mardi 11 novembre 2014

l'armistice du 11 Novembre 1918

Chaque peuple a les moments où il se fait manifestement. L’événement de l’unisson et de la qualité des  hommes. La Grande Guerre est certainement pour la France de cette sorte. La Seconde guerre mondiale la complète. Je ne sais comment la psychologie allemande peut vivre et méditer la leçon de ces deux guerres pour elle, qui furent chacune – selon toute apparence – paroxysme atroce et échec la rendant, deux fois, tout autre quoiqu’en raisonnance avec des siècles antérieurs. Ce seraient de vrais dialogues, et sans doute si le cercle s’agrandissait jusqu’à l’écoute de chacun de nos peuples en Europe, arriverions-nous à quelque chose de prodigieux : la conscience de nous-mêmes. A partir de quoi tout se ferait. Nous en sommes loin, abrutis par l’amnésie et la superficialité, les soi-disant gestions, domaine où, malgré de prétendues expertises, nous échouons le plus. Surtout en commun. Envers lamentable de l’espérance des années 50 et aussi des années 90.

La victoire de 1918 est à l’arraché – selon toute apparence aussi – car en Mai-Juin 1918, nous sommes près de laisser la seconde de nos épaules à terre, à plat comme la première. Sans doute, les comparaisons de l’espace et de l’économie : les Etats-Unis arrivés au front, qui leur semblait si étranger, mais l’Allemagne avait quasiment annexé l’Ukraine et Lénine sauvé l’essence de son régime en sacrifiant le terrain, au contraire de ce que fera Staline. Elle me paraît une victoire des hommes. La troupe certainement quelque vivante et scandalisée, douloureuse qu’elle ait été : les mutineries, tandis que l’ « arrière » était transbahuté vers le sud-ouest (notre histoire familiale, côté maternel, de Crépy en Valois à Bordeaux) mais ne souffrait pas, s’habituait, éternité, pérennité de la guerre. Mais le commandement. Proche des réalités, proche des hommes, soit l’expérience coloniale : Joffre et Gallieni, soit l’intelligence : Foch à l’école de guerre ou attaché militaire à Berlin, intelligence soudainement tarie par l’armistice puisqu’il en sacrifiera la victoire et l’avenir en ne passant pas la frontière, soit l’exceptionnel mélange, « gaullien » avant la lettre, que manifeste Pétain dans sa relation avec l’homme et avec l’opération. Victoire du commandement et d’un désintéressement personnel, d’une conscience humble de soi d’une quantité de nos « grands chefs » d’alors, résultat probablement du désastre de 1870 et de la retenue obligée ensuite de notre passion pour la « revanche », au lieu de nos années 30 mûes totalement par la peur que cela recommence (la guerre, non la victoire) et la pusillanimité de l’encadrement de nos armées et de notre politique nationale, l’essentiel (comme aujourd’hui) perdu de vue avec persévérance.

La langue française, la laïcité, la tolérance entre convictions religieuses ou agnostiques, entre héritages provinciaux et urbains naissent – je crois et c’est une leçon que nous avons tous en mémoire – de notre amalgame dans l’effort et dans les tranchées. Ils se sont retrempés d’ailleurs dans les camps, les combats de l’ombre et la résistance pendant la guerre suivante. La France est un pays qui sans doute se fait par l’histoire et la géographie, toutes deux contraignantes et inspirantes, mais plus encore par le goût – inavoué et peu étudié – des Français pour l’unisson, quelqu’individualistes qu’ils paraissent, qu’ils se croient. L’étranger et surtout l’immigration, et nos frères colonisés puis finalement séduits par nous, le ressentent mieux que nous. Notre essence est moins physique que celle d’autres pays, quoique toute collectivité humaine est finalement, forcément spirituelle.

L’extraordinaire adaptation de notre élite et de notre peuple en 14-18. Toutes nos doctrines militaires – napoléoniennes – démenties en quelques semaines du premier engagement : la formule du général de Gaulle, ce fut la fortune de la France que Joffre ayant mal engagé l’épée ne perdit point l’équilibre, et la suite sans véritable stratégie, au moins pour tenir le front principal. Une guerre de front gagnée par nous dont le territoire industriel et les ressources humaines étaient indisponibles, occupées, saisies, saccagées ou nettement inférieures statistiquement. Le miracle !

Evidemment, les deux apports sans précédent : le travail des femmes, matrice d’une nouvelle conscience nationale que nous gaspillons aujourd’hui par le peu de stimulation procuré, sauf exception (Simone Veil, Cécile Duflot, Eva Joly… mais aussi Germaine Tillion, Geneviève Anthnioz-de Gaulle et dans un autre ordre mais nous constituant aussi : Simone de Beauvoir, Brigitte Bardot et Françoise Sagan), par l’entrée des femmes en politique, en visibilité. Et les troupes dites indigènes et coloniales. Le premier apport n’est pas encore vraiment vécu et exploité, le mimétisme masculin reste trop fort, le mariage pour tous va peut-être faire mieux estimer le couple et la différence-similitude de la femme et de l’homme, les deux imaginaires et la nécessité du courage et du respect quotidiennement et en ambition sociale. Le second est une dette décisive et la chance insigne de notre pays, en cela tout à fait exceptionnel parmi les peuples et les Etats du monde actuels : nous avons gagné par les populations et peuples, notamment du Maghreb et d’Afrique subsaharienne que nous avions subjugués mais qui nous séduisaient tellement… notre mélange est justice, il est désirable, il manifeste une compréhension par autrui de notre essence nationale, de ce que nous devrions et pouvons être, qu’aucun jugement, qu’aucune analyse ne peuvent rendre.

L’armistice – comme texte – a été médiocre, la négociation de paix a été trop contrainte par notre esprit de revanche et par la dictée wilsonienne (celle-ci finalement irresponsable puisque les Etats-Unis n’ont pas ratifié le traité de Versailles, ce qui laissait présager leur si grand retard à réintervenir dans le second conflit européen. Il a été gros, dit-on depuis, de la Seconde guerre mondiale et des totalitarismes dont l’Europe, malheureusement et si coupablement, a donné au monde le secret… et le mode opératoire : le déni des droits de l’homme, de la dignité du vivant, de la valeur des âmes, une par une et pour tous. Je crois plutôt à une responsabilité collective des Européens (et sans doute de l’Amérique alors si lointaine et revenue aux comptabilités des diverses créances accumulées par une rente de situation qui aura duré un grand siècle : l’insularité et l’invulnérabilité physique), à des maladresses surtout psychologiques, à des cécités. L’absence d’armistice, pour l’essentiel – alors l’Allemagne – en 1945 a facilité une compréhension miraculeuse ? des erreurs de 1919 à 1939 et des conduites inverses : l’engagement américain pérenne en Europe (le républicain Dulles soutenant à fond Truman le démocrate en 1948-1949), la révolte spirituelle permanente des peuples contraints par le système soviétique (les ouvriers allemands en 1953, le plébiscite de la liberté nié par le « mur » de Berlin à partir de 1961, Imre Nagy, Ian Palac, peut-être même Tito, assurément Lech Walesa et Karol Wojtyla amenant une Pologne historiquement si peu consistante malgré la gloire de Jean Sobieski au sommet du témoignage libertaire en Europe) et l’intelligence souveraine du général de Gaulle et du chancelier Adenauer. L’avenir a des bases. Il n’en avait guère quand se turent les canons le 11 Novembre 1918 à 11 heures.

Il y a des gloires, des sacrifices, des éclats exceptionnels dont les fruits sont longtemps réservés parce que d’autres plus conventionnels en empêchent la vue et la culture. Je crois qu’aujourd’hui nous sommes à pied d’œuvre nonobstant le système Poutine, le totalitarisme chinois, l’erreur mondialiste, la déviance djihadiste davantage selon les recrues hors sol et hors ethnies. Je crois au bouquet de la paix, je crois au possible. En cela, nous devons beaucoup, sinon tout à la victoire de 1918. L’hégémonie wilhelmienne, le dépeçage au tiers au moins de notre pays auraient mené l’Europe et donc le monde – puisqu’alors l’Europe faisait le monde et que le reste n’était que latent – à pire que ce que produisirent les années 30 en Europe et en Asie. Il y aurait eu les apparences d’une légalité internationale. Nous n’y aurions gagné qu’une mondialisation de la langue de Goethe, ce qui n’eût pas été négligeable au regard du dépérissement culturel et des propagations de modes dictatoriales dont le bas-anglais si éloigné de la couleur shakespearienne et même de la qualité de « l’oxonien » et des British Institutes que n’approchera jamais le Wall street English…  L’armistice de 1918 a été une chance non saisie mais une disponibilité de l’Histoire dont nous héritons et vivons aujourd’hui, et que la défaite nous aurait interdit très longtemps.

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