mardi 15 août 2017

Journal du dimanche - quinze jours avant le premier tour de l'élection présidentielle


Emmanuel Macron : "Moi président..."

04h11 , le 9 avril 2017, modifié à 11h23 , le 21 juin 2017
Paru dans leJDD
INTERVIEW - Emmanuel Macron dévoile au JDD l'agenda de ce que seraient ses premiers mois à l'Elysée, avec notamment le vote d'une loi de moralisation de la vie publique et une tournée des capitales européennes.
Emmanuel Macron : "Moi président..."
Emmanuel Macron samedi à Paris. (Bernard Bisson pour le JDD)
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J-15 avant le premier tour : Emmanuel Macron reste le favori des sondages mais connaît depuis plusieurs jours une baisse. Trouble passager ou tendance durable? Le candidat d'En marche répète que "rien n'est fait" et rejette ce statut de favori. Au JDD, il livre ce dimanche ce que serait l'agenda de ses premiers mois à l'Elysée, du choix de ses ministres à son premier projet de loi consacré à la moralisation de la vie politique en passant par des ordonnances sur le code du travail et une relance du projet européen... Voici sa feuille de route.
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A deux semaines du premier tour, vos sondages sont en baisse. êtes-vous inquiet?
Ils montrent exactement ce que je ressens : rien n'est fait! Nous entrons dans une phase cruciale pendant laquelle il faut mobiliser, convaincre et tenir ce double engagement : un renouvellement, des visages et des pratiques ; un rassemblement de tous les progressistes. Il était donc important de préciser que nous ne sommes pas une "recyclerie"…
Comment envisagez-vous, si vous êtes élu, vos cent premiers jours?
Je ne crois pas aux "cent jours". Les derniers présidents ont construit les conditions de leurs échecs dans les premières semaines à cause de l'outrance, du déni du réel ou de la procrastination. On ne peut pas être dans un pays où la campagne dure deux ans et une présidence se réduit à cent jours! Ces "cent jours" doivent être les fondations d'une action pérenne.

"Quand on a été responsable de parti, on ne connaît pas le fonctionnement d'un ministère"

Votre Premier ministre sera-t-il un Premier ministre de campagne (pour les législatives) ou durable?
Il aura vocation à durer.
L'avez-vous déjà choisi?
Cela dépendra des conditions politiques de l'élection.
Vous voulez une moitié de ministres sans expérience politique, n'est-ce pas confier le pouvoir à la technocratie?
Je crois l'inverse : l'administration est forte quand les ministres sont faibles! Quand on a été responsable de parti ou professionnel de la politique, on ne connaît pas le fonctionnement d'un ministère. Et là, ce sont le cabinet et les directeurs d'administration qui ont le pouvoir. Connaître ses dossiers, c'est réduire le poids de l'administration.

"L'efficacité des ministres sera évaluée régulièrement"

Avez-vous déjà votre casting en tête?
J'ai le vivier. Et je réfléchis.
Seriez-vous un président qui gouverne?
Le président nomme le gouvernement sur proposition du Premier ministre. Chacun des ministres aura une feuille de route présentée avant les législatives, avec des objectifs en termes de politiques publiques et de budget. Leur efficacité sera évaluée régulièrement et je déciderai une fois par an, en lien avec le Premier ministre, de les reconduire ou pas. J'exercerai un suivi particulier de l'avancement des six grands chantiers qui sont au cœur de mon projet, et dont j'irai moi-même rendre compte une fois par an devant le Congrès, dans un discours sur l'état de la nation.
Et pour l'administration?
Dans les six premiers mois, je renouvellerai ou je confirmerai la totalité des postes de responsabilité nommés en Conseil des ministres - 250 personnes. Je ne dis pas que je souhaite remplacer tout le monde! Les fonctionnaires sont loyaux. Mais pour mettre en œuvre une politique ambitieuse, il faut des directeurs qui endossent la feuille de route décidée par le politique. Les ministres seront associés à ces nominations. Nous aurons ainsi une administration plus responsable, et des cabinets ministériels moins puissants.

"On n'a jamais vu, depuis 1958, le peuple français dire le contraire aux législatives de ce qu'il a dit quelques semaines plus tôt à la présidentielle"

Comment éviter une affaire Cahuzac?
Chaque ministre ou candidat aux législatives devra avoir un casier judiciaire vierge. Je souhaite que l'on se donne quelques jours avant la nomination du gouvernement pour que des vérifications fiscales et déontologiques soient menées par l'administration fiscale et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Pensez-vous pouvoir compter sur une majorité absolue?
Oui. On n'a jamais vu, depuis 1958, le peuple français dire le contraire aux législatives de ce qu'il a dit quelques semaines plus tôt à la présidentielle.
Comment travaillerait le Parlement?
Je souhaite un Parlement qui légifère moins et évalue davantage l'application des lois et l'action du gouvernement. Ces quinze dernières années, on a modifié 50 fois le Code du travail. Est-ce que ça marche mieux pour autant? Non. Je souhaite donner un plus grand rôle aux commissions parlementaires et suis favorable à ce qu'on institue des commissions ad hoc, composées de parlementaires de la majorité et de l'opposition, pour mieux contrôler le gouvernement.

"Un projet de loi pour interdire le népotisme pour les parlementaires"

Quelles seraient les premières mesures de votre présidence?
Le projet de loi de moralisation de la vie politique sera mis sur la table du Conseil des ministres avant les législatives. Avec, d'abord, l'interdiction du népotisme pour les parlementaires, qui ne pourront salarier aucun membre de leur famille. On doit aussi fiscaliser la totalité des rémunérations, en particulier l'indemnité représentative de frais de mandat [IRFM], et les rendre transparentes. Pour éviter les conflits d'intérêts, les activités de conseil seront interdites. Parallèlement seront votées, avant la fin 2017, la réduction d'un tiers du nombre de parlementaires et l'introduction d'une dose de proportionnelle.
Supprimerez-vous l'immunité parlementaire?
Non. L'exercice des responsabilités doit préserver la séparation des pouvoirs. Je ne préconise aucune trêve judiciaire, aucune complaisance. Mais plutôt que de supprimer l'immunité parlementaire, n'investissons pas des candidats déjà condamnés!
(Bernard Bisson pour le JDD)
Par où commencerez-vous en matière économique et sociale?
Dès l'été, je souhaite que plusieurs textes soient présentés. La simplification, d'abord. Fin mai ou début juin, un projet de loi d'habilitation permettra au gouvernement d'agir par ordonnances pour mettre en place le droit à l'erreur : sauf cas grave, l'administration qui contrôle un individu ou une entreprise ne sera plus immédiatement dans la sanction, mais dans l'accompagnement et le conseil. De même, nous supprimerons les normes issues de la surtransposition et imposerons la suppression d'une norme récente pour toute nouvelle norme votée. Enfin, pour les textes fiscaux, sociaux ou touchant au droit du travail, il faudra une règle de stabilité : quand on prend un texte dans le quinquennat, on n'y touche plus!

"Il n'y aura pas de loi de finances rectificative cet été"

Et comment amorcerez-vous votre politique budgétaire et fiscale?
Dès mon entrée en fonction, un audit des finances publiques sera demandé afin de disposer à la mi-juin des résultats de la gestion en cours. Il n'y aura pas de loi de finances rectificative cet été : ni cadeau ni augmentation d'impôts. Ce serait irresponsable. En revanche, le gouvernement présentera à l'automne un texte de finances publiques quinquennal et un projet de loi de finances pour 2018. Ces textes présenteront la stratégie sur cinq ans, avec le plan d'économies de 60 milliards, l'exonération de la taxe d'habitation pour 80% des Français, ainsi que les principales mesures en faveur de l'emploi et de l'investissement, comme la baisse des charges, la baisse de l'impôt sur les sociétés…
Vous voulez réformer encore le droit du travail : comment procéderez-vous?
Je souhaite introduire dès l'été un projet de loi d'habilitation pour simplifier le droit du travail et décentraliser la négociation. Il s'agit de donner plus de place à l'accord majoritaire d'entreprise ou de branche, d'une part, d'encadrer les décisions des prud'hommes, d'autre part. Le tout par ordonnances, pour procéder de manière rapide et efficace.
Quand engagerez-vous les réformes de l'assurance chômage et de la formation?
Autant la réforme du droit du travail doit aller vite, autant il faut prendre le temps pour refonder en profondeur l'ordre établi entre 1945 et 1970. Pour l'assurance chômage, je souhaite que l'on universalise les droits, mais que l'on change aussi le financement et les modes de contrôle, pour en faire une vraie structure tripartite où l'Etat reprend ses responsabilités. Pôle emploi devra évoluer et proposer rapidement des bilans de compétences aux chômeurs et les emmener vers les formations adéquates. La formation professionnelle doit être réformée en profondeur pour la rendre plus efficace et plus transparente. Tout cela sera finalisé au plus tard début 2018.

"Dès la rentrée 2017, je veux la mise en place des 12 élèves par classe de CP et CE1 dans les écoles de l'éducation très prioritaire"

N'y a-t-il pas un risque de blocage par les syndicats?
Non, car je leur redonne une très forte responsabilité dans la déclinaison de la réforme du droit du travail au niveau de la branche et de l'entreprise, et parce qu'on passe à un tripartisme entre Etat, syndicats et patronat. Si l'on fait ces réformes, le chômage sera ramené à 7% en 2022.
A quand la réduction de moitié des effectifs des classes à l'école primaire?
Dès la rentrée 2017, je veux la mise en place des 12 élèves par classe de CP et CE1 dans les écoles de l'éducation très prioritaire [REP +]. Avec un redéploiement des moyens dans un premier temps, puis des recrutements l'année suivante. Par ailleurs, sur les rythmes scolaires, un décret sur la liberté des communes leur donnera la possibilité d'en sortir. Enfin, un arrêté permettra le retour des classes bilangues dès cet été.
Arriverez-vous à tenir tous ces chantiers dès l'été?
Oui, et il y en aura d'autres! Dès l'été, je lancerai les états généraux de l'alimentation, avec les associations de consommateurs, les agriculteurs, les distributeurs, et l'ensemble des filières pour évoquer une meilleure rémunération des producteurs et donner un cadre de modernisation de l'agriculture. Je lancerai aussi une conférence des territoires pour établir un pacte de confiance avec les collectivités locales. J'installerai dès l'été des assises de l'outre-mer pour apporter des réponses concrètes et de court terme à leurs enjeux. Enfin, un projet de loi sur la mobilité et le logement sera proposé à l'automne pour créer un "choc de logement" permettant des opérations d'intérêt national avec des procédures ultrarapides dans les zones tendues : le Grand Paris, la métropole lyonnaise et la frontière suisse, ainsi que la région Aix-Marseille. Je souhaite aussi engager une réforme de l'action et de la fonction publiques.

"A l'été, je ferai un tour des capitales européennes"

Et sur la sécurité?
Je mettrai en place dès l'été une cellule de coordination du renseignement ainsi qu'une task force sur le terrorisme islamiste sous l'autorité du président. Dès l'été, les mesures nécessaires au renforcement de la sécurité intérieure seront prises.
En finissez-vous avec l'état d'urgence?
Mon souhait, comme tout démocrate, est d'en sortir. Mais la situation européenne, après Londres, Saint-Pétersbourg et Stockholm, ne me semble pas propice à une levée de l'état d'urgence.
Quelle sera votre première initiative européenne?
Je rencontrerai la chancelière allemande afin d'engager une réorientation du couple franco-allemand, pas seulement économique, mais aussi en matière de souveraineté et de défense. A l'été, je ferai un tour des capitales européennes. Je proposerai une feuille de route à cinq ans pour doter la zone euro d'un vrai budget et pour une une vraie Europe à 27 de l'environnement, de l'industrie et de la gestion des migrations.
La phrase de François Asselineau au débat, selon laquelle "vous êtes toujours d'accord avec tout le monde", n'a-t-elle pas fait mouche?
Les Français sont las de la bêtise généralisée qui consiste à considérer que ce que dit l'opposant est forcément mauvais. C'est une force de reconnaître, lorsqu'ils existent, des points de convergence sur le fond avec des gens auxquels on est opposé. J'ai aussi des désaccords, et je les assume pleinement.
Source: JDD papier
  • Par Propos recueillis par Hervé Gattegno et David Revault d’Allonnes

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