vendredi 4 août 2017

Lech Walesa : « Pourquoi je reprends le combat »


Ouest-France . samedi 29 . dimanche 30 juillet 2017



  • « Les gens se moquent des grandes idées. Ce qu’ils veulent, c’est du travail. Et ne me dites pas qu’il n’y en a pas. »« Les gens se moquent des grandes idées. Ce qu’ils veulent, c’est du travail. Et ne me dites pas qu’il n’y en a pas. » | Agnès Ziminski
Recueilli, à Gdansk, par Patrice MOYON.
Il a été à l’origine de la création des premiers syndicats libres en Pologne. Dans l’entretien exclusif qu’il nous a accordé, Lech Walesa nous explique pourquoi il s’engage à nouveau pour la défense de la démocratie.
Entretien
Vous reprenez le combat ?
Je voulais me reposer et penser à l’éternité. Le destin en a décidé autrement. Les fondements sur lesquels reposaient nos démocraties sont remis en question. C’est aussi le cas en France. Regardez ce qui vient de se passer dans votre pays. Les partis traditionnels ont été balayés lors de l’élection présidentielle avec Emmanuel Macron. En cela, la Pologne n’est pas différente de ses voisins européens ou même des États-Unis.
Nous sommes confrontés à de nouveaux enjeux. Et je ne sais pas si l’État nation comme nous l’avons connu est en mesure d’y répondre. Il faut regarder les choses autrement. C’est une nouvelle Europe qu’il faut imaginer. Mais les points de vue divergent.
La montée des populismes vous inquiète ?
Il y a une crise ou des crises. Mais partout, les reproches adressés aux gouvernements sont les mêmes. Les réponses, elles, varient. Rien n’est simple. La Pologne a basculé à droite. Les États-Unis avancent en aveugle avec Donald Trump. Il y a pourtant quelque chose de positif. Cela nous oblige à réfléchir, à nous remettre en question, à faire de nouvelles propositions. C’est la raison pour laquelle je m’engage aujourd’hui à nouveau en politique …
Les décisions prises par le gouvernement polonais sont-elles une menace pour les libertés ?
Dans un sens oui. Mais on peut considérer que l'action de ce gouvernement contribue à nous réveiller. Je ne me rappelle pas avoir vu des manifestations d'une telle ampleur avec autant de jeunes et sur une si longue durée. Même du temps de Solidarnosc. Mais quelle va être l'issue ?
À votre avis ?
Nous allons l'emporter. Mais je ne sais pas à quel prix, ni en combien de temps. Mon engagement vise à peser sur le débat pour trouver plus rapidement une issue à cette crise.
C'est la démocratie que vous défendez aujourd'hui ?
La démocratie, c'était un rêve pour moi. Ils font voler en éclat ce qui a été le combat de ma vie. Ils saccagent ma victoire. Mais peut-être que la nation polonaise avait besoin de cela. Regardez le taux de participation aux élections. Les Polonais ne sont pas allés voter. Qu'ont-ils dit ? La situation est très bonne. Elle va sans doute encore s'améliorer. Je ne sais pas très bien pour qui voter, donc je ne vote pas. Les partisans de ceux aujourd'hui au pouvoir ont, eux, su se mobiliser. Et ils l'ont emporté.
Mais 50 % d'abstention aux élections n'explique pas tout.
La démocratie repose sur trois piliers : les institutions avec la Constitution et tout l'appareil légal, le peuple et les électeurs qui choisissent ou non de faire vivre ces institutions et enfin l'épaisseur du carnet de chèque ; autrement dit la richesse de la population.
Les gouvernements polonais ont trop négligé la question sociale ?
Si je vous dis ça, c'est aussi par rapport avec la France. Pensez-y. Les gens n'écoutent plus les partis. La démocratie est en crise partout. Il nous faut donc réfléchir ensemble. La situation est beaucoup plus compliquée que ce qu'on pourrait croire. Nous entrons dans un monde très différent. On ne peut plus regarder les problèmes de la même façon. J'ai été ouvrier. Pendant des années, j'ai vissé des vis. Je ne pense pas en avoir abîmé plus de deux. Ce n'était pas le cas quand je dévissais. J'en ai peut-être abîmé des centaines. C'est ça qui est difficile, passer d'un état à l'autre. Nous devons dévisser ce qui fonctionnait auparavant. Personne n'arrive à théoriser sur ce changement de monde. Il n'y a pas de programme.
C'est-à-dire ?
En tant que révolutionnaire, je suis invité partout dans le monde. Il y a deux points qui reviennent à chaque fois « Nous ne voulons pas du capitalisme et nous ne voulons pas une telle démocratie. » Mais quand vous vous asseyez avec tous ces gens, il s'avère que la situation est un peu différente. On ne veut pas du capitalisme mais on s'accommode très bien de l'économie de marché et de la propriété privée. 95 % du capitalisme reste donc inébranlable. Les gens se moquent des grandes idées. Ce qu'ils veulent, c'est du travail. Et ne me dites pas qu'il n'y en a pas. Les chantiers pour les cinquante ans qui viennent sont immenses. Nos villes sont à reconstruire, il y a de la pollution. On aborde une nouvelle époque. À notre mesure, les Polonais et Solidarnosc ont contribué à l'entrée dans ce nouveau monde. Nous sommes libres mais nous devons réfléchir à ce que nous allons faire de cette liberté.
Qu'est devenu ce beau mot de solidarité ?
On ne fait rien de grand tout seul. Quand un poids est trop lourd, on a besoin d'aide pour le soulever. Pour nous à l'époque, ce poids c'était l'URSS. C'est collectivement que nous avons réussi à le soulever. Et nous avons gagné en changeant l'économie, en ouvrant les frontières. Aujourd'hui, d'autres poids nous attendent : locaux, européens, globaux. Chacun regarde trop ses intérêts particuliers. Aujourd'hui, c'est l'Europe qui compte car beaucoup de questions ne peuvent pas être réglées dans un cadre national.

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