mercredi 9 avril 2014

lettre à Valéry Giscard d'Estaing, ancien président de la République




Monsieur le Président,

dès les deux moments, chacun excellent, avec vous dimanche soir, grâce à la chaîne parlementaire, j’ai voulu vous écrire. Je le fais plus tardivement que je le souhaitais et sais bien que je ne vais pas épuiser le sujet : pardonnez-le moi. 1974, une partie de campagne, filmée et donnée par Depardon

Plusieurs choses « saisissantes », d’ailleurs observées par les trois commentateurs ensuite. Votre jeunesse extrême : jeunesse souriante, décontractée, pas narcissique. La détente de cette soirée du dimanche 19 Mai qui semble tenir autant à votre solitude physique sensible, mais pas pesante, libérante au contraire pour vous-même sans doute et aussi pour le téléspectateur qui vous accompagne, surtout s’il a vécu cette « époque »…qu’à un équilibre intérieur vous donnant une distance par rapport aux résultats que ceux-ci vous importent pu à tout prendre, ou qu’ils soient acquis dans votre esprit plus que dans les urnes. La voiture, le bureau, le téléphone, vos mains. Un type physique exceptionnel  - le vôtre - transcendant les esthétiques convenues ou de mode. La familiarité que vous permettez ou qui était naturelle quand, quittant le dernier « meeting », vous interrogez les deux trois intimes qui vous accompagnent. Les téléphones. Cela ne s’est jamais revu. Merci.

Cette simplicité par tant d’aspects ne nous ramène pas seulement à un moment rétrospectivement serein et heureux, plein de possibilités pour notre pays, mais à la racine vécue de notre démocratie. Peu de moyens médiatiques, peu d’entourages et de fabrication, beaucoup de personnalisation, mais à nu, au naturel. Sans doute très peu d’argent. Une harmonie entre vous et le sujet, le sujet qui est l’élection présidentielle et la remporter. Un pays calme, une élection calme alors qu’elle est, au vrai, la première depuis de Gaulle et qu’elle oppose une personne, la vôtre, une personnalité donc une manière possible de présider et gouverner, à un programme. Car l’enjeu est bien la mise en application du Programme commun. C’est une élection pure : sans argent, sans déploiement médiatique, sans haine. Tout le contraire de celles qui ont suivi.

J’avais énormément apprécié votre conseil aux élections, donné dans Métro en Février 2012 : la capacité de tenir ce qui est promis (développement d’ailleurs, le vouliez-vous ? d’un des slogans de Georges Pompidou en 1969 « il tient ce qu’il promet »). J’ai donc goûté, du même tonneau, votre entretien de la semaine précédente qui suivit la diffusion.

Vous y dites l’essentiel sur ce que vous avez tenté et voulu. Démocratie française, à l’expérience de deux années déjà de mandat, mais aussi des dévoiements par haine de certains des épigones du général de Gaulle. Une démocratie à fonder et qu’un second mandat vous aurait permis de nous faire adopter comme une tradition, désormais, l’âme de la tolérance, mutuelle. Pas de grandiloquence alors que vous avez tant fait pour l’Europe. Réflexion sur la cohabitation et donc les élections. Elle est esquissée, implicite dans le III de vos mémoires.

Le débat avec François Mitterrand et votre réplique : Monsieur Mitterrand, vous n’avez pas le monopole du cœur. Deux autres choses. Mitterrand, dans un article de l’Unité plus tard, évoque une fiche que vous avez à la main, donnant des statistiques le contrant, or, il s’aperçoit que votre fiche est vierge et que vous bluffez, mais déjà démonté il ne surgit pas en vous priant de mettre la fiche à l’écran. Vous auriez su déjà sa liaison avec Anne Pingeot, puisque vous êtes souvent dans la région et qu’on devait en parler. Mitterrand aurait su que vous saviez et qu’une évocation par vous pouvait le perdre ou le mettre en difficulté, mais la fiche est de 1974 et cette possible évocation est de 1981.

Vous agaciez les beaux quartiers de Paris, mais vous avez été battu par Jacques Chirac. Celui-ci a fait le malheur et de nos institutions et de notre pays. Vide de programme, introduisant de véritables « affaires » et non des « bêtises » (votre expression a été juste, même si elle a été remarquée en pas très bien par des médias) dans notre chronique politique, désormais occupée par celles-ci et par les successions amoureuses de nos dirigeants. Et ne faisant rien, et choisissant très mal ses Premiers ministres.

Vous avez été empêché en 1988 par Raymond Barre, mais je crois que vous n’auriez été que troisième. Le vrai manque, c’est 1995 : les deux candidatures qu’il nous fallait, étaient la vôtre et celle de Jacques Delors. Alors une campagne consensuelle sur l’Europe, donc en discussion des voies et moyens de celle-ci, toujours pas trouvée depuis puisque la rédaction de la Constitution qui vous est historiquement dûe, et qui nous faisait entrer dans une ère décisive, le texte se révisant non par les gouvernements mais selon sa propre lettre, avec la souplesse des possibles sécessions et retour… donc le jeu loisible de mises en demeure sérieuses pour les mauvais joueurs ou élèves… et une campagne tranquille sur le socialisme et le libéralisme, tous deux à la française.

Je me suis permis de vous le suggérer déjà. Vous nous devez de nouveaux mémoires : l’avant-1974 et votre observation de la Quatrième finissante et de la Cinquième commençante, dont vous êtes un des principaux acteurs entre 1962 et 1965. Rue de Rivoli, vous n’êtes pas seulement le ministre des Finances et des Affaires économiques, vous êtes une caution pour de Gaulle, de jeunesse et de technicité, une autre éloquence, une autre famille politique. Lors d’un de vos exposés dans le grand amphi. Emile Boutmy de la rue Saint-Guillaume, à mes dix-huit-vingt ans, vous nous avez éblouis et remplis de fierté, pour ceux qui étudiaient comme pour ceux qui en sus aimaient de Gaulle. Oui, nous étions bien gouvernés, bien représentés, nous étions présents au monde dans le meilleur de notre forme nationale. Bravo, alors… Il y a vos notes d’audiences avec le Général. Vous les avez parfois évoquées. Ce doit être un témoignage capital : deux générations totalement différentes et sans doute une appréhension de la « chose » économique très différente a priori. Vous pourriez également y dire vos maîtres en la matière et ce qui vous fait vous y consacrer. Vous êtes seul à pouvoir donner ces compte-rendus et à les commenter. Vous aviez bellement fait remarquer pour de Gaulle en Février 2012 (Métro) sa conscience professionnelle.

Un second livre - de vous - est urgent. Une analyse et des propositions pour ce dans quoi nous nous trouvons et nous débattons. Nous manquons d’autorités morales depuis plusieurs décennies, vous en êtes manifestement une, vous l’avez montré en faisant rédiger et en inspirant la Constitution européenne. Dire comment vous voyez la crise mondiale en économie, commerce, en politique sera précieux et, à votre niveau, exceptionnel. Nous n’avons que du journalisme ou de l’incantation politique, du simplisme peu informé, peu prospectif, peu enraciné. Vos conseils aux dirigeants de tous pays et de toutes resoonsabilités auront du poids t cela donnera une voix de France puisque Dominique Strauss-Kahn et François Hollande…sans parler de Nicolas Sarkozy, n’écrivant rien ni en réflexion sur son mandat ni sur notre avenir.

Et j’aimerais vous revoir…

A la présente, je joins d’une part un papier paru dans Le Monde et saluant ce qui me parut un tournant dans le début de votre septennat, votre journée du Terrible à Colombey. Vous m’aviez dit – en 1997 – votre regret que Michel Poniatowski vous ait brouillé avec les gaullistes… or, vous en étiez initialement un, quoique non encarté, avec Raymond Mondon, et décisif pour le referendum de Novembre 1962. La vérité me semble plus antérieure, c’est Georges Pompidou, craignant un rival en Janvier 1966 pour une suite qu’il prévoyait proche (sa connaissance du Général et probablement le diagnostic médical sur sa propre santé), qui vous a évincé et séparé. Il y avait certes Michel Debré à « caser » qui travailla bien en vous succédant, mais qui n’y gagna pas plus que d’avoir été Premier ministre en 1959 et rédigé notre Constitution.

Et d’autre part comment je vois nos issues.


Vous savez toute ma déférente estime, depuis maintenant longtemps, après que…

Avec vous, Bertrand Fessard de Foucault

Aucun commentaire: