vendredi 24 octobre 2014

la crise de légitimité - le précédent de 2005-2006




                                                           28 Décembre 2005 . 10 Janvier 2006



La crise française
est une crise de légitimité

réflexions sur le délitement français manifesté par le rejet du projet européen au referendum
et par la perte de notre leadership dans les conduites européennes,
les conditions de la guerre de succession dans chacun des deux bords,
l’absence d’autorité morale pour opérer les ajustements de fond
et inventer les conditions du maintien de ce qui fut
de la Libération jusqu’à la première « cohabitation »
le modèle social français
sommaire de l’argument en fin de document



disponibles sur demande pour envoi par courriel :
réflexion globale antécédente – la crise française de l’automne 1995 – 7 II 96
tentative de synthèse (en circulation chez les éditeurs)Dialectiques de la Cinquième République

Ce temps de réflexion, cette écriture en premier jet pour un partage avec qui se pose la question de notre identité et de nos issues, donc de la légitimité de nos actions et du pouvoir que nous soutenons, subissons ou déplorons, sont dédiés à deux personnalités notoires, décédées dans le mois de la réélection de Jacques Chirac, au printemps de 2002 – Michel Jobert puis Jacques Fauvet – dont l’expression de la France et les analyses ont marqué plusieurs générations ; pendant trente ans, chacun m’a fait l’honneur de me recevoir comme ami.

La bibliographie indiquée peut aider à situer dans la perspective d’auteurs ayant eu des préoccupations analogues, ce qu’il y a de personnel dans une réflexion isolée. Elle a été une rencontre après l’écriture avec des livres familiers, puis un appel à certains de ceux-ci pour coiorer davantage ce dont j’avais eu l’intuition.


La France n’est pas en sécurité, elle est mal avec elle-même, elle n’accepte aucune des évolutions en cours dont elle ne comprend ni les origines ni les processus censés les décider ; sa crise est une crise de légitimité, presque de régime si les prochaines échéances ne changent pas totalement la place du politique dans la vie nationale et si l’Etat continue d’être diminué, et les actifs nationaux abandonnés, si nous ne savons plus qui nous sommes ni ce que nous avons.

Les faits paraissent disparates.

Ils s’accumulent depuis le printemps, leurs causes sont plus lointaines.
Déclin, crise, mûe, quelle que soit la qualification – à tout prendre indifférente – du mal-être français, et qui n’est sans doute pas que français, c’est la recherche de ces causes [1], elle-même orientée par une observation des signes, qui peut indiquer les remèdes. Et contribuer à un approfondissement de conscience de leurs responsabilités chez ceux qui gouvernent ou aspirent à gouverner. Car si la France est mal avec elle-même, elle l’est dans un vide politique qui a peu de précédent dans notre histoire, malgré la double échéance, en principe concomitante, des élections présuidentielles et législatives à tenir dans dix-huit mois. La France ne parvient plus à se définir, en bonne part parce que ses hommes et femmes politique ne savent plus eux-mêmes se définir [2], hors la déclaration de leur candidature. Et pourtant ce n’est pas l’intelligence qui manque [3], ni la conscience des urgences.

Le mal-être coincide avec un fait nouveau et sans précédent depuis les débuts de la Cinquième République, et avec une prise de conscience, également nouvelle.

Le fait est qu’un vide est apparu : celui laissé par Jacques Chirac. Le Président de la République ne compte plus [4] – sauf pendant quelques mois encore pour soutenir son successeur présumé, étant à prévoir que celui-ci aura à se démarquer de son créateur pour faire efficacement campagne en 2007 - , mais cette absence si nouvelle n’empêche pas, au contraire que l’exercice des prérogatives présidentielles, depuis 1995, a posé la question de leur légitimité.
Le manque est double. L’Etat n’est plus incarné, notre inconscient coillectif a une très juste compréhension des institutions – celles voulues et fondées par le général de Gaulle – et il n’y a de chef du gouvernement [5]que le Président de la République. Encore faut-il que celui-ci ait un visage et une influence [6]. Faute de présence présidentielle, les perspectives et les axes ne sont plus perçus par l’opinion publique. Si talentueux que soit un Premier ministre, il ne peut en tenir lieu. Les « événements de Mai » 1968 en avaient d’ailleurs apporté la démonstration, peu relevée pourtant, que Georges Pompidou était à la merci d’un vote de censure, la majorité reconstituée d’une voix seulement en Mars 1967 dans le climat de panique et de recomposition n’était plus assurée, et l’ordre était moins rétabli que les « accords de Grenelle » n’étaient pas acceptés par les bases syndicales, notamment celles de la C.G.T. Il faut un Président de la République, et ses prérogatives  n’ont de sens et de portée, de légitimité que s’il est constamment responsable devant le peuple. Nous en avons de nouveau la preuve depuis quelques mois, même si les carences viennent de loin. Notre crise est une crise de légitimité, par la faute du Président de la République et maintenant faute de Président de la République. Mais le génie de nos institutions, en quoi elles restent fondamentalement légitimes quant à elles, quelles que soient les pratiques défectueuses qui en ont été ou en sont faites, est tel que le Président de la République, tant qu’il est dans l’exercice de ses fonctions, peut redresser le cours national et même la dérive de ces institutions.




*

*       *






Un projet de Constitution européenne rejeté par referendum en France : 29 Mai 2005 [7], alors que le thème et la procédure étaient depuis longtemps dans l’esprit du Président de la République [8]. Sa démission le soir-même eût d’ailleurs été « gaullienne » et aurait changé toute l’interprétation de son « règne » qui se cherche encore ; il eût finalement été l’homme de l’Europe plus que d’une ambition persévérante à conquérir le pouvoir suprême [9]. Le texte était d’inspiration manifestement française tant le président Giscard d’Estaing a marqué les débats et trouvé les compromis de textes à la Convention, imposant surtout une initiative décisive et hors du mandat de Laeken, celle de rédiger un texte complet et abolissant tous les traités antérieurs [10]. Au moment de son adoption par le Conseil européen [11], la France semblait de surcroît en situation d’obtenir la présidence de la Commission en la personne de Pascal Lamy, rompu à la négociation commerciale multilatérale et sensible à la préoccupation ambiante de préserver des acquis sociaux dans chacun des Etats membres. Quinze ans de marasme, commencés par la très maigre popularité du traité de Maastricht au referendum de Septembre 1992 et culminant au traité bâclé et maladroit conclu à Nice en Décembre 2000, semblaient prendre fin, la France avait la main. Elle la perd en ne soutenant pas Pascal Lamy pour cause de ses origines socialistes, en amenant à la tête de la Commission un perdant libéral jusques dans son pays, Barroso, et surtout en n’ayant plus une « classe politique » capable de faire ratifier un texte, même difficile, par referendum. La construction européenne est en panne, mais les solutions – qui, d’ailleurs, en cherche manifestement dans toute l’Europe à 25 ? – ne viennent nullement de la France, et la volonté de solutions. Celle-ci s’accroche, à Bruxelles et à l’OMC, au répit obtenu pour la politique agricole commune jusqu’en 2013, c’est-à-dire selon le calendrier constitutionnel révisé par l’adoption du quinquennat pour le mandat présidentiel, jusqu’après le mandat qui s’inaugurera en 2007, donc «  après moi le déluge » pour la plupart des acteurs et compétiteurs de maintenant. Il n’est du coup pas répondu à la question ravageuse de Tony Blair : comment consacrer 45% des ressources communautaires à 1% de la population de l’Union, alors que la recherche notamment place l’Europe de plus en plus en retard vis-à-vis des Etats-Unis et bientôt du Japon et de la Chine, l’Europe qui n’en finit pas (la formule était naguère pour le Brésil) d’être la puissance d’avenir, mais ne l’est jamais au présent. La question européenne, mal traitée puisque les Français ne l’ont pas comprise, est de surcroît totalement absente du discours gouvernemental depuis l’échec référendaire, comme du discours des deux compétiteurs de droite et de chacun des compétiteurs pour la candidature socialiste en 2007. Les initiatives annoncées par le Président de la République dans le discours traditionnel du Nouvel An font doublement impasse sur le chantier constitutionnel, laissé par tous en l’état depuis les refus français et néerlandais, et sur la perte de crédibilité de notre pays parmi ses partenaires. Rétrospectivement, comment ne pas mesurer l’habileté et l’autorité de François Mitterrand parvenant, certes de justesse [12] mais dans une ambiance de débâcle de son propre camp, à faire adopter le texte de Maastricht ? Que l’ensemble de la classe politique, unanime à soutenir le projet, moyennant nuances et quelques critiques, aux exceptions de Laurent Fabius et de celles plus attendues de Jean-Marie Le Pen, de Philippe de Villiers et du Parti communiste, n’ait pas su convaincre les Français, que Jacques Chirac et Lionel Jospin, intervenant chacun juste trois jours avant le scrutin, n’aient pu déterminer à la marge des hésitants, proclame l’usure de notre régime : nos institutions ne permettent plus aux citoyens de discerner, les gens politiques n’ont plus de prise sur l’opinion de ceux-là même qui pourtant les élisent.

Mais la réponse acquise, il n’y a pas eu de réponse au « non » proféré majoritairement, très majoritairement par les Français. Un slogan soudainement apparu : le modèle social français à défendre, un changement de gouvernement, une agitation thématique pour l’emploi accompagnant une diminution statistique du chômage qui était démographiquement prévisible depuis plusieurs années et qui se produit mécaniquement aux dates attendues. Depuis 1995, sinon depuis 1986, les Français très majoritairement, et avec leurs tripes, ne veulent ni les privatisations ni le démantèlement du service public : la réconciliation générale des Français avec leur Etat, après un XIXème siècle de soubresauts politiques et sociaux, s’est faite par le service public et la sécurité sociale. On pourrait même soutenir que ces deux éléments sont autant constitutifs de la République en France que le type d’éducation publique et obligatoire. Or, tous les gouvernements, sauf ceux de la seconde législature socialiste (celle de 1988-1993), ont poursuivi dans la même direction : privatiser y compris les infrastructures ferroviaires et autoroutières – ce qui va de pair d’ailleurs avec les constantes réformes de l’éducation nationale. L’opinion et tout un chacun ne peuvent comprendre que les impôts et charges, en tenant compte de la fiscalité locale, ne baissent pas malgré des discours et des promesses qui dès leur époque (la campagne présidentielle de 2002) parurent d’ailleurs démagogiques, y compris aux ministres des Finances chargés de les appliquer (dires du moment de Francis Mer et son apostrophe aux « politiques » après qu’il ait été évincé [13]), tandis que l’endettement augmente et que les prestations diminuent : où passe l’argent ? quel est l’historique de la dette ? Le sujet n’est pas abordé selon ces interrogations communes, les débats budgétaires ne le traitent pas. Les campagnes électorales depuis 1995 ne l’ont pas mis en évidence : les votations populaires essentielles ne sont donc pas en connaissance de cause. La pression des prélèvements obligatoires est aussi vive que la conscience de ce que chacun, et ses descendants, a à payer pour la dette nationale. Les chiffres sont donnés, ils varient ; les remèdes sont toujours les mêmes, diminuer l’Etat.

En revanche, l’opinion et tout un chacun comprennent parfaitement que la croissance macro-économique signifie des hausses en bourse mais pas du tout l’emploi [14], que les fusions d’entreprises et particulièrement les rachats par l’étranger (dernièrement Péchiney ou Salomon ou les Chantiers de l’Atlantique, et surtout les mouvements visant Danone et auxquels répond seulement un appel au patriotisme économique) sont des pertes d’actifs français parfois centenaires ou presque, que le capitalisme n’est pas le pluralisme et la concurrence mais l’évolution vers des monopoles et la consommation forcée. Il n’est plus possible de faire de l’économie politique vulgarisée aux Français ; vingt ans de chômage, dix ans de discussions sur les régimes sociaux ont convaincu que le bien-être humain, la dignité humaine ne sont pas les fins de la machine économique telle qu’elle fonctionne et telle que les gouvernements successifs la font accepter ; le prétendre est théoriser ou mentir, ce n’est pas observer. La distance de plus en plus grande des Français vis-à-vis de leurs politiciens n’est plus affaire des mœurs de ceux-ci, des cumuls de mandats ou des cas de corruption (heureusement rares) ; elle n’est plus un reproche qu’ils ne soient pas à leur disposition, le système des interventions et la pétition des élus d’être « gens de terrain » abaissent autant les électeurs que les représentants ; elle est simplement mais durement le reproche que la politique ne soit plus une prise de responsabilité des événements et des évolutions. La politique n’influe plus et l’Etat, censément son instrument, est démantelé d’année en année, de mois en mois, de semaine en semaine. Bien évidemment, le discours selon lequel un dépérisement total de l’Etat (paradoxal emprunt aux thèses communistes) et une liberté totale donnée aux entrepreneurs assureraient enfin la perfection des jeux économiques et sociaux faisant automatiquement le bonheur de tous, et notamment l’emploi de chacun, ne peut prendre que s’il est soutenu par des thèses sécuritaires et outrancières : dans chacun des partis, y compris de gauche, cette combinaison a ses chantres. Il est couramment compris que les plans de lutte contre le chômage et autres batailles pour gagner l’emploi, mobilisent du texte, inventent, font et défont des procédures, taxent et détaxent, mais que la réalité dépend d’une conjoncture à laquelle chaque gouvernement national contribue peu par lui-même [15] et de décisions de groupes supranationaux ; les embauches étant depuis des décennies davantage le fait des entreprises petites ou moyennes, ce qui, hors le contexte local, fait moins l’affiche et forme moins l’opinion courante que les fermetures ou délocalisations de grands sites traditionnels ou emblématiques.

L’évocation d’un « modèle social français » est revenue, soudainement, à la suite du referendum de Mai 2005. Curieusement, le Président de la République avait fait campagne pour le quinquennat sur le thème de la « démocratie sociale ». Il y a apparemment une continuité, alors que les occasions – constitutionnelle, puis européenne – étaient fort différentes : écho de la « fracture sociale » diagnostiquée pour le printemps de 1995. Mais il y a confusion de débats. Avancer le « modèle social français » est reçu comme une validation de la revendication du maintien des acquis, ce qui produit aussitôt la déception, car toutes les grandes discussions – les gouvernements depuis 2002 ont refusé le mot, le concept et la pratique de la négociation – sur les institutions économiques et sociales : réforme des régimes sociaux tous en crise financière, refonte périodioque du droit du travail notamment à propos de l’embauche et du licenciement, montrent au contraire qu’aucun acquis n’est considéré en tant que tel, que tout est soumis à réévaluation, changement et en fait que beaucoup est menacé de suppression, qu’en tout cas l’ensemble du système se corrode. Sans qu’une solution de remplacement soit clairement entrevue. Le rapport humain est foncièrement pernicieux. Au lieu que cette mûe, nécessaire selon les chiffres des déficits et selon l’évolution générale des manières d’être, de faire, de travailler et d’entreprendre, soit discutée entre égaux, elle semble être imaginée et présenter comme un ensemble par deux catégories, inaccessibles au commun : les gouvernants politiques et leurs administrations, le patronat. Ceux-ci ne sont pas contestés dans leur fonction, mais dans leur compétence, car ils n’apportent pas de résultat, que les solutions et les discours ne sont pas nouveaux et que les promesses d’un certain automatisme des bienfaits qu’engendrerait à moyen terme le changement, ne se vérifient pas. En sus, il apparaît, d’une façon souvent spectaculaire que certaines entreprises, certaines personnes sont au contraire extrêmement bénéficiaires, en terme de libertés de mouvement (et de licenciements) et d’émoluments ou gains financiers (les valorisations en bourse, les gratifications des dirigeants, le lien entre les deux avec les stock options). L’effondrement de l’Union soviétique et les changements de génération dans le salariat, l’évolution apparente de celui-ci avec le pullulement d’une appellation abusive de cadres pour ce qui reste des employés totalement dépendants, a fait disparaître une dialectique et des perspectives, d’un ordre quasiment religieux, qui palliaient la rigueur du présent par la perspective qu’à terme les choses se renverseraient et que justice serait rendue.

La hantise du chômage, ou plutôt le vœu de chacun de se tgrouver inséré dans la société et dans l’économie, par le travail rémunéré, sont partagés par les gouvernants consients et informés de l’opinion générale. A l’obsession des gouvernés répond le refrain des gouvernants, mais l’ensemble ne produit qu’un chant à deux voix, déconnecté des évolutions concrètes de la société. Plutôt qu’un « modèle social français », dont les mécanismes de régulation et de négociation ne sont plus pratiqués et sont même mis en cause, au moins par le patronat s’en prenant plus d’ailleurs aux lacunes de l’Etat dans ce jeu qu’à la partie syndicale, il convient de chercher à définir et mettre en œuvre un « modèle de croissance » qui profite d’abord  l’homme [16]. Tout a été dit et proposé sur les moyens publics d’un soutien de la croissance économique [17].  En fait, tout est connu et répété depuis des décennies mais les rapports ne sont ni considérés ni appliqués, au contraire de ce qui se vivait au début de la Cinquième République où ils valaient réorientation de fond [18], la France perd la compétitition : son commerce extérieur de 55% de celui de l’Allemagne tombe maintenant à 45%, il est souvent déficitaire après une tendance à l’excédent pendant une vingtaine d’années ; des voisins considérés longtemps comme moindres font mieux que nous, alors qu’ils sont moins dotés, ainsi l’Espagne avec 3,5% de perspective de croissance et un excédent de quelques 10 milliards d’euros pour le principal de ses régimes sociaux. Les discours sur la baisse des impôts prétendent répondre à cette interrogation banale mais vêcue : la sensation, la réalité de payer toujours plus pour des prestations qui se réduisent, une sécurité moins durable, un service public qui disparaît [19]. Ni l’entreprise, ni le pouvoir politique ne semblent plus crédibles ; comme ils sont aujourd’hui en générateurs d’injustices, ils paraissent de moins en moins légitimes. L’apathie constaté – notamment à l’occasion du mouvement de Novembre-Décembre 1995 – dans le « secteur privé » tiendrait à la peur des salariés de perdre le peu qu’ils ont encore. La grève n’aurait plus son ressort ni la révolte son débouché, parce que plus rien ne serait possible. La mondialisation veut en fait dire, pour le grand nombre, la fermeture de touye espérance. Entendre répéter qu’elle ait une chance sonne dérisoirement. Se manifestent, dans une sensation vive de gratuité chez les acteurs, d’absurdité et d’incompréhensibilité chez les spectateurs, le reste de la communauté nationale, ceux qui n’ont rien à perdre, qui n’envisagent rien, qui voient la société telle qu’elle est, proche du néant, sans finalité, sans productivité en termes de dignité et de bonheur. L’époque française, en sus, n’a plus même l’exutoire de compter des maîtres à penser, des autorités morales analysant la civilisation en cours et identifiant les issues et les voies d’un certain salut. La peur engendre une critique radicale de la société, elle ne peut inspirer une reconstruction.

Il est à craindre aussi que les diagnostics soient mal posés. La France est en cours de fractionnement, et non plus d’harmonisation et d’unification, comme les générations précédentes l’avaient cru et même vêcu [20]. Et comme les politiques, dans leur mimétisme entre gauche et droite, pour la conduite sociale et économique du pays, persistent à le croire, et à tenter de le faire vivre à leurs électeurs. L’absence d’alternative est révoltante socialement et stérilisante intellectuellement, or seule l’alternative – elle est le propre de la démocratie, sauf à accepter que la vie d’un peuple ne soit que plébiscite sans sanction pour les dirigeants – correspond aujourd’hui à l’état de perplexité du pays et aux inégalités qui le divisent ; il y a matière à dialogue et à échange sur les remèdes, la bonne foi peut se présumer. Mais y at-il dialogue, y a-t-il alternative quand le système politique semble fermé, y compris au désaveu que marquent soit l’abstention massive, soit un vote négatif ? Le lien entre le social et politique dans les circonstances que nous traversons, n’est plus vivant et organique ; c’est un blocage, ce peut devenir un heurt. La responsabilité est donc celle des politiques, l’incantation n’est qu’une solution de façade, elle n’est ni constructive d’une réflexion sur les moyens à mettre en œuvre, ni participative ; elle empêche le diagnostic mais elle n’est pas nouvelle : Paul Reynaud, je crois au miracle, parce que je crois en la France… Il en est un qui dépend de nous, immédiatement, en cette période – déjà – de campagne présidentielle : un rapport nouveau entre la politique et les citoyens [21]. Mais tout semble à refaire, est-ce aussi une incantation ? [22]

Le Président de la République en a appelé au peuple à deux reprises, solennellement : la dissolution de l’Assemblée nationale en 1997, la mise au referendum d’un texte que beaucoup de nos partenaires dans l’Union ratifient par la seule voie parlementaire. Le fait est qu’il a mal anticipé les réponses, sauf à le croire suicidaire, mais il a surtout – par le parti qu’il a pris à l’issue de chacune de ces consultations de se maintenir –, cassé le ressort essentiel des institutions de la Cinquième République : la responsabilité du Président de la République devant le peuple que sanctionne une démission en cas de vote négatif. Dans les deux cas, il n’y a pas eu d’argumentation publique pour que Jacques Chirac se maintienne à l’Elysée, sinon au pouvoir [23]. Le parallèle avec les deux premières « cohabitations » subies par François Mitterrand ne vaut pas pour deux raisons,. La première : le changement de majorité parlementaire est survenu sans dissolution, donc sans engaement ni initiative du Président de la République, la seconde est plus contestable mais elle a sa légitimité, qui était de maintenir les acquis des deux législatures de gauche, largement de moindre durée (dix ans au total) que la durée au pouvoir des majorités de droite (vingt-cinq ans en 1993). La troisième cohabitation ne se justifiait ni par des échéances européennes que seul le Président de la République eût pu garantir puisque Lionel Jospin a accepté en l’état le traité d’Amsterdam et les critères monétaires et financiers dits de Maastricht, ni par une défense des institutions que la gauche de 1997 ne contestait pas ; au contraire, cette cohabitation a fait la collusion des deux premiers personnages de l’Etat contre un des derniers éléments de résistance de nos insitutions au délitement ambiant provoqué par l’irresponsabilité constitutionnelle du Président de la République : la durée du mandat de celui-ci [24].

La réduction de la durée du mandat présidentiel était inscrite au programme commun de la gauche dès 1971 ; Georges Pompidou l’a faite sienne pour des raisons d’opportunité personnelle, sa santé dont il espérait qu’elle lui permettrait encore une campagne présidentielle à tenir dès 1974 au lieu de 1976, car il jugeait possible de s’appliquer la réforme à lui-même et en tout cas de pouvoir se représenter sans démissionner au préalable [25]. Jacques Chirac l’a accepté des socialistes au prétexte public que les institutions n’étaient plus contestées par personne et que la durée du mandat était indifférente, sauf à rapprocher le pouvoir du peuple en le consultant plus fréquemment. Tout avait été dit contre ces arguments en 1973, je les ai personnellement récrits au Président régnant et aux parlementaires de son bord en 2000 : en vain. Le résultat ne s’est pas fait attendre. La course à l’Elysée a commencé dès les revers de la majorité en 2004, elle pollue toute la politique française, la conduite et la cohésion gouvernementales [26], la confection d’un programme alternatif à gauche, depuis l’accident de santé du Président de la République et son hospitalisation [27]. Que celui-ci vienne à démissionner s’il décline trop physiquement, et l’on vérifierait ce que le bon sens faisait prédire lors du débat sur le quinquennat : les mandats législatif et présidentiel ne coincident pas nécessairement ; même en instaurant un régime présidentiel, sauf à prévoir aussi une vice-présidence achevant le mandat du défunt ou du démissionnaire. Persister à vouloir cette concomitance, serait réviser fondamentalement la Constitution de 1958 et entrer dans un tout nouveau régime politique, alors que l’actuel est le dernier repère, à peu près consensuel. Responsable de la réforme du quinquennat à laquelle il lui était très aisé de s’opposer, et qui ne lui a en rien facilité sa réélection de 2002 – celle-ci n’est dûe qu’à l’effacement de Lionel Jospin au profit de Jean-Marie Le Pen, qui le contesterait ? – Jacques Chirac a cependant chez l’ancien Premier ministre son émule pour ne pas comprendre notre Constitution [28]. Lionel Jospin fait de la cohabitation qui ne l’a pas satisfait, et qui ne l’a pas non plus servi – il n’a pourtant pas été empêché de gouverner par le Président demeuré en place, ce qui n’avait pas été le lot de Jacques Chirac sous François Mitterrand – l’argument pour changer nos institutions, faute qu’elle produise l’unité dans l’exécutif et entre l’exécutif et le législatif [29]. François Mitterrand, qui considérait qu’il n’aurait rétrospectivement réussi que le jour ou un autre socialiste que lui sera élu président de la République [30], avait dès avant les législatives de 1973 renoncé à attaquer son compétiteur (alors Georges Pompidou) sur le terrain des institutions et se garda de les réviser tant qu’il fut à l’Elysée. En revanche, Lionel Jospin voit juste quand il analyse l’exercice du pouvoir présidentiel actuellement par son irresponsabilité. Mais celle-ci est le fait des hommes, et même le sien. Comme la gauche, face à Alexandre Millerand, le fit après les élections de 1924 – triomphale pour le Cartel des gauches – les socialistes qu’il conduisait, auraient pu refuser de former quelque gouvernement que ce soit sous sa signature ; la dissolution manquée aurait trouvé sa sanction, elle appartenait aux hommes, aux acteurs politiques, elle n’était pas affaire de texte. Mais il est vrai que nos institutions n’ont leur efficacité – leur légitimité – que si le Président de la République est responsable politiquement, donc sanctionnable. C’est l’originalité de notre régime ni tout à fait présidentiel, ni tout à fait parlementaire, c’est son ressort. Il est aujourd’hui cassé.

L’irresponsabilité implicite du Président de la République, selon la lecture que fait Jacques Chirac de nos institutions, semble – comme l’instauration du quinquennat – une convenance personnelle. Elle rend du coup exhorbitantes les prérogatives attachées à sa fonction, qu’il faut désormais protéger ! En  cent cinquante ans de régime républicain, il n’avait pas été nécessaire d’établir, hors les procédures, éminemment politiques, de la Haute Cour, le statut pénal du Chef de l’Etat. Ce devint urgent soudainement. Mais surtout cette irresponsabilité prive nos institutions de leur efficacité, parce que celles-ci n’ont plus leur ressort : la responsabilité devant le peuple appelle en effet la participation populaire et donne à l’électeur le sens de sa propre responsabilité. L’invocation des valeurs républicaines, tellement répétée depuis précisément qu’elles ne sont plus pratiquées, n’a plus de sens, elle n’a pas de prise puisqu’il n’y a pas d’exemple visible qu’elle rende compte d’un comportement d’Etat. Invocation servie à propos des thèses du Front national, invocation à propos des désordres dans les banlieues.

L’invocation sans la définition du contenu : ainsi du modèle social français. Déjà, les promesses électorales ne sont pas tenues, ce qui dévalue le discours politique, voici que les vertus elles-mêmes ne sont plus que des mots. L’indéfinition sur les sujets essentiels ou plutôt sur ceux proclamés emblématiques. Car la République littéralement, c’est le bien commun, et en ce sens les institutions – quelle que soit la forme du régime – sont toujours référencées à elle. Quant au modèle social français, il s’approche précisément de ce bien : il est le fruit d’une histoire et d’une succession de consensus, de négociations, de contraintes, d’accords ayant produit des institutions économiques et sociales, des pratiques que d’une certaine manière on pourrait codifier, ce serait le code de la participation. Il remonterait aux années de la Libération. La République n’était pas à nouveau à proclamer, mais après les conquêtes du Front populaire qui fut davantage celles du salariat qu’une initiative gouvernementale, et les innovations de Vichy, il y avait effectivement à instituer tout le reste, ce qui fut. Or, la sensation si répandue aujourd’hui d’illégitimité du pouvoir politique actuel tient, pas seulement ou pas tellement à la manière dont est pratiquée la Constitution, mais à cette action continue de corrosion des institutions économiques et sociales. Seul, le patronat – changeant d’ailleurs significativement son nom et son sigle – a eu le courage de libeller sa pétition, en quoi il est bien un « mouvement », ce qui l’apparente à un parti (ne prêta-t-on pas au premier président du MEDEF un profil de « présidentiable » ?), dont d’anciens ministres, précisément de l’Economie et Finances, n’auraient pas répugné à recevoir la présidence. Seul aussi, il présente la vraie problématique qui réside dans le rapport à établir ou pas entre l’Etat et la question sociale [31]: c’est cette question qui fait clivage, et y répondre conduit à diminuer ou à renforcer l’Etat, non comme administrateur mais comme arbitre et garant. La « refondation sociale » ne peut cependant aboutir, malgré le succès de certaines négociations, telles pour l’UNEDIC en 2005, malgré le passage en force et une relative tolérance de l’opinion pour la réforme des régimes de retraite (et l’alignement du public sur le privé) ou de la sécurité sociale en 2003 et en 2004. Pourquoi ? parce qu’elle ne s’inscrit pas dans un renouveau politique, seul capable de la pousser à fond et en termes de consensus comme ce fut le cas il y a soixante ans. A la précarité des équilibres comptables s’ajoute l’éphémère de réformes fondamentales, donc à portée politique, trop nombreuses à être proposées, trop peu nombreuses à être vraiment appliquées, presque toutes perdues de vue dans les faits en peu d’années. Il est d’ailleurs observable que le principal fauteur d’instabilité est devenu le Président de la République qui, quand il dispose d’une majorité au Parlement, change bien plus souvent le gouvernement, que s’il était contraint par la « cohabitation » à respecter la lettre de l’article 8 de la Constitution, lequel lui donne la nomination du Premier ministre, mais pas le pouvoir de le remercier. En neuf ans, neuf ministres des Finances, en trois ans, trois ministres des Affaires étrangères. Bien davantage que sous les IIIème et IVème République où se maintinrent durablement de fortes personnalités, quel que soit le président du Conseil, notamment au Quai d’Orsay.

Car les tenants du pouvoir politique en France sont oublieux de son histoire, et même de la leur propre. Il était sans doute excessif, sous les précédents régimes, d’invoquer « les grands ancêtres », mais depuis 1995, la mémoire collective est travaillée en deux sens apparemment contraires. Une relecture a été entreprise du passé national dans ce qu’il aurait de honteux [32]: curieusement, la condamnation de Vichy qui du général de Gaulle à François Mitterrand compris s’était faite et pratiquée par rapport à la continuité d’un régime républicain exemplaire dans son fond même s’il était à réformer dans ses formes, est aujourd’hui ressassée dans les termes mêmes où ce régime dit de fait condamnait ce qu’il avait renversé, termes de responsabilité collective et culpabilisation nationale [33]. Sans véritable écoute de ce qu’interprètent les Etats successeurs de nos colonies pour se construire un socle historique de légitimité, ni de ce qu’attendent nos concitoyens issues de l’immigration pour que l’histoire soit vraiment commune et donc enseignée selon tous les points de vue, un débat vient de s’instaurer pour évaluer la colonisation [34]. Et le Parlement serait désormais chargé de contribuer à la cohésion spirituelle nationale. Singulier dévoiement de cette institution que la Cinquième République, qui a réussi en tout sa mise en place et à positionner presque tous les rôles, n’est pas parvenu à rendre vraiment vivante. L’élection de l’Assemblée nationale, certes, joue pleinement son rôle, à l’instar du referendum ou du scrutin présidentiel, pour signifier la volonté populaire. Mais hors cela, ni la fonction décisive de contrôle budgétaire, ni celle de mise en cause politique du gouvernement, ne sont véritablement remplies. En est la cause, non le texte constitutionnel, ni la loi électorale (la démonstration fut faite que la représentation proportionnelle pour l’Assemblée nationale de Mars 1986 ne modifia en rien la discipline des groupes parlementaires), mais un défaut typiquement français – analysé avec finesse par Paul Ricoeur [35] – notre incapacité à débattre, quel que soit le thème, quelle que soit l’enceinte. Tout est manichéen pour ce qui est public, tout se négocie pour ce qui ne se voit pas. Ainsi chacun proclame d’autant plus fort ce qu’il accepte de mettre en cause contre d’autres éléments en coulisses. Parce qu’il n’y a pas de consensus sur des points avoués de toutes parts, et parce que le consensus, notamment sur l’adhésion à un régime économique et à une évolution sociale que l’écrasante majorité des Français abhorrent, est inavouable entre la droite et la gauche. C’est aussi ce qui empêche des références à des périodes fondatrices. Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Dominique de Villepin [36] ne se réfèrent pas à de Gaulle ; Jacques Chirac n’invoque plus Georges Pompidou, son créateur, et Jean-Pierre Raffarin était avare d’allusions à Valéry Giscard d’Estaing ; au Parti socialiste, François Mitterrand n’en finit pas d’être soumis à inventaire et ce qui est publié à son propos est censé justifier qu’on ne tire pas la leçon et qu’on n’applique pas la jurisprudence de ce qui est pourtant décisif dans son œuvre politique : l’obtention du pouvoir, puis l’exercice du pouvoir, et plus encore, vis-à-vis des gouvernements ayant précédé les siens, les réformes ou les respects et prises en compte d’acquis. Un sondage [37] le consacre pourtant comme le « meilleur » président de la Cinquième République, ce qui est tout de même oublier de Gaulle [38]. Ainsi, les institutions constitutionnelles, le socle des habitudes économiques et des régimes sociaux, la mémoire historique nationale récente, les précédents-mêmes aux gouvernants actuels ou immédiatement à venir sont tous travestis.

Par initiative ou par lacune des principaux dirigeants politiques, car le Président régnant n’est – c’est étonnant et ne fut jamais la situation d’aucun de ses prédécesseurs – nullement en butte à une critique d’ensemble de ce qui sera peut-être reconnu, après son départ, comme un ensemble idéologique, comble puisque l’homme prétend s’avouer par son comportement, par sa manière, par le contrôle d’une image qui n’a failli – sans doute irréversiblement – que tout récemment : la séquence referendum-accident de santé, et pas du tout par une expression littéraire, par des convictions identifiables et aux traces à suivre dans un parcours et une action politiques de quarante ans. Les critiques de Jacques Chirac s’attachent à son passé, essentiellement en tant que maire de Paris, à ses comportements, à ses décisions de type institutionnel, mais pas à ce pourquoi il a été élu à deux reprises : les politiques voulues ou cautionnées, par lui. Il est vrai que ce déni implicite, par les opposants et même parmi bien des membres de sa majorité, qu’il y ait un fil conducteur dans ces politiques, qui soit autre ou ne soit pas que la personnalité du Présidant régnant, est peut-être une condamnation : des idées, des projets, des propositions peut-être, aux genèses variées et aux applications incertaines, mais un dessein ? Or, le renvoi à sa personnalité n’est pas opérant [39] : Jacques Chirac a su jusqu’à l’effondrement soudain du doublé referendum-hospitalisation, maîtriser et maintenir pendant presque quarante ans l’image d’un homme jeune, disponible, généreux, proche, fidèle en amitié, gourmand de vie, une image de comportement plus que de conviction, mais a priori sympathique, sans cependant que cela lui donne une domination électorale assurée ni une emprise sur l’opinion publique. Le masque, s’il y en a un, n’est jamais tombé. L’explication n’est jamais venue. Dans le rang commun de tous les politiques, sa personne est discutée mais sa politique n’est ni évaluée ni surtout qualifiée ; or, seul cet exercice rendrait compte de la contradiction constante entre une inventivité réelle de propositions et la persistance d’actions ancrant chez nous depuis 1986 l’idéologie libérale pour l’économie et pour la société ; il permettrait peut-être de rendre compte des obstacles qu’affronte toute action de réformes ou d’adaptation et ferait analyser ce que peut être le consentement des Français aux politiques qui ne leur sont pas tant proposées qu’imposées. Le Président sortant refuse d’ailleurs l’ultime moyen qu’il aurait de dominer sa succession, voire de se représenter avec de forts arguments pour motiver les électeurs. Ce moyen serait un compte-rendu de toute une vie politique et la justification des décisions les plus marquantes et que l’Histoire risque donc de discuter sans lui, et à son désavantage [40]. Ce serait aussi une articulation structurée de ses convictions et de ses idées personnelles [41]. François Mitterrand avait pu rebondir à partir de 1992, nonobstant le désastre de sa majorité parlementaire, autant par l’aveu de sa maladie que par celui de son passé, de ses amitiés et du fond de ses convictions.

