mardi 12 décembre 2017

lettre à Emmanuel Macron, président de la République




Monsieur le Président de la République,

comment ne pas admirer, tout ce qu’il nous est arrivé ce samedi 9 ?

Le peuple français, nous tous, emmenés dans l’émotion et la communion, par certains de nous : une « classe d’âge », une origine de souche, une culture, chacune précise, mais justement en rien exclusive, et la contagion d’un amour et d’un parcours avec un artiste hors du commun à tant d’égards et pendant tant de décennies, s’est opérée. Le miracle français de l’union, transcendant toutes les classifications et analyses convenues, tous les clivages sociaux, culturels, ethniques, s’est opéré. Nous en perdions mémoire et plus encore expérience.

Vous-même, nous présidant et – pour la première fois, vraiment, depuis votre avènement – nous exprimant si bien. D’autant que votre discernement, souvent hors du commun (avoir discerné que votre prédécesseur non seulement ne se représenterait pas, mais ne lutterait même pas, avoir discerné la grande lassitude des Français vis-à-vis du système de reproduction à chaque élection d’une joute puis d’un échec devenus habitudes, et par ce discernement avoir été favorisé de tant de chances par élimination de votre principal concurrent et par évidence de la nullité d’une adversaire si favorisée par les sondages jusqu’à réduire l’élection présidentielle à son seul premier tour), vous avait archi-préparé à l’échéance : une intimité de six mois avec l’artiste telle que son épouse vous prévient avant tous, une vue de la journée en très grand par le rythme et par le parti magnifique tiré de toutes les ressources de notre capitale. Enfin, le chef d’œuvre, sans rien toucher à l’option séculaire de notre laïcité, de faire reconnaître à tous – grâce il est vrai à la nature profonde de Johnny Hallyday – les racines spirituelles de notre pays.

A Johnny et à vous, dette certaine de reconnaissance. Cela s’est contracté en quelques minutes de votre correspondance à tout quand vous avez commencé de parler, au point qu’à treize heures quinze de ce jour-là, quand a retenti, délibérée et vraie, votre invite à applaudir celui que ne nous quittait que physiquement, votre quinquennat alors, et seulement alors, a véritablement commencé.

Il est décisif pour notre pays, plus encore que pour votre destin personnel, que ce fil enfin trouvé, presque par instinct, vous ne le lâchiez plus. Il va rester fragile tant que la durée ne l’aura pas vraiment dévidé. Ce fil, c’est la communion nationale et celle-ci ne peut durer que si la participation des Français n’est pas qu’émotionnelle et événementielle, mais pratique, appliquée aux décisions d’intérêt commun, aux grandes gestions. Le thème et l’envie, quoiqu’apparemment différencie en chacun de nous, la responsabilité des pouvoirs publics, à commencer par celle du président de notre République ne sont pas nouveaux quoique tellement oubliés : ainsi, cette procédure par ordonnance pour adapter ou changer un des éléments fondamentaux de notre vie sociale, celle au travail et en entreprise. Vous n’avez en rien gagné du temps, puisque les décrets d’application n’entreront en vigueur que le huitième mois de votre quinquennat : des sessions exceptionnelles, des procédures d’urgence eussent été plus rapides, les consultations et débat à « ciel ouvert » et les compétences du gouvernement et du Parlement, que vous avez eu tendance à accaparer et même à fusionner pour votre mise en évidence, et bien trop en scène, auraient été pratiquées, reconnues. Présider notre République, c’est nous animer et nous conduire, nous incarner, pas nous réduire.

La participation s’est fondée chez nous, quoique cela ne soit pas dit, à ma connaissance, le 18 Juin 1940. De Gaulle n’appelait pas, il répondait. L’espérance de Français refusant que la partie soit jouée, et qui en appelait au destin, sinon à un inconnu. Toute la guerre de résistance et de libération a été une intense participation parce que le volontariat apparaissait en conscience au meilleur et aux meilleurs de nous-mêmes. De Gaulle a tenté de prolonger sous des formes pérennes une ambiance et l’emploi de chacun, dans des contextes ensuite changés par la paix. L’effort pour la participation dans l’entreprise : son gouvernement, son discernement des opportunités technologiques et commerciales, ses bénéfices, n’est toujours pas la tension législative que nous devrions exiger de nous-mêmes. En politique, le referendum et l’engagement personnel et à fond du président de la République ne s’est jamais reproduit depuis de Gaulle : résultat, 54%  d’abstentions, ou presque, pour votre élection présidentielle, un peu plus pour la composition de la nouvelle Assemblée nationale, presque la même chose pour les élections corses. Cela fait de la légalité, mais pas de l’élan.

Vous devez susciter cet élan, et ce sera exemplaire pour la cause européenne qui échoue car depuis une vingtaine d’années, elle n’est plus que gestation intergouvernementale.

Quelques chantiers, que je me suis permis de déjà vous suggérer. La planification délibérative – le rythme quinquennal s’y prête – de l’ensemble des projets et actions de tous les acteurs politiques, financiers, économiques et sociaux. L’esprit de défense manifesté par un service national universel, garçons et filles, en deux étapes, chacun d’une année, la préparation militaire, le devoir et la prudence d’une coopération par les jeunesse avec les pays et peuples en déshérence d’espoir et de démocratie. Par courriel, j’ai dit à Philippe Etienne, amical truchement pour que cette lettre vienne sous vos yeux, ainsi qu’à mon ami Jean-Marc Chataigner, combien la Mauritanie est un test pour vos manières de traiter avec les dictatures (votre entretien de campagne avec Bourdin, le 18 Avril dernier) et pour la nécessité d’inspirer confiance à nos partenaires européens dans la question du Sahel, frontière méridionale de l’Union européenne.

Leçon que chaque jour me donne notre fille unique de treize ans : l’éducation nationale est devenue mutuelle entre générations (internet et informatique pratiqués par nos enfants, quasiment de naissance, et surtout ataviquement compris dans leurs développements au lieu du labeur consentis à consentir par les adultes). Pas de réforme, pas de rôle tant attendu de l’école en tous domaines si ceelle-ci, et par extension ce qu’il se passe après le baccalauréat ne sont pas vécus, définis, appliqués à égalité de responsabilité par les enfants, par les étudiants et par les cadres enseignants de toute expérience.

Le numérique, commodité certaine en documentation, en communication, en archives mais vulnérabilité à toute attaque et a fortiori à une guerre informatique, entre Etats ou menée par des entités non identifiées en intérêt et en organisation, est aussi une formidable vulnérabilité. C’est aussi l’atrophie, l’isolement de celles et ceux qui ne peuvent pratiquer informatique et internet. Les personnels de nos administrations régaliennes désespèrent – j’en vis de nombreux exemples – de cet oubli ordonné de la relation humaine. Ce danger est là, les dégâts vont être substantiels. C’est l’exact contraire de la participation. Or, celle-ci doit devenir votre ambition, votre souci, votre vérification de chaque jour. Votre quinquennat commençait mal, alors que tout demande l’application de votre liberté d’esprit et de votre puissance de travail. Samedi dernier quand en France partout, à votre demande, nous avons applaudi le don de soi d’un grand homme (se faire inhumer sous son nom de naissance, et pas de seule gloire…), l’esprit de notre participation et donc de votre mandat présidentiel, s’est éveillé.

                        Vous savez, Monsieur le Président de
                la République, mes sentiments déférents
                et d’espérance.

Bertrand Fessard de Foucault

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