lundi 26 septembre 2016

Alstom : pourquoi les acteurs publics ne peuvent pas « acheter français » pour sauver l’emploi -- Le Monde.fr


L’affaire Alstom relance le débat sur le protectionnisme. Les règles des marchés publics interdisent pourtant toute préférence nationale.

LE MONDE | 21.09.2016 à 12h59 • Mis à jour le 24.09.2016 à 07h37 | Par Anne-Aël Durand

Pour justifier l’arrêt de l’usine de Belfort, annoncé le 7 septembre, Alstom invoque, notamment, le manque de commandes publiques, en particulier de la SNCF. L’entreprise ferroviaire française a par exemple choisi l’allemand Vossloh en août pour une commande passée par sa filiale franco-allemande Akiem, et le canadien Bombardier en 2014 pour renouveler certains TER. Car il n’est pas possible de privilégier une entreprise, au seul motif qu’elle est française.

·         Que représentent les marchés publics ?

Les acteurs publics sont soumis à un ensemble de règles lorsqu’ils passent des contrats avec des entreprises pour acheter des fournitures, des travaux ou des services.
Ces règles, rassemblées dans le code des marchés publics, s’appliquent à l’Etat, aux collectivités locales, à la défense, aux établissements publics et aux entreprises publiques de réseau (SNCF, EDF, La Poste…).
Les achats des administrations publiques représentent un marché important : 190 milliards d’euros par an, soit 10 % du produit intérieur brut (PIB) de la France. Si on y ajoute les concessions et autres dépenses, la somme s’élève à 390 milliards d’euros, selon un rapport du sénateur Martial Bourquin (Parti socialiste, Doubs). Sur de tels montants, une économie même minime, peut atteindre plusieurs milliards d’euros. D’où l’importance de fixer des règles permettant une mise en concurrence efficace.

·         Quels sont les critères d’attribution ?

La France doit respecter les règles définies par les accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et les traités de l’Union européenne (UE). Si les critères de publicité et le formalisme diffèrent selon la taille du contrat, les marchés publics répondent à de grands principes :
  • liberté d’accès : toute entreprise doit pouvoir se porter candidate. Toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite 
  • égalité de traitement des candidats : tous doivent avoir accès aux mêmes informations, et une publicité des offres doit être assurée ; toutes les candidatures déposées doivent être examinées
  • transparence des procédures.
Si quelques exceptions existent (notamment pour les contrats liés à la défense nationale ou pour certaines technologies), les marchés publics ne peuvent pas privilégier des entreprises parce qu’elles sont françaises ou qu’elles ont des usines en France. Hormis la députée (Front national, FN) de Vaucluse, Marion Maréchal-Le Pen, aucun responsable politique ne s’est aventuré à réclamer des « commandes franco-françaises ».

·         A quoi servent ces principes ?

C’est d’abord une question d’efficacité : l’objectif est de dépenser l’argent public pour obtenir des fournitures et des services de qualité au meilleur prix. Un système plus protectionniste, où des marchés sont automatiquement attribués, n’encouragerait pas les entreprises à être compétitives. La transparence évite aussi le favoritisme et la corruption des acteurs publics.
Par ailleurs, ces règles permettent aux multinationales françaises d’être présentes à l’international dans les mêmes conditions, et elles réalisent d’ailleurs plus de la moitié de leur valeur ajoutée à l’étranger, selon l’Insee. EDF s’apprête par exemple à construire un EPR au Royaume-Uni, la DCNS et Dassault ont signé des mégacontrats d’armement avec l’Australie, le Qatar ou l’Arabie saoudite.

·         Ces règles sont-elles appliquées ailleurs ?

Pas toujours. L’ouverture des marchés devrait s’accompagner de réciprocité. Or l’accord sur les marchés publics de l’OMC n’a pour l’instant été signé que par les vingt-huit membres de l’UE et dix-huit autres pays. Certains Etats ouvrent en théorie leurs portes, mais ne font aucune publicité de leurs commandes publiques à l’étranger.
En France, des responsables politiques de tous bords appellent aussi à s’inspirer des règles américaines, plus protectionnistes. Le « Buy American Act », voté en 1933, oblige l’Etat fédéral à acheter des produits fabriqués aux Etats-Unis. Il a été élargi en 1982 aux autorités chargés des autoroutes et du transport. C’est en vertu de cette loi qu’Alstom, qui a remporté le marché de la ligne à grande vitesse (LGV) Boston-Washington, va fabriquer le matériel roulant dans l’Etat de New York. Par ailleurs, le « Small Business Act » (1953) favorise les PME sur des marchés de moins de 100 000 dollars (89 000 euros).

·         Finalement, peut-on aider les groupes français ou les PME ?

En théorie, non. Choisir une entreprise en raison de sa nationalité ou de sa proximité géographique est passible de sanctions (deux ans de prison et 30 000 euros d’amende). Toutefois, il est possible d’intégrer des critères environnementaux dans le cahier des charges, qui rendent plus compétitives les entreprises les plus proches, dont le bilan carbone sera meilleur. C’est « l’astuce » que proposaient, en 2015, certains candidats aux élections régionales pour préférer les producteurs locaux dans les marchés concernant l’alimentation scolaire.
Par ailleurs, si l’Etat ne peut pas directement favoriser une entreprise, il peut orienter le calendrier de commande publique, par exemple en accélérant le renouvellement des TGV pour assurer des débouchés à Alstom. Le groupe espagnol CAF, concurrent d’Alstom, s’inquiète ainsi dans Les Echos que « la concurrence soit faussée en octroyant des marchés de compensation à un acteur de la filière ».
Quant aux petites et moyennes entreprises (PME, moins de 250 salariés), le rapport de M. Bourquin s’est inquiété de leur sous-représentation : elles remportent 58,3 % du nombre de contrats publics mais seulement 27,2 % de leur valeur globale, et leur nombre dégringole dans les marchés de plus de un million d’euros.
L’ancien ministre de l’économie Arnaud Montebourg, candidat à la présidentielle de 2017, a appelé à réserver durant huit ans « 80 % des marchés publics des collectivités locales, de l’Etat, de ses hôpitaux, aux PME travaillant sur le sol national », précisant ensuite qu’il s’agissait de « quotas de fait, pas de droit ».
Les nouvelles règles instaurées en avril vont déjà dans ce sens, en simplifiant les procédures pour les petits montants, et en obligeant les pouvoirs publics à « allotir » leurs marchés, c’est-à-dire à diviser une grosse commande en plus petits lots attribuables à différentes entreprises.

 Anne-Aël Durand
Journaliste au Monde
Vos réactions (37) Réagir
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Le Franc etique il y a 4 jours
Et si pour respecter le code des marchés publics on supprimait les élections par un appel d'offre international pour désigner députés et ministres ? Le résultat ne serait peut être pas pire mais assurément moins couteux.
 
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Onc'Picsou il y a 4 jours
Soyons sérieux, la préférence nationale est interdite par les traités, mais la rédaction du cahier des charges peut présenter les clauses qui désignent le vainqueur sans conteste. (et souvent sans qu'on teste, cf les rames plus larges que les quais et celles plus hautes que les tunnels.
 
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Joseph il y a 4 jours
Enfin Le Monde redevient objectif. Les politiques sont rappelés aux traités qu'ils ont signé et qu'ils ont délégué leurs pouvoirs à l'UE. Macron a dit justement qu'avec 20% du capital on ne peut rien faire! La minorité de blocage est de 34 %, donc parle toujours politique, tu intéresse le Conseil d'Alstom. En fait comme toujours, on crie, on s'agite, retenez-moi ou je fais un malheur et après...plus rien! Pour les Salariés: Pôle emploi, formation, chômage. Les plus chanceux retrouveront un job.
 
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SP il y a 4 jours
mettons un Mélenchon à la tête de l'Etat et voyons comment le capitalisme se comportera...
 
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Hardouin Jean-Michel il y a 4 jours
Ne serait-il pas possible d'intégrer les coûts ou bénéfices sociaux dans les appels d'offres? Par exemple les embauches de chômeurs qui réduiraient les déficits assedic? Les effets sur la sous-traitance locale?...
 
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zaza il y a 4 jours
si et c'est fait sur certains appel d'offres : pourcentage de sous-traitance à des PME et artisans (avec pénalités en cas de non respect), embauche des travailleurs handicapés et en insertion, etc... mais cela s'applique à tous les candidats à l'appel d'offres (égalité de traitement) donc si nos entreprises françaises ne sont pas capables de remplir ces critères, on peut leur préférer un étranger qui s'y engage...
 

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