lundi 28 novembre 2016

couriellé à François Fillon : le lait de la tendresse humaine (Alfred Fabre-Luce)



Monsieur le Premier ministre,

vous avez gagné contre ceux qui ne doutaient pas de gagner. Je me permets de vous adresser un troisième message en huit jours.

Des commentaires et des interventions de ceux qui vous représentent ou vous soutiennent, je retiens que

1° vous ne voyez d'alternative pour le fonctionnement de l'Union européenne que la prééminence de la Commission nommée, ou celle des Chefs d'Etat, qui, eux, ont la légitimité (laquelle ? ce n'est pas dit). Je crois que vous avez deux fois tort
a) la Commission ne peut mettre à exécution que ce qui a été délibéré et approuvé en Conseil de ministres donc par les gouvernements, lesquels démagogiquement font oublier ce moment essentiel de la procédure législative européenne et se défaussent sur la Commission, en mentant par omission. La Commission elle-même, j'en connais de nombreux collaborateurs depuis quarante ans, est en relations constantes avec les administrations nationales et les représentations de diverses formes de celles et ceux auxquels s'appliqueront directives et règlements. Elle en capillarité avec ce qu'elle administre comme rarement une administration nationale
b) il y a la "troisième voie", la démocratie européenne, c'est-à-dire l'élection du président de l'Union (je préférais le terme de Communauté, beaucoup plus solidariste et appelant le bien commun) au suffrage direct de tous les citoyens européens, et sa prérogative d'en appeler au referendum européen dans les matières prévus par le traité. Celui-ci à réécrire complètement par un Parlement européen devenant constituant ou réélu constituant, par anticipation. Le texte allant ensuite aux gouvernements, puis au referendum européen. Car elle est urgente et affaire de tous cette mûe, seule de nature à donner une voix à l'Europe dans le monde, et un outil de solidarité et d'explication proprement européennes aux peuples de l'Union.
Je souhaite que d'ici le scrutin de 2017 vous fassiez vôtre cette dialectique, ou à défaut - si vous entrez à l'Elysée - que vous la fassiez vôtre pendant votre quinquennat. L'intergouvernemental, nous en mourons depuis vingt ans

2° l'ensemble de vos propositions en économie et en société se fonde sur l'axiome que cela se fait ailleurs, que cela y réussit, et que c'est adopté par les autres au moins en Europe. Je ne crois pas à la vérité des comparaisons chiffrées en quelques domaines que ce soit entre Etats membres de l'Union. Car ce qui importe le plus c'est l'environnement qualitatif, humain, traditionnel qui modifie l'impact de mesures surtout si elles sont importées. Les chiffres n'ont pas le même sens partout, les niveaux de vie, les solidarités, les équilibres sont différents d'un pays à l'autre. Pour les retraites, vous savez bien qu'augmenter l'âge légal, c'est simplement diminuer les retraites puisque l'on est de plus en plus tard sur le "marché" du travail et sauf exception que l'on y reste de moins en moins longtemps, f... à la porte, licencié économiquement dès 50 ans avec formation à autre chose, ce qui dest une humiliation sans nom. Humiliation analogue aux suppressions d'emploi : on était donc inutile, et on ne le savait pas... Il est quelque chose de typiquement français, ménageant le consensus, mettant chacun en demeure de négocier, d'informer, c'est la planification dite souple à la française (Monnet et PMF à la Libération, l'ardente obligation avec de Gaulle, et ainsi de suite jusqu'à la très malheureuse suppression du Plan et du Commissariat par Lionel Jospin le remplaçant par un conseil d'analyse économique, vous le savez, puis d'un conseil d'analyse sociale, dont il me semble que vous avez eue, à vérifier, un temps la présidence). Proposez de le réinventer.

Ne vous connaissant pas, sauf une entrevue sans dialogue à Almaty quand vous y avez, en compagnie d'Alain Juppé et de Gérard Longuet, accompagné le président Mitterrand (Septembre 1993), j'avais une opinion favorable envers vous. Avant même que se développe votre programme et même que je m'aperçoive de votre accompagnement par la manif.pour tous, c'est pendant votre débat avec Alain Juppé, que mes sentiments ont radicalement changé : je vous ai ressenti méchant et imperméable. Les Français le ressentiront en six mois restant à vovre tous d'ici le scrutin présidentiel, si vous ne changez pas, si vous n'avez pas le sens du " lait de la tendresse humaine " (Fabre-Luc qui n'était pas d'extrême gauche).

Je souhaite aussi que vous ne commettiez pas un recel du christianisme dans votre campagne. Malheureusement, l'adresse des évêques de France "aux habitants de notre pays" n'a pas eu l'impact encore que notre épiscopat souhaite : une réflexion nationale sur le sens du politique. Ce n'est pas la rédaction ou l'adoption d'un programme, ce n'est pas rigueur au gouvernement ni la révolte plus ou moins durable d'une partie de population, c'est vraiment comprendre que nous avons ensemble un devoir et une capacité dans le respect mutuel, c'est sans doute encore plus profond, les mots me manquent mais pas l'envie pour qu'à tous nous y réfléchissions, avant de nous lancer une fois de plus, et vers qui ? vers quoi ? A cette adresse, d'ailleurs, Alain Juppé avait été le seul de vous sept, le 13 Octobre, à faire allusion.

Pardonnez ma franchise. Je n'ai jamais été un thuriféraire - il y en aura toujours assez - , vous le savez si vous m'avez lu dans Le Monde à vos vingt ans, et dans La Croix jusqu'à vos quarante-cinq ans.

Voeu de vous  atteindre pour notre bien à tous. La question française, en ce moment, n'est pas de programme, mais d'élan. Il ne s'agit pas d'adhérer à une personne, mais de ré-adhérer à nous-même : 1944... 1958... alors l'imagination nationale et le civisme naturel opèreront tout, la politique le mettra en forme.

Avec déférence.

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