Paradoxalement, le Président de la République, cherchant depuis 1995 à forcer la mémoire collective de notre histoire contemporaine et à la faire réécrire, refuse que son mandat soit réfléchi historiquement. Comment les Français pourraient-ils s’identifier au parcours de Jacques Chirac ? mais s’ils ne le peuvent pas, ils perdent une partie de leur mémoire historique, puisqu’ils ont voté pour lui et l’ont compté parmi leurs principaux dirigeants. Un combat pour parvenir à la présidence de la République qui semble avoir été mû presque davantage par la haine que par l’ambition, la haine pour Valéry Giscard d’Estaing, soi-disant trop puéril et trop faible de caractère pour gouverner alors même que c’est Jacques Chirac qui causa en bonne part la perte de Jacques Chaban-Delmas lors de la campagne présidentielle de 1974, la haine pour François Mitterrand, à qui schématiquement, quel que soit le résultat électoral, ont été déniés légitimité et compétence pour présider la République et ses gouvernements, même la haine pour Michel Debré coupable de ne pas avoir abandonné sa propre course pour appeler en 1981 à voter pour l’ancien Premier ministre, maire de Paris [42]. Un irrespect profond que d’ailleurs les « gaullistes », les mêmes à quitter de Gaulle pour Pompidou, le passé pour l’avenir en 1968-1969, ont cultivé comme s’ils étaient seuls à décider du bien et du mal en France. Un irrespect que n’eurent ni le Général pour François Mitterrand [43], ni Valéry Giscard d’Estaing pour le même [44], à des moments – électoraux – pourtant décisifs. Justifier ou atténuer cela ? Faire comprendre la tonalité désastreuse des joutes électorales et des insinuations parallèles pendant pendant vingt ans. Des décisions – une fois au pouvoir – aux répercussions immenses : cette sorte de « roque » dès Juin 1995 quand il est expliqué que l’emploi n’est plus la priorité, mais la rigueur budgétaire, génératrice de croissance, donc d’emploi, et ainsi de suite ; la suppression du service « militaire » pour quand flambent les banlieues proposer un « service civique », qui est en fait un aménagement des facilités de formation professionnelle existantes ; une reprise des essais nucléaires à la date d’anniversaire d’Hiroshima, puis leur cessation parce que selon des simulateurs américains nous pourrons les extraposer et d’une certaine manière les continuer (mais désormais sous contrôle américain) ; une tentative dissimulée pour le public de réintégrer l’OTAN (ce à quoi mettra fin le gouvernement de Lionel Jospin [45]) : nous y aurions obtenu à défaut du commandement de Naples celui de la région lyonnaise ! [46] Cela, rien qu’en deux ans de gouvernement Alain Juppé [47] dont la meilleure et plus cruelle analyse, parce que très calme et structurante, est donnée celui qui prend sa relève en 2002 [48].

Depuis 1997, rien pourtant n’a été réparé.

Sans doute, était-il dans la logique de la Cinquième République de faire appel des « événements de Novembre-Décembre » 1995, mais la dissolution fut décidée, plutôt pour le confort gouvernemental, n’avoir pas de scrutin à venir tandis que seraient prises les mesures d’ajustement en vue du passage à l’euro. Le pouvoir pourtant, quel qu’il soit, fut-ce celui du général de Gaulle, ne décide pas ce que les électeurs comprennent – mieux, veulent – d’une consultation. Le scrutin de 1997 et le referendum de 2005 n’ont pas été européens, mais de politique intérieure : le gouvernement sortant, le Président de la République lui-même ont été désavoués. L’Europe et la politique européenne de la France n’y ont d’ailleurs pas gagné. Le traité d’Amsterdam n’a pas été renégocié avant sa signature par la faute des cohabitants qui tenaient, cependant, chacun le bon motif d’une réécriture ; le traité de Nice a été bâclé sous notre présidence ; les débuts de l’euro. et sa longue et forte dévaluation par rapport au dollar qui – en d’autres temps – aurait emporté bien des gouvernements en France et ailleurs, n’ont pas fait leçon, ni chez nous, ni chez nos partenaires. Gaspillage des procédures, des institutions et même de leur dévoiement qu’est la « cohabitation ».

Gaspillage de l’exercice des fonctions gouvernementales. Les recommandations du Premier ministre aux ministres [49], les « séminaires » - qui sont un détournement de nos institutions, de Gaulle ne concevait pas que Michel Debré tienne des réunions de cabinet c’est-à-dire du gouvernement hors sa présidence, et Georges Pompidou, Premier ministre, se garda de continuer –,  les compétences tantôt libres d’exercice, tantôt très surveillées (la gestion de la crise des banlieues, celle du conflit des messageries maritimes corses ou les négociations avec l’investisseur étranger, vg. avec Hewlett-Packard débauchant), les nominations et renvois ne correspondant qu’à des dosages rappelant les Républiques précédentes (Dominique Perben poussé vers la mairie de Lyon, Philippe Douste-Blazy à ménager pour Toulouse contre Dominique Baudis), les projets de chaque futur Premier ministre de réduire le nombre des portefeuilles et de simplifier les intitulés ministériels, sont autant de tâtons. Ils produisent rarement l’impression recherchée, celle d’une équipe à la fois cohérente, compétente, où les personnalités sont respectueuses les unes des autres et où l’autorité du Premier ministre et a fortiori celle du Président de la République sont à la fois existantes mais pas écrasantes. Cette lacune dans le fonctionnement de notre exécutif est chronique, comme s’il fallait un pendant aux jeux de rôles parlementaires. La soumission aux ambiances fait oublier les réels dysfonctionnements ou malaises : ainsi, les réformes en procédure pénale de Pascal Clément ne traitent pas ce qui a provoqué « l’affaire du jugement d’Outreau » ni le mal-être des magistrats et de l’institution judiaire [50]

Gaspillage de notre action diplomatique. L’outil et le ministre, chroniquement, ne sont pas en phase, au moins depuis le remplacement de Claude Cheysson par Roland Dumas, ce dernier n’étant pas accepté par le services ; l’exception étant peut-être donnée par Alain Juppé puis par Hubert Védrine. Mais ou bien le ministre est dominé par ses principaux directeurs (1986 à 1988 ou depuis 2004 semble-t-il) ou bien chacun travaille sans l’autre : Roland Dumas et Dominique de Villepin, le brio empêchant une étude de fonctionnement.
Notre politique extérieure nous le vécûmes avec de Gaulle [51]– peut pourtant maintenir et faire progresser la conscience de l’identité et de l’unité nationales. Ce ne sont plus que les prises d’otages, qui en tiennent lieu. La communication du ministre porte d’ailleurs davantage là-dessus, quoiqu’il n’y soit généralement pour rien, que sur les grands sujets en gestation dans les relations internationale. Un exemple me paraît donné par notre conduite face à la guerre d’Irak. Alors qu’il y avait un fort consensus national, et même et surtout dans l’opinion européenne (à défaut de tous les gouvernements des Etats membres ou sur le point d’entrer dans l’Union), la France a semblé jouer aussi seule que les Etats-Unis – et seulement en tant que gouvernement, et non en tant que peuple en symbiose avec beaucoup de peuples –, puis ensuite n’a plus joué du tout alors que l’adversaire à ce « grand jeu » a au contraire forcé son rôle. Je ne crois pas – pour ma part et en l’absence de toute information qui n’ait été radiodiffusée ou imprimée – que le discours du ministre des Affaires étrangères au Conseil de sécurité des Nations unies, le 14 février 2003, ait été efficace ; de Gaulle et son impeccable ministre  auraient traité tout autrement les choses, ayant un contact permanent et non de passage pour la montre avec les Etats-Unis (les trois-quatre jours de tête-à-tête qu’avait chaque année Maurice Couve de Murville avec Dean Rusk, sans interprète ni preneur de notes ont été décisifs pour la cordialité d’une mésentente, aux thèmes repérés, publiés mais n’empêchant jamais la solidarité, à Cuba en  Octobre 1962, dans la crise du franc en Novembre 1968 notamment [52]). J’ai la conviction, pour avoir suivi minute par minute nos médias audio-visuels, ce qui était à la portée de tous et qui fut le cas de beaucoup de Français, le fameux vendredi après-midi où les plus courageux furent les inspecteurs des Nations unies faisant rapport au Conseil de sécurité, que nous n’aurions pas, mis au pied du mur, opposé notre veto à la guerre en Irak, s’il avait fallu voter [53]. Alors, pourquoi l’avoir évoqué en conférence de presse (20 Janvier 2003) ? au lieu de s’en entretenir dans la discrétion avec un secrétaire d’Etat qui était, dans l’administration Bush, le moins belliciste. Et à supposer que cette manière de dire – sinon de faire – de la France et de son ministre ait marqué les esprits, et ce fut le cas au moins dans la nation arabe, pourquoi alors Dominique de Villepin n’est-il pas demeuré au Quai d’Orsay et n’a-t-il pas ambitionné la durée et donc d’établir une politique étrangère véritable ; en moins de temps et avec bien moins de matière et de prétexte, Michel Jobert s’était fait un nom et une réputation d’inimitable homme de vérité et de sens commun [54]. Une façon de légitimité, telle que François Mitterrand, juste élu président de la République, la reconnut et tint à le recevoir, le premier de tous les politiques, avant même les siens. Dominique de Villepin, a-t-il en allant du Quai d’Orsay à la place Beauvau, préféré la marche vers le pouvoir à une certaine place dans l’histoire ? Le voici Premier ministre sans qu’il se réfère à sa bataille d’Irak parce qu’il lui faut imprimer partout qu’il n’a que l’emploi en tête et en agenda. Car il a manqué la suite logique au discours du Conseil de sécurité, une analyse maintenue de l’illégalité de la guerre d’Irak et de son peu de fruit prévisible, en même temps que des dégâts occasionnés dans toute la région. La synthèse aurait été faite avec le projet de « Grand Moyen Orient » de l’administration Bush, et la volonté de faire se démocratiser les régimes arabes. Le rapprochement aurait été proposé avec ce qui est tenté par l’Union européenne en Afrique ; la question des armes de destruction massive, celle de Libye traitée prestement et hors l’Agence internationale pour l’énergie atomique, celle d’Iran où s’impliquent tant trois des Etats membres de l’Union, serait présentée comme elle doit l’être, c’est-à-dire en regard des capacités militaires conventionnelels et nucléaires d’Israël, dominant à cet égard toute la région. La leçon aurait alors pu être reçue d’une réflexion sur les critères permettant de dénier aux uns et de reconnaître aux autres la possession de l’arme atomique, critère difficile à proposer hors la possession de fait de certains de plus en plus nombreux depuis 1945 ou selon les traités signés, tel celui de non-prolifération mais qui n’ont pas toujours leurs répondants en garantie de sécurité et de développement. Le problème de la communication gouvernementale en politique extérieure est depuis 1995 que le Président de la République a peu l’aisance des conférences de presse urbi et orbi qu’ont eue chacun de ses prédécesseurs selon sa personnalité propre, et qu’il est périlleux que ce soit le ministre des Affaires étrangères qui l’assume, ce dont Dominique de Villepin, mais certainement pas Philippe Douste-Blazy, aurait eu la capacité. Un consensus est resté mort-né, sans impact durable sur la conscience nationale [55]. A l’instar des événements de banlieue cet automne, les éphémérides qui sont cependant des révélateurs, semblent ne pas marquer. La nation fabrique son amnésie, comme si sa personnalité était devenue émolliente : les vieillards, sans mémoire « immédiate ».

Gaspillage plus décisif, les soi-disant consensus au Parlement [56], le Président de la République forçant les siens pour le quinquennat [57] l’été 2000 : résultat, non seulement encore un repère de moins, mais la participation la plus faible à un referendum en France [58], davantage même qu’à propos de la Nouvelle-Calédonie. Il n’a pas été réfléchi que depuis 1981 aucune majorité sortante à l’Assemblée nationale n’a été reconduite, qu’en même temps chaque législature est figée, les débats sont conclus d’avance. Une institution est stérilisée ; or, elle est la seule représentative au jour le jour de l’opinion et du jugement des Français. Recourir à elle comme instrument pour la conscience nationale ou la cohésion spirituelle du pays : le débat sur la colonisation, ou croire qu’un débat parlementaire suffit à éclairer une question difficile : la position française sur la guerre d’Irak, les réformes des grands régimes sociaux, fait bon marché du point de savoir comment combiner la stabilité gouvernementale, la cohérence des propositions législatives avec une possibilité réelle, concrète et quotidienne de contrôler les ministres et leurs entourages, de discuter la recette et la dépense publiques, d’enquêter sur les incidents notoires ou sur ce qu’il y a lieu de préparer à très long terme. Il faut reconnaître qu’une des causes d’illégitimité des politiques actuelles et même de certaines de nos insitutions ne date pas des mandats présidentiels de Jacques Chirac, mais des origines de la Cinquième République ; Michel Debré eut voulu celle-ci plus carrément parlementaire, ce fut pourtant lui qui inspira au général de Gaulle et à Georges Pompidou, Premier ministre, le recours à la procédure des ordonnances en Mai 1967 pour une première réforme de la Sécurité sociale, qui conseilla, à Georges Pompidou, devenu Président de la République, la ratification par referendum du traité d’adhésion de la Grande-Bretagne au Marché commun. Les Français ne mettent pas à cause le mode de recrutement de leurs représentants – dont beaucoup sont cooptés par les appareils des partis ou « héritent » littéralement d’une circonscription (ainsi Alain Juppé de Jacques Chaban-Delmas à Bordeaux, Laurent Fabius de Tony Larue [59] à Grand-Quevilly, Martine Aubry de Pierre Mauroy à Lille, Nicolas Sarkozy à Neuilly par un premier mariage) quand l’élection ne constitue pas une compensation de carrière (Benoît Hamon, arrivé du « cabinet » de Lionel Jospin, premier secrétaire du Parti socialiste, battu à Auray ou Jacques Toubon perdant son portefeuille ministériel et n’obtenant pas a mairie de Paris sont chacun, et d’autres, telle Roselyne Bachelot, placés sur une des listes européennes) ; ils plébiscitent même les grands partis en écartant les « indépendants » et le temps n’est plus à l’antiparlementarisme, tout simplement parce que Ces princes qui nous gouvernent [60] ne sont plus au Palais-Bourbon. Le système n’est d’ailleurs déshonorant pour personne et montre que les fonctions de représentation, de discussion et de contrôle ne requièrent pas les mêmes qualités et talents que celles de ministres. Tel excellent gouvernant est en mal de se faire élire : Pierre Mendès France, Maurice Couve de Murville, Jean-Marcel Jeanneney, Edgar Pisani, par exemple, plus souvent battus qu’élus. Ce qui montre aussi que la séparation pas seulement des fonctions mais des carrières est nécessaire : ce qu’a tendu à instituer autant que possible la Constitution de 1958, mais cet esprit a été perdu de vue comme presque tout ce qui faisait l’essence du régime. Reste que le Parlement n’est plus discuté, que gouvernants et gouvernés sont au moins d’accord pour qu’il joue un plus grand rôle ; l’institution est donc une réserve de légitimité s’il est enfin trouvé comment la faire vivre pleinement. On le constate chaque fois qu’un sujet est libéré de vouloir gouvernemental et laissé à l’appréciation et au travail des parlementaires ; or, le plus souvent il s’agit de sujets d’avenir, la communication virtuelle, l’éthique, les sectes, la qualification de la famille, par exemple.

Gaspillage du deuxième tour de l’élection présidentielle de 2002 qui imposait une stratégie contre le blocage de notre société et peut-être de nos institutions par le Front national : une politique de vrai rassemblement sur quelques points communément prônés par l’ensemble des partis démocratiques, nonobstant le triomphe d’une majorité censément « chiraquienne » six semaines après. Jacques Chirac est coutumier de cette contrainte des électeurs ; régulièrement bien moins prisé au premier tour des scrutins présidentiels que ses prédécesseurs, il l’emporte en coalition dont les éléments divers sont presque de poids équivalents, mais la pétition des distancés et des perdants est chaque fois oubliée .

Gaspillage enfin des deux éléments qui réunis font une renaissance économique et donc un équilibre social. La France depuis les deux chocs pétroliers a connu des phases durables de croissance macro-économique, pour la plupart aux causes exogènes [61]; il y a même eu une « cagnotte » budgétaire [62]. La réforme des régimes sociaux – retraites, assurance-maladie, et à présent indemnisation du chômage et formation professionnelle – a montré qu’au-delà d’une résignation contrainte mais certaine, il y avait une compréhension des Français pour un partage des sacrifices et des imaginations. Ces chances, tous les pays et tous les gouvernements ne les rencontrent pas. Au lieu que le débat soit clair sur le rôle de l’Etat, répartiteur des ressources et donc responsable de l’égalité des chances et de la dignité entre Français et même, tous habitants de France, toutes les politiques ont tendu  à l’obscurcir. Le transfert des charges et des missions de l’Etat aux collectivités locales – des transports de masse à la poste et aux gestions de nombreux personnels – est imposé, ce n’est pas le champ ouvert à des autonomies libérant des énergies, comme il est répété. Presque plus aucune politique n’est avouée, la plupart sont dissimulées [63]. Le vote protestataire semble ainsi appelé par les gouvernants.

C’est qu’en vérité le régime cesse peu à peu d’être légitime.

La légitimité est le mot-clef des époques difficiles. Un gouvernement légal peut être illégitime, une autorité illégale peut être légitime. La légitimité de l’autorité sociale est, en effet, une qualité faite de plusieurs éléments : le respect de la loi et du droit, l’adhésion populaire, la conformité de son action avec l’intérêt et l’honneur de la nation. Que nos princes daignent observer à quel bas niveau ils ont laissé tomber la République ! [64]

Mais l’opposition n’est pas en reste de gaspillage. L’opinion juge durement le Parti socialiste à la veille de son congrès du Mans. Plus sérieusement que l’image de simple lutte pour la candidature à la prochaine élection présidentielle, ce qui peut être reproché se résume à deux points : le Parti socialiste, dominant à tous égards les partis et mouvements de gauche, ne contribue ni à préparer par une discussion thématique avec ses partenaires et avec toute la « société civile » une alternative de programme de gouvernement, ni, au jour le jour, à répondre en termes techniques, approfondis et travaillés aux initiatives ou aux lacunes du gouvernement en place. La complexité de l’organigramme, c’est-à-dire de la distribution, des responsabilités dans l’équipe dirigeante n’aboutit pas pour autant au « cabinet fantôme » à l’anglaise, ni à des prises de paroles, autres que des jeux de mots ou des assauts d’ironie. La seule alternative qui est préparée et écrite à gauche, est malheureusement une « Constitution de la VIème République » [65].

Sans doute, le pays, malgré les deux formes d’illégitimité qui le rongent : le fonctionnement de nos institutions constitutionnelles tandis que se délabrent nos institutions économiques et sociales, le doute sur lui-même et sur les composants humains et spirituels de la nation, surmonte-t-il convenablement des épreuves factuelles comme la recrusdescence spectaculaire, pendant deux semaines, des désordres et affrontements en banlieue. Mais la grandiloquence d’avoir mis en œuvre l’état d’urgence, version guerre d’Algérie, fait s’interroger sur ce que nous ferions ou aurions fait face à des défis comme ceux qu’ont connu ou connaissent l’Espagne face à l’ETA et aux sécessionnistes basques ou la Grande-Bretagne dans la question d’Irlande. Serions-nous restés une démocratie comme ces grands voisins ? les libertés publiques, les délais de garde à vue, l’assistance par avocat déjà en débat selon les projets de l’actuel Garde des Sceaux, n’auraient-ils pas dans des circonstances de cette ampleur connu un complet bouleversement de ce qui les a établis chez nous ? Les attentats en Corse et les pétitions indépendantistes, qui pourraient être de cet ordre, ne le sont jamais devenus. Le risque étant plutôt que les continentaux se désintéressent des insulaires. Ainsi, nos crises sont-elles dans leur fond très différentes de leurs apparences attentatoires à l’ordre public. Nous sommes plus intangibles que nous croyons. Notre mal-être est éruptif, il n’engendre – malheureusement pas ? – des cycles de mûe et de reprise, aux grandes exceptions de 1870-1871, de 1940-1944 et de 1958. Précisément, nous ne réagissons que complètement abattus.



*
*    *





Quels remèdes ? puisqu’il ne faut pas souhaiter le désastre ni l’aventure, que le pays est précisément solide parce qu’il est réaliste comme il ne l’a peut-être jamais été autant de mémoire d’homme [66]. Mais les Français ont conscience que l’époque est nouvelle pour un peuple comme le nôtre. La question est donc celle des voies et moyens, la référence – qui fait leur légitimité – étant le bien commun, qui davantage encore que des projets, peut nous unir. La légitimité n’est pas une fin, mais un moyen, parce que rien ne peut efficacement se faire sans adhésion, consentement, participation : la légitimité les suscite, qu’elle disparaissse et l’on ne défend plus que des formes ; tout devient alors fragile et les suites sont imprévisibles. 

En approcher quelques-uns, fait énumérer les points de crise. 



réinventer la solution commune européenne. Lors du débat sur l’entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun, Pierre Mendès France faisait remarquer que presque toujours depuis l’entrée en vigueur des deux traités fondateurs de Paris et de Rome, en 1951 et 1957, les recommandations de la Commission se trouvaient coincider avec les intérêts nationaux de la France. Il n’en est plus ainsi depuis le début des années 1980. L’histoire est à écrire de l’installation dans les esprits d’une idéologie dominante : le tout-libéralisme économique ; il est manifestement véhiculé par les décisions de l’Union européenne, mais celles-ci ne sont pas le fait de la seule Commission. La Commission a l’initiative et elle exécute, mais les décisions sont celles du Conseil, le plus souvent depuis les derniers traités en partenariat avec le Parlement européen. C’est cette dernière institution qui est le refuge d’une conscience sociale et indépendantiste européenne, malgré une composition donnant le maximum d’ambiance à la droite. La droite, en France comme en Europe, n’est plus, comme il y a encore peu, conservatrice ; elle est très souvent destructrice car elle obéit, à croire que c’est mécaniquement, à des logiques qu’elle n’a pas inventée et dont elle feint d’ignorer les aboutissements ; elle ne fonde pas.
Il est souvent prétendu qu’il n’existe pas de « modèle social européen » [67], tant les politiques suivies en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Italie semblent diverger. Ce sont les gouvernements, qui, comme en France, agissent à l’encontre du vœu commun, ce ne sont pas les opinions qui divergent. L’accord à refaire entre Européens n’est pas qu’institutionnel – quoique la démocratie, avec ses corollaires de contrôle, de transparence et de lisibilité en dépende – il est politique et social. Il n’est plus comme antan de parvenir à se définir vis-à-vis des Etats-Unis, ou maintenant de la « mondialisation » (n’est-ce pas l’Europe qui au XIXème siècle a été de fait, commercialement et colonialement, mondialiste ? imposant valeurs, manières de voir, de vivre, de consommer). L’accord à trouver portera sur l’organisation sociale, sur la cohésion territoriale, sur tout ce que recouvrent le concept de développement durable et surtout sa pratique (rare, hors les mots, comme le montre le peu de loyauté avec laquelle la loi sur les nouvelles régulations économiques est appliquée par les grandes entreprises en France [68]). Mais cet accord est introuvable et informulable si chacun des Etats membres n’a pas défini, chez lui et pour ses administrés, son modèle, c’est-à-dire son identité à tous égards, ou plus simplement ce qu’il veut et qui lui convient.
Il est répété – les vœux présidentiels pour 2006 – que nous avons à ambitionner de rester nous-mêmes, mais qui sommes-nous ? que sommes-nous devenus ? L’incantation européenne ou mondialiste n’a pas de sens si la réalité du stade auquel est arrivé l’entreprise d’unification européenne ou vers laquelle tend le processus dit mondialiste, n’est pas vue telle qu’elle est, et non telle qu’on l’interprète ou voudrait qu’elle soit. Le point fort de toutes les pétitions depuis les années 1950 pour que l’Europe soit celle des Etats et des nations, était qu’elles revenaient à affirmer qu’on ne peut rien contre les réalités. Mais quelle est la réalité de l’Etat, de la nation aujourd’hui ? Si l’Europe est en panne, si elle n’entraine plus que vicieusement – au lieu des cercles vertueux d’autrefois – c’est bien que les entités composantes sont devenues émolliantes, dubitatives d’elles-mêmes.
Les consultations sur le projet de Constitution européenne tournent à la contestation des évolutions sociales et économiques nationales, que celles-ci soient dirigées ou non avec l’alibi de directives européennes. C’est donc par l’économique et le social qu’on pourra reprendre le chantier constitutionnel ; le texte à venir sera le fruit d’un consensus sur le type de société et d’économie que veulent les Européens, et non la matrice d’un futur indéterminé.



anticiper l’élection présidentielle est tentant mais c’est un faux fuyant qui suppose en sus que le Président régnant s’y prête. Jacques Chirac ne peut accréditer une nouvelle candidature que si le passé est justifié, le présent expliqué et l’avenir éclairé – chacun d’une tout autre manière que selon les discours qui ont prévalu depuis 1995. L’image, y compris celle d’une énergie propre à revendre, est aujourd’hui abîmée ; elle ne reflète plus des espérances, ce qui est certainement la responsabilité pas seulement personnelle du Chef de l’Etat, mais de toute une génération. Un fort consensus sur notre fonctionnement économique et social, sur nos institutions, sur les mœurs démocratiques a été défait ces années-ci ; le second tour de l’élection de 2002 a été tragiquement artificiel dans un sens puisqu’il contraignait 65% des électeurs à rallier une minorité de 35% (les électorats de Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen au premier tour), mais il a eu sa vérité [69]. Le consensus qu’il a forcé autour du Président sortant sur qui si peu de voix s’étaient portées par priorité, n’a été reflété ni dans la formation du nouveau gouvernement ni dans les politiques que celui-ci a mis en œuvre : ce ne fut que l’image du score si réduit de Jacques Chirac au premier tour [70]. L’élection présidentielle n’est donc pas un remède par elle-même. Elle doit être précédée d’un éclaircissement des fondements de notre vie politique et des actions gouvernementales. Au stade où nous en sommes, à seize mois de l’échéance constitutionnelle, les candidatures à la candidature ne présagent aucun programme et ne provoquent que des débats de personnes. Il n’y a pas de pacte sans entente sur les termes [71].



réviser la Constitution ne serait politiquement possible que s’il en était débattu en campagne présidentielle.
Le vrai débat est de revenir à l’esprit et la pratique originels de la Cinquième République, et donc d’en finir avec les diverses déviations enregistrées et devenues jurisprudences depuis vingt-cinq ans. Le Président de la République n’a les prérogatives que lui donne la Constitution qu’à condition d’accepter sa mise en cause devant le peuple à chaque scrutin, de quelque nature qu’il soit, et même de la provoquer. De Gaulle ne put mener les politiques de reconstruction qu’il anima de 1958 à 1969, qu’ainsi. Ne sont plus acceptables les « cohabitations », les dissolutions irresponsables, les referendums n’engageant personne. De ce changement, de ce retour aux origines, toute une génération est responsable dans les partis, dans les medias, autant qu’au Parlement et au gouvernement. Ce n’est donc pas d’un changement de texte qu’il doit s’agir, mais d’un nouvel état d’esprit de l’ensemble des politiques ; que les fondements originels de la Cinquième République aient été à ce point perdus de vue que si le Chef de l’Etat en place ni les opposants n’en fassent plus jamais le rappel, montre qu’en fait le legs du général de Gaulle et notre Constitution n’ont pas été vraiment acceptés, sinon par le peuple, qui continue de croire tellement à la responsabilité présidentielle qu’il tient à l’élire et qu’il sait lui répondre par abstention ou par refus.
Il faut d’ailleurs remarquer que l’élection présidentielle, considérée parfois comme écrasante et même comme « polluant » les institutions [72], n’est pas ce qui fonde l’importance des prérogatives présidentielle. De Gaulle n’institua le suffrage universel direct que pour donner à ses successeurs l’ « équation personnelle » et la légitimité nécessaires à leur exercice ; il n’avait nullement en vue sa propre réélection considérant sa propre légitimité indépendante du suffrage [73]; la réforme de l’automne de 1962 ne transforme nullement les institutions de 1958 [74] a pour but unique de maintenir, après l’homme du 18 Juin, les institutions telles qu’elles fonctionnent depuis quatre ans déjà : or, elles fonctionnent essentiellement par le referendum. Leur fondement est bien la mise en jeu par le Président régnant de sa responsabilité devant le peuple.
Cet esprit retrouvé se marquerait par :
. un rôle du Parlement qui soit digne non d’une chambre d’enregistrement [75], mais d’une représentation que les Français, c’est assez nouveau, ne discutent plus dans ses modalités. Cela suppose le vote de conscience de la part des parlementaires, quitte à ce que la question de la discipline de vote sur des sujets que le gouvernement considère comme décisifs pour sa tâche, soit débattue en groupe parlementaire des partis constituant la majorité, et que le vote, puisqu’interne, soit libre. Les motions de censure et scrutin de confiance à l’Assemblée nationale n’étant que formels. Et de la part du gouvernement, cela suppose de ne plus ravaler la loi à de « l’affichage » - ce que déplorent tour à tour le secrétaire général du gouvernement [76], le président du Conseil constitutionnel et le président de l’Assemblée nationale [77] - et de ne plus faire du Palais-Bourbon le théâtre de débats de forme sur les sujets dont il faut paraître qu’on a soif de les approfondir à l’écoute de tous ; le gouvernement et l’opposition ensemble ont à faire pour que cesse le jeu de rôles et commence le travail ;  
. une exception d’inconstitutionnalité de la loi ou du règlement invoqué,  soulevable par tout justiciable devant toute juridiction, comme aux Etats-Unis, comme réclamé en doctrine et par bien des associations depuis trente ans chez nous. Sinon à quoi bon ? tous les rajouts dans notre loi fondamentale, des pétitions écologiques à l’abolition de la peine de mort, notamment selon les initiatives du Président ;
. la possibilité d’initiative populaire pour le referendum national  à l’instar de ce qui peut être organisé au niveau municipal, le gouvernement et le Président de la République restant libres de s’engager ou pas dans le débat et donc d’être tenus de démissionner s’ils sont mis en cause ;
. un quorum faute duquel un scrutin est invalide : tous les pays d’Europe centrale et orientale, anciennement soviétisés nous en donnent l’exemple. Il est honteux que la Constitution, dans une disposition fondamentale, la durée du mandat présidentiel, puisse être modifiée par 20% des Français ; tout autant qu’à la sauvette puisse être adopté à l’Assemblée nationale un texte avec la participation physique de seulement une ou deux dizaines de députés [78];
. une procédure de mise en cause en cours de mandat de tout élu, y compris le Président de la République, par un rappel devant les électeurs dans certaines conditions. Là encore les pays de l’Est nous donne l’exemple de la démocratie.



réformer l’Etat est le leit-motiv de tous les gouvernements depuis vingt ans au moins. Tout a été dit – et très bien – sur notre Etat [79], et nous en sosmmes aussi bons juges que l’étranger (celui-ci fasciné plus par le système que par ses performances, variables) ; chaque génération répète les précédentes ; des organigrammes ministériels à la gestion de la fonction publique, aux compétences régaliennes, au secteur public à caractère industriel et commercial, tout a été étudié et les réformes ont toujours été proposées avec réalisme et en connaissance sociologique et financière de cause. A partir de la plate-forme « libérale » de Janvier 1986, cosignées par Valéry Giscard d’Estaing et Jacques Chirac, il a même été imaginé de véritables ruptures, qu’appelaient peut-être les nationalisations de 1982 : l’excès contraire allait à privatiser les chemins de fer, la poste, les communications, même les prisons. Une philosophie dont l’histoire n’a pas encore été écrite, et qui ne saurait être celle de directives européennes ou d’accords mondiaux de désarmement douanier, est alors née, qui s’est imposée, quel que soit le discours d’apparence tenu ou quelles que soient les promesses à fin électorale, à tous les gouvernements depuis Mars 1986, à l’exception du second quinquennat législatif de la gauche. L’écart entre le langage et les faits attestant de décisions, de la part de chacun de ces gouvernements, est l’élément déterminant de délégitimisation des pouvoirs publics actuellement. Pourquoi dans cette ligne ne pas « supprimer » le droit administratif, ne pas considérer que l’existence de deux ordres de juridictions n’est pas forcément convaincant, en matière de libertés publiques et de protection des citoyens ?

L’examen sérieux est de savoir quelle place donner à l’Etat pour la sauvegarde et le progrès du pays, et de ses habitants. Il est probable, qu’au moins parmi ses électeurs de 1997, le vote du premier tour de 2002 a été manqué par Lionel Jospin, dès le début de son gouvernement, quand il a répondu à propos de la fermeture de Vilvorde par Renault qu’il n’avait pas comme Premier ministre un pouvoir d’injonction sur la régie nationale, dirigée qui plus est par l’ancien directeur du cabinet de l’un de ses prédécesseurs socialistes [80]. La question est certainement ce qui produit le plus fort clivage parmi les Français de maintenant, il ne peut y être répondu que selon les 1°, 2° et 3° qui précèdent. Elle ne peut être bien posée et les réponses ne peuvent être bien appliquées que dans la durée et selon la restauration à notre époque d’un véritable esprit public à tous les niveaux de la société. Sans Etat, il n’y a plus de chose publique, et plus de matière à démocratie. Du moins, à l’échelle nationale. On ne peut en tout cas gouverner un peuple contre ses sentiments profonds : l’attachement au service, au pouvoir arbitral de l’Etat, aux choses communes que sont des infrastructures ou de grands outils financés par le contribuable ou l’épargnant, en est certainement un.



nous accepter tels que nous sommes n’est pas envisager notre avenir ou nos difficultés en termes d’une identité menacée, ni continuer les lectures et réinterprétations mortifères de notre passé récent, c’est nous connaître pour ce que nous devenons, notamment du point de vue ethnique, selon notre poids démographique et notre capacité productrice comparées à celles de nos partenaires européens. Ce n’est pas non plus scander à tout propos qu’il nous faut rester nous-mêmes ; en fait, c’est nous poser la question de savoir si nous continuons de changer ou si nous avons cessé de changer [81], et probablement de comprendre que nous nous connaissons mal. La crise des banlieues ainsi qu’après quelques hésitations, il est habituel d’appeler maintenant une séquence d’événements, dont beaucoup dans la plupart des lieux difficiles avaient déjà bien des précédents, montre entre autres choses que les nouveaux apports ethniques chez nous ou ceux qui sont moins favorisés ou dotés, ont un regard plus avisé et perçant sur notre société et sur notre nation, que les Français de vieille souche, récitant des clichés à l’identique depuis plusieurs générations. Ce regard critique, mais pas hostile, simplement étranger, est aussi celui des « fils de famille », gagnés à l’internationalisme par un type de parcours universitaire et par des embauches dans des groupes supranationaux. Les séries sociologiques et démographiques ont en commun de nier la réalité de nos clichés. Une distanciation différente avait été celle des étudiants entrainés dans le mouvement de Mai 1968 ; aucune critique de fond de la société existante, simplement une évasion ailleurs, dans d’autres normes, selon d’autres hiérarchies et échelles de valeurs. Répondre [82]seulement en responsabilisant les familles, en comptant sur l’école et en tâchant qu’un encadrement précoce par l’apprentissage et l’entreprise aient raison de ce que nous prenons, à tort, pour de l’instinct que le désoeuvrement libère pour le pire, ne rencontrera personne et ne fera donc revenir personne dans la société actuelle ou dans la raison que nous voudrions ambiante. Ces comportements sont l’un des révélateurs que ce qui devrait être propriété commune, ne l’est pas, en fait. C’est encore plus vrai mentalement : la crise des banlieues fait éclater un doute sur la capacité nationale à intégrer les nouveaux venus et même des populations installées depuis plusieurs décennies et vivant maintenant à la deuxième génération sur notre sol.
La même erreur, mais si ancienne, est propagée par une partie de notre haute fonction publique et notamment dans l’exercice de notre diplomatie. Paradoxalement, les éléments de confiance en nous-mêmes, qui remontent à la restauration de notre prestige international avec le général de Gaulle, n’inspirent pas pour autant une fidélité aux axes ou aux analyses de celui-ci. Nos exercices sont aujourd’hui déconnectés d’une véritable politique extérieure, ce qui met à nu nos comportements que modélisent sans indulgence nos partenaires. Cessons de nous considérer soit avec supériorité par rapport à presque toutes les autres nationalités, soit avec une quasi-servilité quand nous constatons par ailleurs le gigantisme et la performance en tout des Etats-Unis. Suffisance, absence d’écoute qui nous sont d’autant plus reprochés que nous n’apportons plus beaucoup aux grands débats internationaux  et faisons parfois montre d’une ductilité étonnante. Chacune des vies nationales, sur notre planète a sa grandeur, ses références, son récitatif ; chaque pays a sa cohésion et sa fragilité, son mode d’être ; si nous avons été enviés, admirés, si même nous avons servi de modèle ou de refuge, c’est pour bien autre chose qu’une supériorité intrinsèque matérielle ou spirituelle. Elucider les éléments de ce rayonnement fossile nous aidera à nous connaître. Renoncer à des clichés et à des illusions nous rajeunira [83].
Autant des « acquis » comme nos institutions économiques et sociales, les outils du service public sont des éléments à conserver moyennant qu’ils restent vivants, c’est-à-dire aussi inventifs de leur environnement et créateurs de bien commu, qu’ils l’avaient été à leur origine, autant il n’y a pas d’acquis dans le vouloir continuer de vivre ensemble. Chaque génération fait un bilan et décide de la suite. Aucune tradition ne fait obligation, l’expérience ne se transmet pas, la mémoire collective est schématique, faible et précisément aujourd’hui elle éclate en plusieurs généalogies, bien plus séparées les unes des autres que par les analyses rétrospectives de notre histoire nationale selon la lutte des classes.
Peu importe que notre métissage soit ethnique, culturel, régional. Nous sommes fractionnés, la définition de Renan reste valable c’est-à-dire que nous ne valons que par nos projets en commun, que notre unité est spirituelle, qu’elle est donc sans cesse à retrouver, à vouloir et à reconstruire. Notre histoire a été fractionnée, essentiellement par le cours qu’a pris la Révolution de 1789, laquelle avait d’abord assez vite pris le ton de l’unisson ; notre géographie nous fractionne, nous gardons pour beaucoup de nous la mémoire d’une histoire, voire d’une grandeur locales propres ; nous ne sommes pas une race. Le reconnaître et surtout reconnaître que ce n’est pas nouveau, donc pas le fait de l’immigration africaine des quarante dernières années est indispensable si nous voulons nous construire ; il ne s’agit plus de « rester » ce que nous sommes, mais d’accepter profondément ce que nous sommes, et donc de le devenir, de le transcrire en une expression et une perspective nationales : ce n’est pas seulement une politique de l’enseignement et du civisme, ni affaire de « discrimination positive ». Le relationnel en France se vit depuis les rapports entre la majorité et l’opposition politiques jusqu’aux voisinages et promiscuités dans la vie quotidienne [84] .
Notre nation, parce qu’elle est de ciment spirituel et volitif, parce qu’elle est une ambition et non pas un fait de nature, a forcément un visage, une expression d’elle-même qui peut varier dans le temps et même d’une époque à l’autre paraître se contredire : la France impériale et coloniale, celle des records et du planisphère parcouru ou occupé, la France européenne plus petite et plus soluble, la France monarchique ou la France républicaine, la France chrétienne, la France laïque, la France premier pays musulman du Vieux monde, et ainsi de suite, une bibliographie rien que sur quelques décennies [85] montre qu’il n’y a pas de critère, qu’il n’y a qu’une existence contemporaine, mais celle-ci n’est viable qu’acceptant et prenant ses racines dans tout le passé et dans tous nos sols (perdus ou conservés). L’histoire non seulement se continue mais se réécrit [86]. Il nous faut donc réinventer ces creusets que furent les guerres révolutionnaires et le Code napoléon, la défense des nationalités, l’école primaire et l’enseignement des jeunes filles ou la fondation de l’Ecole libre des sciences politiques ou celle de nos grandes écoles de la Convention à de Gaulle, de Polytechnique à l’Ecole nationale d’administration. Il nous faut admirer que les cataclysmes nous ont unis des Tranchées à la Résistance ou que nous avons longtemps su prendre les initiatives refaisant le monde : l’alliance franco-russe d’antan, le « pool charbon-acier », la réconciliation franco-allemande, mais que nous avons mal compris les asprations et la vérité de ceux qui nous avaient pris au mot après que nous les ayons conquis mais tout autant admis à faire chez nous leurs études, les drames d’Indochine, d’Algérie et très certainement dans des pays où l’histoire avec nous paraît avoir été calme, des épisodes ou des erreurs qui sont difficiles à justifier . Ce travail n’est pas qu’affaire du Parlement ou des enseignants, il est l’honnêteté d’une vraie mémoire collective puisant au-delà des silences dans les mémoires individuelles : l’époque de l’Occupation en est lourde, même si le ton en a été, dès son moment, définitivement donné par Vercors.
Tout n’est peut-être pas nouveau dans la France nouvelle d’aujourd’hui » surtout si l’on prend conscience d’ « une histoire profonde, dont le mouvement entraine, commande l’ensemble des France successives du passé… cette recherche, cette découverte d’eaux souterraines, en ce qui concerne l’Etat, la culture, la société, la France mêlée au monde. [87]



nous gérer tels que nous le voulons n’est pas faire sécession des accords mondiaux ou de l’entreprise européenne. Le consensus imaginé très pratiquement et en réponse à des contraintes précises en 1945 et immédiatement était très diversifié : économique et social certes, européen d’horizon à terme, il était aussi une prise de conscience des atouts de notre position géographique, de notre empire colonial d’alors, des ressources et de la distribution de notre territoire métropolitain. Mutatis mutandis, l’inventaire n’a pas changé mais il n’y a plus de politique qui y corresponde. La relation franco-africaine n’a plus de rebond depuis le discours de La Baule alors même que les traités de Yaoundé et de Lomé nous en donnent des moyens européens, ce qui nous met dans une position inespérée dans les années 1950 quand les astreintes dépassaient de beaucoup outre-mer les avantages. L’aménagement du territoire, la planification «  à la française » n’existent plus ; la politique agricole commune et le désengagement de l’Etat pour ce qui est des grandes infrastructures en tiennent lieu, jusqu’à ce que soit atteint un degré zéro, l’abandon par nos partenaires et avec la sanction mondiale de cette politique agricole commune, le dépérissement achevé d’un ancien mode de gouvernement des sociétés, celui des Etats.
La légitimité des politiques – personnes publiques et actions gouvernementales, admises par la représentation nationale – ne se retrouvera que si elles recherchent et obtiennent une adhésion directe. La participation, leit motiv des dernières années de pouvoir du général de Gaulle, et probable fil conducteur pour la compréhension de l’ensemble de son système intellectuel au moins depuis 1940, revêt quantité de formes possibles. Les mots ont – là – leur importance. Depuis 2002, celui de négociations lors des différentes refontes des régimes sociaux a été exclu des vocabulaires ministériels. Ce qui équivaut à placer sur un pied différent le gouvernement et les syndicats : c’est irréaliste et ce n’est pas traiter dignement ses partenaires.
Le point de vue gouvernemental et surtout son expression sont statistiques, macro-économiques, à quoi répondent les entreprises et les « groupes » en changeant depuis une décennie ou non des noms de fabrique ou de société parfois centenaires ou même plus pour des sigles les versant dans l’anonymat. Toute une mémoire collective qui associait des « maisons » et des familles, depuis les enseignements en géographie dans les classes primaires, aux localités où elles avaient leur siège ou leur site principal de production, n’a plus aucun repère ; or, elle était la conscience nationale des actifs proprement français, lesquels correspondaient souvent à des inventions, des technologies qui nous avaient situé dans les premiers rangs mondiaux de fabrication ou de commerce. L’emploi n’est pas seulement une hantise individuelle, il est souvent – en France – affaire d’hérédité familiale, de paysage local. Le gouvernement depuis des décennies faillit à son obligation premièrement ressentie par les Français d’être un « bon père de famille » soucieux de sauvegarder et de transmettre un héritage. Se battre pour garder des brevets et des entreprises vaut plus que s’être battu pour nos colonies. Ce sens n’est pas cultivé, ni par les gouvernants, trop éphémères, ni par les chefs d’entreprise qui exercent leurs fonctions d’un groupe à l’autre pourvu que ce soit au sommet et sans que leurs erreurs de gestion soient jamais sanctionnées sur leurs deniers. Au contraire.



prêter prioritairement l’attention publique (gouvernants et opinion confondus) à une politique de la famille encore à définir.
Deux objectifs sont à viser en même temps : notre croissance démographique d’abord (la Libération a coincidé décisivement avec une reprise des naissances qui ne s’était plus observée depuis un siècle et demi [88]), la natalité est le test le plus probant de l’optimisme d’une société et de la foi d’un peuple dans l’avenir. Tous nos équilibres comptables et ethniques sont commandés par un excédent des naissances sur les décès qui produise plus que le renouvellement statistique. Nous avons déjà, sans véritable politique familiale, la chance insigne d’être le premier pays de l’Union européenne pour le taux de natalité [89]. La reconstitution et la viabilité de la cellule première de notre société, ce qui va de l’autorité parentale à laquelle on a autant recours aujourd’hui qu’à l’école pour encadrer une jeunesse qui n’est plus comprise et n’a pas assez de perspective, jusqu’à des conditions concrètes de vie commune (droit au logement entre autres).



la cohésion sociale ne s’obtiendra que par une rénovation intellectuelle et spirituelle ; c’est cette rénovation qui inventera les structures urbaines, les procédures de formation continue, qui rendra naturelle la tolérance. Depuis 1968, le système éducatif est censé adapter à la vie, et notamment au marché de l’emploi, tout le cursus scolaire dès le très jeune âge. Ce qui est manqué est décisif, le goût, la joie, la manière d’apprendre. Ce qui est gratuit est immédiatement goûté. La préparation au métier est illusoire, car l’état du marché et la configuration des professions et des besoins de main d’oeuvre ne sont pas prévisibles à dix ans. L’orientation est une contrainte, au mieux une fixation d’une personnalité encore en évolution alors même que la société dans laquelle celle-ci est entrée est peu descriptible, sinon – comme aujourd’hui – en termes d’empirement. Or le ludisme est le fondement de la créativité, donc des progrès.
Il est même l’un des éléments de l’esprit d’entreprendre, ce ne sont pas des métiers qu’il faut enseigner précocement, c’est une ambiance à trouver tant en classe que dans la vie adulte. Elle s’appelle liberté, et a peu à voir avec les doctrines politiques et économiques, encore moins avec les réformes dites de structures. Le goût s’enseigne, l’aptitude s’apprend, l’envie d’une jeune génération admirant celles qui la précède est probablement la vraie cohésion sociale et le gage d’une permanente invention de la modernité. C’était l’expérience des « classes » avides de succéder à celles qu’avaient formées la Seconde Guerre Mondiale [90].



gérer différemment les ressources humaines du pays, et notamment les élites. La « fuite des cerveaux », mais aussi leur retour en France, est affaire d’ambiance : les moyens et le financement de la recherche, de l’innovation pour les personnes ; la facilité d’entreprendre pour ceux qui ont des projets. Nous le savons tous. Ce qui asphyxie la réflexion collective, c’est le système de cooptation pour la direction des entreprises, des organisations politiques et même des grandes associations ou institutions d’utilité publique, jusques dans la désignation des arbitres, des rédacteurs de rapports et des présidences de commissions d’enquête ou de proposition. La collectivité paie ce mimétisme, ces complicités dans l’imprévoyance et aussi dans l’exclusion a priori de toute séquence qui reprendrait les questions à leur origine et sans préjugé. Le souci de conserver sa place, et à la retraite son niveau d’émoluments et de considération sociale (avec quelques facilités logistiques en sus) produit le conservatisme des idées et des stratégies autant que la copie servile de ce que l’on croit être le principe de réussite chez d’autres, d’autres entreprises, d’autres pays, d’autres continents ou mondes. Des individus payent aussi pour ces nantis et cooptés à vie : les « placardisés » de la haute fonction publique, sans la moindre indemnisation, celle à quoi aboutirait un libéralisme conséquent, puisqu’il est de mode, en faisant appliquer le code du travail aux agents mêmes de l’Etat ; ils sont nombreux mais ne s’organisent pas, ne sont pas syndiqués et pour la plupart escomptent que leur humble silence finit par les racheter de ce qu’ils ne comprennent pas avoir commis [91]. Ils ont cru dans le service public et ne sont pas bâtis mentalement pour les « affaires » ; d’ailleurs, les anciens fonctionnaires qui président des entreprises y sont parvenus par une nomination gouvernementale ou parce qu’ils étaient en charge du dossier leur privatisation, abus de position. Quant à être « consultants », que peut apporter un fonctionnaire d’autorité s’il n’a plus de prérogatives régaliennes à animer ? un carnet d’adresses ? mais précisément il a été exclu de son milieu d’origine. Gaspillage, et mauvais exemple de l’Etat.
Curieusement et contrairement à la plupart des grandes démocraties, aucun cas n’est fait de l’expérience des prédécesseurs à quelque poste que ce soit, notamment gouvernemental ou présidentiel. Les ministres en prenant fonction reçoivent le « service » de celui qu’ils évincent de fait, mais consulter celui-là et d’autres avant lui, jamais. Et ce ne sont pas les mémoires, quand ils sont composés, qui peuvent tenir lieu d’un dialogue tranquille mais secret sur les affaires et les manières. Un trésor est perdu au profit ruineux d’une succession de prétentions et de premiers commencements.


10°

cesser enfin d’abuser de certains termes ou de se gargariser d’analyses frauduleuses.
J’ai relevé en commençant qu’il n’y a plus de foi populaire dans l’équation qui continue d’être ressassée : croissance = emploi, ni dans celle que la concurrence, c’est la diversité des offres et des producteurs.
J’ai répété que la prépotence présidentielle n’est telle qu’en procédant de la votation populaire, sinon elle est abus de position dominante. Cette votation n’est déterminante qu’en cours de mandat, c’est bien pourquoi la bonne intelligence de nos institutions suppose que la durée du mandat présidentiel soit nettement supérieure à celle de l’Assemblée nationale. L’élection présidentielle est un mode de dévolution du pouvoir, la mise en jeu de son mandat par le Président de la République est le mode de légitimation de son action. La pratique de nos institutions donnant une telle importance au Président de la République ne signifie donc nullement que nous soyons en monarchie, étiquetée « républicaine » [92] ou non. Ce ne serait qu’une monocratie, et c’est oublier que tous les actes du Chef de l’Etat sont soumis à contreseing [93] sauf ceux ressortissant de son rôle d’arbitre. Si servilité ou mœurs de cour il y a, c’est la faute aux hommes et aux femmes, non aux textes.
La proposition royaliste est toute différente, quoiqu’elle puisse à notre époque aisément s’inscrire dans le texte constitutionnel gaullien ; elle est double, c’est l’hérédité dans une famille qui a « fait » la France ou avec laquelle la France s’est faite, et selon des règles qui échappent même au souverain régnant lequel n’a jamais la disposition de sa propre succession (les rois se succèdent dans une fonction mais ne succèdent pas à une personne), et c’est la manière capétienne de faire, donc un type d’action et d’ambition, de travail très concret dans le respect des acquis et traditions de chacun, en collège : « Le roi en ses conseils, les peuples en leurs états ». L’une indissociable de l’autre [94] . Idéalement, il n’y aurait pas de meilleure réconciliation des Français avec leur histoire, ni de plus grande ouverture du champ des possibles pour les réformes à entreprendre d’une commune respiration [95] qu’une telle instauration. De Gaulle y pensa-t-il ? [96] Le Comte de Paris – le père qui s’en entretint souvent avec le Général, le fils encore aujourd’hui – le croient. L’entourage du fondateur de la Cinquième République le nie [97]. Mais l’évoquer signifie que la question politique française est bien une question de légitimité, c’est-à-dire d’adéquation à l’histoire et d’adhésion populaire, chacune profondes.
Il me semble que notre choix doit être un retour à l’esprit fondateur de la Cinquième République. A défaut, la proposition capétienne. Est-elle tellement plus utopique que ce ressaisissement de l’esprit national ? Position de disponibilité éthique et intellectuelle, sans aucun parti pris, fondée sur la recherche de l’intérêt public et l’expérience de ce qui a échoué ou s’est dévoyé, position assez analogue à celle qui présagea l’instauration de la République au moment où il était si peu envisagé que chuta le Second Empire [98].

Les Français dans les moments de crise ont toujours su d’instinct créer la voie du bonheur. [99]

Encore faut-il que les termes du débat soient présentés – responsabilité des partis, des associations, des commentateurs – et que le prochain Président de la République ne soit pas seulement une femme ou un homme de campagne électorale. Elles deviennent dérisoires ou réductibles à de la pure libido, ces ambitions de gens politiques, alors que l’instrument convoité du pouvoir est de plus en plus démantelé, minoré par les privatisations si elles sont indûes, par l’indépendance des chefs de grandes entreprises ou grands groupes désormais internationaux s’ils ne sont pas soumis à des lois locales efficaces comme les Etats-Unis en fournissent l’exemple, par la concertation européenne si nous ne savons pas nous y conduire. Le socle des statues disparaît. Avec quoi les relèvera-t-on ?

Argument


2                       un vide est apparu

3                       le vote de Mai 2005 et la non-démission du Président de la République

5                       l’opinion comprend l’économie et la société

6                       le « modèle social français » invoqué

8                       l’absence d’alternative

9                       l’irresponsabilité présidentielle

11                     des prérogatives devenues sans fondement

12                     l’oubli de l’Histoire

14                     pas de critique d’enemble

16                     gaspillage

17                     l’action displomatique sans suivi ni exposé d’ensemble

20                     le Parlement

21                     l’opposition

23                     les remèdes

24                     anticiper l’élection présidentielle ?

25                     réviser la Constitution ?

27                     réformer l’Etat ?

28                     nous accepter tels que nous sommes

31                     nous gérer tels que nous le voulons

32                     une politique de la famille

33                     gérer différemment les ressources humaines

34                     par défaut, la proposition capétienne ?





[1] - c’était la démarche de Valéry Giscard d’Estaing, Les Français, réflexions sur le destin d’un peuple ( Plon . Septembre 2000 . 341 pages) imaginant un dialogue avec Edmund Burke, pour appliquer sa « méthode analytique » alors que la Révolution française semble s’en tenir où elle est arrivée avec le roi réintégrant Paris : « … je souhaite identifier, si cela est possible, les causes du déclin politique, avec l’arrière-pensée, presque inavouable tant elle est ambitieuse, que l’identification de ces causes pourrait servir à ralentir ce déclin, voire même, rêve impossible, à l’inverser » pp. 13-14 – dessein pas nouveau de l’ancien Président de la République qui, me recevant pour une première fois, le 24 Septembre 1997, malgré le souvenir des articles que je devais, dans Le Monde, à l’accueil de Jacques Fauvet, me dit combien un article de François Furet, d’avant cet été-là, l’avait frappé, le thème du déclin

[2] - c’est à cet exercice que commençait de s’astreindre Georges Pompidou, Le nœud gordien (Plon . Mai 1974 . 205 pages) après qu’il eût quitté l’Hôtel de Matignon, quand le « surpri t» le referendum entraînant le départ du général de Gaulle : à la suite de  la « crise de Mai 1968… j’ai eu l’intuition immédiate et comme aveuglante que nul ne pouvait désormais imaginer de gouverner la France sans procéder à une sorte d’examen de conscience politique ni sans se rédéfinir clairement à soi-même, non pas un programme – tout le monde a des programmes et l’on sait ce qu’il en advient – non pas une tactique en vue de parvenir ou de se maintenir au pouvoir, mais une conception et je dirai une morale de l’action », pp. 16-17 – l’ancien Président de la République se garda de le publier, une fois de retour au pouvoir – l’exercice était donc d’essence différente de celui mené par les deux derniers Premiers ministres de Jacques Chirac, publiant avant leur exercice du pouvoir, et s’étant sans doute concertés, puisque chacun évoque «  la France d’en haut et la France d’en bas » : Jean-Pierre Raffarin,  Pour une nouvelle gouvernance (l’Archipel . Janvier & Mai 2002 . 168 pages) p. & Dominique de Villepin, Le cri de la gargouille (Albin Michel . Mai 2002 . 245 pages) p. 8 – et leur possible concurrent, jusqu’à ce qu’il chute en Février 2005, en fait autant : Hervé Gaymard, La route des Chapieux, la politique et la vie (Fayard . Décembre 2004 . 258 pages) – ce qui fait une famille d’esprit, pas encore caractérisée, ayant beaucoup de lectures et devant à Jacques Chirac leurs fonctions ;  on est donc renvoyé au Président régnant - Nicolas Sarkozy se dispense de l’exercice et ne se donne aucun référent, pas même le « gaullisme » ; ce qui s’affiche est une stratégie, cela se fait commenter par des tiers, mais ne s’écrit pas à la première personne – Alain Juppé, La tentation deVenise (Grasset . Janvier 1993 . 284 pages) est au contraire indifférent : «  En cas d’échec, que faire ? Repartir au combat pour préparer l’échéance suivante, c’est-à-dire l’élection présidentielle, ou changer complètement de cap et de vie », p. 53 1er Octobre 1990. La vie le guide davantage qu’il ne la choisit : il  eût été président du Crédit national, « un banquier pontifiant » p.21 s’il n’avait été récusé en 1980 par l’Elysée, il est inéligible pour un an et donc enseignant au Québec pendant les deux ans où Nicolas Sarkozy se hisse à sa place de président de l’UMP  

[3] - ainsi pour les deux Premiers ministres du second mandat de Jacques Chirac, le premier en date s’étonnant de façon très perspicace des réactions haussières de la Bourse à la démission de Dominique Strauss-Kahn (op. cit. p. 34), et le second remarquant : « Au cœur du mystère français, gît un sentiment profond, irrationnel, irréductible aux statistiques mais pourtant presque palpable : la peur, qui court au long des siècles et confère au rapport entre le pouvoir et la société une large part de sa singularité » (op. cit. p. 26)

[4] - le diagnostic est posé à la une du Monde 29 Novembre 2005 : « le président n’a plus guère d’influence sur le cours des choses. Ni en France ni dans le monde. »  - opinion des Français selon CSA/Le Parisien

[5] - ce titre n’a été porté, selon les textes, que par Pierre Laval, à compter d’Avril 1942, mais il était d’usage courant sous les IIIème et IVème Républiques et correspondait à la réalité de l’exercice du pouvoir ; le changement d’appellation de Président du Conseil des ministres à Premier ministre a signifié le retour de la fonction à un niveau supérieur et si la « cohabitation » a pu faire renouer avec les anciennes habitudes, c’est bien qu’elle est un dévoiement de nos institutions

[6] - « En vérité, l’avenir serait plutôt à Saint Louis tel qu’on se l’imagine sous un chêne au milieu de son peuple, c’est-à-dire en des chefs ayant une foi, une morale, et répudiant « l’absentéisme du cœur » Georges Pompidou, op. cit. p. 203

[7] - le non l’emporte à 54,67%, la participation est de 70 % ; Jacques Chirac affirme que la France reste dans l’Union 

[8] - dès le 6 Novembre 1994, Jacques Chirac souhaitait un referendum pour le « passage à l’euro. » ; ce sera la dissolution de 1997 ouvrant une campagne qui ne sera pas « européenne » mais pour ou contre le Premier ministre en place, déjà le même décalage que celui observé pendant la campagne référendaire du printemps de 2005 ; le 5 Mai 1995, à l’avant-veille du second tour de l’élection présidentielle qu’il va gagner, le candidat assure que « l’enjeu européen est très important … Il faudra bien sûr y associer les peuples… le referendum me paraît constituer la bonne solution » - constante rare chez le Président de la République, rappelée par Jean Charlot, Pourquoi Jacques Chirac ? (Editions de Fallois . Octobre 1995 . 331 pages) p. 228

[9] - le problème du « dessein » qui justifie l’ambition du pouvoir et que sert l’exercice des fonctions présidentielles est récurrent pour chacun des présidents de la Cinquième République ; chez de Gaulle le passé et les écrits de guerre répondaient en partie, mais la décolonisation, la réconciliation franco-allemande, l’Europe du Marché commun rendue viable et indépendante, la restauration économique du pays et sa stabilisation institutionnelle forment plus un bilan qu’un dessein préalable, celui-ci se résumerait dans le retour de la France à son rang ; pour Georges Pompidou, l’ambition de succéder au Général pouvait se confondre avec celle de fonder une seconde fois les institutions parce qu’elles seraient désormais exercées par une personnalité d’équation moins exceptionnelle : mélange d’orgueil, d’assurance et cependant d’humilité qui permit sinon une réelle relance européenne, du moins de jeter les bases, malgré le peu d’affinités franco-allemandes de l’époque, de tout ce quis’est ensuite imaginé et fait en matière d’Union économique et politique ; pour Valéry Giscard d’Estaing, fort de sa jeunesse relative, il s’est agi de moderniser pour stabiliser, ce fut constamment dit ; pour François Mitterrand, il s’agissait que la gauche ait enfin l’exercice au moins un temps du pouvoir et cette ambition du temps peut justifier les « cohabitations », pourtant peu conformes à l’esprit de nos institutions ; bien avant d’être au pouvoir, Edouard Balladur s’est davantage consacré à s’expliquer en idées que tout autre, lui aussi avec ses « cent jours », dès qu’il y est arrivé :  « vers le nouvel exemple français » (La Lettre de Matignon, 8 Juillet 1993)

[10] - le 13 Juin 2003, les 105 membres de la Convention européenne adoptent le projet de Constitution, et Alain Lamassoure appuyé par 38 conventionnels sur 105 et 48 membres suppléants appelle à un referendum pour adopter la Constitution européenne le 13 Juin 2004, jour des élections au Parlement européen ; une consultation, le même jour et en termes identiques, à travers toute l’Union, sans distinction des Etats, eût sans doute été positive et d’autre part aurait marqué le changement de nature de l’entreprise européenne que prétend organiser le texte

[11] - les 19 et 20 Juin 2003, à Thessalonique

[12] - le 20 Septembre 1992, le traité est ratifié par  51,05% des votants avec 30,31% d’abstentions par rapport aux inscrits, soit nettement moins qu’à la précédente consultation de même enjueu européen à l’appel de Georges Pompidou, le 23 Avril 1972 : 39,75%, et qu’aux récentes élections cantonales et régionales du printemps : 31,8 %

[13] - Francis Mer, « Vous, les politiques… »  (Albin Michel . Janvier 2005 . 227 pages), dont l’analyse de l’environnement politique de la décision économique et financière est à rapprocher de la manière dont les services du ministère de l’Economie et des Finances enserre le gouvernement : la description en est faite, également sous Jacques Chirac, par Jean Arthuis, Dans les coulisses de Bercy, le cinquième pouvoir (Albin Michel . Avril 1998 . 278 pages)

[14] - dans cette ambiance, les ordonnances du plan d’urgence pour l’emploi adoptées en Conseil des ministres le 2 Août 2005, puis à chaque occasion, l’évocation de nouvelles mesures, davantage d’ordre juridique que financier, sont reçues comme un paradoxe : si l’économie libérale a tant besoin d’incitations, quelle est la bonne philosophie et à quand la pratique ? le débat sur l’autorisation administrative de licencier avait, dans l’opinion publique d’alors, pourtant été décisif entre Laurent Fabius et Jacques Chirac à la veille du renversement de majorité parlementaire en 1986

[15] - ainsi la tendance est-elle générale à la décrûe en Europe occidentale depuis cinq ans : Le Monde 5 Janvier 2006, p. 8 reprenant un graphique de Bloomberg, l’Allemagne et la France toutes deux à 10% de chômage dans la population active en 2000, n’ayant connu une évolution très différente que dans les dix-huit derniers mois : 11,2% pour la première et 9,6% pour la seconde à la fin de 2005 – Edouard Balladur, op. cit. notait, en 1993, qu’ « entre 1980 et 1992, la France a connu une croissance qui s’est située dans la norme européenne », alors que dans cette période elle est passée politique de droite à gauche, puis de gauche à droite, puis à nouveau de droite à gauche, et même que « de 1986 à 1990, la France a créé moins d’emplois que ses principaux partenaires », ce qui met sur le même plan d’efficience les gouvernements de Jacques Chirac, avec Edouard Balladur ministre de l’Economie, et de Michel Rocard, avec Pierre Bérégovoy

[16] - au moins le Premier ministre comme chacun de ses prédécesseurs en a la conscience : son plan annoncé  le 1er Septembre 2005 d’accompagnement de la croissance

[17] - dernière production notable en date, celle du groupe de travail présidé par Michel Camdessus, Le sursaut : vers une nouvelle croissance pour la France (La documentation française . Octobre 2004 . 202 pages), très médiatisé à sa parution, mais depuis ?

[18] - ainsi du « rapport Jeanneney » sur les politiques de coopération en 1964, ayant commandé le redéploiement au delà de nos anciennes colonies, de nos aides et procédures, ainsi le « rapport Nora » sur les entreprises publiques en 1967, ou encore le « rapport Wormser » sur la déréglementation économique et financière à la fin de 1968 ; en regard, qu’a pesé le « rapport Beffa » pour une politique industrielle,mis en évidence par le Président de la République lui-même au cours des vœux de Janvier 2005 ?
[19] - sentiments et pratiques, ainsi La Poste, que ne dissipe pas l’annonce par le Premier ministre, en conférence de presse du 27 Octobre 2005, d’une charte des services publics

[20] - « L’état de divorce idéologique qui caractérise la société française, seule parmi les nations comparables, s’oppose, à l’heure actuelle, à ce qu’elle connaisse cette forme d’harmonie … Or cette situation ne répond aujourd’hui à aucune fatalité sociologique. La réalité française, nous l’avolns vu, n’est pas celle d’un pays divisé e deux classes sociales opposées, mais d’une société déjà avancée sur la voie de l’unification. » prétendait Valéry Giscard d’Estaing, Démocratie française (Fayard . Octobre 1976 .  175 pages)  p. 155

[21] - à quoi appelait à la suite du « mouvement de Novembre-Décembre », au moins pour la gauche qui en avait été absente, Alain Touraine, Lettre à Lionel,Michel, Jacques, Martine, Bernard, Dominique… et vous (Fayard . Septembre 1995 . 114 pages)

[22] - « tout permet de penser que le génie propre de notre peuple inventera encore des façons originales de vivre sa relation au politique » : conclusion de René Rémond, Lapolitique n’est plus ce qu’elle était(Calmnn-Lévy . Janvier 1993 .  212 pages), p. 209

[23] - à ma connaissance des médias qui m’étaient familiers à l’époque, je crois avoir été seul à opiner publiquement que le Président de la République aurait dû démissionner devant les résultats obtenus le 2 Juin 1997 par la majorité sortante Le Monde  24 Juin 1997, p. 6  – être seul et inconoclaste n’est pas forcément avoir l’esprit dérangé ou haineux, c’est souvent exprimer une pensée commune qui attend son véhicule. Je le fus déjà, parmi ceux qui se réclamaient du général de Gaulle, en prônant le non au referendum proposé par Georges Pompidou, parce qu’il n’était pas de l’intérêt de la France ni de la Communauté européenne que la Grande-Bretagne y entre ; parmi ces personnalités assurément imprégnées et fidèles, personne n’intervenait contre la proposition du successeur, Le Monde 30 Mars 1972, p. 6
  
[24] - l’autre paradoxe avait été relevé par Edouard Balladur , quoique organisateur de la première cohabitation et acteur principal de la seconde, sous François Mitterrand (Le Monde 25 Juin 1997, p. 6) « deux ans après l’élection présidentielle, c’est celui qui n’a pas gagné en 1995 . Jospin, qui devient, pour l’essentiel, le détenteur du pouvoir, face à celui qui avait gagné »

[25] - scenario que m’a implicitement confirmé en entretien tête-à-tête ultérieur avec Roger Frey nommé président ad hoc du Conseil constitutionnel le 24 Février 1974

[26] - drôlement, François Baroin, proche de Jacques Chirac et actuel ministre de l’Outre-mer, commentant « les chiffres du chômage » regrette que « 2007 arrive deux ans trop tôt » (Fig-Mag 31 Décembre 2005, relevé par Le Canard Enchaîné 4 Janvier 2006)

[27] - le 2 Septembre 2005, Jacques Chirac est hospitalisé au Val de Grâce, à Paris,  en urgence à la suite d’un accident cérébro-vasculaire

[28] - c’est implicitement à ce dernier, alors possible vainqueur de la compétition présidentielle de 2002, que Jean-Marcel Jeanneney, qui a été ministre du général de Gaulle, s’adresse en souhaitant Que vive la Constitution de la Vème République (Arléa .  Février 2002 . 191 pages)Pierre Pascallon, Plaidoyer pour la Constitution de la Vème République préface de Jean Charbonnel (Economica . Février 1986 . 196 pages) avait fait de même à la veille des élections législatives de 1986, citant Maurice Duverger  (Le Monde, 6 Août 1985) «  La France pratique la meilleure des Constitutions qu’elle ait connues depuis 1789, après en avoir expérimenté plus d’une quinzaine »,  Valéry Giscard d’Estaing (Démocratie française, op. cit. p. 153) «  nous avons la chance historique de posséder des institutions à la fois efficaces et démocratiques » et Jacques Robert, la Constitution «  si décriée longtemps par certains est sans doute celle qui nous convient le mieux » (La Croix, 23 Juillet 1985)  - Maurice Duverger, Les Constitutions de la France (PUF . 14ème éd. Mars 2004 . 128 pages) conclut : «  La France s’est ainsi dotée d’un régime semi-présidentiel très original, susceptible de plusieurs variantes, qui constitue sans doute le meilleur système politique du monde, et le plus moderne », p. 121

[29] - Lionel Jospin, Le monde comme je le vois (Gallimard . Octobre 2005 . 328 pages) pp. 194 et ss. – reprenant, sans la citer ni peut-être la connaître, l’alternative donnée par François Mitterrand à Georges Pompidou, lors d’un débat à l’Assemblée nationale tenu le 24 Avril 1964 sur la  caractérisation de notre régime à la suite de la déclaration du général de Gaulle en conférence de presse le 31 Janvier précédent : «  Il faut choisir. Ou bien il convient de fonder un régime présidentiel honnête et authentisue qui donne autorité et stabilité au chef de l’exécutif tout en valorisant le rôle du Parlelment, ou bien il convient de revenir aux sources d’un régime parlementaire adapté aux besoins modernes. Il faut en revenir à un régime de liberté et d’équilibre et en finir avec celui que vous nous faites et qui n’est qu’un régime d’autorité et d’irresponsabilité »  - le Président de la République d’alors, de Gaulle, avait lui-même ouvert la discussion sur la qualification, la nature et la portée du régime, comparé à d’autres possibles, en concluant : «  s’il doit être évidemment entendu que l’autorité indivisible de l’Etat est confiée tout entière au Président par le peuple qui l’a élu, qu’il n’en existe aucune autre, ni ministérielle, ni civile, ni militaire, ni judiciaire, qui ne soit conférée et maintenue par lui, enfin qu’il lui appartient d’ajuster le domaine suprême qui lui est propre avec ceux dont il attribue la gestion à d’autres, tout commande, dans les temps ordinaires, de maintenir la distinction entre la fonction et le champ d’action du chef de l’Etat et ceux du Premier ministre » - le 18 Décembre 1963, en faisant acte public de candidature à l’élection présidentgielle devant en Décembre 1965 se tenir pour la première au suffrage universel direct, et en explicitant sa démarche le 12 Janvier 1964, Gaston Defferre avait décisivement marqué cette reconnaissance par une partie de l’opposition des institutions de la Cinquième République ; mais il en jugeait sévèrement le fonctionnement : « Il était indispensable que l’opposition ose se manifester clairement pour qu’il y ait un véritable débat national dont le pays est privé depuis cinq ans »

[30] - Jacques Attali, C’était François Mitterrand (Fayard . Octobre 2005 . 447 pages)
[31] - sans la développer, Dominique de Villepin, op. cit. en fait la remarque dans une analyse du XIXème siècle et du rôle de Napoléon III, p. 34

[32] - il est imprudent et illégitime de chercher à forcer la mémoire collective, elle doit au contraire être prise comme un fait même si les conditions de sa formation peuvent être explorées et dénoncées ; « le spectre de la discordance entre mémoire individuelle et mémoire collective » est en partie exorcisé par Paul Ricoeur, La mémoire, l’histoire et l’oubli  (Seuil .  Septembre 2000.   681 pages) pp. 152 et ss.

[33] - Lionel Jospin, de culture historique parfois hésitante (le soi-disant soutien de la droite à l’esclavage au moment des votes de 1848), parfois indépendante et généreuse (la réhabilitation des mûtins de 1917) soutient en l’espèce Jacques Chirac (disours à  l’anniversaire de la rafle dite du Vel’d’hiv.)

[34] - il est vrai qu’aussi étonamment que le Président de la République, le Parlement avait pris l’initiative d’une rupture de l’expression nationale en adoptant l’amendement devenu article 4 de la loi du 23 Février 2005 sur les rapatriés qui impose que les programmes scolaires « reconnaissent le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du nord » - alors même que l’histoire et les racines de nos compatriotes d’origine immigrés attendent toujours leur introduction officielle dans l’éducation nationale – mais peut-on écrire par la loi ? il est aussi maladroit de prévoir un musée de l’immigration, comme si ce n’était pas un phénomène vivant, et plus encore de le situer prévisiblement dans le bâtiment principal de l’Exposition coloniale de 1931

[35] - notamment selon une comparaison entre la France et les Etats-Unis où il avait enseigné à partir de 1954 : Paul Ricoeur, La critique et la conviction (Calmann-Lévy . Octobre 1995 . 288 pages), pp. 99 à 106 notamment

[36] - ayant affiché une prédilection pour l’Empereur et revendiqué lui aussi « cent jours », il oublie de fêter le deuxième centenaire d’Austerlitz alors que le Charles-de-Gaulle a dû figurer pour celui de Trafalgar ; faute : car l’armée qu’on veut professionnelle est amère que soit en garde en vue, un de ses plus hauts gradés pour exactions sur un théâtre ivoirien qu’avait visité avec très peu de succès le futur Premier ministre

[37] - publié le 2 Janvier 2006

[38] - à quoi participe même un journal comme Le Monde 29 Novembre 2005, p. 1, attribuant à François Mitterrand, le mot et l’obsession du « rang »…

[39] - Denis Tillinac, Chirac le Gaulois (La Table ronde . Février 2002 . 158 pages) : « Les Français ont beau avoir vu les images de Chirac sur tous les profils, ils continuent de le méconnaître, donc de le méjuger. Ils sont excusables : sa biographie n’épuise pas son mystère ; d’une certaine façon, elle l’épaissit. Depuis qu’il s’expose aux feux de la rampe, il s’évertue à cacher en son for les clefs de ses tiroirs secrets. Il y en a beaucoup. Sous les dehors d’une cordialité enjôleuse ou rugueuse, Chirac est plus complexe que Mitterrand, lequel s’en était aperçu, à la fin de sa vie. Plus romanesque aussi. » p. 14

[40] - je le lui ai proposé personnellement par lettre des 16.26 Juillet 2005, en partant de la promesse qu’il avait semblé faire de lui-même quand il était encore Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing , puis qu’il était devenu maire de Paris, cf. Bernard Billaud, D’un Chirac l’autre (Editions de Fallois . Mars 2005 . 537 pages)

[41] - ses deux œuvres de fond : La lueur de l’espérance, réflexion du soir pour le matin (La Table ronde . Novembre 1978 . 236 pages) et Une nouvelle France, réflexions 1 (Nil éditions . Juillet 1994 . 141 pages) sont antérieures à sa prise des fonctions présidentielles ; le futur Président de la République, dans le second de ses livres (p. 79), y évaluait à dix ans, la durée de deux législatures, le temps nécessaire aux réformes

[42] - Bernard Billaud, op. cit. p. 478, qui atteste pourtant « que tout esprit de haine ou de vengeance lui est naturellement étranger – je ne l’ai en effet jamais surpris rendant coup pour coup, mais faisant preuve d’une mansuétude tempérée sans doute par l’indifférence »
  
[43] - son refus des coups bas que lui proposait son entourage lors de la campagne présidentielle de 1965, cf. Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle ** ( Fayard . Octobre 1997 . 653 pages ) p. 602 : Non, n’insistez pas ! Il ne faut pas porter atteinte à la fonction, pour le cas où il viendrait à l’occuper.

[44] - au courant de la liaison clermontoise, Anne Pingeot, de son adversaire, « le candidat le plus heureux » n’en profita pas, alors même que François Mitterrand faisait état de sa bonne connaissance de Clermont-Ferrand, cf. Ariane Chemin & Géraldine Catalano, Une famille au secret (Stock . Octobre 2005 . 265 pages), p. 51

[45] - le 27 Juin 1997, le Quai d’Orsay communique, à propos du processus de réintégration par la France de la structure militaire de l’OTAN, amorcé depuis Décembre 1995, que «  sans préjuger de l’appréciation présidentielle, il semble que les conditions posées à la poursuite du processus ne soient pas remplies » - à quoi réplique l’Elysée le lendemain en faisant savoir que « le Président de la République avait estimé début mai, suite aux derniers échanges franco-américains, que les conditions posées pour un réexamen de ses relations avec l’organisation n’étaient pas réunies » - en fait, les discussions devaient reprendre si la majorité sortante avait été reconduite, le différend portant sur le commandement Sud de l’OTAN (Le Monde 29-30 Juin 1997 & 1er Juillet 1997)

[46] - il y aurait sans doute à transposer pour la Cinquième République, notamment dans les moments de « crises » franco-américaines, l’analyse pour la période 1945-1954 d’Irwin Wall, L’influence américaine sur la politique française (Balland . Avril 1989 . 515 pages) qui ne s’exerce pas seulement sur les gouvernants, mais aussi sur les parlementaires, les medias et en fait sur l’opinion

[47] - ce livre-explication-justification ne serait précisément pas un exposé de personnalité dans l’execice, mal compris censément du public, de la fonction  gouvernementale, ce que tenta Alain Juppé, Entre nous (Nil éditions .  Janvier 1997 .  116 pages) puis une fois éloigné du pouvoir en dialoguant avec Serge July, Entre quatre z’yeux  (Grasset . Avril 2001 . 316 pages) mais d’une expérience politique circonstanciée – ce ne serait pas non plus un livre-programme destiné à justifier un nouveau mouvement politique, ce que tenta Valéry Giscard d’Estaing, après deux ans ans de mandat, par Démocratie française, op. cit. ou une manière détournée de candidater comme Lionel Jospin, op. cit. qui préférait pour 2002 un discours indirect : Le temps de répondre (Stock . Février 2002 . 284 pages)  «  Si je suis prêt à faire amende honorable sur certains points, encore faut-il bien comprendre la situation dans laquelle je me suis trouvé », p. 276 à quoi s’oppose (comme Jacques Chiurac naguère à Valéry Giscard d’Estaing), Jean-Pierre Chevènement, Le courage de décider (Laffont . Janvier 2002 . 210 pages) – curieusement, les véritables explications viennent des épouses : Bernadette Chirac, Conversation (Plon . Octobre 2001 . 228 pages), puis, pour ce qui est de Lionel Jospin en campagne perdue pour 2002, Sylviane Agacinski, Journal interrompu (Seuil . Octobre 2002 . 157 pages)

[48] - Jean-Pierre Raffarin, op. cit. pp. 64-65

[49] - notamment celles publiées par Michel Rocard, le 25 Mai 1988 et par Lionel Jospin, le 6 Juin 1997, chacune instant d’ailleurs à l’envie sur le respect de la prérogative des parlementaires

[50] - l’adresse de Guy Canivet, premier président de la Cour de Cassation, à l’audience solennelle de la Cour le 6 Janvier 2006

[51] - l’appel des 25 « personnalités de gauche » à voter pour lui en 1965 et l’énoncé par le Parti communiste français des « aspects positifs de la politique extérieure du général de Gaulle »

[52] -  John L. Hess, de Gaulle avait-il raison ? point de vue d’un Américain (Mame, trad. de l’américain paru en 1968 . 2ème trim. 1969 . 173 pages), propos que développe, affine et renforce, tout en demeurant très américain, Henry Kissinger, Diplomatie (Fayard . Novembre 1996 . 861 pages) p. 557 : « L’Amérique reste donc le partenaire le plus fiable, bien qu’extrêmement difficile sur le plan des idées, de la France, ainsi que la seule garantie sérieuse de sa politique de coopération avec l’Allemagne. Ainsi, au bout de la voie conçue initialement par de Gaulle pour permettre à la France de se passer de l’Amérique, tandis que l’Amérique rêvait d’intégrer pleinement la France à l’OTAN, la coopération entre ces deux adversaires et amis séculaires – un peu analogue aux liens spéciaux de l’Amérique avec la Grande-Bretagne – apparaît comme la clé de l’équilibre. Elle l’était déjà, voici deux générations, lorsque Wilson s’était manifesté sur le sol français pour libérer l’ancien monde de ses égarements et fixer des horizons plus vastes que celui de l’Etat-nation » - De fait, ce sont les Américains qui comprennent, mieux que nous, le sens de notre politique quand nous en faisons une : ainsi Bernard Ledwidge, de Gaulle et les Américains, conversations avec Dulles, Eisenhower, Kennedy, Rusk 1958-1964 (Flammarion . Octobre 1984 . 164 pages) ou Philip G. Cerny, Une politique de grandeur – préface de Michel Jobert (Flammarion . Janvier 1986 . 342 pages) ; exceptions au temps du Général : Paul-Marie de La Gorce, La France contre les empires (Grasset . Février 1969 . 363 pages) et Philippe de Saint Robert, Le jeu de la France (Julliard . 2ème trim. 1967 . 248 pages)     

[53] - l’Elysée en début d’après-midi démentait qu’il fut question de veto – rétrospectivement, il est admissible que le Président de la République était en retrait sur son ministre des Affaires Etrangères d’autant que, devenu Premier ministre, Dominique de Villepin s’attribue l’invention de la stratégie alors suivie

[54] - sa naissance dans l’opinion publique n’est à dater ni de sa lecture, sur le perron de l’Elysée, du communiqué de la dévaluation du franc le 8 Août 1969, décision fort critiquable de Georges Pompidou devenu président de la République mais qu’avait cependant permis le rétablissement de nos grands comptes par le gouvernement Couve de Murville avec François-Xavier Ortoli -, ni de son rôle majeur dans la négociation bilatérale préalable à l’admission de la Grande-Bretagne dans le Marché commun (cf. Uwe Kitzinger, Diplomatie & persuasion (Alain Moreau . Février 1974 . 645 pages), mais bien de sa petite phrase à propos de la guerre du Kippour : « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue forcément une agression imprévue ? » (8 Octobre 1973) ; les petits déjeuners à Bruxelles avec Henry Kissinger firent le reste, et il n’y eut pas, Georges Pompidou vivant, de nouvelle «  Déclaration atlantique » (26 Juin 1974), la France n’accepta pas non plus l’Agence internationale de l’énergie, seule des pays membres de l’OCDE (6 Février 1974, communiqué du Conseil des ministres « la France ne saurait donner son adhésion à la mise sur pied d’une organisation des pays industriels consommateurs de pétrole », en consensus avec l’opposition, François Mitterrand déclarant la veille « Etant donné l’inexistence de l’Europe, il n’y a que de mauvaisesa solutions à la crise de l’énergie »)

[55] - il est symptomatique que la politique extérieure conduite tant par Valéry Giscard d’Estaing que par Jacques Chirac, en tant chacun que Président de la République, n’ait pas donné lieu à mémoires ou compte-rendus, alors que le général de Gaulle et François Mitterrand ont chacun leur présentateur et commentateur – fiers d’avoir paraticipé à leur action ; Maurice Couve de Murville, Une politique étrangère (Plon . Septembre 1971 . 500 pages) et Hubert Védrine, Les mondes de François Mitterrand (Fayard . Septembre 1996 . 782 pages), chacun d’ailleurs y ajoutant un second livre pour leurs propres vues dans un contexte où le président n’est plus mais où tient encore son œuvre : Maurice Couve de Murville, Le monde en face (Plon . Septembre 1989 . 323 pages) ; a contrario, Hubert Védrine, pourtant ministre en titre pendant cinq ans avec Lionel Jospin comme Premier ministre, semble ne pouvoir en rendre compte, parce que Jacques Chirac était le Président de la République ? sauf à publier, en fonctions, une exhortation, ce qui n’est pas l’exposé d’une action : Les cartes de la France à l’heure de la mondialisation (Fayard . Mai 2000 . 190 pages) ; Roland Dumas prépare son propre récit, d’autant plus nécessaire que les relations franco-allemandes risquent de souffrir de leur interprétation selon les mémoires de l’ancien chancelier Helmut Kohl ; la diplomatie de Françaois Mitterrand donne lieu d’ailleurs à débat et évaluation, vg. Gabriel Robin, La diplomatie de Mitterrand ou le triomphe des apparences (éd. de la Bièvre .  Octobre 1985 .  254 pages) comme celle de de Gaulle alors que ce qui n’est pas exposé, n’est pas même discuté ; Gabriel Robin, pourtant conseiller diplomatique de Valéry Giscard d’Estaing et se retirant quelque temps pour « des recherches d’histoire diplomatique » n’écrit pas sur ce qu’il a vêcu à l’Elysée ; il ne lui en sera pas tenu rigueur et sera notre représentant près de l’OTAN dans le second mandat de François Mitterrand

[56] - à l’Assemblée nationale, le 20 Juin 2000 : 466 voix contre 28 et 8 abstentions ; au Sénat , le 29 : 228 voix contre 34 et 8 abstentions

[57] - le ralliement de Jacques Chirac au quinquennat (5 Juin 2000), auquel il s’était encore déclaré opposé le 14 Juillet 1999, est d’ailleurs concomitant de son acceptation de principe d’une « Constitution » européenne (son discours devant le Bundestag, dans l’ancienne salle du Reichstag, le 27 Juin 2000) ; de même qu’il avait inspiré la dissolution du  21 Avril 1997, Alain Juppé le 12 Mai convainc le Président de la République de procéder par referendum : dans les deux cas, résultat ! c’est surtout la manière de prendre une décision dans l’hésitation au for intime et selon un conflit de conseillers

[58]  - 69,81 % d’abstentions par rapport aux inscrits le 24 Septembre 2000 (63,11 % le 6 Novembre 1988 à propos de la Nouvelle-Calédonie) ; l’avant-veille du scrutin, Le Monde a révélé être en possession de la « cassette Méry » ce qui met en cause gravement le Président de la République, alors qu’il était pour la seconde fois Premier ministre ; l’adoption de la Constitution de la Cinquième République, le 28 Septembre 1958, à l’appel du général de Gaulle ne laissa que 17,37 % des inscrits indifférents et le rejet du dernier projet de celui-ci, le 27 Avril 1969, que 19,87%

[59] - il n’est d’ailleurs pas dupe et ce dont il témoigne est topique : «  Dans la campagne législative de 1978, je compris vite que ma propre personne comptait peu. A l’époque importaient surtout les appartenances – ici les gens étaient ‘de gauche’, on disait même ‘gauche’, on n’aurait pas imaginé voter autrement. Et importait Tony Larue, qui avait rendu tant de services. Ma campagne personnelle fut modeste. Un seul format d’affiche, avec une seule devise : ‘TONY LARUE (en gros caractères) vous appelle à voter Laurent Fabius (en petits)’.
Laurent Fabius, Les blessures de la vérité (Flammarion . Septembre 1995 . 268 pages), p. 53

[60] - Michel Debré, op. cit. (Plon . 1957 . 206 pages)

[61] - Jean-Marcel Jeanneney et Georges Pujals, Les économies de l’Europe occidentale et leur environnement international de 1972 à nos jours (Fayard OFCE . Décembre 2004 . 762 pages) pp. 146 & 153-155, rappellent que dans toute l’Europe occidentale, la croissance du produit intérieur brut depuis 1972 est presque continue, sauf quelques fluctuations, voire « des régressions notamment en 1982-1983 et en 1991-1992 » ; c’est le cas de la France, qui sur une base 100 pour le produit intérieur brut en 1972 ne régresse qu’en 1981 (127,61 au lieu de 128,52 l’année précédente), en 1993 (156,90 au lieu de 162,14 l’année précédente) avec des bonds de neuf  points de 1999 à 2000, de sept points de 1988 à 1989

[62] - révélée par le Canard enchaîné, elle fait l’objet de débats sur son montant plus que sur son bien-fondé en commission sénatoriale des Finances ( 30 à 40 milliards de francs) pour être finalement chiffrée le 20 Décembre 1999 à 24,3 milliards de francs (3,7 milliards d’euros), par Christian Sautter, ministre de l’Economie et des Finances pour quelques mois

[63] - le cas de la Poste en pays rural est typique, la convention entre cet établissement et l’Association des maires de France empêche toute négociation aux communes qui prennent de plus en plus en charge le personnel, tandis que les prérogatives des agences sont de plus en plus réduites en sorte qu’il puisse être argué à moyen terme que la baisse des chiffres d’affaires est telle que la collectivité locale concernée n’aplus le choix qu’entre une prise en charge totale ou la fermeture du reliquat de service public. – Le principe tend à être que le service public doit être rentable, pas seulement dans son ensemble national, mais quichet par guichet. La SNCF n’est pas en reste qui considère maintenant les équilibres financiers ligne par ligne, ce sera bientôt selon les plages horaires

[64] - Michel Debré, ibidem, p. 197

[65] - sous la double signature d’Arnaud Montebourg et Bastien François

[66] - « Lorsqu’on a la responsabilité de gouverner un peuple, on n’a pas le droit de le précipiter dans l’inconnu sous prétexte que c’est amusant de détruire et que ce qui viendrait ensuite pourrait être meilleur. L’Histoire est là qui nous dit que l’idéal n’a jamais pu être atteinte et que sa recherche frénétique a précipité les nations qui s’y sont livrées dans les abîmes. Or, je suis profondément convaincu que pour un pays comme la France, nous sommes au contraire à la fin d’une période de ‘libération’ ». – Georges Pompidou, Le nœud gordien op. cit. p. 199

[67] - ce sont les cataclysmes budgétaires ou naturels qui font s’interroger ailleurs sur ces modèles sociaux, ainsi celui des Etats-Unis à la suite de la dévastation de la Nouvelle Orléans par l’ouragan Katrina :    ; en France, le débat n’est pas entre un peuple et son système, mais entre les acteurs-mêmes du système, appelés curieusement « partenaires sociaux » ; quand le politique en débat (vg. Jacques Delors le 15 Juin 1997 à France-Culture, repris par Le Monde17 Juin 1997, p. 16, ou Jacques Chirac en tant que Président de la République le 8 Novembre 2005), il n’a pas de prise, parce que le fondement du « système social » en France consiste en une entente de ces « partenaires » obligeant l’Etat à ratifier leur accord – la novation d’Alain Juppé, suivant en cela l’institution de la C S G par Michel Rocard, a consisté à ce que cette ratification soit soumise au Parlement puisqu’elle a  de plus en plus d’implications budgétaires

[68] - j’en ai fait personnellement l’analyse en annotant le rapport émis en vertu de l’article 2-1er du décret du 20 février 2002, par l’un de nos principaux groupes industriels et de services

[69] - je pensais à une autre possible : voter pour Jacques Chirac n’a pas fait sortir Jean-Marie Le Pen, et encore moins les idées de celui-ci de la vie politique française. Une victoire présidentielle du Front national aurait au contraire produit ce résultat : Jean-Marie Le Pen à l’Elysée n’aurait jamais pu avoir une majaorité parlementaire, le Front national n’en a pas les racines suffisantes, il aurait donc dû « cohabiter » avec la droite ou avec la gauche, empêché par conséquent de mettre la moindre de ses « pensées » en œuvre ; au contraire, la prévisible grossièreté de son comportement l’aurait déconsidéré, ridiculisé à jamais dans notre opinion ; il aurait dû démissionner très vite ou accepter d’être totalement fantoche. La probabilité est que sans même le « vote forcé » pour Jacques Chirac, celui-ci l’aurait emporté, puisque Jean-Marie Le Pen n’a pas gagné une voix entre les deux tours et n’a pas même osé continuer sans campagne ; mais cette réélection se serait faite dans un climat plus franc : l’abstention massive comme pour le referendum de Septembre 2000 sur le quinquennat. C’est ailleurs ce climat-là qu’a, au vrai, senti le Président réélu, puisque pour gouverner pendant son second mandat, il n’a considéré que ses électeurs du premier tour

[70] - encore le président sortant n’avait-il pas un rival issu de son propre camp comme en pâtit Valéry Giscard d’Estaing en 1981, ou comme Lionel Jospin dût le subir en la personne de son ancien ministre de l’Intérieur, Jean-Pierre Chevènement ; au premier tour de l’élection présidentielle, Jacques Chirac obtient 17,99 % des suffrages exprimés en 1981,  19,94 % en 1988,  20,34 en 1995 et  19,88 % en 2002, cette fois en tant que président sortant ;  en cette qualité, le général de Gaulle obtient au premier tour en 1965  44,64% ,  Valéry Giscard d’Estaing en 1981 28,31 %  , et François Mitterrand en 1988  34,09% des voix – Jacques Chirac, de tous les présidents de la Cinquième République est celui qui doit, pour être élu, trouver le plus de voix entre lex deux tours, plus de trente points

[71] - « Entre le peuple souvcerain et celui qu’il porte, par le suffrage universel, à la magistrature suprême, existe un pacte qui s’impose d’autant plus qu’il est enraciné dans l’inconscient collectif de la Nation », François Mitterrand, Réflexions sur la politique extérieure de la France (Fayard . Janvier 1986 . 441 pages)  p. 19

[72] - Philippe Reinhard, Chronique d’un naufrage programmé (Albin Michel . Janvier 1999 . 370 pages)

[73] - « Mais moi, c’est sans droit héréditaire, sans plébiscite, sans élection, au seul appel, impératif mais muet, de la France, que j’ai été naguère conduit à prendre en charge sa défense, son unité et son destin. Si j’y assume à présent la fonction suprême, c’est parce que je suis, depuis lors, consacré comme son recours. Il y a là un fait qui, à côté des littérales dispositions constitutionnelles, s’impose à tous et à moi-même. Quelle que puisse être l’interprétation que l’on veuille donner à tel ou tel article, c’est vers de Gaulle en tout cas que se tournent les Français. C’est de lui qu’ils attendent la solution de leurs problèmes. C’est à lui que va leur confiance ou que s’adressent leurs reproches. Pour vérifier que l’on rapporte à sa personnes les espérances aussi bien que les déceptions, il n’est que d’entendre les discours, les conversations, les chansons, d’écouter les cris et les rumeurs, de lire ce qui est imprimé dans les journaux ou affiché sur les murs. De mon côté, je ressens comme inhérents à ma propre existence le droit et le devoir d’assurer l’intérêt national » – Charles de Gaulle, Mémoires d’espoir * (Plon .  Octobre 1970 . 314 pages)  pp. 283-284  

[74] - contrairement à ce que pense Dominique de Villepin, op. cit. p. 50, qui reprend, sans l’attribuer à son auteur, la formule de Maurice Duverger, La monarchie républicaine (Robert Laffont . 1974)

[75] - Roland Dumas,  Le peuple assemblé (Flammarion . Mars 1989 . 318 pages) continue les observations et vœux de Prévost-Paradol, op. cit. en montrant en quoi diffère un véritable parlement « organe de représentation du peuple » et un système, de droit ou de coûtume où il est plutôt « un  organe d’Etat à la formation duquel participe le peuple », p. 268 – il est de fait que l’Assemblée nationale sous la Cinquième République tend à n’être plus que cet « organe »
[76] - Renaud Denoix de Saint-Marc Le Journal du dimanche 21 Janvier 2001, cité par Jean-Pierre Raffarin, op. cit. p. 53

[77] - Pierre Mazeaud et Jean-Louis Debré présentant leurs vœux au Président de la République, le 3 Janvier 2006, Le Monde 5 Janvier 2006

[78] - ce qui ne serait pas le vote obligatoire mais un moyen de faire prendre conscience de l’efficacité d’une expression d’opinion – René Rémond, La politique n’est plus ce qu’elle était (Calmann-Lévy . Janvier 1993 . 312 pages) formule une banalité peut-être mais qui est forte : « en démocratie, l’indicateur le plus fiable du degré de confiance dans les institutions et les hommes politiques comme de l’intérêt pour la politique est assurément le taux de participation aux consultations électorales », p. 90 – la comparaison de ce taux pour l’adoption de la Constitution de 1958 et pour la révéiser soit sous le général de Gaulle soit sous Jacques Chirac est éloquente : 15,1% d’abstentions en 1958, record absolu (le Front populaire avait mobilisé à peu près autant : 15,6% d’abstentions seulement), 22,76% en 1962 (l’élection présidentielle au suffrage direct) et 69,81% en 2000 (le quinquennat…)

[79] - Club Jean Moulin, L’Etat et le citoyen (Seuil . 4ème trim. 1961 . 410 pages) : «  Nous avons au terme de cet essai, le sentiment d’avoir amorcé, à notre place et à la mesure de nos moyens, cette reconstitutiuon de la démocratie, qui ne sera pas un don du ciel, mais le produit d’un effort systématique d’imagination, de lucidité et d’honnêteté des citoyens » ; Réflexion d’un groupe d’études,  Pour nationaliser l’Etat (Seuil . 4ème trim. 1968 . 238 pages) « Ce nouveau cours ne serait pas vraiment une révolution. Il ne comporterait en effet aucune atteinte aux vraies prérogatives de l’Etat. Celles-ci seraient au contraire restaurées. Il n’entraînerait non plus aucune régression  ni vers le libéralisme, ni vers le dirigisme » ; coll. dir. Roger Fauroux & Bernard Spitz, Notre Etat (Robert Laffont . Janvier 2001 . 805 pages) « Et que notre Etat nous considère, nous autres Français e l’an 2001, non plus comme des sujets mais comme des citoyens, qu’il nous guide s’il le peut et surtout qu’il nous écoute, qu’il nous respecte et, en dernier ressort, qu’il nous obéisse »

[80] - 3 Juillet 1997

[81] - là est peut-être la grande différence de la France d’aujourd’hui, celle du choc des immigrations et du dépérissement de l’Etat, avec celle de Mai 1958 et de Mai 1968 ; Georges Pompidou, op. cit. p. 31 observait que « la France est un pays changeant, Paris plus que la France. La bourgeoisie parisienne plus que le peuple de Paris. Périodiquement, le Paris des beaux quartiers s’éprend d’un homme et périodiquement s’en détourne. » Et le changement, s’il y en a un, n’est plus à Paris, mais autour…

[82] - éclaté plus spectaculairement que d’habitude à Clichy-sous-Bois dans la nuit du 27 au 28 Octobre 2005, ce qui est alors appellé aussitôt des « émeutes »  avec électrocution accidentelle de deux jeunes et arrestations musclées, est l’objet de deux traitements : l’état d’urgence, selon la loi du 8 Avril 1955 appliquée naguère en Algérie, puis plus récemment en Nouvelle-Calédonie, est instauré le 8 Novembre par décret en conseil des ministres, puis prorogé par la loi du 18 Novembre pour trois mois ; il y est mis fin à partir du 3 Janvier 2006 ; par ailleurs, les déclarations et annonces se multiplient. Un plan pour l’égalité des chances, le 7 Novembre, une nouvelle politique de l’école, le 1er Décembre, une déclaration solennelle du Président de la République le 14 Novembre, et plus pratiquement un alignement du Chef de l’Etat et du Premier ministre sur la thèse du ministre de l’Intérieur en faveur des quotas à l’immigration (comité interministériel de contrôle de l’immigration, le 29 Novembre) 
 
[83] - Claude Fouquet, Délires et défaites, une histoire intellectuelle de l’exception française (Albin Michel . Février 2000 . 306 pages)

[84] - l’allocution, au ton juste, du Président de la République en « conclusion » de la crise des banlieues le 14 Novembre 2005, qui interprèe les événements et répond implicitement à Christian Jelen, La France éclatée ou les reculades de la République (Nil éditions . Août 1996 . 285 pages)

[85] -  Charles Benoît, Les lois de la politique française (Fayard . Septembre 1927 . 319 pages)  « Les lois de la politique française sont ses rapports nécessaires avec la géographie de la France, la démographie, la psychologie et l’histoire du peuple français » ; Friedrich Sieburg, Dieu est-il français ? (Grasset . Novembre 1930 . 370 pages) ; David Schoenbrunn, Ainsi va la France (Julliard . Mai 1957 .  380 pages) : la couverture figurant la cathédrale de Chartres avec les blés beaucerons  en avant-plan a-t-elle inspiré le générique des propagandes gouvernementales quand Jacques Chirac « cohabitait » avec François Mitterrand ? ; coll. Stanley Hoffmann, Charles Kindleberger, Laurence Wylie, Jesse Pitts, Jean-Baptiste Duroselle, François Goguel, A la recherche de la France (Seuil . 1er trim. 1964 . 460 pages) ; Jean-Jacques Servan-Schreiber, Le réveil de la France . Mai/Juin 1968  (Denoël . 2ème trim. 1968 . 126 pages) ; Stanley Hoffmann, Essais sur la France, déclin ou renouveau ?  (Seuil . Juillet 1974 . 556 pages) – Sur la France (Seuil . 1er trim. 1976 . 307 pages) ; Alain Peyrefitte, Le mal français (Plon . Novembre 1977 . 527 pages ) qui connaît une telle notoriété que le Président de la République, alors Valéry Giscard d’Estaing, le commente en réunion de presse & La France en désarroi (éd. de Fallois . Novembre 1992 . 369 pages) ; Pierre Gallois, La France sort-elle de l’histoire ? superpuissances et déclin national (L’Age d’Homme . Septembre 1998 . 158 pages)

[86] - lire ainsi ensemble : Jacques Bainville, Histoire de France (Tallandier . Novembre 1926 . I – 311 pages & II –  284 pages) ; André Maurois, Histoire de France (Dominique Wapler . Août 1947 . 634 pages) ; Robert Laffont, Sur la France préf. Jacques Madaule (Gallimard . Janvier 1968 . 261 pages) concluant par « l’impasse » ; Marc Ferro, Histoire de France (Odile Jacob . Mai 2001 . 764 pages) – mais aussi René Andrieu & Jean Effel, En feuilletant l’histoire de France  (Albin Michel . Septembre 1969. 237 pages) – ou des manuels de l’enseignement primaire tels que celui de Lavisse (Armand Colin . 1ère éd. Mars 1928 & rééd.  Novembre 1948 moyennant quatre pages sur la seconde guerre mondiale. 188 pages) ou de Segond (Hatier . 4ème trim. 1944 rééd. 1948 . 232 pages) ou de Alfgred Baudrillart (Bloud & Gay . 1925 . 95 pages) – Alfred Sauvy, La montée des jeunes (Calmann-Lévy . 4ème trim. 1959 . 264 pages) entreprend aux tout débuts de la Cinquième République « d’écrire l’histoire de France moderne d’une façon bien différente des manuels d’aujourd’hui. Ce rappel du passé ou plutôt cette description « insolite » de notre proche passé ne vaut que pour mieux voir la route de l’avenir … Après ce raccourci historique, nous montrerons comment se fait aujourd’hui un immense enfantement, douloureux et plein d’espoir », p. 11. Il manque manifestement une histoire de la France depuis 1958 qui ne considèrerait les événements et les gouvernements que dans leur rapport à l’avenir ! Quoi dans ce qui a été fait ou est projeté ou proposé depuis près de cinquante ans prépare vraiment notre avenir ? Ce livre de Sauvy, ainsi qu’un autre dans la même collection pendant l’été de 1960, Louis Vallon, Le grand dessein national, me structura, comme je venais de passer le baccalauréat et allais entrer en année préparatoire de l’Institut d’Etudes politiques de Paris, avec « naturellement » l’Ecole nationale d’administration en perspective. Sauvy poursuit… en 1960 : « Bien que personnellement attachés à des formes nouvelles progressistes, nous admettons bien qu’une politique d’inspiration libérale pourrait, si elle donnait sa place à l’accueil des jeunes’ être plus efficace et momentanément plus désirable qu’une politique socialiste qui négligerait ce problème essentiel .»

[87] - Fernand Braudel, L’identité de la France . Les hommes et les choses ** (Arthaud-Flammarion . Novembre 1986 . 476 pages) p. 431, après L’identité de la France, Espace et Histoire (ibid. Mars 1986 . 368 pages) et L’identité de la France . Les hommes et les choses * (ibid. Décembre 1986 . 222 pages)

[88] - c’est toute la thèse d’Alfred Sauvy, op. cit. et l’ambition de l’INED qu’il avait fondé ; à très juste titre, ce fut l’obsession de Michel Debré, fils du fondateur de la pédiâtrie française moderne : cent millions de Français…

[89] - une natalité de 17 pour 1000 en 1972 et encore de 13,1 pour 1000 en 2000 en regard d’une mortalité passant de 10,6 à 8,9 pour 1000 ; seule l’Irlande, la dépasse à 15 pour 1000, la Norvège et les Pays-Bas l’approchant d’un demi point ; l’Espagne de 1972 à 2001 a chuté de 19,4 pour 1000 à 10,1 pour 1000 et l’Allemagne a un taux de mortalité chroniquement supérieur d’un point à celui de sa natalité - Jean-Marcel Jeanneney et Georges Pujals, op. cit  p. 101 & 107

[90] - au concours d’entrée à l’Ecole nationale d’Administration que je passais à l’automne de 1964, les principaux sujets témoignaient d’une conscience de l’époque par le jury : Dirigisme et libéralisme en France depuis 1945 – Les conflits de génération dans la France contemporaine

[91] - un revirement de jurisprudence du Conseil d’Etat annulant une décision «  à la discrétion du gouvernement », celle du rappel d’un ambassadeur  (arrêt 173293 du 12 Novembre 1997, concl. Ronnie Abraham, publ. Recueil Lebon) n’a pas modifié cette timidité ; il est vrai que la reconstitution de carrière n’a été que de forme et l’indemnisation symbolique

[92] - l’analyse est de Maurice Duverger en 1973-1974, La monarchie républicaine op. cit. qui , alors même que la dérive moncratique s’est accentuée, finalement y renonce en préférant qualifier notre régime de « république semi-présidentielle » dans la dernière édition de son Que sais-je ? op. cit. (éd. 2004) pp. 98 à 120 – la 1ère édition (Février 1944) affrontait un problème de qualification autrement périlleux, celui de la légitimité du « régime provisoire de 1940 »

[93] - l’importance de cette formalité a été développée, sous de Gaulle, par son Premier ministre Georges Pompidou, dès le 24 Avril 1964, face à François Mitterrand dans un débat à l’Assemblée nationale, après que le Président de la République ait été, le 17, brièvement hospitalisé à l’hôpital Cochin

[94] - Guy Gauthier, François Mitterrand, le dernier des Capétiens (France-Empire . Septembre 2005 . 412 pages) ne peut convaincre Bertrand Renouvin, Royaliste n° 869 des  14-27 Novembre 2005, anticipant un débat avec l’auteur le 12 Octobre précédent, que soit possible un exercice capétien du pouvoir sans l’hérédité et hors la famille de ce nom

[95] - l’expression est de l’actuel Comte de Paris, dans un livre paru antérieurement à la mort de son père : Henri de France, La France survivra-t-elle à l’an 2000 ? (Godefroy de Bouillon . Octobre 1997 . 170 pages) qui affirme p. 45 « Prince de France, je crois avoir un message particulier à exprimer alors que s’affirme plus que jamais l’idée que rien n’est sûr dans le monde qui vient. Par l’ancrage de ma famille dans l’histoire de France, par les traditions que je représente, je m’estime bien placé pour poser un certain nombre de questions, pour rappeler les permanences nécessaires, au-delà de ce qui est remis en jeu à chaque élection, à chaque innovation sociale ou technologique »

[96] - il aurait dit au Comte de Paris en Octobre 1966, donc qu’il ait pour lui-même rodé l’élection présidentielle au suffrage universel direct : « On peut, peut-être, faire une autre monarchie. Une monarchie sans le nom. C’est la chance à courir »

[97] - notamment Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle **, op. cit. pp. 534 & 535 notamment

[98] - « Aussi faut-il envisager sans appréhension, et surtout sans parti pris, le cas où l’Etat, faute d’un souverain convenable ou par la force des événements, revêt la forme républicaine. Il nous semble, il est vrai, qu’il manque alors un ressort important à la machine politique ; nous cherchons des yeux avec regret cette espèce de tribun du peuple qui, sous le nom de roi, observe impartialement la représentation nationale, afin de la renvoyer devant les comices populaires aussitôt qu’il la croit opressive ou engagée sur le chemin de l’opression ; mais si la république n’a point de place pour cette utile magistrature, elle n’en est pas moins une forme de gouvernement tr-s acceptable et très digne, une fois qu’elle existe, du concours fidèle et du respect sincère de tous les bons citoyens. J’appelle même expressément bon citoyen le Français qui ne repousse aucune des formes du gouvernement libre, qui ne souffre point l’idée de troubler le repos de la patrie pour ses ambitions ou ses préférences particulières, qui n’est ni enivré ni révolté par les mots de monarchie ou de république, et qui borne à un seul point ses exigences : que la nation se gouverne elle-même, sous le nom de république ou de monarchie, par le moyen d’assemblées librement élues et de ministères responsables »  Prévost-Paradol, La France nouvelle (Michel Lévy frères . 1868 . 423 pages) pp. 152-153

[99] - Henri IV, cité par le futur Comte de Paris, alors Comte de Clermont, Henri de France, op. cit. p. 41

Aucun commentaire: