jeudi 22 septembre 2016

« Bahamas Leaks » : la société offshore cachée de l’ex-commissaire européenne à la concurrence - Le Monde.fr



Neelie Kroes a été directrice, entre 2000 et 2009, d’une société enregistrée aux Bahamas, dont l’existence n’a jamais été révélée à Bruxelles.

LE MONDE | 21.09.2016 à 19h57 • Mis à jour le 22.09.2016 à 10h38 | Par Maxime Vaudano, Jérémie Baruch et Anne Michel
 
Le Monde et les médias partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont eu accès à de nouveaux documents confidentiels, les « Bahamas Leaks », portant sur l’équivalent d’un « registre du commerce » bahamien. Parmi les plus de 175 000 structures offshore enregistrées dans ce paradis fiscal depuis 1990, certaines sont liées à des personnalités politiques de premier plan.

Les « Bahamas Leaks » en bref

·         Cinq mois après les « Panama papers », Le Monde et ses partenaires du consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) ont eu accès à de nouveaux documents confidentiels sur le monde opaque des paradis fiscaux : les « Bahamas Leaks ».
·         Ces documents obtenus par la Süddeutsche Zeitung portent sur 175 480 structures offshore enregistrées aux Bahamas entre 1959 et 2016. Ils dressent l’équivalent d’un « registre du commerce » pour ce paradis fiscal opaque, levant le voile sur l’identité des administrateurs de certaines de ces sociétés, jusque-là anonymes.
·         Neelie Kroes, ancienne commissaire européenne à la concurrence, détentrice d’une société offshore non déclarée
Classée cinq années de suite parmi les femmes les plus puissantes du monde par le magazine Forbes, Neelie Kroes, ex-commissaire européenne à la concurrence (2004-2009) de la Commission Barroso, a été directrice, entre 2000 et 2009, de Mint Holdings Limited, une société enregistrée aux Bahamas.
Selon nos informations, l’existence de cette société offshore n’a jamais été révélée aux autorités bruxelloises comme elle aurait pourtant dû l’être dans les déclarations d’intérêt remplies par Mme Kroes à son entrée en poste. Elle y affirmait pourtant avoir abandonné tous ses mandats avant son entrée à la Commission.
Enregistrée au mois de juillet 2000 auprès des autorités bahamiennes, Mint Holdings aurait dû servir à une grosse opération financière qui consistait à racheter plus de 6 milliards de dollars d’actifs à la branche internationale énergie d’Enron, dans le cadre de l’opération « Project Summer ».
Cette opération devait être financée principalement par des investisseurs proches de la famille royale des Emirats arabes unis ainsi que par des hommes d’affaires saoudiens. L’état bancal des comptes de la société américaine Enron ainsi que des problèmes de santé du principal investisseur du projet – l’ancien président des Emirats arabes unis, Zayed Al-Nayane, mort en 2004 – ont eu raison du rachat.
Contactée, Neelie Kroes a d’abord démenti avant de finalement confirmer avoir été nommée « directrice non exécutive » de Mint Holdings. Par l’entremise de ses avocats, elle soutient que sa société n’a « jamais été opérationnelle », et qu’elle n’en a reçu aucun avantage financier.
Si elle admet que sa non-déclaration à la Commission était un oubli, Mme Kroes précise néanmoins que le fait qu’elle soit mentionnée, dans les documents que Le Monde a pu consulter, en tant qu’administratrice de la société jusqu’en 2009 « était une erreur administrative » : sa présence en tant que directrice aurait dû, selon elle, être supprimée dès 2002.
L’ex-commissaire se dit « prête à assumer l’entière responsabilité » de cette omission et en a informé l’actuel président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Un porte-parole de la Commission a déclaré qu’ils « allaient examiner les faits avant de faire un commentaire ».
Les fonctions de Mme Kroes l’ont en effet conduite à l’époque à œuvrer en faveur de la libéralisation du marché de l’énergie, justement celui dans lequel évoluait Enron et au sein duquel les Emirats arabes unis occupent une place prépondérante, avec des réserves gazières parmi les plus importantes du monde.
En 2005, la société Mint Holdings, qui avait perdu son objet initial, a été réactivée pour mener des opérations biens réelles. Ni la nature de ces nouvelles activités ni celle des flux financiers qui ont circulé sur les comptes de Mint Holdings ne sont connues, mais elles restent hautement problématiques pour l’ex-commissaire, qui était encore en place à l’époque. Ce n’est que moins de deux mois avant son changement de portefeuille – elle devient, en 2009, commissaire à la société numérique – que Neelie Kroes démissionne de ses fonctions d’administratrice de Mint Holdings.
·         Les « pantouflards » de la Commission Barroso
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L’ancien président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, en 2014 à Bruxelles.
Les révélations sur l’ancienne commissaire européenne risquent de ternir encore plus l’image d’une institution déjà régulièrement accusée d’être plus sensible au business des lobbys qu’à l’intérêt des citoyens européens.
L’arrivée de l’ancien président de la Commission européenne – entre 2004 et 2014 –, José Manuel Barroso, chez Goldman Sachs avait déjà provoqué une vague d’indignation, y compris au sein des personnels des institutions européennes, d’ordinaire discrets.
Si la Commission se défend en soulignant que le code de conduite des commissaires européens avait été respecté à la lettre par M. Barroso, la médiatrice européenne a relancé la polémique au début du mois, en poussant M. Juncker à soumettre le « cas » Barroso au comité d’éthique.
Le code de conduite a été réformé en 2011 mais il ne prévoit aucune sanction spécifique et présente de nombreuses faiblesses : selon un rapport paru en 2015, un tiers des commissaires qui ont quitté Bruxelles après la fin de la Commission Barroso 2 sont allés travailler pour des multinationales. Parmi eux… Neelie Kroes, qui a été débauchée par Bank of America Merrill Lynch et Uber.
·         Les « Bahamas Leaks » lèvent un peu plus le voile sur les paradis fiscaux
Les documents obtenus par la Süddeutsche Zeitung et partagés avec l’ICIJ portent sur 175 480 structures offshore enregistrées dans ce paradis fiscal des Caraïbes entre 1990 et 2016. Si certaines de ces informations sont déjà publiques – moyennant une dizaine de dollars par document – en se rendant physiquement au registre du commerce des Bahamas ou à travers sa version en ligne, les informations disponibles dans ces registres officiels sont parfois incomplètes, voire même contredites par des documents issus des « Bahamas Leaks ».
Les « Bahamas Leaks » permettent aussi de retrouver la trace de plusieurs dirigeants mondiaux en tant que directeurs de structures offshore, comme le ministre des finances canadien Bill Morneau, le vice-président angolais Manuel Vicente, l’ancien émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al-Thani (1995-2013), l’ancien premier ministre de Mongolie Sükhbaataryn Batbold (2009-2012) ou encore l’ancien ministre colombien des mines Carlos Caballero Argaez.
Le consortium ICIJ, qui a coordonné cette nouvelle publication, a décidé de rendre publique une grande partie de ces informations (noms des sociétés, dates de création et de dissolution, identité des administrateurs et des intermédiaires, etc.) pour venir enrichir sa base de données en ligne de l’offshore.
·         Secret fiscal aux Bahamas : un pas en avant, deux pas en arrière
Ces dernières années, les Bahamas avaient joué le jeu de la coopération fiscale, en acceptant de lever le secret bancaire et d’échanger « à la demande » des informations sur des ressortissants étrangers possédant des actifs sur les îles. Les Bahamas ont, à ce titre, été notés « globalement conformes » en matière de coopération par l’Organisation de coopération et de développement économiques, instance chargée par le G20 de lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.
Mais depuis quelques semaines la donne a changé : le passage à un système mondial d’échange automatique d’informations fiscales entre les pays doit se substituer au mode d’échange à la demande. Or, après s’être engagé à utiliser ce nouveau système d’ici à 2018, Nassau semble se rétracter afin de protéger son secteur financier et éviter une fuite de capitaux. Et pour cause, celui-ci pèse pour 20 % du produit intérieur brut du pays.

Ce qui différencie les « Bahamas Leaks » des « Panama papers »

1. L’origine :

  • Les « Panama papers », documents internes du cabinet panaméen Mossack Fonseca, portaient sur des sociétés offshore domiciliées dans une vingtaine de paradis fiscaux différents (Panama, Bahamas, îles Vierges, Hong-Kong, etc.).
  • Les « Bahamas Leaks » portent sur la seule juridiction des Bahamas, mais sur des sociétés immatriculées par 539 domiciliateurs différents (dont Mossack Fonseca).

2. La nature des documents :

  • Les « Panama papers » révélaient à la fois des informations officielles mais non publiques (comme le nom des administrateurs des sociétés offshore), mais également des informations confidentielles en possession de Mossack Fonseca (courriers, contrats, registres, etc.), qui permettaient parfois de lever le voile sur l’identité réelle des bénéficiaires et les activités de ces sociétés.
  • Les « Bahamas Leaks » sont, pour l’essentiel, un registre du commerce, muet sur le nom des actionnaires, des bénéficiaires et les activités des sociétés offshore bahaméennes.

3. L’ampleur de la fuite :

  • Les « Panama papers » étaient constitués de 11,5 millions de fichiers portant sur 214 488 structures offshore, soit 2 600 gigaoctets de données.
  • Les « Bahamas Leaks » représentent 1,3 millions de fichiers portant sur 175 888 sociétés offshore, soit 38 gigaoctets.


Vos réactions (11) Réagir
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MOREAU Jean-François 22/09/2016 - 10h06
On finira bien un jour par savoir ce que cela rapporte d'être co-prince d'Andorre!
 
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FRANCOIS GOBBE 22/09/2016 - 09h53
Les "pantouflards" de la Commission. Qu'en termes choisis et précieux tout cela nous est-il dit, ... il faut avoir le courage de parler de corrompus, d'avides d'argent, eux qui jouissent déjà d'une confortable pension payée par le contribuable européen . Ce sont ces abus de langage et recours au camouflage aimable qui font le dégoût de l'opinion à l'égard de la politique et de cette UE-là ... Pourquoi n'existe-t-il pas une réelle Union Europe sociale et fiscale ? les multinationales y veillent
 
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SP 22/09/2016 - 00h49
Neelie Kroes, société offshore. Barroso embauché par Goldman Sachs.... L'Europe travaille vraiment pour les peuples, ça se voit... A moins, peut être, qu'il ne s'agissent que d'une structure dirigée par les plus grand capitaliste de la planète pour leur seul intérêt ?
 
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Louis A 22/09/2016 - 09h52
Non, non, dirigée par vos élus nationaux, les chefs d'états.
 
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Louis A 22/09/2016 - 09h52
Non, non, dirigée par vos élus nationaux, les chefs d'états.
 
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Paulo 21/09/2016 - 23h08
L';ethique ne s'arrête pas à ça. Regardons le rôle actuel de l'ancien commissaire européenne à la société numérique au sein de la Commission Barroso: faire du lobbbying auprès de l'Europe pour les enterprises de Silicon Valley (p.ex. Salesforce)..
 
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XXS 21/09/2016 - 21h19
Les anglo-saxons toujours prêts à faire la leçon de morale seraient-ils plus tricheurs que nos français petits joueurs (Cahuzac,...) ? Alors quand ils bafouent toutes ces règles d'intégrité qui consistent à ouvrir un oeil tout en fermant l'autre (même si elles vont dans le bon sens), est-ce que ça les fait jouir ?

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