mardi 28 octobre 2014

écrit à Simone Veil - d'un referendum à un hommage . 2005-2014



Le jeudi 28 Avril 2005

permettez-moi de vous féliciter chaleureusement et sincèrement pour votre entrée dans la campagne référendaire et naturellement pour le oui.

Ne pensez-vous nous donner des mémoires plus étendus que sur la seule période ministérielle de 1975 ? Je vous ai suivi par les photos et avec émotion dans les camps de la mort. Vous avez tant à dire.

Peut-être les deux papiers ci-joints rejoignent-ils vos réflexions. Ce que je crois. Je serai heureux de recevoir tout texte que vous produiriez ces temps-ci sur l’Europe.

 
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Le soir du vendredi 9 Mars 2007

bien évidemment, la femme contemporaine la plus à même de présenter une candidature qui soit celle d’une femme, mais aussi de grande compétence, d’équilibre personnel et d’autorité morale, eût été vous. Cela n’a malheureusement pas été. La permanence des candidatures de Jacques Chirac pendant vingt ans a stérilisé bien des parcours, et les mandats du même n’ont amené à l’expérience politique – à mon sens – aucun nouveau véritable talent.

Nicolas Sarkozy me paraît être l’exacte répétition du parcours de jacques Chirac. On en est pour le moment au début des années 1980 si l’on transpose : même réputation d’énergie, même conviction de soi-même et des partisans que l’arrivée au pouvoir sera un salut et un changement de cours très bénéfiques, spectaculaire d’efficacité et de retournement de cours…, même culte du chef, même absence de débat perceptible. En plus, si je puis écrire, l’atlantisme, la révérence vis-à-vis d’un libéralisme importé et qui n’est qu’économique (le libéralisme ayant été pendant cent cinquante ans une doctrine politique et non mercantile) et fort peu de conviction européenne. Dans l’exercice des fonctions auxquelles il s’est impudemment accroché, il n’a pas fait montre de grand respect pour les libertés publiques traditionnelles dans notre pays, et il a plutôt imaginé ou ordonné (la collection de ses circulaires) de les réduire. Je le crains donc, d’autant qu’il avoue son identité en faisant tout pour que Le Pen, au premier tour, soit sa réserve de voix, automatique, en vue du second.

Or, vous mettez votre prestige moral – un des plus éminents dans la France d’en ce moment et qui a maintenant des décennies de pérennité – à l’appui de cette candidature et de cette personnalité, au demeurant fragile psychologiquement, et perpétuant encore un trait de ressemblance avec le président sortant, cette nouvelle confusion dans le fonctionnement de nos institutions constitutionnelles, l’influence de l’épouse.

J’en suis très étonné. Puis-je vous demander pourquoi ? en profondeur ?Je ne demande qu’à comprendre, sinon à approuver. Toute la geste de Valéry Giscard d’Estaing – rétrospectivement enfin bien dite et reconstituable par la qualité du troisième tome de ses Mémoires – avait précisément été de tenter un gouvernement par appel à l’intelligence réfléchie de nos concitoyens (ceux auxquels vous avez appartenue) et plus encore de dépasser le clivage droite/gauche Or, une autre candidature – de votre famille politique – me semble présenter ces traits.

François Bayrou, en sus, satisfait le gaulliste (d’avant 1969) que je suis comme vous le savez : un gouvernement consensuel, la tentative d’inspirer une dialectique gouvernementale et politique autre que majorité/opposition sur le fil. Enfin, l’Europe ; je l’enseigne à Paris VIII, faute que la France ait maintenu le legs gaullien et cultivé l’indépendance autant que l’originalité de notre organisation économique et sociale par elle-même, je suis devenu résolument « européen » et milite pour deux propositions simples, aussi innovantes que la proposition, naguère, de mettre en commun charbon et acier : l’élection au suffrage universel direct du président du Conseil européen par tous les citoyens européens votant en circonscription unique, et la prérogative de celui-ci de procéder par referendum, également en circonscription unique, sur toute question du ressort des traités, voire de l’évident intérêt commun de tous les Européens. Avec démission, si le résultat n’est pas celui escompté. Je crois François Bayrou, capable de porter cela.

Je vous écris sans concertation avec celui-ci et sans même l’avoir jamais encore rencontré. Dans le souvenir surtout des conversations que vous m’aviez permis d’avoir avec vous au moment où l’Abbé Pierre s’était mis dans de si graves difficultés et contradictions. Voici plus de dix ans.

Vous revoir m’honorera et dans la circonstance, m’intéressera beaucoup. Nous conviendrons aisément de la confidentialité du fait et du contenu de notre échange./.



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Reniac, le mercredi 17 Octobre 2007


 voici ce que j’ai adressé aux membres de la commission de réflexion sur nos institutions ainsi qu’à ceux du Conseil constitutionnel.

De ces choses où vous pouvez peser, j’aimerais vous parler un peu.

Quelles seraient vos convenances ?

Avez-vous des coordonnées électroniques ?

J’ai été profondément touché par votre confiance à propos de vos soutien et non-soutien lors de la campagne présidentielle et vous en remercie sincèrement. Vous m’aidez à voir clair – en tout cas, à comprendre – pour ce qui est de François Bayrou.




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Reniac, le dimanche 28 Octobre 2007



 espérant que ma grosse enveloppe du 17 ne vous encombre pas, je me permets de revenir déjà vers vous, car je lis dans L’Express, acheté tout exprès… les extraits de votre livre à paraître. Cela me passionne et votre écriture est très belle. J’attends donc l’intégralité avec impatience.

J’ai retenu notamment ces passages :

Aujourd’hui encore, plus de soixante après, je me rends compte que je n’ai jamais pu me résigner à sa disparition. D’une certaine façon, je ne l’ai pas acceptée. Chaque jour, Maman se tient près de moi, et je sais que ce que j’ai pu accomplir dans ma vie l’a été grâce à elle.

La personnalité du nouveau président s’imposait. Il était aussi impressionnant par sa rapidité d’esprit et sa capacité de travail que par sa prestance personnelle et la haute idée qu’il se faisait de sa fonction. Aussi les nouveaux ministres, moi-même et les autres, marchions-nous sur des œufs.

Dans notre système, le président est d’abord un homme seul. Rien ne l’incite au dialogue. Aussi longtemps qu’il est en place, il n’est remis en cause par rien ni personne. Evoluant dans un milieu aseptisé et de plus en plus artificiel, il n’échange qu’avec ses pairs, une poignée de journalistes et une noria de hauts fonctionnaires.

Je ne savais pas du tout que la « sortie » de Raymond Barre, au début de cette année, avait des antécédents, qui sont bien regrettables et ne jettent pas un bon jour sur lui. Mais quelle explication peut-on en avoir ? Si tant est qu’il y en ait … et cela m’a rappelé notre première conversation – celle que vous m’avez accordée à propos de l’Abbé Pierre, d’auprès de qui j’arrivais. C’est troublant.

Votre mère, votre affirmation est tellement juste.

VGE, oui… voyant Jean Sérisé à cette époque, il témoignait de la même manière que vous, mais «  de l’extérieur », sur le comportement des ministres.

François Bayrou… vous m’avez honoré de votre confiance en exposant en plusieurs pages votre jugement. Mais cette ambition de « naissance », il n’est pas seul à l’avoir. Elle se répand exponentiellement à chaque nouvelle mouture de l’organigramme des entourages à l’Elysée ou à Matignon.

Quant à Nicolas Sarkozy, moins à fond que vous, et ayant suivi avec intérêt Ségolène Royal à l’avenir duquel et surtout à la maturation de laquelle je crois, je deviens perplexe. Le « problème » de sa personnalité (pour moi encore marquée de sa stratégie de complaisance envers l’électorat du Front national) me paraît se résoudre dans le bon usage que les Français peuvent faire de lui. Je pense aussi qu’il aurait été mieux dans son emploi comme Premier ministre, mais il aurait fallu lui trouver une autorité tutélaire – un président – dont Edouard Balladur, même en 1995, n’aurait pas tenu lieu.

Je risque donc de vous adresser une note politique périodique qui circule surtout par internet : observation & réflexions sur notre actualité. Mon inquiétude est à propos de l’Europe. Il st vrai que je suis un « converti » venant du général de Gaulle et convaincu de la nécessité européenne par faute de France, depuis des décennies. J’enseigne d’ailleurs ces choses – le fonctionnement concret, et d’autre part les relations extérieures de l’Union – à Paris VIII depuis quelques années.


 

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Reniac, le mardi 14 Octobre 2008


vous êtes une de nos rares autorités morales, je vous l’ai souvent dit – dès notre rencontre à propos de l’Abbé Pierre se débattant dans « l’affaire Garaudy » - et écrit à mesure que notre pays avait à choisir par élection présidentielle ou par referendum.

Vous voici candidate à l’Académie française. Je m’en réjouis pour cette noble et prestigieuse institution, mais le fauteuil de Pierre Messmer, ancien ministre des Armées du général de Gaulle, ancien Premier ministre d’un Georges Pompidou soucieux de donner quelques gages à la fidélité gaulliste qui semblait émolliente en 1972, est-il celui qui vous correspond ?

Je ne le crois pas.

Vous êtes éprise de netteté et de clarté. J’ai dans l’oreille vos réflexions à propos de nos gouvernants en 1996 : la confusion. Ne pensez-vous pas que votre parcours centriste et européen – tout à fait conséquent et respectable – est très différent de celui de Pierre Messmer dont vous seriez appelée à faire l’éloge et à nous donner des clés de compréhension. A lire avec intérêt et sympathie votre autobiographie, je ressentais que l’épithète gaulliste n’est pas flatteuse ni prisée sous votre plume.

Je ne m’en formaliserais nullement si je n’avais été le visiteur fréquent de Pierre Messmer jusqu’au 28 Juillet 2007, veille de son hospitalisation inopinée. Nous nous voyions alors tous les samedi après-midi. Le 21, la conversation vint vers vous à propos de la campagne présidentielle alors récente. Il me confirma ce qu’il m’avait parfois dit auparavant qu’il ne se sentait pas beaucoup d’affinités avec vous. Le verbatim que j’ai, importe peu. J’ai écouté sans discuter. Il était ancré.

Simplement, il me semble peu cohérent en convictions politiques et peu convenable de personne à personne, surtout quand l’une est réduite maintenant au silence, que ce soit au fauteuil d’un des gaullistes les plus éminents et qui ne vous aimait donc guère, que vous soyiez candidate.

Je crois d’ailleurs que votre place dans l’opinion et dans le cœur des Français est telle que votre entrée dans l’Académie française est superflue. Un honneur de plus, certes, mais au prix que je prends la très grande liberté de vous dire.

En espérant ne pas vous blesser,

 

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Strasbourg, le soir du mardi 28 Octobre 2014


l’hommage qui vient de vous être – une nouvelle fois – rendu, la télévision, vos amies, vos enfants et petits-enfants, Valéry Giscard d’Estaing et de grands journalistes, femmes et hommes.

Emotion pour moi, pour ma femme, regard et réflexion de notre fille de bientôt dix ans. Bien sûr le souvenir des entretiens que vous aviez bien voulu m’accorder à propos du soutien donné par l’Abbé Pierre, de façon qui pouvait scandaliser et qui lui nuisit d’ailleurs. Le souvenir de nos nombreux échanges ensuite et de nos correspondances. Enfin, votre élection à l’Académie française, au siège de mon ami Pierre Messmer. La candidature si justifiée en elle-même, mais sans doute pour un autre fauteuil. Ou bien, ce que je ne saisissais pas à l’époque, une tentative de conciliation et de faire la gerbe du meilleur dans notre histoire nationale, qui en a parfois besoin.

Je n’avais pas à l’époque réalisé ce choc du retour de l’antisémitisme. Je n’étais pas en France en 1980. D’ailleurs, nos entretiens de 1996 et ensuite, avaient davantage porté sur quelque chose que j’avais noté – quand fut projeté le chagrin et la pitié avec Pierre Mendès France – l’impossibilité de parler d’une période et d’atrocités mais que vous m’avez fait comprendre avec force. Donc comment vous aviez, en fait et héroïquement,ouvert publiquement la nécessaire mémoire, le nécessaire témoignage. Initiant tout, votre réplique lors d’une pose de première pierre, me trouvant en poste à l’étranger, je ne l’ai pas entendu.

Il apparaît aussi ce soir que nos défauts politiques ne sont pas de maintenant : les atrocités, pas seulement par ignorance alors de votre passé personnelle, mais par ignorance ou même mépris du passé, par excellence, nos responsabilités dans ce qu’il se passa de 1940 à 1945, les atrocités reprises par les mots ressassés lors du débat que vous avez mené à terme pour l’avortement. Les mépris lors du débat à quatre (Mitterrand, Chirac, Marchais, vous-même) pour la première élection européenne. Nous les avons toujours, le débat sur le projet de loi porté par Christiane Taubira. Le sens donc qui ne m’était pas apparu sur le moment, j’en étais resté à la poilitique des partis, de votre élection à la présidence du Parlement européen, en coincidence avec la mûe de cette institution décisive.

Enfin, et à quoi vous avez beaucoup contribué, ce qu’a apporté Valéry Giscard d’Estaing à notre vie et à notre histoire politiques. Vous n’auriez pas été l’un sans l’autre ce que vous avez été dès cette époque et ce que vous demeurez dans cette histoire et cette vie.

Je pense encore plus à vous, et vous prie d’accepter l’expression de mes hommages très déférents.

Avec vous, avec d’autres qui vécurent l’impossible et l’impensable, et avace vous, avec d’autres qui aviez une idée la plus vraie de la politique et de notre pays, de notre condition humaine, je prie pour la France et pour l’Europe.

Je vous remercie pour ce que vous avez assumé.



à Madame Simone Veil, membre de l’Académie française,
ancien ministre,
ancien membre du Conseil constitutionnel
2 rue Bixio – 75007 Paris VIIème


N B  -   l’avortement, le fait et les circonstances, ce qui se vit alors : drame, il se trouve que je l’ai vécu, ou plutôt fait vivre à la femme que j’aimais et qui a beaucoup de ressemblance d’allure, de visage et de force avec vous : Ghislaine D. l’été de 1976. Je le porte depuis mon mariage tardif et la naissance de notre fille. Ghislaine n’en est pas la mère. Les moments de votre discours ont réaccentué ce qui fut ma responsabilité et mon manque de confiance.

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