil serait d’ailleurs trouvé pour européaniser – et donner le statut de société européenne – à certaines de nos grandes entreprises, au moment de leur retour à l’initiative privée. Outil social aussi puisque la privatisation pourrait avoir comme susbtitut dans certains cas, une mise en coopérative ou en auto-gestion par les salariés.

Si ces propositions ne se réalisent pas, l’opposition

1° a le devoir de s’unifier, non pour une alternance au pouvoir, mais pour le rétablissement de la démocratie en France en deux temps : contraindre à l’abdication le président régnant, soit qu’il démissionne, soit qu’il réintègre l’esprit de la Constitution, c’est-à-dire une pratique sincère du régime parlementaire et de la composante référendaire de nos institutions, puis établir, par consensus, cette pratique pour qu’elle s’impose désormais à tout parti, à tout candidat, à tout gouvernement, à tout président. Il y a deux sortes de circonstances exceptionnelles qui permettraient une relative mise entre parenthèses de cette pratique : les atteintes graves à la sécurité nationale, ce qui fait entrer en application l’article 16 de la Constitution, une crise majeure et prolongée – nous y sommes – qui ne peut se résoudre que par un élargissement considérable de l’assise politique du pouvoir en place quand se constate cette crise – nous ne le faisons toujours pas.

  utiliser à fond la prérogative concédée par la réforme constitutionnelle du  Juillet 2008, et faire pétitionner les Français pour que soit le Parlement traite le sujet, mais au mépris d’un évident vouloir d’une majorité des citoyens, soit le referendum soit convoqué, étant prévisible qu’il fera rompre avec les projets et les intentions du pouvoir depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Premier thème, le service public, cas d’école, La Poste. Sxecond thème, la nationalisation des banques et entreprises renflouées par l’Etat (le contribuable) pendant le temps nécessaire à ce qu’elles remboursent leurs dettes publiques et changent leurs dirigeants et leurs manières de pratiquer le dialogue social. Et ainsi de suite. L’article nouveau de la Constitution ne met pas de limite au nombre de pétitions réclamant le referendum, pendant une législature donnée. L’actuelle.

Le régime politique que je crois adapté et efficace pour la France a deux variantes. La première consiste à revenir à la pratique du général de Gaulle, respectant fondamentalement le parlementarisme restauré par la Constitution qu’il a inspiré, mais accentuant la dimension référendaire et la vérification fréquente de la confiance populaire, directement et explicitement, à peine de démission en cours de mandat. La seconde serait l’instauration de l’hérédité – dans la famille de France – des fonctions de président de la République, ce qui épanouirait au maximum le régime et les contrôles parlementaires mais n’interdirait pas – à l’initiative populaire ou à la diligence du gouvernement – la démocratie directe par referendum. Dans les deux acceptions, le président de la République est arbitre et recours, il ne gouverne jamais directement, il suscite et oriente, il répond du fonctionnement national de nos institutions collectives.



Conclusions 

I I

l’énigme imposée : Nicolas Sarkozy
en tant que président de la République


Nicolas Sarkozy a été élu sur une image, sur certains de ses mots, sur une réputation, peut-être sur sa conception du pouvoir politique sans référence idéologique et n’ayant dans son exercice que l’obsession d’une efficacité immédiate.

Aujourd’hui presque tout de lui, choque, et ses soutiens plus déclarés voudraient – sans qu’il perde son énergie – que son execice du pouvoir soit plus collégial. La crise l’exonère – pour le moment – de toute responsabilité dans le peu de résultats obtenus en vingt-deux mois. Or, il revendique l’approbation des contemporains, des intéressés, pas de l’Histoire. Il revendique la responsabilité, non par conscience d’être un jour sanctionné mais par qui ? par les faits ? par la rue ? mais parce que la décision doit être sienne. L’action n’est pas un agencement des volontés et des moyens, elle est une décision. La décision ne se sent tributaire de rien ni personne, en tout cas

Son exercice du pouvoir – dans ce qu’il a de visible – a apparemment des précédents. Le Premier Consul, pour faire simple. Le général de Gaulle, de retour au pouvoir qui rendant au pays son Etat et dénoue les nœuds gordiens : décolonisation, assainissement financier, émancipation diplomatique. Valéry Giscard d’Estaing jeune et moderne, promesse à lui seul et par lui-même, d’un changement souhaité de tous les Français. A l’étranger, John Kennedy puis modèle contemporain qu’il aurait anticipé ou dont il est l’homologue tout trouvé de notre côté de l’Atlantique, Barack Obama. Rythme, densité, providentialisme, énergie, novation… fondation. Or, Nicolas Sarkozy n’en revendique aucun. Commentateurs et thuriféraires s’expriment en nom propre. Modestie ou orgueil de l’impétrant ?

Nicolas Sarkozy n’a pas de père. La biologie ne lui a rien transmis, ni même en atavisme. La politique non plus. Trop jeune pour avoir éclos au soleil gaullien, négationniste de tout passé puisque lui-même n’en a pas familialement qui soit en cohérence avec ses ambitions et avec sa nationalité d’immigré, il n’a pas du tout conscience de ce qu’ont été les grandes étapes et le legs des générations qui ont fait la Résistance, milité pour la décolonisation, fondé la Cinquième République. Au moins quelques notions livresques et beaucoup d’a priori ou de clichés, ceux de l’autodidacte. Un mentor aurait pu compenser ces lacunes. Jacques Chirac ne l’a pas été, et ne pouvait d’ailleurs pas l’être puisque le choix à l’élection présidentielle de 1995 fut, pour Nicolas Sarkozy, de suivre le Premier ministre qui l’avait fait ministre. Comme président de la République, il prend donc le contre-pied de son prédécesseur, Jacques Chirac est son contre-exemple : il ne sera pas mené par un Premier ministre comme Jacques Chirac le fut par Alain Juppé, il n’y aura pas de consultation populaire entre les élections présidentielles : horreur de la dissolution, pas de risque pris par referendum, 1997 et 2005, enfin il ne sera surtout pas un roi fainéant. [12]

  Edouard Balladur et Simone Veil sont des cautions, pas des mentors. Au premier, dont il réprouve la timidité idéologique pendant la campagne présidentielle de 1995, il a dit son fait [13] et l’ayant ainsi abaissé, il peut lui donner ensuite les places d’ostentation. Mais autant l’ancien Premier ministre fut – ce qui le mena à Matignon – l’inspirateur de Georges Pompidou pour le quinquennat et de Jacques Chirac pour la cohabitation, autant il est cantonné dans l’honorifique par l’actuel président. Il le sert secondairement : son livre-pétition pour englober explicitement l’Union européenne dans l’Alliance atlantique. Avec la seconde, il joue de l’autorité morale qui lui est reconnue pour lui faire endosser ce qui devrait lui répugner : un programme raciste, des simplismes sur la mémoire collective. En réalité, il a pénétré l’âme de ces deux icônes car il sait ces deux personnalités totalement adonnées à dessiner et parfaire leur propre statue. Elles sont donc accessoires – je crois – et sans prise intellectuelle sur le président régnant.

Le trio – qui ne se vit sans doute pas en trio – Claude Guéant, Henri Guaino et Raymond Soubie, m’est mystérieux. Chacun existe médiatiquement. En commun, la conscience de mieux voir le pays que « la France d’en-bas ». Leur cynisme – puisqu’ils vivent une invulnérabilité qu’ils imaginent durable – est divers. Je ne les connais pas, je les suppose peu, je les crois serviteurs et instruments ; leur influence signée est souvent démentie implicitement par le président de la République. Craints ou méprisés par la haute fonction publique, ils font beaucoup pour scandaliser le groupe parlementaire majoritaire par leur propre mise en avant – autant que par leurs propos. Xavier Bertrand et Frédéric Lefèvre dans le parti les relayent, en approchant davantage la posture antérieure du Front national. Anthologie d’un pouvoir par son entourage, aucun des prédécesseurs de Nicolas Sarkozy ne l’avait permis, il semble que le président régnant le souhaite. Oubliée la manière, décisive par leur discrétion et leur « transparence », d’Etienne Burin des Roziers, de Bernard Tricot, de Claude Pierre-Brossolette, de Jean François-Poncet et même dans ce moment où ils n’étaient « que » secrétaire général de la présidence de la République : celle de Michel Jobert, de Pierre Bérégovoy, de Jean-Louis Bianco.  

Il n’a pas de racine, donc sa conscience du temps n’est qu’égocentrique. Le temps est le sien, ce n’est pas lui qui comme les autres s’y meut ou est usé par la suite des jours et des années. Les références sont ses hauts-faits personnels, récents : le sauvetage d’Alstom, une négociation avec les grandes surfaces (pense-bête désormais pour tout ministre ayant ces vis-à-vis du pouvoir d’achat en tutelle théorique). De nouveaux sont constamment recherchés : les libérations de personnes notoires ou pas (Ingrid Betancourt, les infirmières bulgares, les gens de l’arche de Zoé, la prisonnière au Mexique, il y en aura d’autres), l’accouchement « au sommet » du traité de Lisbonne, la tenue d’un G 10 puis d’un G 20 arrachée à George Bush junior, même si l’exercice ne produit rien, la reconstruction de Gaza – et sur notre territoire, des promesses de maintien d’emplois sur site chaque fois qu’une clé est proche d’être mise sous la porte. Conscience – très années 1930 – d’être indispensable personnellement au destin collectif ? mais l’ego semble importer davantage que la collectivité à qui se propose un tel messianisme.

Déjà Valéry Giscard d’Estaing – pourtant de grande présence physique et oratoire à la télévision – peinait à exprimer ce qu’est pour lui la France (il l’écrit très bien depuis une décennie dans ses mémoires, il n’avait su dire à l’Elysée que : « pour moi, la France c’est ce qu’il y a de meilleur »), mais Nicolas Sarkozy ne parvient à rien. D’abord parce que le discours à la première personne du singulier introduit peu la France en tant que telle, et ensuite parce que pour parler de la France, il faudrait un culte de sa continuité et un sens des perspectives. Attachement et talent qui lui font défaut. A la fois parce qu’il est de sa génération et de celles qui la suivent immédiatement : les 30-50 ans volontiers apatrides mentalement si c’est pour mieux réussir, pour être plus pratiques, et parce que la France est un lieu, une situation qui auraient pu être autres pour une famille d’émigrés. Nicolas Sarkozy, nouveau venu, n’a pas l’héritage d’une convivialité – douloureuse ou heureuse, peu importe – qu’Africains, Asiatiques, Maghrébins de notre destin commun pendant plusieurs décennies ont ataviquement, et qu’ils savent parfaitement manifester. Les guerres aussi en commun. Barack Obama, métis, noir, venant d’Hawai et du Kenya aux générations précédentes, est au contraire à la racine légendaire et fondatrice des Etats-Unis et incarne donc l’une des continuités les plus manifestes de l’histoire américaine, l’émancipation des esclaves importés d’Afrique, et il la conclut. Deux cartes fortes, parlantes. La victoire de Nicolas Sarkozy par les urnes est banale, de même nature que celle de ses prédécesseurs en en excluant de Gaulle – résultat d’une carrière et d’habiletés diverses ; elle a un sens idéologique et politique, elle ne signifie rien ethniquement ou culturellement sinon qu’une génération nouvelle, de peu d’identité collective, arrive au pouvoir et surtout dans les médias. La politique, avant Nicolas Sarkozy, était en retard médiatiquement sur toutes les autres professions. Mais – au contraire de Valéry Giscard d’Estaing – Nicolas Sarkozy n’est pas perçu d’abord comme exceptionnellement jeune ; au contraire de Léon Blum et de Pierre Mendès France, il n’est pas perçu comme juif ; au contraire de Jean-Marie Le Pen, il n’est pas perçu comme d’extrême-droite.

Il n’est perçu le 6 Mai 2007 et aujourd’hui encore que comme une personnalité. Il est décrit en comportement sans analyse de ses racines et sans la considération  qu’il est principalement attaché à faire passer dans les faits la moindre des mesures et décisions qu’il avait annoncé dans ses écrits antérieurs à sa victoire électorale. Une telle manière n’a d’équivalent que dans les régimes autoritaires de l’entre-deux-guerres, elle suppose en effet une totale absence d’opposition et de contrôle.

La personnalité de Nicolas Sarkozy – comme celle de ces chefs abattus dramatiquement – ne marque que par son exercice du pouvoir. Plus qu’aucun de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy a le sens de l’opportunité personnelle que lui apporte son élection. Paradoxalement – mais à vérifier en fin de son parcours – il ne semble pas en profiter matériellement à la manière de Talleyrand, confiant en 1799 à un intime : nous allons faire une fortune, une immense fortune. Non, il se contente d’une vie quotidienne ultra-rapide appliquant à la politique toutes les manières de la « jet-set ». Rapidité, ubiquité. Sans le pouvoir, politiquement suprême, banal avocat et intermédiaire d’affaires – mais j’ai rencontré pendant la campagne électorale une femme que ses pratiques à Neuilly pour expulser les locataires en difficulté de payer, avaient outrée, et elle semblait accuser l’avocat plutôt que le maire, donc réellement la personne et pas la fonction.

Table rase de l’existant à son arrivée : les réformes et non la gestion. L’activité et la décision, comme signe d’une fonction assumée à son paroxysme, vitalement. Le refus des références considérées systématiquement comme des tabous qui paralysent – pas tant la pensée que l’action. La culture comme une connaissance – parmi d’autres – et pas du tout (pour ce qu’elle est) comme un partage, une capacité à partager. Pas d’interrogation sur aucune de ses capacités personnelles : l’action se prouve en agissant. Une dialectique verbale, absolument nue, personnelle comme celle des autodidactes ou des adolescents, l’assurance de la vérité sans qu’il y ait à dire des sources ou des conséquences.

Une personnalité qui pourrait déprimer ? qui peut casser ? sans doiute parce qu’elle n’a de cohésion que dans l’action et que celle-ci est considéré comme un emploi à fond du temps et de l’énergie : à quoi ? à décider. La gestion, la durée sont brocardées par Nicolas Sarkozy alors qu’elles seules donnent le terrain de la fécondité. Les réformes sont des « coups », aussi bien par leur retentissement médiatique que par leur impact sur les personnes et les usagers concernés ; elles ne sont pas le début d’une nouvelle histoire, d’une durée autre que la précédente. Si peu charismatique physiquement, pas éloquent sauf quand aplomb ou contre-vérité font balle, ne saillant en discours que par une expression à la première personne du singulier obsessive, le président actuel parle tant qu’il efface lui-même les dires de la veille par ceux du jour, eux-mêmes périmés par la surabondance de ce qui viendras. Heureusement car les changements de circonstances ont rendu prophéties et volontés absurdement contraires à ce qui se constate maintenant . Ni les textes ni les réformes ne forment un ensemble, du moins un ensemble formé et présenté comme tel, voulu comme tel, une idée-force inspirant calendrier et mesures – alors qu’ils auraient pu constituer le môle autour duquel grouper la résistance à la crise.

La cohérence est donc trouvée – et commentée – par ceux qui n’exercent pas le pouvoir mais le subissent. La communication gouvernementale peut tenter de démontrer a postériori cette cohérence, mais le plaidoyer fait apparaître une lacune pire : la perspective, l’objectif final. Le discours ressemble donc à l’homme qui le profère. Après quoi court-il ? que voit-il comme terme à son mandat, à son action ? la limitation à deux mandats souligne l’énigme ? que fera-t-il après ? que serait-il ? puisqu’il ne brille que par l’accaparement des processus de décision et des médias qui assurent que la décision n’est que la sienne. D’autres naissent construits, Nicolas Sarkozy doit démontrer qu’une immaturité, une inculture, des manques de racine et une instabilité affective – toutes avérées mais explicables, excusables et pas antipathiques – sont la panoplie d’un homme d’Etat capable de substituer à un pays âgé et surréférencé, un autre ensemble où le fonctionnel tient lieu d’identité. Une politique pour faire rentrer la France dans le rang, la banaliser parce que lui sont, semble-t-il, nativement étrangers les concepts de nation, de patrie – valant pour les Français mais aussi pour les Européens s’ils savent en géographie et en histoire articuler une fierté commune, et formuler un certain patriotisme européen par différence reconnue et assumée vis-à-vis d’autres ensembles contemporains.

Grand par son action, fondateur par des simplifications et des épurations, ses thuriféraires le décriraient ainsi, mais pas lui. Il n’est pas Narcisse étudiant sur lui-même – comme le faisait mensuellement Valéry Giscard d’Estaing – les effets de l’exercice du pouvoir. Il ne se regarde pas agir, il n’est pas parmi d’autres, il est seul, ni exceptionnel ni supérieur : seul. Il ne peut donc entendre que ce qui résiste. Il ne voit pas. Qui admire-t-il ? Symptomatiquement, le courant n’a pas passé avec Barack Obama. Concurrents ? pas vraiment car le nouveau président américain cultive le peuple, alors que Nicolas Sarkozy ne se repaît que d’action – définie selon lui. A-t-il même besoin de spectateurs ?

Goût du discours mais pas des textes, ceux qui – de la Constitution aux reconnaissances législatives ou jurisprudentielles des libertés publiques – structurent la République ne sont pas plus sacrés que n’importe quelle décision de cierconstances prises par l’un quelconque de ses prédécesseurs. La non-extradition – finalement – de Marina Petrella n’est pas le respect par Nicolas Sarkozy de la parole de la France donnée par François Mitterrand, elle est – vie privé et exercice du pouvoir – le fait de sa belle-sœur, l’actrice italienne, Bruni-Tedeschi. Les atteintes aux libertés publiques – pratiquement ou par des lois qui n’ont pas même les circonstances ou l’exception pour excuse et prétexte – seront sans doute rétrospectivement bien plus caractéristiques de sa présidence que toutes les réformes d’organisation ou que le traitement, heureux ou malheureux de la crise. Sans doute, ce ne sera pas un jugement général ni même politique, mais ce sera celui de l’esprit. Le mystère que dégage Nicolas Sarkozy est celui de sa foi et de son échelle des valeurs, personnalité forte, si énergique que son ascendant sur les autres – et sur une bonne partie des Français, même s’il est impopulaire – est probablement dû à cette sensation qu’il inspire, mais quoi donc la structure ?

Je reste dans le souvenir d’un homme recroquevillé d’humilité et de timidité sur son siège, se dissimulant presque derrière les journalistes, le 2 Mai 2007, tandis que brille et s’enflamme sa compétitrice. Quasiment rentré sous terre, après avoir fait le vide autour de lui à son arrivée pour le face-à-face radio-télévisé terminant la campagne, alors que Ségolène Royal entrait entourée et offerte, c’est lui qui l’a emporté. Désormais, le voir – de très près – quitter une cérémonie officielle, forcément le premier mais violemment solitaire, isolé, c’est regarder une silhouette courte, dense, inclinée d’une seule ligne, curieusement, avec un regard et un sourire cherchant à qui se donner dans des rangs où au vrai il ne connaît personne. Une confidence triomphale mais silencieuse, semble répétée à chaque occasion : je vous ai bien eus, hein ?

L’affirmation de soi – par humiliation des autres, réduction. Jacques Chirac était ingrat, seulement. David Martinon, faute d’être allé aux journalistes un dimanche au marché de Neuilly, a fait comprendre à tous que le système peut être aussi ascensionnel qu’infernal

Conclusions 

I I I

notre révélateur ?


Chacun des grands sujets mis à l’affiche – à la réforme – par Nicolas Sarkozy, aussi bien pendant sa campagne électorale que dans l’exercice de ses fonctions, méritait un examen approfondi, si nous en avions le temps et la liberté d’esprit – qui nous manquent désormais du fait des urgences économiques et sociales. Examiner le bien-fondé de notre attachement à chacun de nos « acquis » ou de nos « dogmes » est en soi décapant. Les mûes profondes de notre démographie et de notre composition ethnique, les changements extrêmes en cinquante ans de notre géographie économique et des densifications ou des désertifications de notre territoire appellent certainement de nouveaux consensus. L’attachement à notre pays n’est plus le même que celui des générations qui nous ont précédé, parce que notre pays a changé, au moins autant que les différents modes de communication et d’expression collectives. La relation à l’entreprise et à l’intégration européenne est perçue aujourd’hui comme un dessaisissement de notre démocratie et de notre identité, alors qu’elle fut l’espérance des générations précédentes, et qu’aujourd’hui elle garantit souvent nos libertés publiques mieux que nous-mêmes [14].

Savoir et comprendre ce que signifient de très grandes notions – ressassées ou perdues de vue – est décisif pour que notre vouloir national soit réellement un engagement lucide. Qu’est-ce que l’indépendance nationale ? comment l’avons-nous souhaitée naguère et comment la pratiquons-nous aujourd’hui ? n’est-elle en cause que par l’entreprise européenne ? celle-ci n’a-t-elle qu’une forme possible ? Qu’est-ce que la défense nationale ? un maintien, à niveau, mais par rapport à qui ou à quoi, de nos forces ? une projection mondiale de celles-ci ou une défense opérationnelle et civique de notre territoire propre, éventuellement de celui de nos partenaires européens ? Qu’est-ce que le salariat ? qu’est-ce que l’intéressement ? quel est le sens de l’investissement des entreprises, de celui des particuliers ? la défense et la protection sociale, au sens générale de la sécurité des revenus, des retraites, des soins et de l’éducation sont-elles des acquis économiques ? éthiques ? ce qui dans un cas distancie l’Etat de leur financement et dans l’autre impose les minima sociaux et leur constant perfectionnement. Et ainsi de suite : la justice, la banque, la culture, l’audiovisuel et ses statuts ? la laïcité ? la fiscalité plus indirecte et universelle, ou davantage directe, à la source, encourageant la natalité ? ou la domiciliation nationale des fortunes. L’énumération serait très longue.

Chacun des dossiers ouverts par Nicolas Sarkozy aurait pu provoquer une réflexion sereine de trois des composantes des générations françaises actuelles : les administrations en charge, souvent séculairement, et obligées de justifier leurs dogmes ou d’avouer leurs interrogations et leurs échecs – les personnels concernés, les usagers éventuels – les pourvoyeurs de moyens financiers et juridiques. La gauche, arrivant au pouvoir par François Mitterrand en 1981, avait fait un « audit » de la France, très développé. Les gouvernements issus seulement d’un scrutin législatif en 1993, en 1997 et en 2002 ont renouvelé, en bien moins collégial et en bien plus bref, cet état des lieux.  Chaque fois, peu dynamique. Les « états-généraux » ou les « Grenelle » – termes et références tout à fait impropres historiquement – mais que Nicolas Sarkozy a su imposer aux médias et donc à l’opinion comme des tables rases à garnir consensuellement, et même contractuellement (des engagements législatifs et budgétaires résultant de ces concertations), étaient pratiquement une discipline nouvelle pour les patenaires sociaux, pour les administrations et auraient pu le devenir pour les partis. Ceux-ci ont d’ailleurs été associés, non en tant que tels, mais par certaines de leurs personnalités marquantes, à trois grands exercices : les comités Balladur pour la réforme des institutions constitutionnelles et pour la réorganisation territoriale, la rédaction du rapport Attali.

Dans cette sorte de « no man’s land » politique que nous avons traversé – ce dont nous ne nous rendons compte que maintenant – les deux dernières années immobilistes et impuissantes de Jacques Chirac, les dix-huit premiers mois de Nicolas Sarkozy quand le temps paraissait calme et ordonné seulement par lui…aucune urgence aucun thème, dans notre endormissement, ne s’imposait. Les propositions d’examen – faites sous diverses formes par le futur président de la République, puis mises au calendrier dès qu’il a été consacré – n’étaient pas négligeables ni injustifiées, même si rétrospectivement aucune ne s’est révélée prophétique par rapport à ce qui mantenant nous étreint.

Le traitement a été fautif. Occasions manquées parce que les débats ont été trop fermés et conclus par avance dès leur ouverture. Exemples urgents même s’ils sont très vastes et donc complexes :

. nos institutions dans leur fonctionnement actuel, à tout échelon, doivent être examinées – aussi – selon les modes d’élection de leurs acteurs. La représentation proportionnelle à l’Assemblée nationale est une question décisive, dérangeant tout le monde, y compris « la doctrine », l’ »establishment » et la configuration des partis politiques ;

. les discriminations, les parités, les quotas, le communautarisme, les représentatiuons constituées de telles ethnies, origines, confessions. Presque tout ce qui se met en place par strates successives et sans plan d’ensemble, ignore la vertu du droit commun républicain. Un débat résume les autres et stigmatise nos erreurs, celui sur la laïcité. Les politiques dites « positives » engendrent les discriminations qu’elles voulaient éradiquer ;

. la fiscalité, esssence, modalités, procédures, nécessité de l’hamonisation européenne et du traitement (à la source : nos banques nationales et leurs circuits de conseil et transferts) des « paradis fiscaux » : thème traité avec un autoritarisme et un simplisme sans précédent (bouclier fiscal, impositions du capital, fiscalité des heures supplémentaires, bonus et stock options, rémunérations de très haut niveau) – solidarité ou rendement ?

. l’émergence de l’identité européenne et du patriotisme qui va de pair : contribution française, fausses pistes (la voie des traités) et occasion que représente le renouvellement du Parlement européen (constituant ou pas), des institutions pour une volition directe (élection du président de l’Union, saisine des peuples dans leur ensemble par referendum).

Conclusions

I V

 monocratie et méfiance : pollution mutuelle




Entre la communauté des citoyens et la sphère du pouvoir en place – particulièrement monolithique en ce moment puique le président régnant court-ciurcuite le Premier minstre et les ministres, et tient en main, directement, le part majoritaire au Parlement – il y a les corps intermédiaires, chers à notre Ancien régime, et qui – aujourd’hui, c’est une novation – n’embrayent plus directement sur les consultations, réflexions, veilles diverses et dispositifs d’alerte. En effet, les sujets traités par le pouvoir sont ou bien ceux du programme électoral de Nicolas Sarkozy et leurs dérivés, ou bien ceux dont se saisit, en réaction immédiate, le président de la République quand surgit un événement soolicitant l’opinion publique. Ni referendum sur quelque sujet que ce soit – même quand la jurisprudence nationale depuis 1958 l’impose – ni respect des institutions déconcentrées et décentralisées qui permettent réflexion et va-et-vient des observations et propositions entre experts, décideurs et usagers ou citoyens. Les commissions ou comités ad hoc ont des lettres de mission anticipant les travaux et des conclusions publiques anticipant la votation parlementaire : les unes et les autres sont le fait du seul président de la République et elles sont sans appel. Même si ces dernières semaines, elles changent de dénomination : propositions, pistes… l’un des rares exercices ouverts et largement débattus, le « Grenelle » de l’environnement, débouche sur l’opinion d’une agence ad hoc pour la santé : les O G M ne sont pas dangereux !

Cette absence de dialogue, ce droit divin sur la mise à l’ordre du jour et sur la consistance de chacun des sujets imposés au menu de la vie politique nationale, sont une première cause – en elle-même décisive – de méfiance de ces corps intermédiaires, pas toujours consensuels pour les solutions et remèdes, mais faisant bloc face à la manière du président de la République. Sans doute, finissent-ils par se rendre aux convocations et par s’asseoir aux tables de négociations : « sommet social » du 18 Février, « remise à plat » du décret sur les enseignants chercheurs, mais chaque fois le constat est le même, l’écoûte est restée insuffisante, partielle et la manière en définitive ne change pas, ni pour le suivi de ce qui a été laborieusement esquissé à plusieurs, ni pour la prise de décision sur un sujet parent.

Le président de la République ne sait pas animer une libre réunion – ce fut patent et éprouvé par tous les participants le 18 Février à l’Elysée – il abuse du discours ex cathedra dont la forme familière et les parenthèses en interpellations directes et tutoyées abaissent le niveau, et surtout il lui manque ce qui devrait être le propre de sa fonction, la capacité et le discernement des perspectives.

Les mesures et décisions, les bouleversements et changements multiples imposés à tous – mais particulièrement ressentis par les corps intermédiaires, depuis la prise de fonctions de Nicolas Sarkozy – ne forment pas un ensemble que décrirait, étape par étape, le président de la République, les laissant prévoir, les justifiant au besoin, les inscrivant dans la chaîne d’un dessein, celui de notre redressement, celui d’une meilleure expression de notre ambition nationale et de notre concours à l’unité européenne, donc à un nouvel ordre – pacifique et démocratique – pour le monde notre temps. Il en est si peu capable qu’il n’a pas encore usé de la prérogative à laquelle il tenait le plus – de toute évidence – dans la révision constitutionnelle qui nous a occupé quinze mois : exposer devant l’ensemble du Parlement sa politique. Le moment était pourtant là en conclusion de sa présidence de l’Union européenne et face à la précipitation de la crise financière et économique mondiale. Cadre et solennité moins banale, il est probable que ce ne serait et ce ne sera que le même discours, avec mines, mimes et jeux de scènes souvent gamins ou faussement indignés.

La mise en perspective est donc laissée à d’autres que l’auteur-scenariste-dessinateur-commentateur : aux citoyens et à ces corps intermédiaires qu’on peut énumérer sans exhaustivité comme les associations, les syndicats, tous les groupements volontaires de pensée et d’action en défense ou en proposition, les partis représentés ou non à la suite d’élections, dont les scrutins ne permettent pas toujours la représentation de tous. Mais la manière présidentielle a fait que s’y ajoutent spontanément – parce qu’ils ont été dédaignés dans la décision et dans la réforme qui leur est imposée – les corps-mêmes de l’Etat et de notre vie en société, les ordres professionnels, les élus locaux, la magistrature, l’armée, les enseignants, les différents fonctionnaires et agents des affaires sociales, les réseaux déconcentrés des administrations parisiennes, les services publics.

La méfiance est apparue progressivement. Elle avait été dissipée par force le soir du 6 Mai 2007 : la campagne électorale, plus loyale de la part des opposants à Nicolas Sarkozy que la sienne, n’avait pas formulé clairement ce préjugé défavorable de beaucoup d’associations ou de personnalités politiques ou autres ayant pratiqué le candidat. On n’osa pas – timidité ou civisme ? – attaquer celui que les sondages mettait en tête sur ce qu’il avait déjà, place Beauvau, dit et fait de nos libertés publiques. On n’a pas retenu les derniers débats parlementaires au cours desquels il promettait cyniquement que les votes qui lui étaient dans l’instant refusés – c’était déjà « le tout répressif » - il les aurait par la législature suivante. De fait…

Cette méfiance à propos des libertés publiques, du service public et donc des deux éléments non monétaires de la vie collective nationale, était le fait non d’invidualités en tant que telles mais de groupements entiers, de professions et de métiers aux représentants élus ; elle était la sensation de beaucoup. Le débat était implicite, il portait sur les valeurs – on pourrait dire les valeurs de la République, mais je crois celles-ci tout simplement humanistes et notre ancienne monarchie les a, plus que tous les régimes qui lui ont succédé, progressivement intégré dans notre identité spirituelle : le droit écrit, les constructions jurisprudentielles, la succession de nos chefs et de nos pouvoirs sont second par rapport à elle et ce corps de valeurs a longtemps été regardé – universellement et par nous-mêmes, à juste titre – comme notre identité idéale, dont tout effort politique doit nous rapprocher.

Or, il apparaît que l’effort actuel – et personnel du président de la République, bien que démocratiquement élu – nous éloigne de cet idéal et de nos acquis, laborieux ou récents.

Est-ce un dessein ? c’est certainement de la part de Nicolas Sarkozy un mélange de défiance pour ce que je viens d’appeler les corps intermédiaires en y associant tous les corps de la vie publique et de l’Etat qu’il dédaigne, et d’inculture. De référence que sa courte expérience – et forcément pas atavique – faite dans ses divers emplois ministériels : le budget, l’intérieur, l’économie et les finances. Mépris des hommes, mépris des administrations et des corporatismes, préjugés de leur hostilité et de leur répugnance à tous changements par principe. Qu’il y ait des inerties et des routines, des tours de pensée, c’est certain, mais généraliser et surtout juger que c’est peine perdue que d’essayer d’entraîner tout le monde à l’examen des situations et des remèdes ou améliorations, c’est méconnaître une richesse nationale – décisive – et avoir une piètre idée de la nature humaine : seulement vénale ou servile ?

Méfiance réciproque, que ne guérissent ni des contre-discours eux-mêmes amodiés par la « prestation » suivante, ni des réunions ou « états-généraux ».

Les faits sont là, les textes sont là, les intentions sont souvent dites. Enquête qu’il faudrait plus minutieuse que cette simple évocation – à main levée :

. les libertés : politique pénitentiaire des lois sur la rétention, les prolongations de facto de peines purgées, les emprisonnements et maltraitance de sans-papiers, la réforme du conseil supérieur de la magistrature et la séparation des carrières du parquet et de la magistrature assise, la suppression du juge d’instruction et ses pouvoirs donnés au parquet, la loi sur les peines-planchers, une partie des procédures civiles par téléconférence, les tests A D N, les fichages avérés et les tentations pour le moment avortée embrassant toute la vie personnelle de l’enfance scolaire aux opinions, appartenances et orientations, la centralisation et la fusion à l’Elysée des directions du renseignement extérieur et intérieur, la mise de la gendarmerie nationale de statut militaire aux ordres de la même autrorité ministérielle que la police ;
. les petits accrocs qui relèvent cependant du même ordre des libertés publiques : les multiples coincidences de fouilles, de cambriolages ou de filature ayant au moins concerné Olivier Besancenot,  Ségolène Royal, Bernard Thibault…, le précédent pour les appartements ou loyers de complaisance constatés à l’encontre de Jacques Chirac et d’Alain Juppé en 1995, confirmé pour l’appartement à Neuilly de Nicolas Sarkozy… son fils et le délit de fuite…
. la presse écrite et audio-visuelle : la protection des sources journalistiques, la nomination par le président personnellement de la présentatrice de T F 1 et du président de la nouvelle télévision publique, la définition autoritaire des sources financières de celles-ci désormais à la main de l’Etat, la privatisation de l’Agence France Presse contrairement à ses statuts rédigés à la Libération et voulus par de Gaulle et alors que sa diffusion est la base-même de la rédaction des journaux quotidiens et des principales radios d’information ;
. l’éloignement de l’Etat : le referendum systématiquement éludé et que le Parklement peut faire éviter au pouvoir même en cas de l’initiative populaire, trompeusement instituée ; des collectivités locales privées autoritairement d’une de leurs ressources principales (exactement comme la télévision publique, en incidence d’une « prestation » présidentielle télévisée) ; des élus locaux diminués en nombre par confusion des conseils généraux et conseils régionaux (faute de pouvoir supprimer l’emblématique département) et des regroupements géographiques démagogiques et sans consultation ; une professionnalisation accentuée de la vie politique par sécurisation des places, propriété du pouvoir régnant (la direction du parti unique de l’Etat, les têtes de listes régionales, les va-et-vient du gouvernement au siège parlementaire sans retour devant l’électeur ;
. la privatisation de ce qu’il reste encore de service public : tout le système hospitalier, une partie des ressources du système universitaire, le transfert progressif de la sécurité sociale en cotisations mais pas en prestations-retour à l’assurance privée, l’externalisation et le démembrement de beaucoup des tâches, La Poste, l’énergie en forme de trust d’antan et surbénéificiaire alors qu’avec l’alimentation et le logement, c’est la dépense quotidienne des Français, l’asphyxie de l’éducation nationale par suppression d’emploi, le remplacement du C N R S par une agence improvisée et – explicitement – sans conseil scientifique, la constitution ainsi de féodalités gigantesques et exclusives, dominant la vie des collectivités locales et des usagers : Suez-GDF, Axa… et le service public résiduel est privé de ses moyens ;
. la manipulation des grandes références d’examen de nos situations nationales : système des dépouilles à l’I N S E E, changements des bases statistiques des prix, de l’emploi notamment ;
. l’installation personnelle : concept et pratique d’une institution inconnue « la première dame », la carrière politique du fils aîné dominant déjà le département le mieux doté fiscalement de France ;
. la protection ou la promotion de l’art de parvenir, plutôt que le souci d’un nombre grandissant de Français (et d’hôtes étrangers, clandestins ou réguliers) en dramatique situation personnelle : logement, alimentation, perspectives de vie ; bouclier fiscal, culture « people », étalage du luxe et de la « jet-set » [15].

Comment n’être pas tenté de faire de ces différentes politiques et réformes un tout : l’absolutisme du pouvoir est recherché pour lui-même et par une seule personne ; il est directement attentatoire aux droits de l’homme et du citoyen. Deux symptômes : nos prisons, les nominations par le président de la République sans procédure ni contrôle.
Combien je souhaite être abusif, systématique et de parti pris. Mais alors où est la communication du président de la République ? du gouvernement ? de son parti ? de ses soutiens médiatiques ? quelle analyse proposent-ils ? quelle mise en place de tant d’actions, de discours, de réformes, de changements, de réactions à l’événement ? qu’est-ce qui fait courir l’élu du 6 Mai 2007. Avant, on le savait : prendre la place. Mais maintenant qu’il y est ? jouir ? nous détruire ? nous sauver ? seul ? se proposer par son énergie (dopée ? ou pas) et sa suite dans les idées, comme un de nos instruments, mais démocratiquement tenu ? Curieusement, le recours et la leçon nous viendrait de notre outre-mer ainsi qu’il y a un demi-siècle la Quatrième République trouva sa sanction outre-Méditerranée ?

Ces réformes – sans incidence sur notre endettement consolidé et sur nos déficits budgétaires courants comparées aux aides à des industries et à des banques qui ne changent aucun de leurs comportements peu sociaux, et complètement hors du sujet dramatiquement d’actualité : la crise économique, financière, sociale – sont en train de nous donner un visage, dont je crois que – majoritairement – nous ne voulons pas. Nous ne nous reconnaissons plus : la France désorganisée, déstructurée, désertifiée, marchandisée avec un micro-Etat dont des individus et quelques grands groupes dévorent les restes croupions, une France vaine dans le monde et méchante chez elle, dont la langue est de bois. République bananière ? ou régime africain que nous caricaturons et à qui nous donnons des leçons ? nous maintenant, et plus encore à l’avenir ? France mère des arts, des armes et des lois…

La peine de mort si la question se posait maintenant… l’intervention en Irak aux côtés des Américains, si la question se posait maintenant (et elle se repose à propos de l’Afghanistan) …

Pourtant, nous le tolérons. Quousque tandem abutere patientia nostra ? quamdiu etiam furos iste tuus ? quem ad finem sese effranata jactabit audacia ? avec les premiers vers de l’Enéide, c’est ce dont je me souviens de mon initiation au latin laïc. Pour essayer l’acoustique du théâtre romain à Carthage, je le récitai plus complètement devant le rang haut et lointain de quelques camarades de l’Ecole nationale d’administration, nous faisions un voyage d’étude (et d’agrément) en Tunisie sur le thème de l’Etat et du développement. Dixième anniversaire de la République de Habib Bourguiba tandis que de Gaulle suivait le chemin du Roi, outre-Atlantique, que venait à sa rencontre entre le quart et le tiers de nos descendants au Canada. Cà sent l’indépendance, avait-il soufflé à Jean Mauriac de l’A F P, juste après sa montée de l’anse du Foulon, mais ne le dites à personne… Français…


                                  BFF . 16 & 23-27 Février & 3-5  Mars 2009




disponibles par courriel sur demande :


16 notes sur la campagne et l’élection présidentielles,
rédigées du 12 Novembre 2006 au 8 Mai 2007


journal réfléchi
I – 14 notes rédigées du 14 Mai au 16 Décembre 2007
II  en cours
27.28 Février 2008
Arrêt sur image
I - Les difficiles épousailles entre les Français et le nouveau pouvoir
le fondement du quinquennat en cours
trop de signes et pas assez de fond
la folle gouvernance
les attitudes en réponse
II - Les gestions
la communication défectueuse
la question des institutions
la question d’Europe

courriels et circulaires : combat pour la Constitution et la pratique de nos institutions par le général de Gaulle

in memoriam (méditation personnelle à la « nouvelle » de leur mort)
Maurice Couve de Murville + 24 Décembre 1999
Michel Jobert + 26 Mai 2002
Jacques Fauvet + 2 Juin 2002
Moktar Ould Daddah + 15 Octobre 2003
Raymond Barre + 25 Août 2007
Pierre Messmer + 29 Août 2007

blog : http://bff-voirentendre.blogspot.com    France & relations internationales - évaluation politique quotidienne - journal de 1968-1970 - écrits & lectures d'autrefois ou de maintenant - collaborations de presse
contenu Journal d’inquiétude et vie de certitudes
I – Décembre 2008 à Août 2008
II – Septembre à Décembre 2008
III – Janvier 2009 à Avril 2008


[1] - un statut de l’opposition octroyé alors qu’une loi organique va limiter la durée des débats – des nominations soumises à l’appréciation parlementaire mais un nouveau statut de l’audiovisuel public donnant la désignation de son président à l’exécutif, ou la constitution de la seconde banque française de dépôts zélée par la personne qui successivement en a le contrat de faisabilité, comme associé-gérant de Rothschild, puis la négociation pour la faire aboutir depuis l’Elysée où il est secrétaire général adjoint, enfin en reçoit la présidence, les lois organiques prévues par l’article 13 de la Constitution révisée le 23 Juillet 2008 n’ayant pas été votées – une exception d’inconstitutionnalité seulement en cassation – l’initiative populaire ne déclenchant vraiment que la saisine parlementaire qui, à l’avantage du gouvernement, peut tenir lieu du referendum
[2] - titres du Monde – mercredi 1er Août 2007 : le chômage n’a jamais été aussi bas depuis 25 ans – samedi 18 aout 2007 : les économistes peinent aujourd’hui à mesurer jusu’à quel point la crise financière affectera l’économie réelle – samedi 8 septembre 2007 : le doute s’installe sur les marchés financiers –  vendredi 14 décembre 2007 : la crainte grandit d’une défaillance généralisée du système bancaire mondial – vendredi 4 janvier 2008 : les économies mondiales vont devoir s’adapter au pétrole cher – vendredi 21 Mars 2008 : crise financière ce qu’il faut savoir . cinq pages spéciales pour comprendre la débâcle financière – mercredi 9 Juillet 2008 : faillite de General Motors ?

[3] - l’expression, appliquée dans son pays quand une dictature militaire s’est mûée en autoritarisme personnel mais électif, est d’un de mes amis mauritaniens, M° Brahim Ould Ebetty, défenseur des droits de l’homme
[4] - Le Monde . 9 Avril 2008
[5] - couverture de L’Express n° 3005 . 5 au 11 Février 2009
[6] - la protestation-déclaration d’amour pour Cécilia dans le livre électoral Témoignage (XO éditions . Juillet 2006 . 281 pages) pp. 46 à 49
[7] - Le Monde, 16-17 Septembre 2007

[8] - Le Monde, 15 Juillet 2008
[9] - Le Figaro, 19 Juin 2008
[10] - Le Monde, 5 Juillet 2008
[11] - jeudi 29 Novembre 2007, entretien radio-télévisé
[12] - "On dit omniprésident. Je préfère plutôt qu'on dise ça plutôt que roi fainéant. On en a connu", a-t-il affirmé dans un sourire, mais sans citer de noms, lors de ses voeux à l'Elysée aux parlementaires et aux conseillers de Paris. – AFP 7 Janvier 2009

[13] - Libre (Pocket . Janvier 2003 & rééd. Août 2006 . 415 pages) pp. 196 à 199
[14] - sur pression de la Cour européenne des droits de l’homme, nous avons admis, ce que déploraient les justiciables, que le principe du contradictoire n’est pas respecté dans nos procédures du contentieux administratif. Depuis Janvier 2009, les parties peuvent faire valoir des répliques aux conclusions du commissaire du gouvernement, devenu « rapporteur public », avant le délibéré, qui reste à huis clos et secret
[15] - De Dorothée Werner pour Elle,21 Mai 2007

C’est CASH.
Il est des vidéo-clips branchés dans lesquels des rappeurs bardés de chaînes en or se vautrent sur des capots de berline en vociférant qu’ils veulent se faire de la caillasse, de la maille, de la grosse thune qui déchire sa mère, du flouze de sa race, du cash, quoi. On appelle cette musique décomplexée, assumant sa part de beaufferie et d’avidité, le rap « bling-bling », du bruit que font les nombreux bijoux griffés des chanteurs en s’entrechoquant.
Il est un président de la République fraîchement élu, roi incontesté de la communication, qui s’affiche dans le luxe dès les premières heures qui suivent son élection. Banquet au Fouquet’s avec ses amis milliardaires et VIP, séjour au luxe XXL à Malte, en limousine, jet privé et yacht. La République bling-bling . Quelques intellos de la gauche caviar, qui préfèrent profiter de leur argent discrètement – c’est tellement plus choc –, ont crié à l’arrogance. Pourtant : six Français sur dix ne trouvent pas choquantes ces vacances clinquantes, puisque, financées par un industriel, elles ne leur ont pas coûté un centime (sondage par dans Le Figaro du 10 Mai 2007). L’argent n’est pas une valeur en soi. Ce n’est ni bien ni mal. « L’argent n’est que la récompense d’un surcroît de trravail ou d’une prise de risque », écrivait Sarkozy à juste titre avant son élection (in Témoignage, sorti en 2006) . mais n’importe quel psy relèvera que c’est aussi un symbole puissant, viril, qui signifie la force et le pouvoir sur les autres.
Un Président bling-bling, décontracté de l’euro, à l’anglo-saxonne, voilà qui inspire le respect. Booba, ce rappeur adulé dans les cités, meilleur vendeur français de CD, roulant en Hummer et aimant « claquer du biff’ », chante : « C’est la maille, notre espoir ». Le Prséident et les rappeurs célébrant le même dieu, celui de l’argent-roi, c’est la première révélation du quinquennat nouveau. La France qui se lève tôt doit s’y faire. Désormais, la politique sera comme çà, sans complexe : cash.


Aucun commentaire: